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meharat

Chapter 2

Première partie

Premiers pas



Au commencement, tout était nuit. Vint la lumière, comme une tache sur la face du monde, prenant rapidement de l’ampleur jusqu’à ce que l’obscurité ne soit plus que lueurs aveuglantes. Avec elle, vint aussi le son, celui d’une légère brise dans les herbes hautes et les feuilles d’un arbre proche. L’odeur du soleil et des douleurs dans tout le corps, comme au lendemain d’un entraînement ou d’un exercice militaire un peu trop intense.


J’étais à mi-hauteur sur le flanc d’une colline, écrasée au sol, des brins d’herbe me chatouillant le cou, presque entièrement à l’ombre d’un grand chêne solitaire. L’air miroitait encore de magie comme un voile sur le monde ou des rubans de chaleurs finiraient de se dissiper.

Aussi loin que portait mon regard, ce n’était que plaines verdoyantes, collines basses et forêts. Où diable étais-je donc tombée ?

Ma mémoire était brumeuse, mais même ainsi, je ne reconnaissais rien des environs. Pour commencer, l’étude de mon maître est située en bord de mer. Ici, pas d’eau en vue, pas d’air salin. Quoi qu’il soit arrivé, je suis loin de chez moi.

Des cris au loin me firent tendre l’oreille et me relever, cela ne me disait rien de bon. Je gravis la pente de la colline jusqu’à son fait pour avoir une vue d’ensemble et je le repérai aussitôt, le champ de bataille.
La clameur d’un champ de bataille est à nulle autre pareille, mélange de requiem et de chant de fureur. J’aurais dû comprendre plus tôt.


Les armées en vue, je plongeai au sol histoire de ne pas me faire repérer par les guetteurs des deux armées, attentifs à tout signe de présence de troupes ennemies cachées ou de renforts en approche. Il ne manquerait plus qu’on ne me prenne pour une quelconque espionne ennemie quand je ne sais même pas qui combat qui ni pourquoi.
Ne laissant que le haut de mon crâne dépasser des hautes herbes, j’observais la scène en contrebas.


J’ai déjà pu en voir des batailles et ce que je voyais actuellement me laissait perplexe. Hormis le fait de se massacrer, ça, je suppose que ça ne change pas vraiment ou que l’on soit, ce que j’avais sous les yeux semblait loin de mon expérience de la chose. Et puis, une des armées avait quelque chose de vraiment étrange, elle me laissait une très mauvaise impression.

À ma droite, le centre de l’armée était une grosse unité de fantassins avec casque et cuirasse en métal. Ceux en première ligne portaient de lourds objets, triangulaires ou ronds, qu’ils empilaient les uns sur les autres sur deux à trois étages pour protéger toute la troupe des attaques de l’ennemi. Pendant ce temps, les lanciers et piquiers des rangs suivants frappaient l’ennemi au travers des interstices. Plus tard, j’apprendrais qu’on appelle ces objets des boucliers, et cette tactique, le mur de bouclier. Si je connaissais l’usage de ces objets pour les sièges, je n’en avais jamais vu de versions portables pour soldat.


J’estimais grossièrement à 2000 l’effectif de l’armée de droite, formant une longue ligne sur 7 à 8 rangs
Je repérais quelques étendards identiques au sein de cette troupe, un taillé, d’azur, à la licorne cabrée d’argent, et d’or, au calice d’argent auréolé.

En face, une masse disparate était engluée contre le mur de boucliers. Les rangs arrière pressants et poussant en permanence vers l’avant, les troupes de premières lignes se retrouvaient compressées contre le solide mur de boucliers. À tel point que les soldats ne pouvaient quasiment plus bouger, encore moins combattre, recevant les coups sans réellement pouvoir réagir. Stupide !
En plus, je ne repérais presque pas d’armes parmi cette troupe de gauche qui devait bien être une dizaine de milliers.
Ce groupe là, à gauche, il avait vraiment quelque chose d’anormal, mais je n’arrivais toujours pas à mettre le doigt dessus. Aucune discipline, une charge stupide. Qu’était-ce donc ? Une foule de paysans se ruant en avant contre une troupe de soldats ? Mais si c’était le cas, aucune chance qu’ils se laissent massacrer ainsi, ils auraient pris la fuite rapidement après le premier contact et les premiers morts.

