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meharat

Chapter 6

Maintenir le moral en ville qu’elle disait. Techniquement c’était correct, mais j’aurais quand même dû me douter qu’il y avait anguille sous roche.
Nous étions dans une petite arrière-cour, fermée par les grands bâtiments voisins. Les lieux appartenaient à un temple de la ville, mais le piège de l’histoire, c’est plutôt qu’il s’agissait d’une sorte d’orphelinat public ou de centre de recrutement et d’endoctrinements selon la manière de voir les choses.

Le concept est éculé et bénéfique pour tout le monde, parfois même bénéfique pour l’enfant lui-même. On prend un tas de gamins dont personne ne veut, on leur bourre le crâne avec un tas de bêtises tout en mettant l’accent sur une loyauté inconditionnelle et l’on gagne une décennie plus tard un tas de fanatiques prêt à mourir pour vous. Certaines villes sont même prêtes à vous financer pour entreprendre ce genre de recrutement puisque cela permet de vider les ruelles d’une part de ses mendiants et chapardeurs. Autant dire qu’avec la guerre, le nombre de futures recrues n’était pas près de diminuer.


S’il s’était vraiment agi de maintenir le moral des citoyens, je n’aurais probablement rien trouvé à redire à cette mission. En fait, si, j’aurais probablement trouvé beaucoup de choses à redire à cette mission et j’aurais sûrement grommelés une partie de la journée dans mon coin pour changer. Mais à la fin, ce ne serait qu’une journée comme une autre, tous mes griefs oubliés au moment même où ils quitteraient mon champ de vision comme s’ils n’avaient pas existé. Mais là…

Il y a plusieurs choses qui ont tendance à faire ressortir les pires aspects de ma personnalité. Mais deux surtout tiennent le haut de ma liste.

Il y a d’abord cette engeance qu’on appelle les enfants. Capable de passer toute la journée à courir partout, à hurler sans discontinuer, à crier, à pleurer, à être stupide, sans jamais réfléchir à leurs actions, sans jamais rien retenir qui ne soit répété des milliers de fois. Autant de comportements que j’ai énormément de mal à supporter. Je m’y efforce parce que les gamins sont une nécessité biologique incontournable, mais quand même !

Sont-ils pour autant obligés d’être une nuisance sonore permanente ?

Personnellement, je ne me suis jamais comportée ainsi, c’est probablement mon côté monstre qui explique cette différence, ça et mes différents maîtres qui avaient peu de patience pour la stupidité et les frivolités ainsi qu’une manière bien à eux de vous ancrer leurs leçons jusqu’à l’âme quitte a vous laisser couvert de plaies et blessures.

En second, il y a aussi cette engeance toute particulière qui est celle des profiteurs. Des manipulateurs. Des marionnettistes. Vous prenant ce qu’ils veulent par de belles paroles. Vous embrumant l’esprit de promesses intenables. Vous susurrant des mots doux à l’oreille, jusqu’au moment où vous en oubliez d’être vous-même pour devenir un pantin, un esclave volontaire et souriant. Pauvre âme limitée, incapable désormais de concevoir quoi que ce soit au-delà des bornes de l’enclos placé là par le gardien du troupeau de betail. S’il y a bien une chose que j’exècre de tout mon être, c’est ce genre d’engeance là, destructrice de liberté.


Il se trouva que présentement je me tenais dans l’antre même de la perversion, au milieu d’un tas de sculpteurs, modelant la cervelle de ces gamins comme de l’argile pour en faire leur chose.

Pense ceci, crois en cela. Ceci est vrai, ceci est faux. Tu n’as pas le droit d’exister si tu ne deviens pas ce que je veux que tu sois et soit heureux. Tu peux même me remercier pour cela et me vénérer, je ne t’en voudrais pas.

Sur le sujet, je sais de quoi je parle, j’ai grandi entouré de cette engeance. Ma plus grande terreur, c’est quand au beau milieu de la nuit, je me réveille en sursaut avec cette question aux lèvres, suis-je aujourd’hui exactement ce qu’ils voulaient que je sois ou suis-je toujours moi-même ?
Terrifiant aussi sont les sentiments qui vous submerge lorsque face à cette absurdité vous cherchez une oreille qui vous écoutera et que l’on vous regarde alors comme une chose ignoble, crachant dans la main de celui qui vous a tout donné et ainsi de suite. Comme si, en échange de l’aide de quelqu’un vous deviez lui céder votre âme … Écœurant. Il y a une limite a toute chose quand même.

