1 044 jours avant…
🌻🌻
Timothy
On a beaucoup parlé toi et moi cette semaine et pourtant j’ai toujours autant de mal à te cerner, à comprendre ce qui t’anime. J’ai tenté de te faire parler, j’ai été patient mais il suffit d’un mot plus haut que l’autre, d’un regard soutenu trop longtemps pour que tu te fermes comme une huitre. C’est compliqué mais pour rien au monde je ne laisserais tomber. J’aimerais vraiment pouvoir t’aider et réagir comme il le faut quand tu en as besoin et aujourd’hui est la journée parfaite pour essayer de lire en toi. On est en congé et personne n’est là pour te mettre de travers alors je tente quelque chose.
Ce matin, j’ai piqué la place d’Anna en cuisine alors que tu dors encore. Je prépare des pancakes rien que pour toi. Des vrais, à la canadienne, pas ces espèces de crêpes toutes plates que nous, les Américains, avalons sans même les savourer. J’ai la recette de mon père, la meilleure du monde, et j’espère bien te régaler d’une façon ou d’une autre. Anna m’observe tandis qu’elle prépare du café à l’autre bout de cette immense cuisine dans laquelle je me perds encore. Anna est aussi adorable que douée culinairement parlant, pour le peu que j’ai mangé ici, je n’ai jamais été déçu.
— Est-ce ça vous dérangerait de me donner votre recette Timothy ? Vos pancakes sont bien meilleurs que les miens.
Je ris en la voyant en déguster un deuxième.
— Les vôtres sont très bons Anna, ne dites pas de bêtises.
— Je préfère ceux-ci et j’aimerais bien les faire gouter à mes garçons, dit-elle en s’appuyant sur le plan de travail, toujours occupée à me regarder faire dorer les pancakes.
— Vous avez des enfants ? Je ne savais pas.
— Trois garçons. Diego l’aîné et Pablo et Mariano, nos jumeaux. Ils ont huit et six ans, de vraies têtes de mules mais ils sont adorables.
On continue de papoter en préparant le petit déjeuner et soudain je réalise que si Anna est là, ses enfants ne profitent pas de leur mère. Je trouve ça triste et je me demande pourquoi elle travaille parfois aussi le weekend alors que, bien souvent, il n’y a que toi dans cette grande maison. Tu me sors soudain de mes pensées en baillant depuis le comptoir qui sépare la cuisine du salon. Tes cheveux en bataille me font sourire et tes yeux aussi petits que des cicatrices me prouvent que tu n’as pas dû très bien dormir. T’étais agité cette nuit mais je ne dis rien pour l’instant, préférant d’abord évaluer ton humeur, avant de faire une remarque qui ne te plairait pas.
— Salut, bien dormi ? lancé-je en même temps qu’un pancake dans une assiette.
— Comme un ours pour une fois. Dis, qu’est-ce que tu fais dans la cuisine, tu t’es perdu ?
Je lève les yeux au ciel en secouant la tête. Je ne crois pas à ton mensonge mais j’évite de le relever.
— Je fais des longueurs dans l’évier… A ton avis ? Je cuisine ton petit déjeuner !
Je t’apporte une assiette pleine de pancakes au sirop d’érable et un bol de morceaux de fruits de différentes sortes. Anna dépose une tasse de café sur le bar et je la remercie puis je vais me chercher ma part avant de m’installer à tes côtés. Tu déposes un baiser sur mon épaule nue puis pique un morceau de fruit, tes yeux à moitié ouverts.
— Toi ? T’as cuisiné tout ça ? Tu sais qu’Anna est là pour ça ?
J’avale ma bouchée et réplique.
— Ouais je sais mais j’avais envie de te faire plaisir avec une recette spéciale. C’est la recette de mon père. Qu’est-ce que t’en dis ?
— C’est délicieux, aussi fondant que ton sourire ce matin, dis-tu en m’observant accoudé sur le bar, ta joue rose posée sur ta paume.
Je sens mon visage se réchauffer de quelque degrés, Anna rit dans son coin. Je me concentre sur mon petit déjeuner, que je mange avec appétit, essayant d’oublier la gouvernante dans la cuisine. Tu n’as pas l’air d’avoir très faim ce matin mais tu termines tout de même ton assiette. Anna est partie je ne sais où et nous sommes seuls, toujours assis au comptoir. Tu sembles fatigué, sans énergie et tendu comme une corde d’amarrage à un bateau, un jour de tempête.
— Est-ce que je peux te poser une question ?
— Tu viens de le faire mais vas-y continue, marmonnes-tu en baillant à nouveau.
Je te mets une pichenette dans le front et tu râles.
— Est-ce que ça te dirait un petit massage pour te détendre ? T’as l’air crispé et tout courbaturé.
En y repensant, t’as couru au moins quarante kilomètres cette semaine, ce n’est pas rien et même si je t’ai suivi à vélo, c’était plus facile pour moi. Soudain tes yeux s’écarquillent puis ton sourire éclot comme une fleur sous les rayons de soleil au printemps, sur ton visage encore ensommeillé.
— Ouais, je crois que ça me plairait bien. Mais tu sais faire des massages ?
— Ma mère est masseuse-sophrologue, me demande pas ce que c’est exactement j’en sais rien mais elle m’a montré les techniques de base et il parait que j’ai des doigts de fée, dis-je fier de moi en agitant mes mains sous ton nez.
