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63 - Épilogue
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Carmina-Xu

03

Une terrible sensation perça la tête d’Alan. Ça commençait, la simulation était lancée. Quel souvenir allait-il être contraint de revivre ? Même succinct, c’était insupportable. L’environnement se construisit autour de lui, image par image, telles des briques. C’était un modeste appartement surchargé, mais riche de vie comme la famille nombreuse qu’il abritait. Il reconnut Fatima qui s’affairait à repriser les vêtements de ses fils à une table tandis que six garçons de quatre à onze ans jouaient tous ensemble. Naël, Amir, Youssef, Kenzo, Yazid… et lui. Il observa cette scène comme s’il était un étranger, mais un pincement lui tordit le cœur. Il se trouvait insouciant quand il passait du temps ici… Malheureusement, le cauchemar allait commencer et cette fois, il s’annonçait affreux à ses yeux car il connaissait déjà la suite.

Plusieurs coups de sonnette insistants lui vrillèrent les tympans en le faisant sursauter. Toute une série de chocs sur la porte suivit avec fracas. Au même instant, le rêve se secoua sans que l’environnement en soit affecté. La première fracture, identifia-t-il en se couvrant les oreilles par réflexe. Il ne supportait pas ce son. Dans le salon, toute vie s’était figée. Le plus terrifié d’entre eux, c’était bien lui. La réalité s’imposait avec violence. Toute la fratrie s’échappa dans une chambre tandis que Fatima se leva avec peine. Ce petit gamin qu’il était restait pétrifié sur place. Quel âge avait-il déjà ? Six ans ? Il ne saurait plus vraiment le dire.

Il se décala pour laisser place à Fatima qui allait ouvrir la porte à celle qui tambourinait sans s’arrêter. Elle la déverrouilla lentement, un supplice à ses yeux. Une jeune femme, vingt-cinq ans tout au plus, apparut sur le seuil, poing levé, en s’apprêtant à frapper à nouveau. D’origine espagnole, ses longs cheveux noirs et sa peau mate renforçaient la dureté de son regard sombre. Marika. D’un œil sévère, elle toisa la mère de famille qui l’accueillait. Sans qu’elle ait prononcé le moindre mot, le petit Alan fila en espérant trouver une cachette dans l’appartement d’à côté. L’angoisse monta en lui, sa poitrine s’écrasa. Il devait suivre son reflet pour que la simulation se déroule correctement.

Il rejoignit la cage d’escalier tagué à son tour et passa à côté de celle qui commençait à s’en prendre à Fatima dans un dialogue silencieux. Il voudrait tant oublier son visage… Il rentra dans le logement voisin dont la porte était restée entre-ouverte. Aussitôt, l’affreuse odeur de cigarette qui stagnait dans l’air lui agressa les narines. Il était lui-même devenu fumeur à cause de ça, mais définitivement, il ne supportait pas la fumée dans un espace fermé. Comme toujours, l’appartement était bordélique, il n’avait pas d’autres mots pour le décrire. Son reflet, lui, avait disparu. Alan savait qu’il se cachait à côté dans la pièce qui lui servait de chambre.

Brutalement, tout grésilla et se parasita pendant quelques secondes. Son angoisse ne fit que se renforcer. Toute une multitude de signes annonciateurs existait pour détecter des résonances de souvenirs. En revanche, parmi celles qu’il avait vues durant sa carrière, celles qui se présentaient ainsi étaient souvent intenses. Des réminiscences, il en avait trop dans ce lieu. Il détourna les yeux dès la première anomalie qui se forma à partir de sa mémoire, comparable à une image subliminale. Il manquait au devoir induit par sa spécialisation, retenir tout ce qu’il pouvait apercevoir, mais ça, non, c’était impossible. De toute manière, rien ne pouvait prouver son écart.

