Alan se glissa dans l’habitacle luxueux et soigné, le cuir blanc des sièges restait éclatant. Il trouvait ça étonnant qu’il s’était habitué à une vie aussi aisé même s’il ne se sentait pas toujours à l’aise. Il salua l’homme qu’il reconnut au premier coup d’œil :
— Bonjour Warren !
— Bonjour monsieur Ribes, comment allez-vous ?
— Très bien, merci, indiqua-t-il en bouclant sa ceinture.
— Notre destination est bien la clinique ouest de la HDC aujourd’hui ? s’enquit le chauffeur. D’habitude, je vous dépose au siège.
— C’est bien ça, je dois refaire une évaluation ce matin. Normalement, je devais m’y rendre après, mais il y a eu du changement. J’attends d’en savoir plus.
— Et bien, allons-y, indiqua-t-il en démarrant. J’obtiendrais aussi sûrement des modifications de planning dans la matinée.
Alan sortit à moitié sa tablette pour vérifier qu’il n’avait pas reçu de notification. Elle avait beau être à la pointe de la technologie et exclusivement développée par la multinationale, son absence de son s’avérait être son plus gros défaut. Étant donné qu’elle ressemblait à une plaque épaisse en verre, il ne trouvait pas cela si étonnant qu’elle ne soit pas encore parfaite. Toujours rien, soupira-t-il en la laissant glisser dans la poche. Il aimerait savoir assez vite comment sa semaine allait se présenter… Il ne connaissait que trop bien cette situation. Ça sentait un dossier de dernière minute pour un particulier ou autre.
Il s’accouda à la fenêtre en se perdant dans ses pensées, le trajet ne s’annonçait pas très long. Depuis six ans, ce genre de situation arrivait de temps à autre, mais depuis l’année dernière, cela devenait de plus en plus régulier. Parfois même quand il se trouvait à l’étranger. Il ne s’en plaignait pas, mais il ne comprenait pas pourquoi monsieur Polen lui attribuait ces dossiers en priorité plus qu’à un autre Passeur. Une question de compétences et de confiance, supposa-t-il. Il n’oubliait pas qu’il devait beaucoup à cet homme.
Il entendit son téléphone sonner. Aussitôt, il le sortit en ayant reconnu à qui appartenait ce son de notification. En allumant l’écran, il découvrit sans surprise : Hugo Stein. Son grand taré préféré se réveillait enfin après une semaine de silence radio ! Il ouvrit la conversation en lisant :
— Je suis de retour ! Dis-moi que tu te trouves pas l’autre bout de l’Europe en ce moment !
— Enfin un signe de vie ! J’ai cru que j’allais devoir passer chez toi pour vérifier ! ajouta-t-il dans un second message. Tu étais en déplacement ?
— Oui, je suis rentré hier, répondit Hugo assez vite. Tu aurais dû passer dans la soirée, je me trouvais en charmante compagnie ! Je suis sûr que tu aurais adoré.
— Ouai, mais non… Et épargne moi les détails, je vois que tu es déjà en train de les écrire ! s’empressa-t-il d’ajouter. Je suis rentré de Stockholm fin de semaine dernière et je suis à Berlin ce main. Après j’en ai aucune idée.
— Etonnant ça… Tu penses que tu pourras aller à l’entrainement ce soir ?
— Je sais pas. Je te dis ça quand j’aurais mon nouveau planning.
— Laisse moi deviner, tout est déprogrammé et tu vas probablement partir à l’autre bout du pays demain ?
— Quel sens de la déduction ! écrit-il après avoir retenu un petit rire.
— Tu me blases tu sais ? Tiens, je pense à ça, Ayana est rentrée ? ajouta-t-il dans un autre message.
— Pas encore, elle attend son billet d’avion.
— Ok, tant mieux ! Hey mais attend ! réagit-il à nouveau. Si je veux squatter chez toi, faut pas que je tarde !
