Alan émergea doucement. Encore ensommeillés, ses yeux tombèrent sur son réveil : six heures quarante du matin. C’était rare qu’il s’éveille avant que sa montre ne vibre. Il valait mieux qu’il se lève maintenant, sinon il aura du mal… Une masse bougea légèrement dans son dos et il se figea avec un air perplexe. Après plusieurs secondes, il souffla bruyamment et s’assit au bord du lit en se frottant le visage. Qu’est-ce qu’il avait été naïf de penser qu’Hugo ne lui referait pas ce coup, même après dix ans ! Quelle idée de croire qu’il serait resté sur le canapé vu ce qu’il avait bu ! Encore aujourd’hui, il ne pouvait que constater que la modération, ne faisait toujours pas partie de son vocabulaire. Enfin, il était content de le retrouver et d’avoir mangé ensemble hier soir.
Il activa l’éclairage et son ami se retourna en grognant. Au moins, il ne dormait pas comme une souche cette fois. Hugo mériterait bien une bonne claque sur le crâne, mais il avait autre chose à penser. L’immersion à venir s’annonçait complexe. Alan se frotta une dernière fois les yeux et le secoua sans ménagement en le prévenant :
— Bouge-toi Hugo ! Gueule de bois ou non, je te mets à la porte quand je pars.
Il n’eut qu’un nouveau grognement en retour et il enfonça davantage sa tête dans les coussins. Alan pouffa légèrement avant de se lever. Cependant, il ne s’inquiéta pas, il connaissait la capacité d’Hugo à se préparer en un temps record. Ça l’avait toujours impressionné quand ils vivaient en colocation. En rejoignant la cuisine, il récupéra une tasse en même temps qu’il lança la commande :
— Système, lance Deutsche Welle sur l’écran secondaire.
Une petite télévision intégrée dans le mur s’alluma et il soupira devant son réflexe. Techniquement, il devrait éviter d’écouter les infos pour garder l’esprit clair, favorable à son immersion. La base même de son métier. C’était d’autant plus vrai lorsque ça concernait la recherche d’informations. De plus, vu l’heure, ce n’était pas encore le bulletin général. Ça lui fera un bruit de fond.
Pendant que son café coulait, il récupéra la bouteille de vin vide sur le plan de travail et la déposa dans le bac à ses pieds. Il alla chercher son téléphone, Ayana avait peut-être laissé un message dans la nuit. Il se réjouit en découvrant la notification à son nom arrivé vers trois heures du matin :
— Comment vas-tu ? J’atterris vendredi à Berlin à seize heures trente, j’ai reçu mon billet de retour dans la journée. Normalement, c’est la HDC qui me récupère, je te tiendrais au courant. Biz, je t’aime, Aya.
— J’ai passé la soirée avec Hugo, ça fait du bien un peu de compagnie, mais tu me manques, répondit-il aussitôt. Vivement que tu rentres ! J’espère qu’on pourra se retrouver sans trop de peine. M. Polen m’a placé sur deux gros dossiers, je ne sais pas encore à quel point ils vont me prendre du temps. Je t’en dis plus quand je peux. Je t’aime ma belle, tu me manques vraiment.
Un sourire naquit quand il envoya son message. Vraiment, cette nouvelle lui donnait du baume au cœur. Ça ne faisait que le motiver à gérer le mieux possible ses dossiers, la semaine passera plus vite. Il retourna à la cuisine pour récupérer son café tout en consultant brièvement ses emails. Il claqua la langue d’agacement, mais comment les banques arrivaient-elles à obtenir son adresse personnelle ? De vrais vautours avec les Passeurs… Enfin, les revenus annuels qui pouvaient atteindre sept chiffres n’aidaient pas. Il commença à tendre l’oreille sur le débat qu’était diffusé :
— C’est tout de même sidérant qu’Europol et Interpol rendent publique une enquête sans pour autant connaitre réellement l’identité de l’individu qu’ils recherchent ! Ce sont des entités qui procèdent pourtant dans l’ombre !
— C’est vrai, mais ce cas-ci relève d’un tout autre niveau. Nous avons là un criminel qui a été classé à l’échelle internationale. Pas un seul pays ne possède pas des avis de recherches le concernant. Il sévit depuis plus de dix ans avec une facilité déconcertante.