Le phénomène devint de plus en plus violent. Il n’avait pas besoin de regarder pour deviner la quantité de séquence qui devait se dérouler autour de lui alors qu’il préférait rester aveugle. Il finit par s’accroupir en croisant les bras et en les serrant contre lui. Il devait le supporter, aller plus loin… Plus sa résistance sera élevée, plus les dossiers qu’il pourra traiter seront complexes. Un grand craquement retentit à travers le rêve en le déstabilisant, une nouvelle fracture. Le flot d’informations frénétique s’était subitement arrêté, mais il demeura amer en relevant la tête. Un fragment de sa mémoire s’était figé, comme mis en pause. Marika lui avait jeté un cendrier et lui, il se protégeait en se cachant la tête à défaut d’avoir le temps de l’esquiver. Au plus profond de lui, il voulait briser ce rêve artificiel, mais la simulation le lui empêchait.

Il décela une nouvelle singularité se former bien que ses sens étaient sérieusement perturbés par la situation : une distorsion de souvenir. L’angoisse empoisonnait ses pensées et le stress qui maltraitait son esprit. Il espérait que la base du phénomène serait l’attente. C’était le plus probable et il l’avait déjà subi sur un autre test. Autour de lui, tout s’émietta et il remarqua qu’il devenait un acteur des scènes qui allaient défiler. Il sentait qu’il ne pouvait plus contrôler ses gestes.

Bien trop intensément à son goût, la cage d’escalier se dressa comme une prison. Un homme aussi typé que Marika arriva et le découvrit avec étonnement, assis contre la porte. Pablo, son oncle. Tel un tourbillon qui l’emporta, l’environnement se transforma en un balcon par une nuit d’hiver. Assez… Encore une fois, tout trembla et il se retrouva les pieds sur le bord d’un toit d’immeuble. Assez ! Tout bascula à nouveau. Il se tenait assis sur une barrière au milieu d’un parc aussi délabré que les édifices qui l’entourait. Un appel souleva une profonde colère :

— Hey le Ribes !

— Assez ! hurla-t-il en ne supportant plus ses propres souvenirs.

Un grand bris de verre résonna violemment comme une réponse à sa détresse. En sentant qu’il était redevenu maître de ses mouvements, il regarda fébrilement autour de lui. L’environnement s’était fendu de part en part et les fissures ne faisaient que continuer leur chemin erratique. Une déstructuration ? se demanda-t-il en déglutissant. Il l’avait lui-même provoqué ou bien c’était la dernière phase du test ? Il ne se souvenait pas qu’il possédait ce phénomène. Il subit comme une compression sur tout son corps en même temps qu’une franche pression s’empara de ses tempes. Il saturait. Il allait le sentir passer à son réveil qui s’annonçait imminent. Sans crier gare, tout ce qui se trouvait autour de lui explosa.

Il se retrouva dans le néant qui l’avait accueilli avant que la simulation ne commence. Il se laissa flotter sans s’efforcer à se revenir à lui le plus vite possible. Il avait besoin de temps pour calmer son esprit, d’enfouir à nouveau tous ces souvenirs au fond de son âme. Lorsqu’il ouvrira les yeux, il redeviendra Alan Ribes, le Passeur de rêve, et non le Ribes des quartiers nord…

Doucement, la lumière ressurgit, grandement obstruée par la visière du casque. Il reprit connaissance et réalisa dans quel état il se trouvait : son cœur battait avec une telle force, qu’il avait l’impression qu’il allait sortir de sa poitrine. Des sueurs froides le lui coulaient dans le dos tandis que ses mains tremblaient encore malgré le temps qu’il s’était accordé. Il s’empressa d’enlever son casque. Définitivement, il détestait ce test ! Et il était contraint de le repasser tous les ans pour pratiquer ! Lorsqu’il parvint à retrouver son calme, le médecin qui était plongé sur sa tablette le félicita :

— Monsieur Ribes, vous êtes surprenant ! Seulement six minutes vingt-deux de retour de force pour l’évaluation de stress le plus poussé. Depuis que je suis habilité à les réaliser, vous êtes le premier à m’obliger à monter les seuils d’alertes ! Ils ont saturé sans que vous présentiez des signes de détresse ! Sur toutes les statistiques, vous possédez un haut niveau de tolérance. Cependant, je vous recommande de ne pas trop souvent les atteindre.  

