Jour J
🌻🌻
Killian
L’agent de bord, son foutu sourire aux lèvres, m’observe d’un œil curieux, voire inquiet. Je sens toujours la rage me consumer de l’intérieur, comme si un volcan tentait de s’échapper de mes entrailles avec une force incroyable. Max et Tim inondent mes pensées. Ce connard prétentieux de Max est avec Tim ! Je le hais avec son air de fils à papa et son putain de regard aux couleurs de l’océan. J’ai une envie soudaine de le noyer. Mais mes envies et mes pensées sont coupées par une voix grave.
— T’en tires une tronche. C’est ta tête, ça va pas mieux ? me demande le noiraud planté en face de moi, telle une plante verte dans un salon, les mains glissées dans les poches de son uniforme.
Non, tout ne va pas bien ! ai-je envie de hurler mais ça ne servirait à rien. Ça ne me calmera pas, je le sais. J’ai envie de courir, de m’échapper de la réalité, de faire taire cette angoisse qui monte toujours en moi. Tu vas me quitter, j’en suis sûr. Pourquoi cette putain d’idée ne me laisse pas tranquille au lieu de m’étouffer ?
— Non, la tête ça va mieux mais c’est… rien, soupiré-je. Et si on allait le boire ce verre finalement ?
Son sourire étire ses lèvres, mes entrailles s’entrouvrent pour laisser passer la boule qui me retient encore dans un état de conscience minimum. J’agis par réflexe, dans un état de survie comme dirait le seul psy que j’ai vu une seule fois il y a dix ans. Un état qui efface la culpabilité, la honte, qui me donne des ailes, qui réveille l’adrénaline courant dans mes veines. Je suis foutu, je le sais.
J’ai beau penser à toi, j’ai l’impression qu’ici, loin de toi et sans repères, ça n’a plus aucun effet. C’est comme si j’étais devenu simple spectateur de mon corps, comme si je l’observais faire sans pouvoir interagir. L’idée que tu ne veuilles plus être avec moi m’angoisse et m’empêche d’être lucide.
— Je pensais pas que tu accepterais. J’étais certain de me prendre un vent en fait, avoue l’homme dont je ne connais pas encore le prénom.
— Je t’avoue que j’ai hésité mais j’en ai envie. On va le boire où ce verre ?
L’agent, d’abord surprit se frotte la nuque, semblant réfléchir.
— Tu as une chambre dans un hôtel en ville j’imagine ?
Je re vérifie le nom de l’établissement sur mon téléphone, je l’avais déjà oublié.
— Ouais au Sky Square, je sais pas si c’est loin d’ici ? dis-je en l’interrogeant du regard.
L’agent sourcille, siffle en hochant la tête.
— Au Sky Square, carrément ? C’est à dix minutes en taxi, ça te va toujours ?
J’aimerais bien pouvoir réfléchir à cet instant mais le mode survie est activé et j’en suis incapable. Je réponds les mâchoires serrées.
— Allons-y !
Je sais à cet instant, que je n’ai pas pris la meilleure décision de ma vie, de toute façon je ne suis pas doué pour ça, pour pas grand-chose à vrai dire. Je suis brisé, fêlé et peut-être un peu cinglé par moment. Je sais que je vais le regretter mais mon cerveau n’est plus capable de m’arrêter. Sans toi, je ne suis qu’un connard complètement paumé et malheureux.
La honte et les remords bâillonnés et enfermés à double tour dans mon cerveau, je suis l’agent de bord qui a déjà hélé un taxi. Le trajet se passe dans un silence plutôt curieux, entre gêne et regards discrets. Il m’attire malgré moi et ça ne m’aide pas du tout. Lorsque nous arrivons, il me laisse sortir le premier.
Le devant de l’hôtel est un mélange surprenant mais élégant, d’arches en pierres rouges et de vitrages en arrière-plan, immense, formant une sorte de tour en verre ondulante sous le soleil. L’intérieur est luxueux, je remercie à nouveau mon père pour son choix mais je n’ai pas vraiment le temps de tout observer. Après avoir récupéré ma clé magnétique à l’accueil et fait monter mes baguages dans ma chambre, l’agent de bord m’attire par la manche jusqu’au bar de l’hôtel, situé à gauche de la réception. Sous les lumières tamisées de la pièce, l’agent s’arrête soudain, accrochant mon regard.
— Je te laisse t’installer à une table, je vais aller me changer, dit-il en pointant son uniforme gris et bleu d’agent de bord.
— Ok, je t’attends, dis-je en me mordant l’intérieur de la joue.
Je pars à la recherche d’une table haute, dans un coin discret du bar, d’où je peux voir les toilettes et enlève mon blouson. Il fait une chaleur moite et ma gorge est sèche, heureusement mon mal de crâne semble être de l’histoire ancienne. J’observe la porte des toilettes, en espérant que l’agent n’en ressorte pas, tout en priant pour qu’il le fasse. C’est comme si la moitié de mon subconscient se battait avec ma raison, chacun assit sur une de mes épaules que je sens déjà trop lourdes à soutenir, tel le diable et l’ange des dessins animés. Sauf qu’ils ne sont, ni l’un ni l’autre, d’aucune aide hélas.