Alan releva les yeux et réprima un rire en posant une main sur sa bouche. Il ne perdait pas le nord, comme toujours ! Son ancien colocataire et véritable ami de longue date restait fidèle à lui-même bien qu’ils aient choisi des professions radicalement opposées. Il remarqua qu’il approchait de la clinique. Il répondit rapidement :
— Je te laisse, j’ai un truc à faire. Je te dis pour l’entrainement ce soir quand j’ai du nouveau.
Warren s’arrêta devant le seuil du bâtiment. Alan se dépêcha de rejoindre le hall et de se rendre à l’accueil. Il remarqua vite que l’attention générale s’était posée sur lui. Que ce soit le public où les professionnels, il comprit qu’il venait encore de faire une entrée distinguée sans le vouloir. Le blazer et la veste, soupira-t-il en la rajustant celle-ci. Même après six ans de métier, il n’arrivait pas à s’y habituer. Il se dirigea vers le bureau central sans se préoccuper davantage des nombreux curieux autour de lui. Lorsqu’il se présenta à l’accueil pour informer la raison de sa visite, la jeune femme le devança avec un grand sourire qui lui parut charmeur :
— Bonjour Monsieur Ribes, nous vous attendions !
— Bonjour, retourna-t-il d’un ton neutre. J’ai un peu d’avance pour mon rendez-vous.
— Ce n’est pas grave, indiqua-t-elle d’une voix mélodieuse en quittant son poste sous le regard médusé de sa collègue. Je vais vous accompagner jusqu’à la salle d’attente du docteur Schröder…
— Ça ne sera pas nécessaire, coupa-t-il sèchement en appréciant pas cette attention déplacée. Je sais très bien où je dois aller. Permettez-moi juste d’accéder à l’espace.
Du coin de l’œil, il la vit pincer des lèvres, déçu de son refus catégorique. Il ne supportait pas ce genre de comportement, mais nul n’ignorait la réputation des Passeurs et le prestige que cela apportait. À défaut de comprendre ce qu’ils accomplissaient vraiment… Non seulement il détestait ça, mais en plus, il préférait ne laisser place à aucune ambiguïté. La jeune femme à qui il venait couper tout espoir de faire de plus amples connaissances l’accompagna jusqu’au sas d’accès réservé aux patients. Avant de rentrer dans le couloir, il la remercia d’un ton neutre sans lui porter plus d’attention.
Il rejoignit le petit espace d’attente, il savait où aller après tout. Il apprécia que l’endroit soit vide, il se sentait au moins à l’abri des regards. Plusieurs de ses homologues adoraient se trouver au-devant de la scène, mais lui il préférait rester dans les coulisses. Sa nature discrète ne l’avait jamais quitté. Il tira un peu sa tablette de la poche de sa veste pour vérifier encore une fois qu’il n’avait pas reçu de nouvelles données. Il souffla, il détestait se trouver dans le flou comme ça. Il n’eut pas le temps de s’assoir qu’il entendit derrière lui :
— Bonjour Monsieur Ribes ! Nous pouvons commencer si vous le souhaitez.
— Docteur Schröder, salua-t-il simplement en se retournant et en lui tendant la main. Je vous suis. Mon planning est chargé, mentit-il pour expédier l’évaluation.
— Effectivement, plus vite je vous donnerais les résultats de vos tests, plus vite vous pourrez rependre.
— C’est bien ça, admit-il même si la vérité était autre.
— Suivez-moi, la salle est prête.
Alan lui emboîta le pas. En rentrant dans la petite pièce, il découvrit un fauteuil comparable à ceux des dentistes au centre. Il esquissa un léger sourire à sa vue. Comme chaque année lorsqu’il renouvelait le test, il se faisait la même réflexion : il ressemblait un peu à l’Amplificateur. Le médecin lui présenta le siège de la main et il alla prendre place après avoir retiré sa veste ainsi que sa cravate. L’homme tira un chariot de matériel jusqu’à lui pendant qu’il retroussa une de ses manches. Il s’installa sur son tabouret avant de se tourner vers son ordinateur. Après avoir ouvert un dossier, il indiqua :
— Je vois que c’est la sixième fois que vous effectuez le test de stress, j’imagine que je n’ai pas besoin de vous réexpliquer la procédure.
