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meharat

Chapter 5

Cela faisait trois jours que j’avais dit « oui » à Yreen. J’avais désormais ma propre chambre dans l’aile magique de l’enclave du roc, la même en fait que celle où j’avais repris connaissance et cela n’avait rien d’une coïncidence. Une chambre individuelle en plus, moi qui m’attendais à une place dans un dortoir quelconque.


Franchement, je m’estimais satisfaite de ma petite chambre d’apprentis attenante au laboratoire d’Yreen. Surtout que je ne pouvais prétendre à plus. C’était déjà bien que l’on ne m’eût pas relégué aux cuisines ou à la blanchisserie le temps de payer ma dette.


Je n’avais pas encore mis les pieds en dehors de l’enclave qui avait tout d’une ville à elle seule possédant son propre mur d’enceinte, sa caserne et ses serviteurs, forge, magasins et autres entrepôts. Sans parler des grands réfectoires et autres logements communs. J’avais passé les derniers jours à me familiariser avec la géographie des lieux et sa populace.


Je devais sortir aujourd’hui. J’enfilais ce qui passait pour un pseudo-uniforme dans la guilde. Il n’y avait pas vraiment d’uniformes à proprement parler et chacun était libre de porter ce qu’il voulait. Toutefois, comme la guilde fournissait une tunique de base et le même genre d’équipement à tout le monde selon son affiliation, on retrouvait une certaine uniformité. De plus, une restriction imposait que les couleurs de nos tenues se dussent d’être celles de la guilde et puis, il y avait l’insigne.


L’emblème de la guilde est un peu spécial, il est double. Si j’ai tout compris, il représente les deux personnes fondatrices et leur secteur d’activité principale. Une de ces composantes est donc un cygne noir portant autour du cou une couronne de plante brisée. Il est représenté sur un fond orange. L’autre composante est une torche lumineuse sur fond pourpre.

Toutefois, il n’y a pas de règles établies, chacun est libre de porter l’un ou l’autre symbole avec la couleur approprié, ou un mélange des deux selon ses préférences, l’important étant que d’un regard, on puisse vous identifier comme membre de la guilde.

Yreen m’avait donné un pendentif en fer tout simple, gros comme le poing, le mien de poing, pas sa patte de dragon, et assez lourd ou le cygne et la torche y étaient à parts égales. En y regardant de plus prêt, j’avais toutefois l’impression que le cygne était fasciné par la torche. Je devrais porter ça en attendant de modifier ma tenue ou pas. Mais comme je le disais, il était lourd, je ne voulais pas me trimballer cette breloque pendant longtemps.

J’avais rangé ma vieille tenue au placard, en plus, elle me singulariserait trop dans la région. Je portais donc ce que l’on m’avait donné, enfin, il avait quand même fallu faire des retouches vu ma taille réduite.

Une chemise et des bas simples, une longue jupe en tissu épais qui me descendait au mollet. Une veste et un gilet ajoutaient quelques couches supplémentaires. Un manteau à large manche complétait ensuite la tenue, serré à la taille par un ceinturon. Le manteau possédait plusieurs poches intérieures comme extérieure pour placer tout le bric-à-brac nécessaire à un mage en plus des possibilités qu’offrait le ceinturon pour trimballer bourses, sacoches ou armements. Des bottines en cuir souple et à léger talon complétaient l’ensemble. Elle m’arrivait à mi-mollet et je les aimais déjà beaucoup. Le tout, dans une teinte principalement pourpre, mais avec des dégradés ici et là tirant vers un bleu sombre.


L'ensemble était chaud, adapté au climat local ce qui n’était pas pour me déplaire. De surcroît son côté pratique recevait tous mes suffrages.

J’avais aussi ajouté deux dagues dans des fourreaux croisés sur l’arrière du ceinturon, les poignées au niveau des reins. Ce n’était pas mon arme préférée, mais j’espérais surtout que leur présence en plus de tout le reste suffirait à éloigner les imbéciles.

Je me tournais et retournais devant le petit miroir de ma chambre, ajustant un pli ici et là. Pour la tenue, ça devrait faire l’affaire. Pour la fille qui les portait par contre, c’était une autre histoire.

J’ai du vous le dire, mais je ne suis pas bien grande, à peine 1m55 même quand j’essaye de m’étirer au maximum. J’ai la peau blanche, et ce n’est pas une figure de style, tout comme les cheveux. J’ai l’iris de l’œil gauche qui est presque d’un rouge sanguin, quand celui de l’œil droit fait plus dans le rouge très clair, voire décoloré au point qu’on me croit borgne, ou possédée. Des oreilles de monstres se terminant en pointe. Un petit nez pas si désagréable à regarder, une bouche que j’aimerais embrasser. Enfin, sauf que c’est la mienne, ça serait vraiment étrange non ?

J’ai vu des jumeaux se regarder de cette manière une fois, fasciné par leur propre reflet. Il était connu aussi que cette fascination s’exprimait d’une autre manière une fois les portes closes.