Je revins sur la droite ou sur chaque flanc, deux à trois cents tirailleurs équipés d’armes à projectiles ou d’arme de jet (là aussi, je découvrirais le concept de l’arbalète plus tard) canalisaient la force ennemie contre le mur de bouclier, empêchant les débordements par le flanc de leur feu nourri.
Je ne voyais de cavalerie nulle part, étrange.

En l’état, si le mur de bouclier pouvait tenir la durée, je donnais la troupe de droite victorieuse malgré la différence de nombre, pouvant faire tourner les soldats pour récupérer de la fatigue ou soigner les blessés légers. Le parfait exemple de la différence existante entre une foule en arme et une armée.

Je continuais d’observer la troupe de gauche, essayant de définir la raison de mon malaise. Pas d’étendards ni bannières, personne gesticulant en tout sens en aboyant des ordres, une masse compacte, sans armes, sans chefs, ne faisant que se ruer en avant. Et ce silence de la part de ces soldats…
Un frisson me parcourut l’échine alors que remontaient certains souvenirs, je secouais la tête, refusant cette idée, trop perturbante.

Le long de la ligne de front la plus proche de moi, une partie du mur de bouclier s’effondra soudain sous la pression ennemie. Une brèche menaçant de se propager à toute la ligne de front si bien exploitée, mais à gauche, rien n’indiquait une quelconque réaction, alors qu’à droite, rapidement, les tirailleurs les plus proches lâchèrent volés de projectiles sur volés de projectiles au plus près de la brèche, soulageant temporairement le secteur pour permettre à leurs alliés de se reprendre et relever le mur de bouclier. Tout un tas d’hommes, blessés, fut tiré à l’arrière de la formation et l’un d’eux, l’un d’eux, faisait quelque chose « d’étrange ».

Je clignais des yeux, soupirant.
Vous voyez, c’est cette sensation quand vous savez avec une quasi-certitude ce qu’il se passe, mais que vous vous refusez à le croire tout autant. Parce qu’alors, en acceptant ce simple fait, il faudrait aussi accepter l’ensemble tournant autour de ce fait.
Autrement dit, cette sensation quand vous ne voulez vraiment pas savoir, mais que votre inconscient a déjà rendu sa conclusion. Surtout que je ne voulais vraiment pas savoir, je voulais juste rentrer chez moi, retrouver mon maître, mes études, et non pas courir la campagne en définissant des choses comme « étranges » alors que je savais déjà pertinemment les mots exacts à utiliser.

En plus de ça, ma mémoire récente me revenait aussi doucement. Une matinée sans accrocs, passée en corvées et activités quotidiennes. Un après-midi menaçant de prendre le même chemin si le monde ne s’était pas mis à trembler sur ses fondations comme il lui arrive souvent de le faire. Un maelstrom magique qui déferla soudain sur l’étude de mon maître telle une tornade de vent magique et lumières éblouissantes qui se propagea jusqu’à ma propre étude… Et me voilà ici, où que ce « ici » puisse être.

Je lâchais un petit soupir de dépit puis focalisais mon esprit en mode magie, avant d’énoncer distinctement quelques mots en langue draconique, le langage des dragons, incantation nécessaire pour activer un petit sort magique qui me permettrait de mieux voir la scène en contrebas.
Je clignais des yeux pendant quelques secondes, petit truc personnel pour atténuer la désagréable sensation qui m’assaillit alors que la magie modifiait ma vision. Désormais, je pouvais distinguer les détails lointains aussi finement que si j’étais à côté, presque. J’ai vu un marin une fois utiliser un objet qui faisait la même chose, une longue-vue qu’il appelait ça, moi j’utilisais la magie.