Me voilà donc dans cette arrière-cour d’un orphelinat puisque c’est ainsi que l’on nomme ce genre de centre d’endoctrinement. Dans un coin, rongeant mon frein et réprimant des envies de meurtres dès que l’un de ces hommes souriants reprenait un gamin sur son comportement avec un sourire bon enfant. Combien d’horreurs pouvait donc bien masquer ce sourire ? Je me forçais à suivre ce genre de réflexion, peu importe lesquelles tant qu’elle me permettait de me focaliser sur la réflexion plutôt que l’action.

Pendant ce temps, PyuPyu voletait de gauche à droite, encerclé par une bande de gamins hurlants, tous cherchant à le toucher, lui sauter dessus, lui rouler dessus, tous criant, hurlant, riant. L’horreur.

Lui semblait adorer, passant son temps à rire et gober les friandises qu’une grosse femme avec un énorme sourire enchaîna toute la journée dans ses fourneaux et ce, pour tout le monde. D’ailleurs, c’est tout ce qu’ils mangèrent de toute la journée, un énorme tas de friandises.

Une fillette m’avait approchée en début de journée avant de fuir en pleurant dès qu’elle croisa mon regard de monstre. J’eus même droit à PyuPyu se plaignant de mon comportement, de mon manque de coopération et de ma tête à faire peur. Comme si je l’avais fait exprès, ce n’est pas comme si je l’avais hérité à la naissance cette tête-là n’est-ce pas ? Haha.

Aussi restais-je dans mon coin, me faisant oublier, là où je pouvais observer à loisir. De loin, de très loin. Ce ne fut pas une journée bénéfique à tout point de vue, loin de là. Tout au plus réussis-je à glaner quelques mots de vocabulaire ici et là. J’allais devoir en parler à Yreen, si je devais revenir ici régulièrement, j’allais finir par trucider quelqu’un ce qui signerait probablement mon arrêt de mort dans la foulée. Pas réjouissant.

Un autre gamin tenta de m’approcher avec une espèce de balle dans les mains, mais dès que je posais le regard sur lui, il s’enfuit en hurlant lui aussi, oubliant sa balle derrière lui. Cela me valut une autre fournée de remontrances de la part d’un PyuPyu colérique. Comme si j’y pouvais quelque chose.

Le soir même, lorsque PyuPyu pépia son rapport à Yreen, je vis nettement ses yeux pétiller d’amusement et je crois bien qu’elle aurait éclatée de rire si ma menace de cramer les lieux et les tueurs de libertés, n’était pas intervenue à point nommée.
Comme de juste, PyuPyu me lança le regard auquel je suis habitué d’incompréhension et de pitié pour la folle que j’étais.
Yreen resta comme à l’accoutumée imperturbable. Hormis ces lueurs d’amusement dans ses yeux.

Ça commençait à devenir vexant ça aussi, mon incapacité à lire quoique ce soit d’elle en dehors de ces quelques éclats d’amusements dans ses yeux. Je n’arrivais jamais à rien lire de sa part alors que j’étais visiblement un livre ouvert pour elle. Vraiment frustrant. En tout cas, elle me prit au sérieux et je n’eus jamais à retourner dans ce genre de lieu là.

***

Le surlendemain, je me retrouvais au lavoir de l’enclave de la guilde, des paniers de linges sales à perte de vue, du moins c’est l’impression que j’en eus. En plus, je n’avais quasi pas dormi de la nuit. Yreen m’avait gardé presque jusqu’à l’aube après ma garde aux portes de la ville pour me faire parler de mes aptitudes magiques, les sorts que je connaissais, mes points forts, et ainsi de suite. Dieux, ne dormait-elle donc jamais ?