Ça m’a toujours dérangé. Non pas l’acte, mais l’égo distordu qu’il implique. Et à double dose ici en prime. Comme quand Ezra nous fit une démonstration d’un sort de clonage et que le clone commença à déblatérer au sujet de ses… Tu digresses Yuki !

Une tête avec des traits bien trop enfantins à mon goût, surtout que chez moi, je suis adulte depuis une bonne dizaine d’années, j’ai déjà perdu l’espoir d’avoir une poussée de croissance tardive qui changerait un peu tout ça même un minimum.

Combiné à ma taille, on dit que je ressemble à une sorte de déesse, une poupée, un monstre ou une gamine possédée, ce qui est presque pareil en quelque sorte. Parfois aussi, je voudrais détruire ce visage, le calciner jusqu’à ce que rien ne puisse le rectifier, magie incluse. Que je hais cette tête-là ! Et pas que la tête, le reste du corps y a droit aussi. Rassurez-vous toutefois, la période où je passais mon temps à me couper de tous les côtés est loin derrière moi désormais. Et je digresse encore.

D’habitude, j’apposais de la peinture blanche sur mon visage pour masquer sa teinte naturelle et mes différences, mais je n’avais pas l’impression que ce fût judicieux ici. chez moi c’est sans être courant, une pratique connue et la plupart des acteurs, saltimbanque, et autres artistes se peignent le visage. Dans la noblesse feminine, c’est même une sorte d’art visuel reservé a certaines. Au final, ça me faisait comme un faux vrai camouflage, la teinte restait la même, mais la peinture, elle, était visible. Mais bon, ça attirerait trop l’attention par ici, surtout si je veux me fondre dans la masse, même si c’est un vœu pieux vu ma tête de monstre.

Bon, je ne pourrais pas être plus présentable que je ne l’étais déjà et j’avais assez perdue de temps comme ça aussi je passais le porte de ma chambre pour entrer dans le labo d’Yreen.

Je ne l’avais pas vu bouger depuis mon arrivée ici, elle trônait toujours au milieu d’un monceau d’ouvrages d’histoires et de magie. J’avais entendu une servante dire qu’elle était là depuis des mois, à chercher quelque chose dans les archives de ce monde. Une requête de l’académie magique du royaume pour l’effort de guerre.

Deux autres mages de la guilde en tenue pourpre étaient présents aujourd’hui, l’un d’eux prenant des notes, l’autre plongé dans sa lecture.
Je saluais le groupe d’une courbette, gardant le silence pour ne pas les déranger et me dirigeais vers la sortie. J’allais ouvrir la porte quand la magie envahit la pièce dans mon dos et qu’Yreen me lança un « bonne chance ». Je me retournais le temps de faire une autre courbette puis sorti en silence.


Un vent glacé m’accueillit aussitôt. Ma tenue se complétait par un chapeau conique à très large bord. Bien plus large que je ne l’étais, un véritable parapluie personnel. Mais bon, avec ce genre de vent, j’allais devoir faire quelque chose pour qu’il me reste sur le crâne. En plus, il était trop large et tendait à me tomber sur les yeux. Comme si une gamine avait dérobé le chapeau de son papa. J’avais réussi à lui trouver une bonne position tout à l’heure dans la chambre, mais là, avec ces bourrasques de vent. Si je me trimballais avec ça, j’allais fatalement avoir l’air d’une sale gamine un peu idiote.
Le jeter ? Incorrect ! Le détruire ? Pas publiquement ! Trop gros pour ma bourse, pas moyen de le glisser sous la tunique sans que le résultat soit désastreux. Pas moyen de retourner le déposer dans ma chambre sans passer devant Yreen. J’imaginais déjà l’amusement dans ses yeux si elle me voyait passer dans l’autre sens à peine sortie. Hors de question !

Le planquer quelque par ici pour le retrouver plus tard ? Peut-être, peut-être...
Je faisais un tour d’horizon, cherchant une planque possible quand la solution passa devant moi par le plus grand des hasards.

J’interpellai une gamine en habit de servante que j’avais déjà croisée ces derniers jours, lui fourrait le chapeau dans les mains sans un mot avant de la remercier d’une courbette et de m’en aller très rapidement. J’aurais juré que je pouvais sentir son regard interloqué passer alternativement du chapeau à moi-même alors que je pressais le pas.

Je fis signe au garde de la porte pour qu’il m’ouvrît et je fus enfin en ville quittant l’enclave de la guilde pour la première fois depuis mon arrivée.
Ici, une fine couche de neige humide persistait sur les pavés, salie et noircie par la multitude de pieds et bottes crasseuses de la foule d’individus peuplant cette ville.
J’ai dû rester un long moment devant la porte de la guilde, interdite devant le spectacle sordide qui défilait sous mes yeux. C’est une chose de s’entendre dire que la ville était surchargée de réfugiés, s’en était une autre de le voir de visu. Cette multitude encombrant tous les espaces qu’elle pouvait accaparer, allant même jusqu’à s’entasser sur les devantures des boutiques et autres bâtiments de culte ou officiels.