Je revins sur l’homme et ses actes étranges de tout à l’heure, celui derrière la troupe de droite. Le temps qu’il m’avait fallu pour lancer ma magie, un autre soldat était venu aider son compagnon. Tous les deux s’acharnaient à déloger quelque chose du dos du premier.

Ayant réussi, les deux désormais s’échinaient à frapper l’objet au sol à grands coups d’épées. Il s’agissait d’un avant-bras humain, ensanglanté, mais dont la main continuait de s’ouvrir et de se fermer, spasmodiquement. Je passais sur la ligne de front, ou là aussi, derrière le mur de bouclier, certains soldats donnaient de la hache ou de l’épée à l’encontre de choses remuant au sol.

Lâchant un autre soupir de dépit, je laissais glisser mon regard sur la troupe de gauche, voyant et acceptant désormais tous les détails affreux confirmant cette vérité que je ne peux plus nier. Il s’agissait d’une armée de zombies, de morts-vivants, décharnés, titubants, aux gestes saccadés, dépourvus d’esprit, n’agissant que pour massacrer, détruire et se nourrir des vivants. Du moins, selon ce que j’avais pu en lire.

Désormais, il était clair que le maelstrom magique m’avait envoyé bien loin de chez moi, très loin. Autant en termes de distance que de temps. Pour autant que je sache, chez moi, la dernière épidémie de mort-vivant datait de quelques siècles. Des fous avaient bien tenté de lever une armée de zombies durant mes études, mais furent si peu discrets quant à la chose, que le temps que nous intervenions, ils n’avaient pas eu le temps de ranimer plus d’une dizaine de corps.

Mon maître fit rôtir tout ce beau monde d’une belle boule de feu avant qu’un troupeau de bonzes ne débarque pour purifier toute la zone à grand renfort de mantras et prières.


Pendant mes rares temps libres, j’avais parcouru une grande partie des rapports de l’époque de la précédente épidémie, fascinée par ce concept d’armée zombie et de créatures immortelles.
Visiblement, celle-ci n’en était pas à son début, 10 000 corps, c’était une concentration de force largement suffisante pour voir apparaître les unités de commandements.
Des morts-vivants à l’intellect plus développé, capable d’avoir une emprise sur leur comparse. Ça, ou un mage… Voir les deux.

Je dis épidémie, non pas de la manière dont on attrape une maladie, mais plutôt dans sa manière de se propager partout, de se renforcer par le nombre et de ne rien épargner ni personne.
On dit que tout comme la vie est née du vivant, la mort crée de la mort. Dans les faits, il s’agit surtout de propagation et amplification d’énergie négative, mais j’y reviendrais.

En tout cas pour ce que j’en savais, une épidémie de mort-vivant a toujours en source l’activité humaine… ou celle des monstres, elles ne sont en aucun cas une occurrence naturelle.

Une soudaine clameur sur la droite me ramena à la bataille en cours. Une petite troupe d’une vingtaine d’individus à cheval venait d’arriver par l’arrière. Visiblement des alliés au vu de la réaction des soldats. Pas d’étendard, mais ils avaient tous le genre d’allure qui hurle statuts et pouvoirs. Je notais tout un tas d’emblèmes personnels ici et là sur leur mise sans trop m’y attarder. Visiblement, ce n’était pas non plus une troupe régulière de l’armée. Équipement trop hétéroclite et personnalisé, aucun souci d’uniformisation comme on en trouverait dans une troupe régulière.
Ils atteignirent les lignes arrières puis se divisèrent en deux, certains sautèrent de leur monture pour bondirent ensuite vers la ligne de front, le reste observant la situation.


La composition de ce groupe me laissait perplexe et me fit froncer des sourcils. Il y avait ces six, là, sur des poneys, que je pris de prime abord pour des enfants, sauf qu’ils n’en avaient pas le regard, ni la manière d’ailleurs, brandissant leur glaive en se ruant sur les zombies. L’un d’eux s’élança même vers le ciel porté par de grandes ailes de papillons, lançant des objets explosifs sur la troupe ennemie.
Il y avait aussi cet autre duo sur de robustes poneys. Ils étaient de taille réduite, mais aussi large que haut, chacun arborant plus de barbe que de vêtements.
Et puis, ceux-là aussi, que je pris au premier regard pour de simples humains. Avec un rien de recul toutefois, je me rendis compte qu’ils étaient quelque chose de différent. Déjà, ils étaient de plus grande taille et puis, ils possédaient une carrure plus élancée et arboraient aussi des oreilles de monstres comme les miennes. Au final, le nombre d’humains composant ce groupe était minoritaire. Vraiment déroutant. Dans quel monde étais-je donc tombée ?

