Alan traversait le long couloir où les élèves s’entassaient avant que le premier cours commence. Comme toujours, ceux qui le remarquaient le méprisaient avec violence. À son plus grand regret, depuis qu’il était rentré au lycée, « Ribes » lui avait encore plus empoisonné la vie…
Il entendit une brève sonnerie et il sortit son vieux téléphone. Une antiquité comme tout le monde disaient, mais qui le satisfaisait amplement. Des cadeaux, il n’en avait jamais. Pablo le lui avait offert la dernière fois qu’il avait pu venir à Marseille. Et encore, il devait le planquer pour que Marika ne le trouve pas. C’était d’ailleurs son oncle qui lui envoyait un message, il partait en haute mer le jour suivant. Il souffla désespérément, il allait de nouveau se sentir seul pendant plusieurs mois.
En arrivant devant sa salle, il se mit à l’écart et jeta son sac à dos déguenillé contre le mur. Il resta sur son téléphone en jouant pour faire passer le temps. Il se demandait pourquoi il prenait encore la peine de venir. Une voix sèche et autoritaire l’interpela :
— Alan Ribes.
Il releva les yeux avec flegme vers le conseiller principal d’éducation devant lui. Qu’est-ce qu’il lui voulait encore ? Il ne s’était pas battu ces derniers temps et il n’avait pas été la tête de con de certains profs récémment. Qu’est-ce qu’il avait trouvé cette fois à lui reprocher ? Il répondit avec hargne et méfiance :
— Quoi ?
— Viens avec moi.
Il ramassa son sac et le suivi sans rien dire. Son prof allait le compter absent d’office, mais il ne s’en préoccupait pas. De toute manière, c’était lui qui gérait le courrier. Sur son chemin, les rires se levaient dans son dos, comme à chaque fois que le CPE ou les pions l’embarquaient. Rien d’inhabituel en soi, ils faisaient partie de ceux qui estimaient que « Ribes » ternissait l’image de leur établissement. Des conneries, c’était un lycée des quartiers nord, sa réputation à la base était déjà pourrie…
C’était quoi le pire ? Que seul son oncle Pablo se souciait vraiment de lui alors qu’il se trouvait à Brest et passait plus de temps en haute mer que sur terre ? Qu’il n’avait jamais eu confiance en Marika ? Qu’il ne pouvait plus trainer tranquillement sans transpirer en entendant les guetteurs hurlés ? Encore quatre mois et tout allait enfin prendre fin. En rentrant dans le bureau du CPE, il lui indiqua :
— Installe-toi Alan, j’ai pas mal de choses à te dire.
Il s’exécuta non sans jeter son sac à côté de la chaise. Il s’écrasa sur celle-ci en fourrant ses mains dans ses poches et se laissa glisser sur le dossier. La méfiance et la défiance ne le quittaient jamais. Alan demeura sceptique, le CPE ne tirait pas la même tête que d’habitude. Pourquoi il ne se montrait pas dédaigneux comme il le faisait toujours ? Cependant, ce fut plus fort que lui, il demanda :
— C’est quoi l’histoire cette fois ?
— Reste correct Alan, reprit-il avec un tic d’agacement. Je suis venu te chercher pour te parler des résultats du test que tu as passé, ceux de la journée de prévention des rêves conscients.
— Je ne vois pas pourquoi je devrais l’être. Si c’est un prétexte pour me rappeler que je suis bon qu’à suivre les traces de mon « père », je préfère me barrer.
— Non ! Attends Alan ! arrêta-t-il alors qu’il se levait. Tes résultats ont été excellents ! Du jamais vu d’après ce qu’on m’a dit ! Ton dossier est arrivé à la HDC et quand elle l’a traité, Monsieur Polen a demandé à te rencontrer. Il veut te faire passer des évaluations plus poussées en personne !
— Vous me prenez à ce point pour un con ? C’est bien trop beau comme histoire pour que ça soit vrai.
— Non, non ! Rassis-toi et regarde ça !
L’homme lui glissa sur le bureau une épaisse pile de papier. C’était que des conneries, il n’avait pas d’avenir. La HDC ? Pourquoi irait-il s’emmerder avec un gamin de banlieue ? Ils ne connaissaient pas ce que signifiait son nom eux… Pourtant, en jetant un œil sur la première feuille, c’était bien leurs logos sur l’entête. C’était quoi cette histoire ? Il reprit place, un peu plus enclin à l’écouter.
— Ces formulaires prouvent que je ne te dis pas ça pour te faire plaisir. J’ai déjà prévenu que je te gardais toute la matinée pour qu’on les remplisse. C’est une chance que tu ne peux pas laisser passer.
Alan resta muet, il était vraiment sérieux ? Impossible… Pourquoi ça arrivait quatre mois avant sa décision ? L’espoir, quelle belle merde. Il commença à feuilleter et survoler le dossier qui se trouvait devant lui. Il n’avait peut-être que dix-sept ans, mais il savait très bien lire et comprendre l’administratif, souvent imbuvable à ses yeux. Pendant qu’il pensait en revue les pages avec plus de sérieux qu’il ne l’aurait voulu, le CPE lui précisa :
— Par contre, il y a un problème. Tu es encore mineur. Il te faut une autorisation parentale pour faire les prochains tests et te rendre à Paris.
— Ouais, j’ai vu, marmonna-t-il sans lever les yeux.
— Le domaine des rêves possède une règlementation stricte, en particulier envers les mineurs. Sans ça, tu ne pourras pas rencontrer Monsieur Polen. Si tu obtiens les signatures nécessaires, peut-être que tu pourras devenir un de ces Passeurs. En tout cas, ils ont l’air de dire que tu as un gros potentiel dans la matière.
Alan se figea dans ses gestes. Lui ? Un Passeur de rêve ? Il avait assez écouté durant la journée de prévention pour savoir que le siège de la branche européenne se trouvait à Berlin. Ça signifierait qu’il pourrait quitter la France, qu’il serait loin de tout et surtout de Marika… Le CPE l’informa :
— Si tu réussis les tests, tout est déjà prévu pour que tu puisses continuer tes études et être logé en Allemagne. En plus, je sais que tu es loin d’être un gamin stupide. J’ignore pourquoi tes notes sont en chute libre depuis l’année dernière, mais ton très bon niveau d’anglais joue aussi en ta faveur. Ça te sera nécessaire. Tu dois aussi décrocher ton bac.
La raison était simple, il ne se donnait plus la peine de bosser. A quoi bon se casser la tête pour un diplôme ? Ça ne servait à rien étant donné son objectif, mais là… Espoir de merde. Il se pencha sur son sac pour attraper le premier stylo qui lui passa sous les doigts. Il étala sur le bureau les sept formulaires et ouvrit chacun à la page qui nécessitait les autorisations parentales et la sienne. En comprenant son attention, l’homme l’arrêta :
— Non Alan ! Je ne peux pas te laisser faire ça !
— Je suis majeur dans quatre mois, indiqua-t-il en signant la première feuille. La seule réaction qu’aura Marika si je lui montre ces dossiers, ça sera de les déchirer sous mes yeux, expliqua-t-il en paraphant la deuxième. Si je ne savais pas parfaitement imiter sa signature, je serais déjà déscolarisé, avoua-t-il en continuant. Je suis qu’un « Ribes », vous voulez que je dégage, comme beaucoup d’autres, remarqua-t-il en levant un regard noir sur le CPE. Vous n’avez qu’à les comparer avec mon dossier d’inscription si vous n’avez rien à foutre.
— Alan tu…