La porte de la guilde donnait directement sur la grande place du Roc et en son temps, les lieux devaient avoir eu un certain cachet même si de mon point de vue, l’architecture est plus insolite que belle. C’était une grande place qui devait bien faire un hectare, sous la forme d’un carré très imparfait.
Au centre de cet espace, une paire de statues humanoïde, dos à dos, semblaient surveiller chaque coin et recoin de la place, leurs yeux à 5 ou 6 m du sol. C’était un homme et une femme, vêtue simplement. On m’avait dit qu’ils symbolisaient le couple et la complémentarité. Elles seraient là, à surveiller les lieux, depuis une époque pré-datant celle du royaume. La ville se serait construite autour de ce monument.

Les deux statues avaient les pieds dans un bassin qui autrefois devait être empli d’une eau vive. Je voyais même des statues d’animaux domestiques aux pieds des colosses qui devaient pouvoir faire office de fontaine. On accédait à la fontaine par des escaliers aux très longues marches, faisant bien 2 m chacune. À vue de nez, il y en avait 4 ou 5 de ces marches-là.

Tout autour de la fontaine, et presque jusqu’aux bâtiments périphériques, un grand marché à ciel ouvert s’était installé. Des dizaines de marchands s’affairaient et donnaient de la voix pour attirer le client pendant que les passants déambulaient dans les allées artificielles et factices. Un véritable ordre chaotique qui me faisait me poser plein de questions quant à l’agencement anarchique des étals qui pourtant permettait toujours le passage sans entraves des biens et personnes. Du grand art d’un certain point de vue.

Sur le pourtour de la place, chaque bâtiment affichait des ornements, des sculptures architecturales, des entrées ouvragées ou imposant le respect. Il ne s’agissait visiblement pas là des maisons du commun, mais bien des bâtiments publics ou des notables de la ville. Ils se devaient d’en imposer, mais présentement, la vue que j’en avais faisait pitié.

La fontaine ne contenait qu’une eau crasseuse, résultat de la fonte des quelques flocons de neige tombés cette nuit, où quelques gamins en haillons s’amusaient à s’éclabousser les uns les autres sans qu’ils ne semblent pourtant en tirer quelques joies ou satisfactions. Comme l’écho d’un geste autrefois plaisant, mais qui aujourd’hui laisse un vide et de la surprise de ne plus pouvoir en tirer la moindre joie.


De lourds nuages masquaient le ciel, teintant les lieux d’une lumière sombre, dépressive, accentuée par le regard de tout ce monde, car il y avait foule.

Partout, sur les marches de la fontaine ou des grands bâtiments, entre les escaliers des entrés privés ou parqués pêle-mêle entre les étals du marché, partout, quantités de gens en guenilles crasseuses, étaient entassés, le regard vide.


S’agitant au milieu d’eux, vacant à leurs occupations, il y avait les locaux, les notables, marchands ou clients de ceux-ci, gens du commun achetant leur prochain dîner, tous feignant l’indifférence la plus totale, feignant de ne rien voir, mais n’en perdant pas moins une miette.

La main proche du manche d’une matraque pour celui-ci, agitant un peu trop son bâton, pour ce marchand-là, dès qu’un intrus entrait dans son périmètre commercial. La peur dans ces yeux-ci, l’incompréhension dans ceux-là, la misère et le défaitisme dans trop d’yeux que je ne pus compter.


Je sentis la colère monter en moi, trop familière à mon goût, ces relents de rage qui tentaient de se frayer un chemin pour que je les extériorise. Je venais à peine de mettre les pieds dehors que j’étais déjà salement en rogne, franchement, cela n’augurait rien de bon.


Un toussotement me ramena à la réalité et je pris conscience qu’il venait d’un garde aux couleurs de la guilde, surveillant la porte de ce côté-ci. J’étais figée en plein milieu du passage, et vu la gêne mêlée à un rien d’inquiétude exaspérée dans le regard du garde, il avait dû s’y reprendre à plus d’une fois pour attirer mon attention.

J’esquissais une légère courbette à son encontre en guise d’excuse puis m’éloignais en cherchant ma destination des yeux.

***


J’avais ma première mission à remplir pour la guilde, quelque chose de simple. Pour autant, on m’avait épargné les livraisons à domicile ou la course après le chat fugueur, tout autant que la recherche d’objets perdus. Pour ce genre de tâche là, l’enclave de la guilde, rien qu’avec les familles des membres, ne manquait jamais de gamins désireux de gagner une pièce en plus ou une miche de pain.


La mission n’avait rien d’exceptionnel, je devais juste renforcer la garde à l’entrée de la ville et en particulier, rester attentive à l’encontre des objets magiques. L’un des premiers sorts que tout mage se doit d’apprendre est de modifier sa vision pour voir la magie. Le fait que pour moi, ce soit un talent naturel ne changeait rien à l’affaire.