Soudain, je le sentis avant que ne se produise quoi que ce soit de visible. De la magie ! Plus précisément, l’une des femmes toujours à cheval sur l’arrière du groupe préparait un sort magique. Pas juste une petite tricherie facile comme moi avec mes yeux. Mais un vrai sortilège. Sa voisine également s’illumina alors que des volutes de magie s’assemblaient et se condensaient lentement autour des deux mages, signe que le monde s’apprêtait à écouter la plaidoirie de ces femmes et à y répondre ou non.


Non ! Ça risque d’être compliqué si je m’exprime ainsi.
Bon, pour rester simple si vous ne connaissez pas le concept, la magie est partout, comme un voile sur le monde, mais surtout elle est attentive et ne demande qu’à servir. Le tout étant de réussir à s’en faire comprendre.
Si l’on s’y prend bien, la magie va répondre à notre souhait en nous permettant de courber ou d’enfreindre les lois naturelles du monde. Plus complexe ou lourde est la transgression, plus complexe sera le sort magique permettant ce résultat.

Certains disent la magie elle-même douée de conscience, indépendante, parce qu’il lui arrive de faire la sourde oreille et de ne pas répondre, mais les zélotes de la déesse de la magie n’apprécient pas trop ce genre de discours, on s’en doute.

Cela veut dire que ce n’est pas un pouvoir qui appartient à une personne en propre. C’est une force empruntée. C’est l’avis de mon maître, tout comme le mien, mais il ne fait pas, et de loin, l’unanimité.

Toute créature vivante possède une plus ou moins grande affinité avec la magie, une plus ou moins grande capacité à la comprendre et s’en faire comprendre, jouant instinctivement avec des concepts magiques que certains ne peuvent à peine maîtriser même après une vie entière d’études.

Un sortilège est un souhait, une demande précise pour obtenir une action qui ne doit pas laisser place à l’interprétation. Formuler une demande en y laissant des éléments de hasard est une invitation gratuite a une catastrophe de grande ampleur. Du même ordre qu’incendier un village quand on veut allumer le feu sous la marmite.

Mais comment communiquer ce souhait à la magie ?
Pour se faire comprendre, il faut utiliser un langage que la magie comprend basé sur un mélange de volonté et d’état de conscience, ce qu’on appelle un schéma mental.

Ce schéma, c’est une recette de cuisine composée de concepts élémentaires compréhensibles pour la magie, et condensés en un amalgame précis. Ce n’est pas anodin ni simple.

Une personne sans affinité à la magie peut passer des décennies pour apprendre un sortilège basique. Par la voie la plus longue, académique. Une bonne affinité à la magie permet des raccourcis si l’on peut dire. C’est la même histoire qu’entre l’intuition et la connaissance.

En tout cas, la charge que cela pose pour le mental n’est pas des moindres, au point que certains en ont le cerveau qui finit par leur couler par le nez s’ils n’y prennent pas garde. Ce qui est, un rien gênant et problématique ne trouvez-vous pas ?
Pour alléger cette charge, tous les moyens sont bons. On appelle ça l’incantation magique. Geste, parole, chant, litanie, danse rituelle, objet, focus, peu importe, du moment que notre esprit peut tisser un lien entre les éléments de l’incantation et les concepts liés à ce sortilège.

Une béquille pour aider à la concentration pourrait-on dire simplement. Mais c’est alors une béquille qui aurait la taille d’un tronc d’arbre multimillénaire sur lequel on peut carrément s’allonger pour faire la sieste, plutôt qu’une branche de soutien sur laquelle s’appuyer.