— Les autorités indiquent qu’il agit sur le territoire allemand actuellement, son mode opératoire a été repéré sur ce qui semblait être un accident.
— Il porte bien son surnom, le…
Une notification sur son téléphone attira vivement son attention. Un renouvellement d’abonnement, rien d’important, soupira-t-il avant d’avaler d’une traite la fin de sa tasse et la déposer dans l’évier. Il allait tout de même vérifier qu’Hugo ne s’était pas rendormi avant de passer à la salle de bain. Sans être vraiment surpris, il constata qu’il ne s’était toujours pas levé et qu’en plus, il avait investi tout le lit. Alan se pinça l’arête du nez. Ça l’agaçait, mais ça lui rappelait aussi avec amusement leurs années de faculté. Il connaissait ses habitudes par cœur et il était temps qu’il intervienne s’il ne voulait pas se mettre en retard. Il attrapa le drap et le tira vivement en le prévenant une dernière fois :
— Hugo, bouge-toi le cul sinon je te fais un réveil du coq !
— Ouais, c’est bon, j’ai compris, marmonna-t-il en roulant jusqu’au bord.
Un petit rire lui échappa. Quand il s’agissait de trouver des idées affreuses pour réveiller les fêtards durant leurs années d’études, ses anciens colocataires étaient unanimes : il était le pire. Il restait toujours aussi fier de tous les avoir tirés du lit un lendemain de soirée en faisant chanter un coq sur les enceintes de l’appartement.
Il rejoignit la salle de bain après s’être assuré qu’Hugo s’était bien levé. Il garda la main quelques secondes sur la poignée, puis il verrouilla la pièce. Il voulait prendre sa douche tranquillement sans qu’il débarque à l’improviste juste pour se venger du réveil qu’il lui imposait.
En sortant du dressing, il retrouva son ami dans la cuisine avec un café. Il paraissait avoir les plus grandes peines du monde à maintenir ses yeux ouverts. Sans doute à cause d’une belle gueule de bois. Hugo n’avait pas fait semblant hier alors qu’il ne s’était contenté que de deux verres en mangeant. Au moins, il s’était habillé. Il lui remarqua :
— Tu retourneras te coucher quand tu seras rentré chez toi. Après tout, t’es en congé.
— C’est vraiment chiant de pas pouvoir rester chez toi, marmonna-t-il d’une voix encore ensommeillée. J’aurais eu qu’à laisser tes clefs dans la boite.
— Tu vas activer les alarmes sans le vouloir dès que je vais fermer.
— Tu ne peux pas avoir une serrure comme tout le monde ?
— Faut quand même se dire que les boitiers de sécurité, c’est pratique de plus trainer un trousseau…
— Ce qui est pratique, c’est d’être blindé ouais…
— Ah non ! Ne commence pas avec ça ! prévint-il avec une pointe d’agacement. Je pars dans trente minutes, tu as le temps d’émerger encore un peu.
Hugo soupira sans se cacher tandis qu’il alla récupérer ses affaires. Il détestait qu’on lui rappelle qu’il était fortuné. Ce n’était certainement pas pour ça qu’il s’était démené pour obtenir le titre de Passeur et son ami le savait pourtant très bien ! En prenant sa tablette, il remarqua qu’il n’avait reçu aucune notification. Pas de changement de plan de dernière minute, c’était appréciable. Il la glissa dans sa veste et récupéra son étui presque vide en soufflant. Ça allait être nécessaire qu’il fasse le plein cette fois, mais il en avait assez pour la journée. Il aurait dû y penser hier en revenant du judo avec Hugo. Après un bref coup d’œil à sa montre, il se sortit une cigarette, il avait le temps. En plus, trois heures de route l’attendaient avec probablement aucun arrêt.
Il se rendit sur le balcon en claquant la baie vitrée derrière lui. Le vent soufflait, mais le ciel semblait enfin se dégager un peu. Du moins, il ne pleuvait pas. Il ferma les yeux en crachant sa fumée, à écouter le fond sonore. Garder l’esprit clair pour retenir le maximum d’informations durant une immersion… C’était bien grâce à sa mémoire inconsciente qu’il avait pu s’orienté dans cette branche. Doucement, il retrouva le sentiment de rentrer dans une bulle, loin de tout.