À un moment j’avais du lui glisser que j’apprendrais probablement plus vite la langue locale auprès d’une personne sérieuse qui n’essayerait pas de me sauter dessus, ne me hurlerait pas dans les oreilles ni n’essayerait de faire ami-ami. La bougresse m’avait prise au mot.


J’avais en face de moi une vieille femme rachitique, le dos cassé, qui s’obstinait à rester debout, enfin, plutôt pliée, prenant appui sur une vieille canne toute tordue, dans un bois qui ne me disait rien. À mes yeux, ça ressemblait surtout à une racine boursouflée. Je doutais de sa capacité à servir de canne dans un premier temps, mais si la mégère s’en servait, ce n’était probablement pas pour rien.

La petite vieille dirigeait les lavandières de la guilde et vu comme les choses se passaient tout en douceur, sans accrocs, de la manière la plus naturelle possible, elle devait être vraiment compétente. Elle se positionnait dans un coin, en haut d’un petit escalier histoire d’avoir une vue d’ensemble, et elle restait là, figée, la main droite crispée sur sa canne, le bras tremblotant. Pourtant elle ne ratait rien de ce qui se passait autour du lavoir, et si tout se passait bien, on ne l’entendait pas de la journée. Sinon, un prénom lui échappait soudain comme un claquement sec, faisant sursauter tout le monde, et la fautive s’empressait de corriger sa bévue ou d’accélérer le mouvement.

Je rejoignais donc les lavandières pour la première fois. Je n’étais pas tout à fait ignare dans le domaine, ce n’était pas comme si je n’avais jamais fait ma propre lessive, mais ni en de telles quantités, ni aussi vite. J’accumulais tant les retards que les ratés que la vieille avait renoncé à prononcer mon nom, ce qui fit des vacances à tout le monde. Surtout qu’après avoir essayé de tenir la cadence de mes voisines, j’allais désormais à mon propre rythme et au diable la vieille. À défaut de vitesse, je m’appliquais à fournir de la qualité.


Pour donner la cadence, les filles poussaient parfois la chansonnette et dans ces moments-là, on pouvait clairement voir la petite vieille se balancer tranquillement au rythme de la chanson, les yeux presque clos, presque.

Bien sûr, il s’agissait de chants de lavandière, conçus justement pour accompagner les gestes des travailleuses et fournir un rythme élevé. Toutes les corporations de métiers ont ce genre de chant particulier a ce que je sache.

La plupart du temps sinon, les filles discutaient tranquillement à voix basse sans faire de remous. Pour l’occasion, mes deux voisines étaient incitées à m’apprendre le parler local avec une petite prime journalière pour leur effort. Elles avaient l’air revêches et taciturnes, mais étaient précises et sérieuses, ce qui me convenait parfaitement. Je revins plusieurs fois au lavoir dans les semaines suivantes.

En même temps, j’enchaînais un peu tous les coins et recoins de l’enclave de la guilde, toujours en alternance avec ma garde aux portes de la ville. Des cuisines à la forge en passant par l’infirmerie et la boulangerie. J’eus même droit à une visite des entrepôts pour chasser des rats plus gros que les chats locaux. Une soi-disant race anormale de rats qui s’étaient installés dans la ville en même temps que les hommes et dont ils n’avaient jamais réussi à se débarrasser totalement depuis. Avec le temps, les bestioles devinrent de plus en plus massives et robustes, devenant de fait de plus en plus dangereuses. Du moins, c’est ce que je compris des explications à rallonge que me donna mon partenaire de chasse d’alors.

Vrai ou pas, le rat que l’on trouva ce jour-là dans un piège me sembla bien pouvoir constituer une menace même face à un adulte en bonne forme. La bestiole avait presque réussi à se libérer en rongeant l’acier du piège avec ses simples dents et pourtant une pointe métallique large comme mon poing la transperçait de part en part, c’est dire sa pugnacité.

L’air de rien, ça me permit d’avoir une bonne vue d’ensemble du travail à la guilde du point de vue des petites mains tout en apprenant la langue et les coutumes locales. J’en profitais aussi pour entraîner un peu mon art, modifiant pour l’occasion de petits sorts bénins pour atténuer en partie les nuisances de ce genre de travail physique, surtout l’eau glacée du lavoir, ou la chaleur infernale des fours de cuisines.