Personnellement, j’ai une très bonne affinité avec la magie, j’ai même la capacité de la voir naturellement ce qui est très rare selon ce que j’en sais. Vu ma tête de monstre, il est évident que je dois probablement cette capacité à toute une flopée d’ancêtres magiques dans mon arbre généalogique.
grâce à ça, mon apprentissage n’a pas eu à durer des décennies, mais il va de soi qu’en termes de pure théorie académique, j’ai des lacunes monstrueuses. On ne peut pas tout avoir.

Où en étais-je ? Ah ! Les deux femmes s’apprêtaient à lancer un sort, et j’eus beau me concentrer sur elles, j’étais trop loin pour lire sur les lèvres et je ne reconnus pas de gestes particuliers dans leurs incantations afin de prédire le sort qu’elles s’apprêtaient à lancer. Même la configuration des volutes magiques me laissait perplexe. J’allais devoir me contenter des effets visuels pour cela, ce qui n’est pas toujours concluant. Je veux dire, un sort avec pleins de rayons bleus qui font de gros trous dans les gens, on devine facilement sa nature, mais un autre qui va utiliser d’autres moyens pour faire des trous dans les gens sans rien laisser paraître de visible à l’extérieur c’est bien plus subtile à identifier.


À noter que les deux femmes utilisèrent une incantation différente, mais le sort final fut le même. C’est ça aussi la magie, plusieurs chemins possibles pour une même destination. Ici une belle boule de feu s’élançant fièrement au-dessus des troupes pour aller s’écraser au sein de la masse ennemie. Une violente explosion se produisit alors, réduisant tout dans un rayon de cinq à six mètres à l’état de cendres ou d’objets carbonisés indéfinis. Une centaine de zombies au bas mot tombèrent ainsi en poussière tellement ils étaient massés les un sur les autres. Quelques mètres plus loin, le sort de l’autre mage eut le même effet.
Boule de feu, sort peu complexe et toujours d’une rare efficacité contre les masses compactes d’ennemis comme ici.

Sans perdre une seconde, les deux femmes d’enchaîner sur un second sortilège. Je reconnus l’incantation cette fois-ci, venant juste de la voir, encore un doublet de boules de feu éliminant encore un gros tas de zombies. Je me demandais combien de temps elles allaient pouvoir continuer ainsi.

Je veux dire, les vrais mages, ceux qui passent des années à étudier, peuvent passer des heures pour lancer un sortilège. La construction du schéma d’esprit est pour eux laborieux. On appelle ça la durée d’incantation d’un sort. Vraiment pas efficace en situation d’urgence on en conviendra. Ce qui les a menés à trouver un moyen d’interrompre un sort en cours d’incantation, pour finaliser ce lancement à un moment plus opportun.


Régulièrement donc, un vrai mage choisit ses sorts à l’avance, selon ce dont il estime avoir besoin dans un futur proche. Cela revient toutefois à se charger la tête d’une bombe magique prête à exploser à la moindre défaillance. Une très lourde charge mentale que de stocker tout ce paquet de sorts interrompus. Certains ne le supportent pas et finissent complètement fous, ça, j’ai déjà pu le voir de mes yeux et ce n’est pas joli-joli. C’est aussi un moyen de mesurer la puissance d’un mage, savoir combien de sorts il peut préparer a l’avance.

C’est le prix à payer pour transgresser les lois du monde, paraît-il. Beaucoup pensent que ça en vaut la peine. C’est en tout cas peu pratique et efficace dans la vie courante, à moins de savoir à l’avance ce qu’on prévoit de faire. Dois-je préciser que les vrais mages aiment à tout planifier dans les moindres détails ?