— Quelles sont-elles ? demanda-t-il en se redressant difficilement du siège.

— Cent-quatre-vingts battements par minute pour le rythme cardiaque. Dix-huit de tensions artérielles et votre fréquence respiratoire a franchi la barre des soixante-dix. J’estime que vous pouvez cumuler les deux premières données pendant cinq minutes maximum avant un réveil forcé. Si le dernier paramètre dépasse les cinquante en plus des premiers, n’attendez pas ce délai.

— Bien, je vois. Elles n’ont pas beaucoup évolué…

— Le fait que vous pratiquez le judo à haut niveau aide à obtenir de bons scores. Comme à chaque fois, je vais transmettre les résultats complets à la HDC et ils vous remettront un certificat simplifié qui sera valable un an.

— Bien, je vous remercie.

Il se rhabilla rapidement et lorsqu’il revêtit sa veste, il remarqua que sa tablette à l’intérieur variait en couleur, des nuances de jaune. Une notification de réception de dossier. Il allait s’en occuper sur son trajet. Peut-être qu’il trouva aussi son emploi du temps. Après encore quelques échanges avec le médecin, il retourna à l’accueil. Il prit soin de ne pas jeter un regard vers le secrétariat afin d’éviter une nouvelle tentative d’accrochage.

Il se sortit une cigarette et accorda un bref signe à son chauffeur qui l’attendait déjà en restant sous le porche. En soufflant sa fumée, il pesta face à ce réflexe qu’il avait pris quand il se sentait sous pression. En plus, ça n’aidait en rien… Enfin, dans l’immédiat, il avait d’autres préoccupations, se souvint-il en pensant à sa tablette. Il écrasa son mégot après avoir terminé et se dépêcha de rejoindre la voiture sous la pluie battante. Il s’installa correctement en bouclant sa ceinture et sortit aussitôt son outil de travail. Au même instant, Warren lui indiqua :

— J’ai reçu de nouvelles directives durant votre rendez-vous Monsieur Ribes. Je vous ramène chez vous.

— Oui, je vois ça, confirma-t-il en regardant les informations qu’on lui avait transmises. C’est étonnant que ma journée soit libre.

Warren démarra pour effectuer le chemin du retour, mais Alan restait perplexe en lisant son planning. Rien n’était prévu aujourd’hui, cependant, demain était complètement bloquée par un dossier nommé « n103h »… Une affaire d’héritage, comprit-il en soupirant. Il savait que les demandes de particuliers constituaient celles qui rapportaient le plus à la société et plus précisément ces cas-là lui étaient accordés en priorité. Quand la gestion d’une succession arrivait à lui, c’était évident que la fortune derrière pouvait se révéler colossale. Néanmoins, ce qui le surprenait le plus était que toute la semaine concernait un dossier « n006x »

Il se retint de pester. Il avait déjà traité les cinq précédents et c’était de loin les affaires qui lui avaient donné le plus de fils à retordre. Le pire, c’est qu’il ne comprenait pas leur finalité. Il devait emmagasiner le plus d’informations possible et l’Amplificateur accomplissait le reste du travail. Monsieur Polen esquivait toujours habilement ses questions au sujet de ses dossiers. Il connaissait la nomenclature par cœur, mais le « x » demeurait inconnu. Il sélectionna le répertoire des ordres d’interventions et s’étonna en remarquant qu’il en possédait qu’une sur deux.

Il supposa que la seconde n’était pas encore finalisée. Il lança le fichier pour le lire, il avait assez de temps pour y jeter un œil avant d’arriver. Il découvrit, sans réelle surprise, une triple authentification : code, empreinte digitale et autorisation d’ouverture par le siège. De toute évidence, c’était un dossier sensible.

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