Avec l’afflux constant de réfugiés, il y avait un risque de plus en plus grand de laisser passer des objets potentiellement dangereux pour la sécurité de la ville. Évidemment, personne ne craignait qu’un mendiant fasse entrer une relique de pouvoir sous ses guenilles, mais concernant les bandes d’aventuriers, mercenaires, riches bourgeois, notables et autres nobles, ce n’était pas à exclure. Et puis, il y avait toujours le risque d’un agent de l’ennemi mêlé à la foule ou que sais-je. Je devais donc me planter dans un coin et signaler toutes les auras magiques que je verrais aux autres gardes qui s’occuperaient du reste.

Les portes de la ville restaient ouvertes du matin au soir, chacun étant libre d’aller et venir sans restriction. Il n’y avait même pas de taxes de passage aux portes, c’est dire si la situation était catastrophique.
Toutefois, la ville était déjà à saturation côté peuplement. Tout un tas de baraquements temporaires avait déjà été érigé et d’autres encore se construisaient actuellement pour accueillir tout ce monde-là. Sauf qu’ils étaient en dehors des murs.

L’agencement globale des constructions est un peu particulière. D’un côté, il y a la forteresse militaire, aux murs gigantesques, capable de repousser des armées de centaines de milliers d’ennemis si l’on en croit les archives. Elle est située sur une sorte de plateau montagneux artificiel (comprendre, fabriqué magiquement, reste à savoir si on a fait pousser la montagne, ou si on en a scalpé une déjà existante, je penche pour la première idée vu son placement incongru et esseulée) faisant face à un défilée dans la grande muraille menant au nord.

La ville a proprement parler s’est construite le long du mur sud de la forteresse, sur le plateau lui même, puis continue au pied du plateau vers le sud. La ville s’est dotée de sa propre muraille défensive au pied du plateau mais qui ne peut tenir la comparaison avec celle de la forteresse. Elle est surtout là pour repousser brigands et autres maraudeurs, mais ne pourraient tenir face à une armée déterminées. Son placement et son architecture même interdit une position défensive forte.

Après tout, cette ville n’aurait jamais du voir le jour dans un premier temps, pas si proche de la forteresse en tout cas car cela crée une faiblesse pour sa défense. Mais avec la forteresse tombant en désuétude et sûrement un bon paquet de pierres retirées du mur d’un côté pour construire de nouveaux bâtiments de l’autre, pourquoi se seraient-on en plus fatigué à les transporter au loin. Autant construire juste à côté.

Toujours est-il que toute cette foule-là qui venaient dans ce trou perdu sur la frontière nord voulait avant tout sentir les murs sécurisants du Roc se refermer sur eux, pas juste une planche de bois d’un cantonnement fabriqué dans l’urgence sur une ancienne prairie gelée. Toutefois, seul les soldats pouvaient entrer dans le roc, la foule devait donc se contenter de la ville et sa piètre muraille. Dans tous les cas, ils ne voulaient pas finir par vivre dans son ombre les pieds dans la boue.

Les notables avaient bien tenté de fermer les portes et de filtrer les entrées, mais ça avait manqué de peu se terminer en émeute et la situation de dégénérer très salement.

Depuis, les portes restaient ouvertes et l’on relogeait par l’autre côté ceux qui s’étaient calmés et avaient fini par accepter qu’ils ne puissent vivre dans la rue et le froid. Se laissant guider vers la sortie pour occuper les nouveaux baraquements. Au rythme où allaient les choses, ces baraquements allaient finir par former une seconde ville plus importante que can’am’ein.


Je suivis donc les points de repère que l’on m’avait indiqué pour gagner l’entrée de la ville. Une fois sur place, je m’avisais que l’extérieur de la porte était gardé par des soldats aux armes du royaume, la licorne et le calice, alors que ceux dans la ville étaient membre de la guilde, guidant ensuite les gens pour leur indiquer où aller et autres choses du genre. Enfin… Seulement ceux qui semblaient un rien fortunés, les gens du commun, eux, on se contentait de leur faire signe d’avancer pour ne pas bloquer le passage.

Je me présentais à l’extérieur des portes à ce que je supposais être le chef de la garde, rapport aux nombres de rubans sur son tabar et à la qualité de son équipement. Il se mit aussitôt à me bombarder de questions dans la langue locale et je dus rapidement l’interrompre en lui faisant comprendre par signes, que je ne comprenais rien, prenant un air volontairement dépité.
Il lâcha aussitôt ce qui devait être une volée de jurons, avant de souffler un bon coup. Il me montra ensuite un coin de mur puis me fit signe d’observer et de surveiller. Ce qui m’allait très bien.

Les heures s’enchaînèrent, à regarder passer les gens, un par un ou par petits groupes, avançant lentement pour entrer en ville. Principalement des locaux jusqu’à la mi-journée, gens de la paysannerie vivant dans les environs et ayant à faire en ville.

Il y avait des caravanes de ravitaillements du royaume aussi avec ses lignes de soldats arrivant par petits groupes. De ces gens-là, émanait surtout beaucoup de défaitisme, mais laissant place l’instant suivant à une grande détermination. Basculant sans cesse entre les deux émotions. La récente défaite de l’escarmouche à laquelle j’avais assistée n’y était sans doute pas étrangère, une de plus dans cette guerre qui durait depuis trop longtemps. Puis il y avait aussi les caravanes marchandes de la guilde, mais aussi des indépendants.