Le noiraud réapparait quelques minutes plus tard, un jean noir ajusté et un t-shirt bordeaux moulant ses muscles fins. Il pourrait travailler dans l’agence de mannequin. Moi je l’aurais engagé.
L’agent s’assoit en face de moi et m’observe. Je fais de même.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demande-t-il en sourcillant, souriant franchement.
— Tu fais plus jeune sans ton uniforme.
— Et c’est mieux ou moins bien ? demande-t-il en s’accoudant sur la table.
— Simple constat, avoué-je nerveusement.
Une serveuse souriante vient prendre notre commande et interrompre notre jeu de regards.
Je n’ai aucune idée de ce que je veux boire, lorsque le noiraud me devance.
— Un Sex on the beach, s’il vous plaît. Et toi ? me demande-t-il en me dévisageant d’un regard entendu.
Cazzo*, il cherche la merde lui, me dis-je en serrant les dents. Néanmoins, je ne me démonte pas. En mode survie, je ne réponds plus de rien et me laisse porter.
— Va pour un Sex on the beach, dis-je en plantant mes iris dans les siens.
Je relève le défi, même si mon inconscient sait que c’est une très mauvaise idée.
La serveuse disparait aussi vite qu’elle était arrivée, nous laissant dans un flottement que je romps par curiosité.
— Au fait, comment tu t’appelles ?
L’agent toussote, se redresse sur son tabouret, pince les lèvres. Il accroche mon regard avec une détermination surprenante et un soupçon plus sombre, indéfinissable.
— Ça te déranges si je ne te donne pas mon prénom et que je ne veuille pas connaitre le tien ?
Je sourcille, repoussant une onde de frissons que je sens remonter le long de ma colonne vertébrale.
Je ne m’attendais pas à une telle réponse mais d’un côté, ça m’arrange bien. Garder le côté anonyme met une sorte de barrière entre nous mais les barrières, je les saute, entre autres choses. Mon genou se met à trembler tout seul sous la table et mon estomac se tortille d’angoisse. Je soupire pour me détendre mais ça n’a pas beaucoup d’effet.
— Non, ça ne me dérange pas mais je peux pas t’appeler « agent de bord » toute la soirée !
Eh merde pourquoi j’ai dit ça ?! Je grimace en me redressant sur mon tabouret.
En face de moi, un calme olympien contrebalance avec mon état d’esprit.
— Tu peux m’appeler Sydney et je t’appellerai monsieur siège 6B, dit-il en sourcillant, sûr de lui.
Si je trouve sa réponse bizarre, je la comprends. Je vois là, non pas un homme étrange voire psychopathe, mais plutôt le genre de personne qui cherche à se protéger ou protéger quelqu’un. Un petit ami ou une peut-être ? J’en sais rien mais je ne pose pas de questions, certain que Sydney ne me dira rien de toute manière. J’ai soudain l’impression de ne pas être son premier rendez-vous de ce genre mais pour une raison qui m’échappe, je range ma curiosité malsaine au fond de ma poche.
— Ok… Sydney. Tu m’as dit que tu repartais demain, tu t’envoles pour quelle destination ?
La serveuse pose nos verres de cocktails devant nous avant qu’il ne puisse répondre.
— Je crois que je fais escale à Abu Dhabi puis je retourne sur Los Angeles.
— T’es même pas sûr ? m’étonné-je en sourcillant.
Sydney baisse la tête, sourit.
— Si mais… tu me perturbes, excuse-moi, avoue-t-il en jouant du bout des doigts avec l’ombrelle en papier rose de son cocktail.
Je déglutis bruyamment, me crispe sur ma chaise et me répète que ce n’est qu’un verre, qu’un moment sans importance. Que je dois me contrôler aussi mais si je dois être totalement honnête avec mes émotions, Sydney me perturbe également.
Mes pensées censées s’envolent déjà, et une envie plus forte que ma raison grandit en moi. Je bois mon cocktail d’un trait, évitant de lui répondre par la même occasion. Ce cocktail est délicieux, sucré et frais. On en commande un deuxième à la serveuse, qui semble nous surveiller du coin de l’œil, puis un troisième et je sais que c’est déjà celui de trop. Je sens que je perds de plus en plus le contrôle. Sous la table, bien trop petite à mon gout, nos genoux se touchent et ce contact suffit à me rendre nerveux. Malgré ma conscience qui hurle son désaccord, je joue le jeu de la séduction et sans vraiment m’en rendre compte, j’ai déjà dépassé la barrière que je me suis fixé.
Je suis cramé, foutu. Mon impulsivité parle pour moi lorsque Sydney me pose une question à laquelle je ne m’attendais pas.
— Si je te demande de passer la nuit avec moi, juste une nuit, ça t’intéresse ?
Blanc total dans mon cerveau. Cœur qui s’emballe comme un cheval lancé au triple galop.
— Oui… Oui j’en ai envie, dis-je en me mordant la lèvre.
Bordel de merde ! hurlé-je intérieurement.
