Le soleil cognait encore haut, implacable. L’air vibrait autour d’eux, chargé de chaleur et de sable, rendant chaque respiration plus difficile que la précédente. La ville morte semblait figée dans le temps, écorchée par les siècles et les bombes. Les murs criblés de trous ne projetaient que des ombres maigres, à peine suffisantes pour leur offrir un semblant de répit.
— On va rester ici, murmura Nova, s’effondrant contre un pan de mur encore debout. On ne tiendra pas plus longtemps comme ça.
Elian acquiesça sans un mot et s’assit à côté d’elle. Il enleva sa veste nouée autour de sa taille pour l’étendre sur le sol et s’y allongea, les bras derrière la tête, les yeux fixés sur le plafond effondré au-dessus d’eux.
Un silence pesant s’installa, troublé seulement par le souffle lent de leurs respirations et le crissement du vent qui fouettait les ruines.
Nova sortit la carte d’un geste presque inconscient. Elle la déroula doucement, la regardant comme on regarde un souvenir précieux. Son regard glissa sur les annotations d’Ash, et son cœur se serra à nouveau. Il avait été là. Il avait marché sur cette terre brûlée, sans certitude, mais avec cette foi étrange qui lui appartenait. Elle aurait tant voulu lui hurler de rester en sécurité. Mais il n’avait jamais été du genre à reculer.
— Tu crois qu’il a pu vraiment croire qu’il trouverait quelque chose ? murmura-t-elle, presque pour elle-même.
— Ash était comme toi, répondit Elian sans ouvrir les yeux. Trop têtu pour reculer, même quand tout s’effondre autour de lui.
Un mince sourire vint étirer ses lèvres, puis il ajouta plus doucement :
— Et c’est sûrement pour ça que je vous ai suivis tous les deux.
Nova baissa les yeux, touchée sans vraiment savoir quoi répondre. Elle rangea la carte et ferma les yeux à son tour. La chaleur était encore étouffante, mais leur corps s’y habituait doucement. Le silence les enveloppait comme une couverture rugueuse, entre inconfort et paix fragile.
À un moment, Elian sortit sa gourde d’eau qu’il avait pu remplir au campement de fortune de Nyra. Ils partagèrent sans un mot. Pas besoin. Les mots n’étaient plus nécessaires dans ce genre de moment.
Le reste de l’après-midi s’étira, lentement, comme suspendu hors du temps. Le soleil commença à pencher vers l’horizon, et l’air, sans devenir frais, perdit un peu de son intensité brûlante. Le vent, lui, s’était levé. Il soulevait des traînées de sable, des murmures venus d’un autre temps.
Nova observait les dunes au loin, le cœur battant d’une patience fébrile.
— Ce soir, on part. Dès que la lumière baisse un peu, on reprend la route.
Le ciel virait lentement à l’orange, teignant les murs éventrés d’une lueur presque chaleureuse, comme si la ville retrouvait, l’espace d’un instant, un soupçon de vie.
Nova était accroupie devant un vieux distributeur rouillé, les doigts tâtonnant à l’intérieur pour récupérer une petite boîte en métal qu’elle venait de dénicher. Elle la fit tourner entre ses mains, un sourire fugace aux lèvres. Vide, bien sûr. Mais c’était une trace du passé, une de plus à ajouter à leur journée. Elle se releva, s’essuya les mains sur son pantalon et rejoignit Elian, resté à l’ombre d’un porche effondré.
Il ne parlait pas. Son regard était perdu au loin, quelque part entre les dunes et le ciel. Nova s’approcha doucement, le fixant un instant sans rien dire.
— T’as une tête de garçon qui réfléchit trop, murmura-t-elle avec un demi-sourire.
Il tourna la tête vers elle, et son visage se radoucit légèrement. Mais au lieu de répondre par une moquerie — comme d’habitude — il baissa les yeux, pensif.
— Nova… faut que je te dise un truc.
Elle s’arrêta, surprise par le ton. Ce n’était pas une blague. Pas un commentaire ironique.
Il passa une main dans ses cheveux en désordre, soupira.
— J’sais que t’es forte. Que t’as toujours cette flamme au fond des yeux, celle qui dit que rien pourra t’arrêter. Mais parfois… j’me dis que ça pourrait être le contraire. Que c’est justement ce feu qui va te brûler de l’intérieur. Que tu vas foncer, comme tu l’as toujours fait, et qu’un jour… tu reviendras pas.
Nova le fixa, la gorge un peu serrée. Il avait parlé vite, comme s’il devait se débarrasser de ces mots qui le rongeaient.
— Je veux retrouver Ash autant que toi. Mais j’ai peur, Nova. Pas du désert, pas des mutants… J’ai peur de te perdre.
Elle resta figée, le cœur battant un peu plus vite. Elian, son Elian, toujours là, toujours solide… il tremblait presque en disant ça. Pas physiquement, non, mais à l’intérieur. Et ça, elle le sentait.
Elle s’approcha de lui, doucement, et posa une main sur son bras.
— Je suis encore là, Eli.