Visiblement, tout objet magique devait être déclaré avant d’entrer en ville et je devais m’assurer entre autres choses que tout le monde jouait le jeu. Je n’étais pas la seule mage au poste de garde, mais l’autre, un jeune homme aux armes du royaume ne sortait pas du baraquement et les gardes ne le dérangeaient que lorsqu’ils peinaient à décider de la nature d’un objet magique et de sa dangerosité.


La plupart du temps, il s’agissait d’arme à faible enchantement ou de colifichet de nature défensive. Tout en restant globalement rare, n’importe qui avec un peu d’argent pouvait se payer ce genre de chose. C’était donc des objets assez communs pour des marchands, officiers ou aventuriers talentueux et les gardes avec un rien d’expérience savaient les reconnaître pour ce qu’ils étaient.
Puis, il y eut ce marchand qui tenta de frauder.

Il portait ce qui devait être une amulette au cou, masquée sous ces vêtements, dont l’aura magique m’intrigua, ce n’était rien que je n’avais pu voir jusqu’alors. Elle exhalait des relents de dissimulation et de tromperies. Il avait d’autres objets magiques sur lui, mais celui-là, il ne le présenta pas à la garde. J’interpellais le chef des gardes puis lui montrait le marchand en question ainsi que l’emplacement ou il dissimulait l’objet.

La réaction des soldats fut immédiate et me surprit grandement. Dans la seconde, tout le monde se retrouva avec une arme en main aussi bien les soldats du royaume réagissant à mes gestes que les gardes du marchand en réactions des soldats, chacun se toisant mutuellement l’air menaçant. Entre les deux groupes, le marchand tentait à grand mal d’étouffer une vague d’indignation et de colère.
Lui et le chef des gardes commencèrent à s’invectiver l’un l’autre et la tension monta d’un cran supplémentaire.
L’air de rien, j’avançai vers le marchand, me glissant aussi entre les deux groupes armés mains en évidence. Si mon cerveau n’avait pas fondu depuis ce matin, le marchand se croyait accusé à tort de dissimulation ou il jouait la comédie. Ça pouvait durer longtemps et se finir salement. Visiblement j’y avais aussi une part puisque j’aurais du prévenir le chef des gardes de manière bien plus, disons discrète, voire diplomatique. J’avais salement manqué de tact.

Une fois arrivé à deux mètres du marchand, je le pointais, puis sur moi-même, l’endroit ou il dissimulait l’objet avant de le pointer à nouveau. Il me regarda, surpris. Non pas surpris par mon comportement, mais par l’endroit que j’indiquais et je vis une lueur d’inquiétude envahir son regard. Pas bon du tout cette inquiétude.

Je fis un demi-pas de plus vers le marchand, puis un autre alors qu’il semblait hésiter. Mon action augmentant la tension entre les gardes. Je ne lâchais pas le marchand du regard dont les traits finirent par prendre une attitude déterminée.
Il glissa soudainement la main sous sa tunique, par son col, pour agripper l’amulette à pleine main tout en criant un mot, je vis la magie converger sur lui et en particulier sur l’amulette, libérant un sort double.

Un flash lumineux explosa là où se trouvait le marchand, éblouissant tout le monde.

Trop tard pour lui, mon pied était parti en même temps que lui commençait à bouger.

Je le sentis entrer en contact avec le marchand alors que je fermais les yeux avec un temps de retard, éblouie comme tout le monde.

Frappé à un endroit sensible, le marchand se mit à hurler comme un goret a l’abatage, couvrant presque les cris de surprise et invectives des gardes.

À tâtons, je cherchais le marchand à côté de moi, au sol, puis je l’agrippais fermement et lui arrachais le médaillon des mains avant de m’éloigner rapidement. Pour une question de sécurité, je restai au plus proche du sol juste au cas où les soldats commenceraient à s’entre-tuer en aveugle autour de moi.

Une fois que je me sentis assez en sécurité, je me relevais et repris contenance, respirant tranquillement, remettant un peu d’ordre dans ma tenue le temps que mes yeux récupèrent de l’éblouissement. Malgré les invectives et les cris du marchand allant diminuant, aucun des gardes ne s’était décidé pour frapper en aveugle, un bon point pour eux.
Lorsque nos yeux commencèrent à récupérer, une seconde surprise nous attendait. Nous entendions toujours le marchand gémir au sol, mais là où il aurait dû se trouver selon les sons qu’il émettait, il n’y avait rien.

J’éclatais de rire. Lorsqu’il avait activé l’amulette magique, deux sorts s’étaient lancés en même temps, ça, j’avais eu le temps de le voir. Le premier était visiblement l’éblouissement. Le second devait être un sort pour se rendre invisible afin de fuir les lieux. Seulement, je lui avais lancé un coup de pied bien vicieux dans le même moment. Ce n’est pas comme si l’invisibilité vous faisait réellement disparaître du monde.

