Les mains tremblantes de Jeanne caressaient la vieille photographie posée sur ses genoux. Le papier jauni et légèrement froissé portait l'image d'un jeune couple, souriant sous un ciel d'été. Elle savait que c'était important. Elle savait qu'il y avait quelque chose à ressentir. Mais elle ne se souvenait plus pourquoi.
Assis en face d'elle, Paul l'observait avec une tendresse teintée de tristesse. Il était son mari depuis cinquante ans, son roc, son complice. Chaque jour, il s'efforçait de lui rappeler leur histoire, mais c'était comme verser de l'eau dans un vase fendu. Peu à peu, les souvenirs s'écoulaient, laissant un vide douloureux.
— C'est nous, Jeanne, murmura-t-il en pointant du doigt la photo.
Elle leva les yeux vers lui, cherchant dans son regard un écho, une confirmation. Parfois, elle reconnaissait son visage, d'autres fois, il était un étranger bienveillant.
— Nous ? répéta-t-elle doucement.
Paul hocha la tête et lui raconta encore une fois leur première rencontre, leur mariage, les enfants qu'ils avaient eus. Il lui parlait comme on conte une histoire à un enfant, avec patience et amour. Jeanne écoutait, attentive, fascinée par cette vie qui aurait dû lui appartenir.
Un éclair de compréhension traversa son regard. Elle toucha la photo du bout des doigts.
— C'était un bel été, n'est-ce pas ?
Paul sentit son cœur se serrer. Ces instants de lucidité étaient rares et précieux. Il lui prit la main et la serra doucement.
— Oui, ma chérie, un été inoubliable.
Elle lui sourit, mais déjà l'étincelle dans ses yeux s'éteignait. La mémoire s'effaçait, emportant avec elle les fragments de leur amour. Pourtant, Paul continua de lui parler, jour après jour, même si elle ne s'en souvenait plus. Parce qu'il savait, au fond de lui, que l'amour résidait au-delà des souvenirs.