Personnellement, je n’ai pas ce genre de limitation, merci ancêtre magique. Ma magie est plus personnel si on peut dire. Mes sorts restant généralement incompréhensibles pour les vrais mages car basé sur une logique intime plutôt qu’impersonnelle.
Théoriquement, un vrai mage pourrait apprendre toute la magie du multivers, tous les sortilèges du monde, si on lui en laisse le temps et assez d’espace pour ranger autant de grimoires. Encore faut-il aussi que quelqu’un pense à sortir ces vieux fossiles de leur antre pour les dépoussiérer et leur faire voir le soleil de temps à autre, sans parler des toiles d’araignées. Laissés à eux même, ils en oublieraient même jusqu’au chose les plus simple comme manger ou dormir, trop plongés dans leurs études de la magie à en perdre la notion du temps.

Pourquoi je parle des vrais mages alors que ça me concerne pas ? Parce qu’au final, ils représentent la très grande majorité des lanceurs de sorts. Les créatures de mon genre avec une bonne affinité a la magie, sont bien plus rare. Leur cas est donc le cas général, et si vous croisez un mage, ce sera vraisemblablement un de ses académiciens. D’ailleurs au quotidien on dit juste mage ou magicien, si je parle de mage né ou de vrai mage, c’est pour faire la distinction avec moi même. Puis les vrais mages ont tendance à nous regarder nous autre de travers. Et c’est compréhensible, imaginez que vous veniez de passer 30 ans à résoudre un problème compliquée, et soudain, vous croisez un sale gamin qui vient de faire la même chose, sans même vraiment y réfléchir, ni même savoir vraiment pourquoi. Il l’a juste fait comme ça parce que ça lui semblait la bonne solution. De quoi donner des envies de tordre des cous … mais je digresse encore. Je parlais de boule de feu !

Oui ! Je me demandais jusqu’où irait leur démonstration de magie. Combien de sorts allaient-elles encore pouvoir lancer ? Si elles étaient prêtes pour cette bataille, leur niveau de puissance. En bref, j’étais juste curieuse.


D’autres boules de feu fusèrent au-dessus des têtes des soldats durant les minutes suivantes pour s’écraser sur la marée de zombies, éliminant quelques centaines de créatures de plus. Puis les deux mages passèrent à d’autres sorts.
J’avais compté 5 boules de feu, pas mal. Ces deux mages là étaient vraisemblablement des maîtres et bien préparées pour cette bataille.

Cela faisait désormais un moment que j’observais le combat en contrebas. Je notais que régulièrement, la troupe de droite effectuait la même manœuvre. Une courte poussée vers l’avant quand elle le pouvait, suivie d’une très rapide retraite sur un bon mètre ou deux de distance. Manœuvre synchronisée sur toute la ligne de front permettant de déstabiliser leur adversaire et faire s’effondrer au sol un bon paquet de zombies. Surtout que là, il faut l’avouer, les zombies étaient tellement compressés au niveau du mur de bouclier que la manœuvre, si bien effectuée, était garantie de donner de très bons résultats. Un bon moyen pour porter un bon coup à l’adversaire.


Je notais aussi que les soldats profitaient de cette action pour faire tourner les hommes avec ceux des lignes arrière, histoire de soigner d’éventuelles blessures et de limiter la fatigue.
Il me fallut un moment pour remarquer un autre bénéfice à la manœuvre, à savoir, d’éloigner de la mêlée tous les morceaux de zombies séparés de leur corps, mais toujours actif, persistant à vouloir nuire. Mais aussi tous les corps, mutilé continuant de s’agiter, de ramper, et pire, capable bien plus facilement que leur comparse encore intact de se faufiler sous le mur de bouclier pour agripper mollets et jambes, cherchant à frapper un point vital.

Tiens, je viens de me rendre compte, peut être vous posez-vous la question. Mais comment diable peut-on tuer ce qui est déjà mort ?
Il n’y a qu’une réponse possible, on affaiblit suffisamment sa magie jusqu’à ce qu’elle soit toute consumée.


Dans les grandes énergies soutenant le multivers, il y en a deux en particulier en rapport à la nécromancie, l’énergie dite, positive, que l’on dit liée à la vie et la négative, que l’on dit liée à la mort.

Les morts-vivants sont des constructions magiques que l’on gave d’énergie négative jusqu’à ce qu’ils acquièrent un semblant de vie. C’est cette énergie qui leur permet de se mouvoir. Sans elles, ils redeviennent de simples corps.
Tuer un zombie revient donc à le priver de cette énergie.