Petit à petit, après m’avoir regardé de travers, les gardes du royaume en vinrent à la même conclusion que moi et tâtonnèrent au sol pendant que les gardes du marchand, comprenant que leur patron était en tort, rengainèrent leur arme un par un en fronçant les sourcils.

C’est une chose de défendre un homme dans son droit même contre le royaume, c’est sans doute même vital pour continuer à exercer dans ce métier. Mais c’est bien différent lorsque celui-ci est visiblement en tort et l’initiateur de troubles. La violence n’était en tout cas plus à l’ordre du jour, c’était suffisant.

L’appât du gain a quand même des limites. Je pense que les derniers auraient bien voulu tenter quelque chose pour leur patron malgré tout, mais au fur et à mesure que leurs collègues rengainèrent leurs armes, l’idée devenait de plus en plus un suicide pur et simple.

Finalement, le marchand redevint visible, gémissant toujours faiblement en se tenant l’entrejambe, maintenu debout par deux grands balèzes.
J’attirais l’attention du chef des gardes avant de m’approcher pour lui tendre l’amulette par son fil de cuir. Il fronça les sourcils et j’eus l’impression qu’il ne voyait pas l’objet entre mes mains avant finalement de s’en saisir, prenant bien garde à ne toucher que le fil de cuir et non l’objet par lui même.

Il l’examina à hauteur d’yeux avant de lâcher une volée de jurons. Je le vis réprimer de justesse le réflexe de jeter l’objet au loin pour finir par tendre le bras pour l’éloigner de lui autant que possible.


Alentour, soldats et gardes, même ceux qui étaient prêts à se battre l’instant précédent, lâchèrent des injures, ou entonnèrent comme des prières regardant l’amulette avec révulsion. Voilà qui marqua mon premier contact réel avec les divinités et leurs adorateurs dans ce monde.


Le reste de ma garde se passa sans encombre et je regagnais finalement l’enclave de la guilde.


***


À mon entrée dans son laboratoire, Yreen, seule au milieu d’un château de livres, dirigea un œil dans ma direction pendant que l’autre continuait sa lecture. Je vis la magie se concentrer autour d’elle et compris qu’elle lançait le sort de compréhension des langues avant même de repérer les signes désormais distincitfs pour moi de cette magie.
Je m’avançais, renforçant mon masque d’impassibilité et pris place sur un des sièges lui faisant face.

— Alors cette première journée ? J’ai cru comprendre qu’il y eut un incident remarquable ?


Son deuxième œil rejoignit finalement le premier pour me fixer pendant qu’elle notait la page de son livre avant de le poser sur une des piles qui l’entouraient.
J’acquiesçais doucement à sa remarque avant de lui faire mon rapport, posément.


— Un marchand tenta de passer le point de contrôle en dissimulant un objet magique. J’ai signalé l’incident au chef des gardes sans doute de manière un peu trop nonchalante et tout ce beau monde a tiré l’épée.
J’ai pu malgré tout résoudre la situation sans causer plus de troubles et récupérer l’objet en question. À sa vue, les personnes présentes eurent une vive réaction et le marchand ne va visiblement pas apprécier les jours à venir. Même ses gardes les plus acharnés l’ont visiblement abandonné après avoir vu l’objet.


— Et tu te demandes pourquoi ?


— J’ai bien quelques suppositions… mais oui.


J’opinais doucement du chef pour renforcer mon propos.


— Si je te parle de Dieux et divinité ? Tu comprends ce que je veux dire ? Tu es familière du concept ?


J’acquiesçais sans un mot


— Bon, ça va simplifier les choses.


Elle me fixa quelques secondes avec un air de doute.


— Je vais quand même reprendre presque à zéro. En magie, croire, c’est principal n’est-ce pas ?
Je validais son propos d’un signe de tête et elle poursuivit.

— C’est déjà vrai pour un individu, mais ça l’est encore plus pour une masse d’individus dans sa globalité. Beaucoup de choses, de forces, de concepts n’existent que parce que suffisamment de personnes croient avec assez de volonté en ces choses-là et qui devienne réalitée magie aidant. 

C’est la théorie de Farmelli et sa grande question, est-ce les gens qui créèrent le multivers par leur volonté ? Et alors, si assez de gens se persuadent que l’univers n’existe pas, disparaîtrait-il ?
Toujours est-il que comme dans la majorité du multivers, ici, les divinités sont l’incarnation d’une idée ou d’un mode de vie, et leurs puissances dépendent des croyances à leurs encontre. Tu as dû voir les temples sur la place ?



Je n’avais rien vu de tel, mais probablement parce que je ne les avais pas reconnus comme tels. Je n’allais pas l’interrompre pour si peu aussi j’acquiesçais à sa question pour qu’elle poursuive.