Il sursauta en entendant cogner dans la vitre derrière lui. En se retournant, il découvrit Hugo qui s’amusait de l’avoir surpris ainsi. Une grimace d’agacement lui échappa et d’un bref regard à sa montre, il écrasa aussitôt sa cigarette. C’était l’heure qu’il descende au pied de la résidence avant que son chauffeur arrive. En rentrant, il précisa à son ami :
— C’est bien que tu sois prêt, je dois y aller.
— Ouais… Je me demande si je vais pas taper un somme dans la voiture avant de partir.
— En même temps, tu n’aurais pas mis la main sur une bouteille de whisky, tu serais un peu plus frais !
Hugo ne lui tira qu’une grimace en retour à son plus grand amusement. Il ne changeait pas. Hugo se plaignit une nouvelle fois de son système de verrouillage. Selon ses dires, en plus de couter un bras, il s’avérait trop contraignant. Alan préféra laisser la remarque couler cette fois. C’était surtout Ayana qui l’avait réclamé, mais il n’avait pas été contre non plus. Lorsqu’il déposa sa main sur le boitier, son ami commenta :
— N’empêche, tu as bien réussi, tu as du mérite. Rien à voir avec les vaniteux que je peux côtoyer.
— Toi aussi, renvoya Alan. T’as un nom dans le journalisme politique. Je ne sais pas si tu rends compte, mais tu les fais transpirer quand ils découvrent que c’est toi qu’ils rencontrent, se moqua-t-il dans la foulée.
— Je ne dirais pas le contraire, j’aime bien leur faire échapper ce qu’ils ne veulent pas avouer. Y’a bien qu’avec toi que je n’y arrive pas… On ne devrait même pas se côtoyer à cause de la HDC.
— J’admets… Mais tu restes mon pote avant tout. De toute manière, tant que je ne fais rien fuiter, ils ne peuvent rien dire.
— Mouais… Je me méfierai quand même. En tout cas, j’évite tout ce qui touche à la HDC, même de loin. Je n’ai pas envie de me prendre un procès perdu d’avance.
Alan haussa simplement les épaules en rentrant dans la cage d’ascenseur. Il ne pouvait pas le contredire ce point. La société s’avérait punitive quand il s’agissait de régler des litiges et le mot lui paraissait bien faible. C’était d’autant plus vrai lorsque ça concernait des Passeurs. Il devait reconnaitre qu’ils se tenaient tous à carreaux depuis la révocation sévère de l’un d’entre eux à la branche chinoise. La HDC ne tolérait aucun écart et encore moins aux médias qui cherchait à nuire. Elle gardait le contrôle total de son image.
Au moment où il fit signe à Hugo qui retournait à sa voiture, il remarqua une berline se garer devant le trottoir. Il resta perplexe, ce n’était pas le même véhicule que d’habitude. Il ne s’y connaissait pas spécialement en automobile, mais celle-ci semblait de toute évidence puissante. De plus, elle possédait une plaque d’immatriculation diplomatique. Il savait que le trajet s’annonçait long, mais c’était bien la première fois qu’on lui faisait le coup. Son téléphone bipa. Il le sortit de sa poche pour jeter un œil. Un message d’un numéro inconnu avec un unique mot : « monte ». Il grimaça, charmant comme accueil. Cependant, il s’exécuta. En s’installant à l’arrière, il signala :
— « Bonjour », serait la moindre des politesses étant donné le temps qu’on…
Il ne termina pas sa phrase en remarquant qu’il n’y avait que le conducteur. Un agent de sécurité ne devait pas l’accompagner ? Un étrange malaise s’empara aussitôt de lui. Ce n’était pas la situation, mais la présence même de cet homme qui lui répondit avec ironie en se tournant vers lui :
— Bonjour Alan. C’est moi qui m’occupe de toi aujourd’hui.
Mateus Müller ? L’agent personnel de Simon ? Il resta dubitatif devant cette armoire à glace blonde aux cheveux courts et aux yeux bleus. Son accent allemand était toujours aussi insupportable à entendre. Il arborait également un costume qui distinguait sa fonction au sein de la HDC. Cependant, il était le seul à faire une entorse au code en portant un col qui cachait son cou en toute circonstance. Oh que le trajet s’annonçait loin. Il avait du mal avec ce mec trop arrogant. Sa question fusa aussitôt :
— Mais c’est quoi ce plan encore ?