***



Au bout d’un mois de ce régime, le salaire de garde étant vraiment bon, j’avais probablement déjà remboursé ma dette, mais je poursuivis dans la même veine, principalement en vue d’approfondir mes connaissances sur le mode de vie local et sa langue.
À la fin du premier mois, j’arrivais à comprendre grossièrement ce que les gens voulaient dire et ce dont ils parlaient. Mais pour moi, m’exprimer était et de loin, bien plus compliqué. Je ne suis pas non plus très loquace de nature, ce qui n’arrangeait rien.


Le second mois, au lieu de travailler aux portes de la ville, je rejoignis les « cours de magie » qu’Yreen donnait quotidiennement pendant quelques heures avant de poursuivre ma journée et rejoindre la boutique marchande de l’enclave ouverte sur la ville. C’est la parade qu’avait trouvée Yreen pour combler mon manque de bavardage, faire de moi une hôtesse d’accueil pour guider les clients vers le produit adéquat selon leur besoin et me forcer à parler.

Quant aux cours de magie, c’étaient avant tout des séances pratiques. La montagne de livres rangée dans un coin, Yreen tissait les protections de duels usuels qui permettaient de conserver tout le côté réaliste de la magie, mais en atténuant les dégâts physiques à un niveau négligeable. Enfin négligeable, ça reste relatif quand on implique une bande de gamins de 40 ans, même très sérieux, s’amusant à essayer de maîtriser l’une des forces les plus dangereuses du multivers. Les protections servaient aussi et surtout à éviter qu’un dérapage magique subit ne vienne raser la portion centrale de la ville où nous nous trouvions. Ce serait vraiment gênant si cela devait arriver n’est-ce pas ?

On passait donc un par un ou par groupes, lançant différents sorts et elle corrigeait la technique, prodiguait des conseils ou fournissant des pistes de recherches possibles pour solutionner des problèmes. De mon point de vue, c’était vraiment un bon maître, adaptant son discours et ses explications selon la personne et sa manière de manier la magie.
Ces séances-là réunissaient majoritairement les mages de la guilde, mais aussi ceux de la ville, en quête de perfectionnement et une bonne quantité de plus ou moins novices comme moi-même. J’appris toutefois que certains venaient parfois de l’autre bout des royaumes pour consulter Yreen.

De temps à autre, des petits duels techniques avaient aussi lieu. Contrairement à un duel magique dans les règles de l’art ou l’emphase est mis sur le spectacle et la magie pure, là, le but était plutôt de placer les duellistes en situation réelle. Tout était donc permis, incluant les attaques physiques.

Yreen se permettait même parfois d’ajouter des éléments aléatoires imprévus comme une soudaine volée de flèches ou des épées essayant de vous embrocher sortant de nulle part.

Je me rendis compte que j’avais tendance à exceller dans ce genre de chose en comparaison des mages locaux. D’une part, parce que grâce à ma vision spéciale, j’ai une plus grande aisance à déterminer les sortilèges lancés par l’adversaire et donc à les contrer ou a minima, ne pas subir l’effet de surprise. D’autre part, même si j’avais un répertoire magique assez limité, il n’en restait pas moins que j’avais choisi chaque sort avant tout pour sa flexibilité et son côté pratique. Mais surtout, je savais me servir de mon bâton autrement que pour m’appuyer dessus.

Évidemment, Yreen s’efforçait de placer des individus de niveau grossièrement similaire, mais ce n’était pas toujours le cas.

L’autre jour, un vrai mage de l’académie royale participa dans le but d’améliorer sa maîtrise dans un sortilège de combat particulier et Yreen lui proposa un de ces duels-là.


Il avait déjà lancé ce sortilège en solo devant tout le monde, ce qui l’avait mis passablement en rogne. Après tout, cette démonstration revenait dans une certaine mesure, à divulguer l’équivalent d’années de recherches à une assemblée qui allait forcément en profiter à son détriment. Il faut comprendre que dans les milieux académiques ou naviguait cet homme, la compétition vers le sommet est rude et même la guerre n’a pu modifier cet état de fait. Jamais il n’aurait dévoilé son savoir ainsi sans la promesse de grandement améliorer sa maîtrise de la magie grâce aux conseils que pouvait lui prodiguer Yreen.