Pour ce faire, il y a plusieurs écoles. La méthode barbare par exemple « cogne dessus jusqu’à ce qu’il ne bouge plus » est sans doute la plus usitée, mais aussi la plus fatigante.
Le corps est comme un vaisseau pour l’énergie négative. Plus on va l’abîmer, plus l’énergie fuitera en dehors et s’épuisera avec le temps. C’est ce qui fait que même tranché en morceaux, un zombie conservera encore quelques minutes d’activités.
Une autre manière de faire pour qui serait versé en nécromancie, c’est de prendre le contrôle du zombie, le faire sien pour lui donner des ordres.

Troisième façon, utiliser l’énergie positive. L’énergie positive et négative sont antagonistes et s’annihilent mutuellement. Baigner un mort-vivant dans l’énergie positive, va donc drainer l’énergie négative en lui jusqu’à ce que l’une des deux énergies soit totalement consumée.

La magie la plus courante utilisant de l’énergie positive, c’est celle des soins magiques. D’où la fameuse blague du « soigner un zombie pour le tuer ». Concept qui m’a toujours fait sourire. Pas vous ? Vraiment ? Alors imaginez le toubib et l’infirmière en première ligne pour tenter de « soigner » le zombie. Toujours pas de sourires ? J’ai sans doute un humour particulier aussi.

La bataille semblait gagnée pour les vivants. Ils avaient la technique, l’intelligence et une bonne discipline pour faire face. Un bon moral dû aux derniers renforts et un soutien magique pour les imprévus.
Ça pourrait prendre du temps, mais ils allaient gagner. Quant à moi, j’avais autre chose à faire que rester ici à surveiller.
Si je devais me pointer au camp du vainqueur à la fin de la bataille avec un « coucou, je viens d’ailleurs, je suis perdue, une vague magique m’a téléporté en plein dans votre bataille. Vous pourriez m’aider ? » aux lèvres, on allait me regarder de travers. C’était une certitude.


Mais qui dit armée dit population, villes, villages. Il devait forcément y en avoir aux alentours, me restait plus qu’à les trouver et m’y intégrer. Qui dit ville, dit établissement de magie et peut être donc un de ces vieux chercheurs centenaires qui aurait une solution pour moi.
J’ai bien conscience d’être trop optimiste surtout que ce genre de service serait tout sauf gratuit, mais c’était déjà un début, cela me donnait un but et me permettait de passer outre les voix dans ma tête me hurlant à quel point ma situation était « compliquée ». Enfin, compliqué n’est pas le mot que me hurlait ma conscience, mais je préfère retenir celui-là.

Avec ça, j’allais pouvoir m’activer un peu plus vigoureusement qu’une limace apathique, déprimée, rongée au pessimisme quant à mon avenir.

Je fixais mon regard sur la troupe zombie une dernière fois et j’allais me détourner du champ de bataille juste au moment ou il y eut un flash magique à l’arrière de la formation, suivie d’un second, puis d’un troisième. J’avais à peine eu le temps de voir la convergence des forces magiques avant que le sort ne prenne effet.

Trois créatures venaient d’apparaître via ce qui me semblait être une téléportation magique. Deux sortes de grands squelettes en armure complète, sans casque, un simple bandeau de fer leur enserrant la tête, telle une couronne. À peine arrivés, ces deux-là s’avancèrent vers la mêlée.

La troisième créature resta sur les arrières de l’armée, corps desséché maniant un grand bâton ornementé de fioritures et colifichets typique des vrais mages.
Dès leur apparition, tous les zombies présents se figèrent en pleine action pendant une paire de secondes, avant de repartir à l’assaut, mais cette fois-ci de manières coordonnées et non plus instinctives.

Sur l’arrière de la formation zombie, le corps desséché s’activait. D’un geste de son grand bâton, plus grand que la créature elle-même, deux à trois cents zombies quittèrent la masse pour former un carré d’escorte et le protéger. D’un autre geste du bâton, chaque flanc de l’armée vit un demi-millier de créatures se détacher pour s’avancer vers les tirailleurs qui jusque là faisaient des ravages en toute impunité.