— Ouais… mais pour combien de temps ? T’as vu ce monde. T’as vu ce qu’il fait aux gens.
Il releva les yeux vers elle, et dans ce regard, elle vit quelque chose qu’elle n’avait peut-être jamais voulu voir avant. Quelque chose qui était là depuis longtemps.
Elle déglutit. Elle ne savait pas quoi répondre. Pas tout de suite.
Alors, elle serra sa main dans la sienne.
— Je peux pas te promettre que rien ne m’arrivera. Mais je peux te promettre une chose : je veux pas te laisser derrière. Tu comptes trop pour moi.
Un silence. Le vent souffla plus fort, emportant quelques grains de sable, comme une ponctuation silencieuse.
Il sourit faiblement.
— T’es vraiment chiante, tu sais.
Elle rit doucement, puis posa sa tête contre son épaule.
Et pendant quelques minutes, ils restèrent là. Juste là. Ensemble. Le reste pouvait attendre.
Lorsque la nuit fut tombée, l’air s’était enfin rafraîchi, glissant sur leur peau comme un soupir de répit. C’était presque agréable, presque doux. Rien à voir avec ce qu’on leur avait enseigné à l’école — cette idée que l’extérieur n’était qu’un souffle de mort, radioactif, corrosif, irréversible. Non. L’air ici sentait le sable, l’oubli… mais aussi la vie.
Les deux jeunes reprirent leurs affaires, passant leurs vestes sur leurs épaules, cette fois pour se protéger du froid qui viendrait avec l’aube. Nova déplia lentement la carte griffonnée par Ash. Les traits tremblants au crayon lui donnèrent un coup au cœur, comme si son frère venait de lui murmurer « retrouve-moi ». Alors, sans un mot, elle emboîta le pas à Elian, suivant la lueur faiblarde de la lune qui reflétait sur la boussole qu’il portait autour du cou.
Mais les mots d’Elian ne la quittaient pas. Ils tournaient en boucle, comme une chanson impossible à oublier. Il avait été son roc, son phare dans la tempête, celui qui ne vacillait jamais. Et voilà qu’il venait de lui dévoiler une faille, une peur profonde, presque viscérale : celle de la perdre.
Et maintenant ? Que se passerait-il s’ils retrouvaient Ash, mais que le danger devenait trop grand ? Elian serait-il capable de l’en empêcher ? De lui dire non, pas cette fois, pas au prix de ta vie ? Et elle, serait-elle capable de choisir entre eux ?
Ces pensées tournaient dans son esprit comme une tempête de sable. L’air autour d’elle semblait vibrer d’un malaise invisible. Elle ralentit le pas. Son regard se perdit dans l’obscurité mouvante des dunes, l’horizon avalé par le silence. Quelque chose n’allait pas.
Elle se sentit épiée. Un frisson remonta le long de son dos. Comme si des yeux, invisibles et patients, les observaient depuis les ombres. Pas un bruit. Juste le vent. Mais même lui semblait retenu, suspendu.
— Elian… souffla-t-elle sans le regarder.
Il s’arrêta aussitôt, les sens en alerte. Il l’avait senti aussi.
Quelque chose ou quelqu’un était là.
Une paire d’yeux surgit dans l’interstice sombre entre deux rochers. Puis une autre, plus à gauche. Et encore une autre, plus loin dans l’ombre. En quelques secondes, ce fut une vingtaine de lueurs inquiétantes qui scintillèrent dans le noir, comme autant de présences tapies, prêtes à bondir.
Le cœur de Nova s’emballa, cognant violemment dans sa poitrine. Ce n’était pas des chats errants, ni même des charognards de surface. Non. Ces silhouettes étaient plus grandes, plus denses, plus féroces. Des créatures nées de la désolation. Des choses que les livres ne décrivaient jamais, mais que les cauchemars savaient peindre avec précision.
Elian n’hésita pas. Il saisit la main de Nova avec force, la chaleur de sa paume ancrée dans la sienne, puis ils se mirent à courir. Vite. Sans réfléchir. Leurs pas soulevaient le sable, leurs jambes peinaient à garder l’équilibre, mais l’instinct de survie prenait le dessus. Ils ne savaient plus où ils allaient, ni même s’ils fuyaient dans la bonne direction. Tout ce qui comptait, c’était de mettre de la distance. De survivre.
Derrière eux, des grognements. Des griffes dans la roche. Une course silencieuse et menaçante qui se rapprochait.
Nova n’osa pas regarder en arrière. Elle ne voulait pas voir ce qui les chassait. Pas maintenant.
Elle courait, le souffle court, guidée par la main d’Elian et une terreur viscérale, celle qui vous pousse à avancer même lorsque tout hurle de s’arrêter.
Tout ce qui importait était qu’ils s’en sortent vivants.
Elian est trop mignon quand il confie ses sentiments à Nova. Mais je sais pas pourquoi, je m’imagine une certaine ambiguïté dans ses propos. Est-ce voulu ou pas ?
Mais je dois me faire des idées 🙈