Ma main tremble sur ma cuisse, mon palpitant cogne si fort dans ma poitrine que j’ai soudain du mal à respirer. Qu’est-ce que je viens de faire ?
— Et si on montait dans ta chambre ? insiste Sydney avant que mon esprit ne retrouve comment connecter ses deux neurones perdus.
Killian ! Hurle ma conscience. Sous ma ceinture, c’est le chaos. Mes démons sont prêts à m’engloutir tout cru.
— Bonne idée ! dis-je, incapable de penser intelligemment.
Non, c’est tout sauf une bonne idée, seulement l’alcool n’aidant pas à contrôler quelque chose sur lequel je n’ai aucun pouvoir en temps normal, je suis incapable de me raisonner. Un regard d’un noir profond fait irruption dans mon esprit mais il est vite remplacé par un gris-vert qui me sonde de la tête aux pieds de l’autre côté de la table.
Tel un robot en mode automatique, je suis Sydney jusqu’à l’ascenseur, mes mains tremblant toujours. Je me tiens un pas derrière lui mais la vue du fessier de Sydney moulé dans son jean ne m’aide pas vraiment. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent, nous nous engouffrons à l’intérieur, bousculant presque un couple de personne âgées au passage.
Le dos collé contre la paroi, mon épaule contre celle de Sydney, j’ai chaud. Une main glissant dans le bas de mon dos réveille mon entre jambe jusqu’ici presque calme. Je me dandine d’un pied sur l’autre comme si j’avais envie d’uriner mais mon problème est tout autre. Je cache mon envie avec mon blouson en cuir, nerveux comme jamais.
La porte s’ouvre quelques étages plus haut, vidant l’ascenseur de ses occupants, ne laissant plus que Sydney et moi dans cet espace bien trop petit pour ne pas sentir la chaleur de son corps irradier contre le mien.
— T’es toujours partant ? murmure Sydney à mon oreille alors que l’ascenseur repart.
Je déglutis, hoche la tête pour toute réponse, évitant son regard à tout prix même si ça ne sert plus à rien. Quelques secondes plus tard, je pousse la porte de ma chambre après avoir passé mon badge sur l’appareil. La chambre, qui est en fait une suite est vaste, dans les tons blancs et caramels. Un petit salon fait face à une immense baie vitrée qui donne sur une terrasse. Sur la gauche, un lit king size nous fait déjà de l’œil. Sydney laisse sa valise dans l’entrée, parcourt la pièce du regard puis le reporte sur moi. Je me sens soudain défaillir sous son regard presque noir. Ses iris sont dilatées, par l’alcool ? Par l’envie ? Aucune idée.
Je sens mes poumons brûler, j’ai un soudain besoin d’air. Je traverse la pièce, ouvre la porte-fenêtre et sors sur la terrasse qui domine la baie de Sydney. En contre bas, la piscine est éclairée et me donne envie d’y plonger pour me rafraîchir les idées mais ça n’aurait certainement aucun effet.
Sydney me suit sur la terrasse, un bras de chaque côté de mon corps, son torse collé à mon dos. Je ferme les yeux, sentant son parfum vanillé, sa respiration chaude dans ma nuque. Je cherche désespérément dans les étoiles la force de résister mais mon regard trouve que le vide de mon esprit.
— Tu en as toujours envie ? murmure Sydney en mordillant le lobe de mon oreille.
Ma main sur la balustrade se cramponne plus fort encore. J’ai le vertige et pas que la peur de tomber en bas hélas. Je me retourne lentement, accrochant son regard. Dans mon estomac la culpabilité me ronge les tripes comme si j’avais avalé une fourmilière entière de bestioles carnivores. Mon angoisse fait faire des saltos à mes entrailles et dans mon pantalon, l’excitation fait grandir et durcir une partie de mon anatomie qui réclame déjà de l’attention.
Je tente de penser à toi et dans un élan inespéré de mon cerveau, je stoppe Sydney d’une main sur son torse.
— Je dois… je reviens ! dis-je en le laissant en plan.
Je m’éloigne à l’autre bout de la suite et tente de t’appeler mais je n’ai aucune réponse hélas. L’angoisse monte si vite que mon cerveau me fait faire n’importe quoi. Je ne contrôle plus rien à cet instant mais au fond de moi, je n’ai pas envie de me retenir, pas la force de rester lucide. Mon cœur sait que la chute serait terrible, j’en suis conscient mais incapable de faire marche arrière.
Je reviens vers Sydney et même si un million de voix me hurlent de ne pas le faire, ma bouche lâche des mots que je ne contrôle pas, que j’entends à peine, que je ne suis même pas conscient de prononcer.
— J’en ai envie, murmuré-je alors que dans mon cerveau, un tsunami ravage mes neurones.
Timidement, ma main caresse la joue de Sydney, glisse dans sa nuque puis nos lèvres se trouvent alors que j’efface, pixel après pixel, ton visage de mon esprit. Je hurle de l’intérieur. Comme déconnecté de mon propre corps j’ai l’impression horrible de n’être qu’un spectateur de ce qui se passe à cet instant.