— Non effectivement. En vérité, votre collègue, Docteur Gassner, qui me les fait passer habituellement, ne prenait plus la peine de me poser les questions nécessaires, s’amusa-t-il en terminant de s’installer.
— Cela ne m’étonne pas de lui lorsqu’il connaît bien ses patients. Je vais tout de même vous interroger pour m’assurer que les données du dossier sont correctes et pour me permettre d’apprendre un peu plus à votre sujet.
— Bien sûr, allez-y.
— Alors, Alan Ribes, né le vingt-trois juillet 2010 à… Marseille, lut-il avec difficulté. En France ? s’étonna-t-il en lui jetant un regard étonné.
— Marseille, corrigea-t-il la prononciation. Je suis titulaire de la double nationalité allemande depuis 2034. Cela pose un problème Docteur ?
— Non, non. Cela m’a juste surpris. Vous n’avez pas d’accent.
— Encore heureux que je n’en ai plus. Je vis en Allemagne depuis douze ans et en plus je suis trilingue…
Alan se retint de soupirer d’un air blasé. Il comprenait bien que les tensions entre les deux pays ne le favorisaient pas lorsque son lieu de naissance ou même sa double nationalité étaient indiqués quelque part. Malheureusement, il avait pris l’habitude de ce genre de réaction. Il n’était pas aveugle, le médecin répondait à son devoir de neutralité, mais il détenait clairement son opinion sur le sujet. L’homme continua tout de même :
— Les résultats de votre précédente évaluation sont remarquables. Vous possédez une très bonne résistance ! Je constate également que votre temps de retour de force s’avère assez court, tous les Passeurs n’ont pas cette facilité.
— Merci.
— Nous allons voir si c’est toujours le cas… Vous avez refusé l’utilisation approfondie de vos souvenirs pour le test ? demanda-t-il pour s’assurer de ce qu’il lisait.
— C’est bien ça.
— Pourtant les résultats deviennent bien plus précis de cette manière, expliqua le médecin.
— Je sais, mais ceux que j’ai obtenus jusqu’à maintenant l’étaient aussi.
— Vous êtes sûr de vouloir maintenir ce choix ?
— Écoutez, ça ne concerne que moi et je n’apprécie pas que l’on me force la main. De plus, je suis spécialisé dans la recherche d’informations. Ma mémoire est soumise au secret professionnel et j’ai des souvenirs d’immersions que je ne tiens pas à raviver.
Le médecin ne répondit pas sur l’instant. Sa voix n’équivalait pas à la sienne, mais elle se révélait tout aussi importante. Ce dernier capitula sans insister et lui proposa de débuter le test. Alan se décala légèrement sur le côté droit pendant que l’homme effectuait ses mesures de base pour connaître son état au repos. Après quelques minutes, il lui tendit une sorte de casque. Il s’équipa et avant même que le médecin ne le lui demande et il commença à se laisser glisser dans le sommeil paradoxal. Le professionnel lui indiqua :
— Vous pouvez débuter. Je lancerai la simulation de cauchemar lorsque les machines détecteront votre phase.
Alan resta silencieux. Il l’avait entendu, mais il préférait ne pas répondre afin de préserver sa concentration. Progressivement, la noirceur que la visière du casque lui imposait se renforça, il tomba au fur et à mesure dans le néant le plus total. Il sentit de douces vibrations émaner autour de lui. Ça y est, il rêvait. Il se prépara mentalement, le test de stress était loin d’être une partie de plaisir, il le détestait même. Cependant, il ne pouvait pas y déroger. De plus, il avait atteint le niveau le plus élevé de l’évaluation, il avait jusqu’à maintenant très bien résisté aux premiers.