Cela acheva de me convaincre s’il en faut que ma maîtresse actuelle était réellement une des sommités magiques de ce monde.
Toujours est-il que juste après cette démonstration, plutôt que lui fournir son lot de conseils comme elle l’avait fait jusque là, Yreen proposa ce petit duel au mage qui accepta sans y réfléchir à deux fois.

De mon côté, je flairais une embrouille. Si ces dernières semaines m’avaient bien appris quelque chose, c’est que cette dragonne avait toujours plusieurs idées en tête derrière chaque action. Surtout lorsqu’elle me nomma ensuite comme l’adversaire du mage.

J’ai comme l’impression que le mage pensait avoir juste gagné une cible mobile pour s’entraîner à son sort et qu’Yreen allait lui fournir les conseils qu’il attendait après avoir constaté les effets réels sur un être vivant.

Je n’en menais pas large. Le type était un mage reconnu, sa maîtrise dépassait de très loin la mienne. Pour avoir vu son sort, je savais aussi que si d’aventure il réussissait à le lancer, je perdrais le match aussitôt.

En même temps, le type était arrogant, pas préparé spécifiquement pour ce combat et ne devait même pas s’attendre à réellement devoir combattre. Si j’avais un espoir de victoire, ce serait forcément en utilisant l’un de ces biais là en créant un élément de surprise.


Je me passais en tête tout un tas de scénarios alors que je m’avançais vers l’aire de duel sur un côté de la salle. Mon adversaire faisait tournoyer son bâton comme à la parade, attendant le signal de départ du combat. Inconsciemment, je pris une longue inspiration puis la bloquait un moment avant de la relâcher, c’était mon petit rituel personnel pour lancer tout le processus de concentration, de focalisation mentale, pour me mettre en condition avant une épreuve ou plus généralement, de lancer un sort.

Je fermais les yeux à demi, prête, sereine. Éliminé tous les éléments perturbateurs, les mauvaises pensées, les spectateurs. J’avais ma cible à abattre. Le scénario que j’avais choisi pour le duel était prêt. Ne restait plus qu’à le mettre en place.

Le départ du combat fut donné. Aussitôt, je lançais le dernier sort que j’avais mis au point. Il s’agissait de ce que l’on pouvait qualifier d’un tour de magie, du genre qu’on effectue en temps normal sans réellement y réfléchir. Une magie commune, que l’on peut difficilement nommer un sortilège.


C’était en fait ma dernière arme pour éloigner PyuPyu quand il se montrait trop agaçant. Je le lançais par la pensée, ce qui rendait son activation plus rapide, m’épargnant de passer par l’étape de l’incantation, en contrepartie cela accroissait la charge mentale nécessaire à son lancement.
Tout en me concentrant sur ma magie, j’analysais celle du mage, définissant sa nature, selon la configuration que les volutes de magie prenaient autour de lui. J’essayais aussi de me baser sur son incantation.

Bien qu’elles soient de nature personnelle, les incantations ont souvent des points communs, une ligne directrice générale pour les magies de même nature ou véhiculant les mêmes concepts. De ce côté, je n’étais pas encore vraiment au point. Je veux dire, la manière de pratiquer la magie de ce monde est bien différente de celle que j’ai apprise jusque là ce qui me forçait à tout réapprendre. Heureusement, ma vision spéciale comblait en partie cette lacune.

Mon adversaire ne perdit pas de temps, et malgré le fait que lui se lança dans une incantation complexe normalement coûteuse en temps, son sort prit effet avant le mien c’est dire notre différence de maîtrise dans l’art. Il ne lança pas le sort auquel je m’attendais, rien toutefois qui ne remettait en cause mon scénario. Dans tous les cas, je n’espérais pas le vaincre par la puissance magique brute, si tant est que j’y arrive, à le vaincre je veux dire.

Il se montrait quand même un rien prudent, il faut l’avouer, il venait de lancer un bouclier de défense magique, un sort capable de bloquer les attaques magiques et physiques de faibles intensités. Simple, efficace, et largement suffisant contre quelqu’un de mon niveau. Je suppose qu’il croyait ainsi se gagner suffisamment de temps pour lancer un sort plus complexe en toute tranquillité comme celui dont il nous avait fait la présentation et finir ainsi le combat d’un seul coup.