— Cette ville héberge un temple au Dieu de la justice, de la lumière, et un autre au dieu de la guerre, rapport à la forteresse. Il y a aussi des petits autels et sanctuaires pour les autres divinités du panthéon, mais tu saisis l’idée générale, je suppose. Puis il y a les cultes qui sont interdits, puisqu’ils impliquent des idées que des gens sains d’esprit et vivant en société refusent de cautionner.
Ton marchand là, était un adepte de Lilith, la lune noire, déesse de la nuit, de la perte et de la froide et sanglante vengeance.
Si la garde ne réussit pas à le faire parler, j’ai dans l’idée que beaucoup de monde va s’inquiéter de savoir ce que ce marchand venait faire par ici et dans quel sinistre complot il voulait nous impliquer. Au vu de la situation, j’ai toutefois l’impression qu’il n’avait aucun motif particulier, qu’il vaquait juste à ses occupations usuelles comme n’importe qui.

Son regard se fit alors insistant. Oppressant. Je réprimais férocement l’envie de déglutir.

— Ce qui nous emmène au cœur du problème. Vois-tu, l’objet était occulté magiquement. Une magie spécifique et puissante pour masquer son aura et tout signe distinctif, afin que personne ne puisse le voir et l’identifier pour ce qu’il est réellement. Même si tu l’avais sous les yeux, tu ne le verrais pas à moins que l’on te force à focaliser dessus. Une bonne chose puisque cela veut dire que l’homme n’est pas un exécutant du culte, mais est bien placé, on peut espérer en tirer des informations utiles… Toutefois, tu devais encore être en train de secouer la poussière de ton manteau à la fin de cet incident qu’on me mettait cet objet sous le nez pour l’étudier en urgence. Une étude approfondie sera nécessaire, mais pour le moment, je sais que moi, je ne l’aurais pas repéré. Le marchand ne s’y attendait visiblement pas non plus.
La question qui suit est donc évidente, petite, comment savais-tu ou trouver cet objet ?


Je fixais le bureau sous mes mains croisées, laissant la présence qu’elle dégageait glisser autour de moi, de ma bulle personnelle, une bulle lisse, sans imperfections, n’offrant aucune prise, aucun ancrage.
C’est évidemment une image toute personnelle. Après ma première rencontre avec Yreen, je m’étais longtemps demandé comment à l’avenir j’allais bien faire pour résister à sa présence sans perdre ma faculté à réfléchir et à avoir envie de ramper dès que son regard se poserait sur moi. Il était hors de question que je me comporte en sa présence comme une souris qu’on dirige avec un bout de fromage et qu’on terrifie d’un froncement de sourcil.
J’ai alors eu l’idée de cette image mentale d’une bulle si lisse, si parfaite, qu’elle fendrait les eaux sans laisser de turbulences derrière elle. Comme si elle n’était pas là, inatteignable, et son contenu de n’avoir donc rien à craindre.
À l’expérience, c’était loin d’être encore parfait, j’allais devoir sérieusement travailler là-dessus. Au moins, cette fois-ci avais-je conservé en partie ma faculté de penser sans devoir gérer l’envie oppressante de me prosterner à genou tout en lui babillant tout ce qu’elle voudrait entendre. Je relevais les yeux pour lui répondre.


— J’ai vu que l’homme dissimulait un objet sous sa tunique au niveau du cou. Il y avait là une aura magique qu’il n’a pas déclarée. J’ai donc signalé l’infraction. Je n’ai pas vu l’objet en lui-même, juste les volutes de magie tournant autour.

— À la réflexion même après lorsque j’ai récupéré l’amulette en lui arrachant des mains, c’était littéralement en aveugle. Voilà qui explique tout.

— Stupide, cela n’explique rien au contraire. 

Elle n’avait pas haussé la voix, son ton restait comme d’habitude sans intonation ou inflexion particulière. Toutefois, ses mots retentirent dans la pièce tel un claquement de fouet.
Soudainement, mes jambes décidèrent contre ma volonté pour prendre la fuite et dans le même mouvement de se prosterner face contre terre. Une bonne chose que je sois assise, dans l’incapacité de faire l’un comme l’autre.

Elle me fixait avec encore plus d’intensité qu’auparavant, j’avais désormais son absolue attention. Et de la colère, il y avait un rien de colère au fond de ses yeux là.


— Petite idiote, si l’on prend la peine de placer une magie d’occultation, c’est justement pour éviter que l’aura magique de l’objet ne soit visible. Si l’aura magique devait persister, c’est comme si l’on n’avait rien fait.


J’ouvris la bouche pour lui répondre et la refermais aussitôt, elle avait tout à fait raison. La colère commença à monter en moi, libératrice. Ce fichu semi-dragon me rendait stupide, pire, elle me faisait me sentir stupide !

Saleté de gros poulet à écaille ! Bien sûr qu’elle avait raison, c’était évident. Jamais en temps normal je n’aurais laissé passer ça.


Je fronçais des sourcils désormais, oublié le masque d’impassibilité. Oublié le gros poulet sur sa chaise perché sur ses ergots et agitant sa collerette en tout sens. Oublié le singe savant de fête foraine qui me faisait les gros yeux.

Je restais ainsi quelques instants, réfléchissant pour de bon à toute la situation, les yeux tournés en moi même.