— Simon a tenu que ce soit moi qui me charge ta sécurité pendant ton intervention, indiqua-t-il simplement en se retournant.
— Mais, il n’y a pourtant pas eu de changement de programme pour le chauffeur hier soir ! Même si vous êtes mon agent, il aurait dû nous emmener ensemble !
— Exact, ça aurait dû se passer comme ça. Sur un coup de tête, j’ai appelé ce matin pour annuler la course. Quitte à faire trois heures de route, je préfère conduire avec une des voitures de la HDC.
— Vous me donnez vraiment l’impression de faire ce qui vous plait…
— Ah mais c’est le cas ! Je fais ce qu’on me demande, mais à ma manière, approuva Mateus sans la moindre retenue. Le trajet ne fera que deux heures, voire moins.
— C’est donc pour éviter les contrôles la plaque diplomatique…
— Les limites de vitesse, c’est chiant. Je préfère te prévenir Ribes, j’ai la conduite sportive.
Alan tiqua, mais resta discret. Il détestait qu’on l’appel comme ça et Mateus avait une façon de prononcer son nom en insistant sur le « bes » qui l’horripilait. Rien à voir avec son accent, mais l’intonation l’insupportait. Cependant, il devait bien lui concéder un point :
— Je n’en doute pas. Vous ressemblez à un homme à tout faire. Ça se voit au premier coup d’œil.
Alan sentit l’atmosphère s’alourdir dans l’habitacle. Il détestait vraiment le malaise que Mateus générait par sa simple présence. Même monsieur Polen qui renvoyait un sentiment similaire ne se révélait pas aussi angoissant. Il n’avait pas besoin de ça avec l’immersion à venir. Mateus lui demanda sur un ton devenu froid :
— Et qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— C’est évident. Vous êtes une armoire à glace en plus d’être l’agent de sécurité de monsieur Polen. Loin du genre de type qui aime faire de l’administratif… Vous semblez même vouer une passion à agacer Abigaïl quand vous êtes présent au siège. Vous venez aussi de me confirmer que vous préférez contrôler la situation… Je me demande si vous n’étiez pas un ancien militaire, peut-être gradé.
— J’oublie trop souvent la capacité d’observation des Passeurs, commenta-t-il d’un ton blasé. J’étais à l’armée avant de rejoindre la HDC. Et qu’est ce que tu pourrais dire de plus ?
— Je n’ai pas envie de creuser plus loin. Déjà que je ne suis pas fan des immersions avec les militaires …
— Tiens ? Et pourquoi ?
— Secret professionnel, coupa court Alan d’agacement.
Il constata que la tension qui régnait dans l’habitacle diminua après sa réponse. Il avait déjà pu observer ce genre de fluctuation étrange avec Simon, mais Mateus paraissait plus « expressif ». Il ignorait toujours comment nommer ça et sentait que ce n’était pas la question la plus intelligente au monde à leur poser. L’homme émit un bref rire avant de commenter :
— On te tire pas les vers du nez comme ça toi.
— Encore heureux, je tiens à garder mon métier. Il me semble savoir que c’est ce qu’apprécie le plus Monsieur Polen.
— Pas faux. Pourtant j’en doutais à l’époque.
Sale con, pensa-t-il en retenant un ricanement nerveux. De son côté, sa première impression de Mateus n’avait toujours pas changé. Les gens évoluent, mais lui il était plutôt le genre de type à rester campé dans sa prétention. C’était assez glaçant de voir la synergie qu’il avait avec le PDG. Ils agissaient déjà ensemble avec brio quand la HDC ne représentait qu’un petit laboratoire de recherche.
Mateus s’engagea sur le périphérique un peu chargé par l’heure de pointe. Alan sortit sa tablette, avec de la chance, son dossier avait reçu une mise à jour qui lui permettrait d’obtenir de plus amples informations. Au bout de quelques secondes, il se sentit s’enfoncer dans son siège à cause de l’accélération tandis que son chauffeur commençait à slalomer entre les voitures. Il releva les yeux pour regarder à l’extérieur. Étrangement, sa conduite ne lui donnait pas un sentiment d’insécurité. Il devait surement savoir piloter tout ce qui possède des roues… Il cessa de porter son attention à la route et se plongea dans son dossier.