Ma magie prit effet un rien après la sienne. Création originale, je l’avais nommée « douche froide », matérialisant au-dessus du mage l’équivalent d’un gros seau d’eau bien glacée, bien glauque, du genre que l’on trouve dans tous les caniveaux de la ville. Je n’avais pas encore réussi à y inclure les objets putrides et autres matières indéterminées, mais ça viendrait bien un jour. PyuPyu l’avait déjà en horreur donc je l’adorais. La gravité naturelle prit le relai et le mage reçut de plein fouet ma douche froide sur le crâne.

Ce bouclier de défense magique, c’est un classique parmi les classiques, capables de bloquer flèches, projectiles divers, rayons magiques, pieu de glaces voir même dans une certaine mesure, foudre ou l’incontournable boule de feu. Bien utilisé, même épées et lances resteraient inefficaces. Je maîtrisais moi aussi ce sort, du moins une variante proche, c’est pourquoi j’en connaissais aussi les défauts inhérents qu’il est facile d’oublier.
Si la flèche est bloquée, la brise légère ne l’est pas ni le froid d’un vent d’hiver, ni le flocon de neige ou la pluie. De gros grêlons seraient vraisemblablement stoppés, mais pas les petits, j’ai déjà essayé. Il y a donc quantités de moyens de passer outre ce bouclier. Un cube de glace aurait été considéré comme une menace, pas de l’eau qui tombe, du moins tant qu’elle n’a pas l’impact nécessaire pour blesser le mage.

Mon adversaire qui mentalement était probablement en pleine élaboration de son action suivante resta un instant abasourdi sous la douche froide, pire encore lorsqu’il constata les dégâts sur sa robe de qualité puant la richesse à plein nez.

Ses traits se tordirent en une expression de rage froide et il releva les yeux sans doute pour me foudroyer du regard. Il n’alla pas jusqu’à m’invectiver ou quoi que ce soit d’autre, ça l’aurait empêché de lancer un sortilège et il se maîtrisait trop pour cela. Je l’avais pris par surprise et énervé, rien de plus. Mais c’était déjà beaucoup et mon plan n’en prévoyait pas davantage.

Cette surprise, sa rage, cela ne dura qu’un instant, mais cette inattention me permis de gagner le temps et la distraction nécessaire pour parcourir au pas de course les cinq mètres qui nous séparait l’un l’autre avant de glisser mon bâton derrière ses mollets. Il me cherchait encore des yeux lorsque je forçais sur mon bâton pour lui crocheter les jambes. Là encore, là où une frappe directe aurait pu finir bloquée, une poussée ou une traction fonctionnait.

Il tomba lourdement au sol en grognant, toutefois ses mains s’activaient, il incantait un nouveau sort !
Rapidement, je ramenais l’autre extrémité de mon bâton vers sa tête et le bloquais sous sa gorge me figeant. L’instant suivant, son sort prit effet et une vague de flammes m’engloutit alors que l’arbitre sonnait la fin du duel.

Saleté ! Malgré les protections de l’aire de duel, j’eus quand même l’impression d’être un goret sur un tournebroche. Serrant les dents je restais sur ma position me répétant comme un mantra que ce n’était qu’une illusion, qu’il n’y avait aucun dégât réel, que même la douleur n’était pas aussi intense qu’elle le devrait. Ça n’avait quand même rien d’agréable.

Je me fis même la réflexion cynique que j’avais souvent voulu brûler mon visage jusqu’à l’os, je n’allais quand même pas pleurer comme un bébé maintenant que cela arrivait, même de manière fictive.

La sensation reflua et je soufflais longuement en fermant les yeux, avant de reprendre ma respiration et de les rouvrir. Mon adversaire et moi maintenions la pose, attendant le verdict du juge qui ne semblait pas pressé de statuer. Nous nous fixâmes un moment le mage et moi, avant de reporter notre attention sur le juge nous redressant tous les deux.
Durée du duel, moins de dix battements de cœurs… enfin, comptez plutôt 15, le mien battait un peu trop vite pour un compte de dix.