— La seule conclusion à laquelle j’arrive, relevant les yeux vers elle, c’est que ce que je vois n’est pas ce que voit une personne utilisant un sortilège de vision de la magie. À la vérité, je ne maîtrise même pas ce sortilège. Je ne l’ai jamais appris n’en ayant jamais eu l’utilité, mes yeux voient la magie de manière naturelle depuis que je suis toute petite.
J’ai toujours cru ma vision identique à ce sortilège et rien ne m’a jamais laissé penser le contraire. Cet événement me fait dire qu’il doit y avoir malgré tout une différence fondamentale entre le sortilège et ma vision naturelle.


Elle me fixa un long moment avant finalement de lever les yeux au ciel en lâchant une volée de sifflements que la magie de traduction ne put interpréter entièrement sinon que cela avait à voir avec les mages naturels, une fosse putride, un régime de bananes et un élément intraduisible. Ne me demandez pas pour les bananes, je n’en sais pas plus même aujourd’hui.
Toute tension envolée, elle poursuivit.

— Nous testerons ça demain, en attendant… Elle me fit signe de quitter les lieux et je ne me fis pas prier. Cette minute de tension ayant été bien plus exténuante que le reste de la journée complète.

***


Je passais la journée suivante avec la pseudo-dragonne. J’ai ainsi pu m’exercer malgré moi avec ma technique de la bulle et soit je faisais des progrès, soit je m’habituais à elle. Toujours est-il que le jour passant, son regard de tueur me faisait a chaque fois de moins en moins d’effet.

J’aimerais croire qu’il s’agit là de mes talents naturels en action, mais non, évitons de trop s’illusionner, après tout un individu ne peut rester en mode « alerte maximum » des heures et des jours d’affilés. C’est juste trop exténuant.
De son côté, elle passa la journée à me faire décrire avec le plus de précision possible et force détails ce que je voyais dans tout un tas de situations impliquant la magie.

C’est compliqué de se dire que l’univers que vous connaissez n’est pas celui que perçoit le reste du monde. Bon, je savais déjà que je voyais plus que la multitude, mais j’ai vraiment toujours cru que tous ceux liés à la magie partageaient la même expérience même si c’était via un sortilège. Rien jusque là n’avait remis cette idée en question.

C’est ainsi que nous passâmes donc la journée. Moi à parler encore et encore en essayant de ne pas trembler sous ses regards de tueurs et elle à me placer dans toute sorte de situations parfois vraiment très étranges que je devais décrire avec ma vue du monde.

Le surlendemain, je retournais aux portes de la ville avec les gardes puis le suivant me retrouva devant la dragonne pour une autre séance de « décris-moi le monde »
Ce schéma de fonctionnement devint mon nouveau mode de vie. Une journée de travail et puis une ayant un autre but.


Il fallut encore deux journées complètes supplémentaires ou je parlais jusqu’à épuisement pour qu’Yreen s’estime satisfaite. Elle garda ses conclusions pour elle et si pour l’instant cela ne me dérangeait pas, je lui fis promettre de tout me révéler plus tard, après tout, je voulais vraiment savoir en quoi ma vision différait spécifiquement. Mais bon, cela ne m’inquiétait pas trop non plus, je vivais avec depuis ma naissance et cela n’avait jusque là posé aucun problème. J’avais bien plus urgent en tête pour le moment.

À la rotation suivante, PyuPyu trônait à la droite d’Yreen, ayant remplacé un pan de mur du château de livres. Un plateau de viennoiseries à moitié vide lui faisait face.

— Aujourd’hui, Yuki, tu passes la journée avec PyuPyu, entama Yreen sans attendre, il a pour mission extraordinaire de maintenir le moral en ville aussi haut que possible et tu vas le seconder. En passant, apprends la langue d’ici. On aurait dû commencer plus tôt, mais cette histoire de vision était plus importante.

J’étouffais une vague de ressentiment à son encontre en repensant à ses derniers jours éreintants passés à lui décrire le monde jusqu’à ce que les mots en viennent à sortir par pur automatisme sans même passer par la case réflexion. Notez son ordre de priorité plaçant l’assouvissement de sa curiosité un cran au-dessus de mon bien-être futur. Rancunière, moi ? Je veux oui !


En même temps, après un rien de réflexion, si j’avais été celle posant les questions et non pas celle passée au broyeur pendant quatre longues journées, j’aurais probablement fait le même choix. Compliquée moi ? Allons, c’est qu’une impression, c’est évident.


Au final, je me contentais d’acquiescer à ce qu’elle disait, de la saluer, puis de suivre PyuPyu soutenant son plateau dans l’une de ses petites pattes pendant que l’autre enchaînait le trajet entre sa gueule et le tas de viennoiseries à une vitesse alarmante.
Je l’observais un moment, me demandant surtout comment le plateau pouvait tenir ainsi en équilibre dans cette position défiant les lois naturelles. En temps normal, j’aurais dit « magie », mais là, je n’en voyais aucun signe.

Accessoirement, on pouvait aussi se demander comment cette créature pouvait ingurgiter un volume de nourriture largement supérieur à celui de son propre corps sans que son apparence se modifie, mais je préfère classer ça dans les singularités épiques de ce monde avant d’avoir vraiment mal au crâne.

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