La créature eut ensuite un temps d’arrêt, figée en plein mouvement, bâton brandi vers le ciel, puis se mit à incanter un sort, quelque chose de très complexe. Les unités de commandement des morts-vivants venaient finalement de rejoindre le champ de bataille.


L’effet fut immédiat.
Côté vivant, discipline et organisation fondirent en un clin d’œil. Je pouvais presque sentir la terreur des soldats grandir, même de là où j’étais. Intelligence, tactique et discipline, c’est ce qui fait la différence entre une armée et une foule homicide. C’est ce qui permet de contrer des forces bien supérieures en nombre et de vaincre sans réelles pertes contre des forces ne possédant pas ces qualités.

Mais que cette foule se change en une réelle armée disciplinée et soudain, cette différence de nombre n’est plus négligeable et devient une menace. A fortiori si on lui adjoint l’intelligence capable de se servir des atouts d’un statut de mort-vivant au mieux.

Cela, chaque soldat sur le champ de bataille le savait pertinemment. La simple présence d’un commandant ennemi signait leur mort.
Mes pronostics de victoire basculèrent du tout au tout en moins de temps qu’il ne faut pour prononcer le mot défaite.

En contrebas, les deux mages hurlaient sur leurs chevaux en pointant le ciel, mais ne semblaient pas pouvoir attirer l’attention des commandants d’infanteries qui eux, hurlaient sur leurs soldats en gesticulant à qui mieux mieux, tentant de contrer la vague de défaitisme qui avait saisi les hommes à l’arrivé des chefs ennemis.
De leur côté, plus sereins, les tirailleurs sur chaque flanc reculaient aussi vite que les zombies approchaient d’eux, c.-à-d. pas très vite finalement. Ils continuaient de les cribler de projectiles, mais, il était évident qu’ils étaient inquiets de ce qu’il se passait au niveau de la mêlée centrale qui désormais devrait faire sans leur soutien à distance quoi qu’il advienne.

Suivant les gestes des mages, je levais la tête au ciel ou des nuages d’orage s’amoncelaient à une vitesse surnaturelle. L’atmosphère se fit électrique et moins de 3 battements de cœur plus tard, une volée d’éclairs frappa indistinctement dans la mêlée, projetant des corps dans tous les sens.
D’autres projectiles suivirent, puis d’autres encore, en succession, une pluie d’éclairs ininterrompue tombant du ciel.
Pas impressionné pour deux sous, les zombies continuèrent leur assaut, comme si de rien n’était alors que, côté vivant, cette attaque magique fut le dernier élément finissant de détruire le moral des troupes et ce fut la débandade la plus complète. C’était à qui serait le plus rapide pour quitter les lieux au plus vite, lâchant armes voir morceaux d’armure pour y gagner encore un peu en vitesse.
D’ailleurs, j’allais devoir faire de même sous peu avant de me faire repérer.

Heureusement pour eux, les zombies ne sont pas très rapides. Une fois sortis du champ d’action du sortilège d’orage, les fuyards ne risquaient plus rien dans l’immédiat. Pour ceux qui étaient au contact direct avec les zombies, ceux du mur de bouclier, les choses ne se passèrent toutefois pas aussi simplement. Les premiers à lâcher la ligne s’en sortirent encore pas trop mal, mais tous les autres furent aussitôt engloutis par la masse de zombies, débordés, ensevelis sous les corps et massacrés.

Cette dernière vision fut le dernier élément qui servit de déclencheur à ma propre fuite et finit de me convaincre de mettre les voiles aussi. Il n’y avait plus rien à voir de toute façon.


Je me laissais glisser sur quelques mètres dans la pente, plaçant le relief entre moi et l’armée zombie avant de me rétablir et de piquer un petit sprint jusqu’en bas de la colline. De là, je m’orientais dans la même direction générale que les autres fuyards et sans courir pour autant, pris un bon rythme de marche rapide.

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