C’est finalement Yreen qui statua. Sa voix se faisant entendre de derrière les spectateurs qui s’empressèrent de libérer la place entre elle et nous.


— Concernant le duel, Yuki remporte la manche, mais en situation de combat vous vous seriez vraisemblablement entre-tués. Comme nous mettons ici l’emphase sur le combat en situation réelle, je déclare qu’il n’y a pas de vainqueur, mais deux perdants.

Je hochais de la tête en acceptant son verdict puis m’éloignais pour reprendre ma place usuelle. Je sentais le regard des autres mages peser sur moi. Surtout ceux du royaume. Ici, j’avais rapidement acquis la réputation de me battre en utilisant plus de muscles que de magie. Si les mages de la guilde, plus sensible au côté pratique de la chose, souriaient souvent en lançant quelques remarques humoristiques, ceux du royaume par contre avaient tendance à le prendre comme une offense, une tricherie.
Ce n’est pas comme si j’avais pendant plus d’une décennie connu principalement une intimité toute physique avec le bâton du maître, à grand renfort de coups sur le crâne à la moindre erreur, plutôt que son utilité magique. Ce n’est pas le genre de leçon qu’on oublie.


En magie, simplicité est mère de sûreté. L’idéale étant encore de ne pas l’utiliser quand il est plus simple de faire autrement. Un coup de bâton ou de couteau tue tout autant qu’un sort pour peu que l’on touche l’adversaire.
La plupart des mages locaux semblaient considérer ce genre d’acte comme indigne d’eux, tant mieux pour moi. Ça me simplifiait grandement les duels. Comme celui que je venais finalement de perdre.

Au passage, je jetais un coup d’œil à Yreen sur son trône. Vu la lueur dans ses yeux, elle devait être complètement hilare intérieurement même si comme d’habitude, rien ne transparaissait dans son attitude ou sa voix. J’avais dû agir exactement comme elle l’avait prévue. Cette peste de gros piaf à écailles.

Mon adversaire n’avait pas bougé, debout, ses robes dégoulinant toujours des suites de ma douche froide, ses cheveux clairsemés collés au visage en longues lignes sombres. Il aurait eu l’air pitoyable si la fureur n’habitait pas son regard.


— Quelle est la raison de cette mascarade ! Je viens ici chercher conseils éclairés et vous manœuvrez pour m’humilier ? Moi ?


Le silence se fit pesant, tous me jetant des regards à la dérobé attendant la réponse de la maîtresse.

Celle-ci prit bien son temps. Attendant le dernier moment, surveillant le mage pour donner sa réponse juste avant d’atteindre la limite de sa patience déjà bien entamée.


— Vous êtes arrivé ici en quête de conseils. De moyens pour améliorer votre maîtrise de l’art, de pistes. À la suite de votre démonstration j’ai pesé les conseils que je pouvais vous octroyer, mais il m’est venu que mes mots n’auraient pas pu réussir aussi bien qu’une démonstration, telle celle que vous nous avez donnée. Un acte valant souvent mieux qu’un long discours.

Il n’y a là aucune manœuvre, ni préparation ou stratagème d’aucune sorte. Aucune tromperie ou volonté de nuire. Je vous ai prodigué mes conseils et mon savoir comme à tous ceux qui vous ont précédés, et ce, de la manière qui m’a semblé la plus efficace, celle, la plus apte à fournir des résultats positifs.
Qu’allez-vous faire maintenant ? Vous complaire dans la fureur et les cris pour protéger votre égo ou agir en mage digne de ce nom ?


La démarche raide, sans un mot de plus, l’homme quitta la salle.
Comme toujours avec Yreen, il ne fut pas le seul pour qui la leçon porta. Par la suite, je vis de plus en plus de mages du royaume s’intéresser de plus près aux exercices martiaux des gardes de la ville, voir même participer. Aucun d’entre eux ne voulaient laisser de souvenirs du genre dont ils avaient été témoins, celle du grand mage malmené et défait par une sale gamine monstrueuse armée d’un bout de bois.
Ça ne pouvait pas faire de mal.

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