Fouiller dans l'ombre

La nuit a été courte.
Je n’ai presque pas dormi.
Chaque fois que je fermais les yeux, je voyais le visage de Kylie, son sourire innocent, puis celui de Jayden, plus dur, plus secret.

Ce matin, devant le miroir de la salle de bain, je ne reconnais même pas mon reflet.

Des cernes marquent mes yeux.
Ma peau est pâle.
Je ressemble à une fille hantée.
Parfait.
C’est exactement ce que je suis.

Arrivée au lycée, je mets en place mon plan.

Première étape : trouver plus d’informations. Pas sur Internet. Pas sur les réseaux sociaux. Sur place.

Je me fonds dans la masse des élèves, l’air absent, comme une ombre.

Première cible : le panneau d'affichage des clubs.

Je m'arrête devant, feignant de chercher une activité extra-scolaire.

Derrière une affiche de la chorale, un ancien flyer attire mon regard :
"Tournoi de basketball – Avril – Venez soutenir nos joueurs !"

La date correspond au mois où Kylie a disparu.

Et sur la photo de l’équipe : Jayden, en maillot, sourire éclatant.

Mon cœur se serre.

Il était donc ici. Impliqué dans la vie du lycée. Proche de tout le monde.

Je déchire discrètement le flyer et le glisse dans mon sac.

Un détail de plus pour mon dossier.

Deuxième étape : les rumeurs.

Je sais comment fonctionnent les lycées. Ici, les secrets ne meurent jamais vraiment. Ils changent simplement de forme, se murmurent dans les couloirs, s’échappent entre deux éclats de rire.

Je tends l’oreille dans les files d’attente, dans les escaliers.

Au déjeuner, je m’installe seule, mais suffisamment près d'un groupe de filles qui gloussent.

– Tu te souviens de l’histoire de Kylie ? chuchote l’une d’elles.

Mon sang se glace.

Je baisse la tête sur mon plateau, écoutant de toutes mes forces.

– Ouais... C’était flippant. Une minute elle était là, la minute d'après, plus rien.

– Ma sœur dit qu'elle avait des problèmes avec... tu sais qui.

– Jayden ?

Un silence lourd.

Puis un rire forcé.

– N'importe quoi, Jayden ferait jamais ça.

Je serre ma fourchette si fort que mes doigts en blanchissent.

Ils parlent d’elle au passé. Comme d’une légende urbaine.

Mais moi, je sais qu’elle était bien réelle. Et qu’elle a eu peur. Terriblement peur.

La cloche sonne, brisant la tension.

Je laisse mon plateau et m'éclipse rapidement.

Nouvelle cible : le local du club de photo.

Je me souviens que dans son journal intime, Kylie parlait d’un projet de photo qu’elle devait rendre juste avant sa disparition.

Peut-être que là-bas, il reste des traces.

Je traverse le couloir désert et pousse doucement la porte du local.

L'odeur de produits chimiques m'assaille immédiatement.

Des tirages photos sèchent sur des fils tendus.

Personne.

Je referme la porte derrière moi, retenant mon souffle.

Je fouille.

Des boîtes pleines de clichés anciens. Des photos de matchs, de soirées, de fêtes scolaires.

Je fais défiler les tirages jusqu'à tomber sur une série de photos d'une fête au bord du lac.

Des visages familiers. Des rires figés.

Et là, en arrière-plan d’une photo floue : Kylie.

Elle semble nerveuse. Pas vraiment à sa place.

À côté d’elle... Jayden.

Il ne la regarde pas. Il semble même s’éloigner.

Mais son visage est tendu. Pas le masque détendu qu’il affiche aujourd'hui.

Je prends la photo et la glisse discrètement dans la poche intérieure de ma veste.

Deuxième preuve.

Je suis sur le point de partir quand un bruit me fait sursauter.

La porte s'ouvre brusquement.

Jayden.

Je me fige, la photo encore dans la main.

Il me regarde, les sourcils froncés.

– Qu’est-ce que tu fais là ? demande-t-il, sa voix plus froide que jamais.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine.

Je dois mentir. Vite.

Je lui tends la première excuse qui me passe par la tête.

– Je... voulais m’inscrire au club de photo, bafouillé-je.

Un silence lourd s’abat.

Il me dévisage, sceptique.

Puis il s'approche lentement.

Beaucoup trop lentement.

Je serre la photo contre moi, essayant de rester calme.

Jayden s’arrête à quelques centimètres de moi.

Ses yeux fouillent les miens, cherchant quelque chose.

Puis, à ma grande surprise, il sourit légèrement.

Un sourire triste. Fatigué.

– Fais attention, Ali, murmure-t-il, si bas que je suis à peine sûre de l’avoir entendu.

Avant que je ne puisse réagir, il tourne les talons et sort du local.

Je reste plantée là, le souffle coupé.

Ce soir-là, de retour dans ma chambre, j’étale mes trouvailles sur le lit.

Le flyer du tournoi.
La vieille photo de la fête au lac.

Deux morceaux d'un puzzle beaucoup plus grand.

Jayden sait quelque chose. Peut-être même qu’il essaie de me prévenir.

Mais je ne peux pas lui faire confiance. Pas encore.

Je dois aller plus loin. Creuser plus profond.

Découvrir la vérité.

Même si elle est plus sombre que tout ce que je peux imaginer.