Il soupira. Sans surprise, il n’y avait rien de nouveau. En réfléchissant, c’était peut-être bien la première fois depuis qu’il exerçait qu’on lui fournissait aussi peu de données sur le rêve qu’il allait pénétrer. Un ancien membre du Guoanbu… Il sentait que sa mission n’allait pas être une promenade de santé et qu’il risquait d’en voir de tous les couleurs. Peut-être qu’en interrogeant le fils qui avait commandé l’immersion, il pourrait lui en dire plus. Du moins, ce qui l’intéressait, c’était de connaitre l’état émotionnel de monsieur Wang avant son AVC et de potentiels faits marquants dans sa vie. Le premier paramètre lui donnerait le « ton » du songe et le second, une idée de sur quoi il pourrait tomber.
Il souffla en baissant sa tablette. Tant de détail comme la personnalité, le métier, le cadre de vie ou encore les relations familiales pouvait influencer un rêve. À ses yeux, les cas de patient placé en coma paradoxal artificiel s’avéraient les plus complexes à cerner. Son regard se perdit sur le paysage qui défilait à toute vitesse. Ils allaient bientôt quitter le périphérique, remarqua-t-il en rangeant son outil.
A priori, il disposait de deux bonnes heures avant d’arriver. Il se laissa un peu glisser dans l’assise du siège en posant la tête contre la fenêtre. Il pouvait bien passer en état de semi-conscience. Penser le moins possible avant l’immersion n’était pas une mauvaise idée. Il observa la ville disparaitre progressivement en se concentrant sur sa respiration. Lente et longue, imperturbable comme la Méditerranée. Ses yeux se fermèrent d’eux-mêmes tandis que les vibrations de la voiture le berçaient. Sa réflexion devint minimale. Sa perception s’amenuisa. Le temps perdit son sens.
Une franche accélération le tira de son état en même temps qu’il s’écrasa au fond de son siège. Il aperçut tout juste le panneau blanc à trois traits noirs : « L’autobahn ». Le paysage parsemé de pin devint flou au fur et à mesure que la vitesse s’élevait. Il préférait retrouver la mer… Il soupira en se redressant, sa méditation n’avait pas duré longtemps à cause de Mateus. Il ne voyait pas son compteur et après réflexion, c’était peut-être mieux que ça reste ainsi. Alan se moqua de sa conduite :
— Vous formez un train ?
— Nan. S’ils essayaient de me suivre, je serais la tête, commenta-t-il en jetant un œil à ses rétroviseurs. Y’en a beaucoup qui font les marioles avec leurs grosses voitures, mais qui ont peur de vraiment écraser… Et encore, c’est pas la mienne, l’électronique bloque la vitesse max.
— Je suis d’avis que vous allez déjà trop vite.
— Tu veux savoir à combien je suis ?
— Non merci. Vous pensez arriver dans combien de temps ?
— Une heure et demie au plus tôt.
— Ok. Évitez de me secouer pendant les dix minutes qui vont suivre, demanda-t-il en programmant un minuteur sur sa montre. Une fois le délai passé, vous pouvez conduire comme bon vous semble, ça ne réveillera pas.
— Tiens ? Je ne me rappelais pas que tu faisais partie des rêveurs qui rentrent dans une bulle paradoxale.
Alan releva les yeux avec étonnement. Que Mateus travaille à la HDC était une chose, mais qu’il connaisse aussi bien le jargon des Passeurs alors qu’il était un agent de sécurité, c’était surprenant. La notion exacte était « l’isolation en phase paradoxale », la bulle pour faire plus simple. C’était même assez complexe à décrire où expliquer dans le détail. Soit il cachait bien son jeu, ou bien le fait qu’il accompagnait monsieur Polen depuis le début induisait qu’il maitrisait le sujet. Cependant, il préféra confirmer :
— Oui, presque aucun facteur extérieur ne peut m’en tirer. Il n’y a que les vibrations et les réveils de force qui marche.
— Ok, je vois le genre…
Alan s’installa confortablement, mais il demeurait perplexe face à la froideur qu’il venait d’entendre. Néanmoins, il ne s’en préoccupa pas et il reprit la position qu’il avait un peu plus tôt en reposant sa tête. Il se laissa glisser doucement dans le grand vide que l’esprit pouvait créer. Après plusieurs minutes, il se sentit sombrer.