Ton humeur semble remonter, tout comme les coins de ta bouche.
— Tu m’intéresses Timothy le masseur. Je veux tester !
Tu m’entraines dans un endroit que je ne connais pas encore mais qui me fascine par son côté éclectique. Votre pool house est presque aussi grand que la maison où j’habitais avant. Il y a un piano à queue et une table de billard dans un espace qui sert de salon, complété avec des canapés en cuir et des fauteuils disposés tout autour. Du côté de la piscine, il y a un sauna et une douche à l’italienne immense. Tu trouves dans un des meubles blancs du coin douche, des huiles de massage. Sourire aux lèvres, tu me les tends et je cherche du regard où nous installer. Je me rabats sur un des canapés dont l’assis est assez large pour pouvoir y dormir à deux.
Je remarque que tu ne portes que ton caleçon de pyjama. Tu t’allonges sur le canapé sur le ventre. Je me pose à genoux sur quelques coussins éparpillés à même le sol, les flacons d’huile à mes pieds. J’enduis mes mains de liquide puis commence doucement par tes épaules qui sont aussi nouées que des cordes de bateau.
Mes doigts glissent sur ta peau pâle, appuyant sur les nœuds formés par tes muscles courbaturés. Tu es hyper crispé, je me demande ce qui te bloque comme ça. Abandonnant tes épaules, je descends le long de ta colonne vertébrale et insiste un peu sur tes muscles lombaires aussi durs que de la pierre, ce qui te fait gémir de douleur et te contracter plus encore.
— Excuse-moi, tu es tout crispé.
— Non c’est rien, ça fait du bien. C’est très agréable, marmonnes-tu la tête tournée vers moi.
Tu me jettes un regard incompréhensible mais ne dis rien. J’ai du mal à te suivre mais je reprends en faisant descendre le tissu de ton caleçon pour atteindre tes muscles fessiers mais soudain ta main me stoppe en serrant mon poignet.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Ton regard est glacial et je perds tout à coup mes moyens. Je bégaye comme un idiot.
— Je- je voulais juste… Excuse-moi, je… je t’ai pas demandé si t’étais d’accord, soupiré-je.
Ta tête retombe dans le canapé quelques secondes puis tu te redresses brusquement et t’assois en face de moi, l’air crispé.
— Non, c’est moi qui m’excuse. J’ai parfois du mal… J’apprécie pas quand on me touche à certains endroits, souffles-tu en baissant la tête.
— Tu veux que j’arrête ?
Tes mains tremblent sur tes genoux, ton regard plonge dans le mien et je reste figé, ne sachant que faire à cet instant. A nouveau tu me déstabilises.
— Non mais, on peut faire une pause ? Juste le temps que j’aille boire un verre d’eau. Je reviens, dis-tu précipitamment en t’éloignant.
Je te suis du regard, plus perdu que jamais. Je remets les coussins sur le canapé et m’assois sur le tabouret du piano en attendant que tu reviennes. Je ne sais pas où tu es allé chercher de l’eau mais il s’écoule un temps fou avant que tu fasses ton retour. Lorsque tu reviens, tes yeux sont rouges mais je n’ose pas poser de questions, parce que j’ai comme l’impression que ce n’est pas le moment. Je te laisse venir à moi, t’exprimer mais tu restes d’abord muet. Tu t’agenouilles par terre, ton regard planté dans le mien.
— Je suis désolé Tim, j’ai beaucoup aimé ton massage mais…
Tu baisses à nouveau la tête, fuyant mon regard tandis que ta main cherche la mienne sur mon genou.
— C’est pas grave Killian, quoi qu’il y ait, je peux comprendre.
— On peut juste… faire autre chose ?
Je n’insiste pas et te suis en direction de la piscine. Tu t’étales sur un des transats et attrape ton paquet de cigarettes. Ton silence dure de longues minutes, je le respecte malgré mon appréhension. Allongé à côté de toi sur un autre transat, je sens soudain ta main sur ma cuisse. Je tourne la tête vers toi, tu me souris.
— Merci Tim.
— Pour quoi ?
— Pour ne pas insister quand ça ne va pas, tout en étant là malgré tout.
— De rien, j’excelle dans l’art d’être là et invisible en même temps, dis-je en riant.
— Tu n’es pas invisible Tim. Tu rayonnes, tu brilles comme un soleil, tu m’éblouis et m’aveugles par ta beauté et ta bonté. J’aime que tu sois à mes côtés, dis-tu en te redressant. Tu ne sais pas à quel point je suis heureux que tu sois là. Je sais que c’est peut-être pas évident, que je ne te le montre pas vraiment mais c’est vrai.
Je m’assois à mon tour, bouleversé par tes paroles.
— Je… euh… moi aussi je suis heureux d’être là, dis-je en tendant ma main vers toi.
Tu l’attrapes et te lèves, me tirant contre toi. Collé contre ton torse, mon regard dans le tien, je souris.
— Je ne te laisserai plus jamais repartir Timothy, dis-tu en plissant les yeux pour te donner un air menaçant qui ne l’est pas du tout.
— J’ai même pas peur. Je peux très bien partir si je veux, là tout de suite, dis-je en te poussant dans la piscine.
Je sais pas pourquoi j’ai fait ça mais mon instinct me dit de courir en te voyant ressortir la tête de l’eau, le regard braqué sur moi. Je ne tarde pas à piquer un sprint jusque dans notre chambre. Je panique soudain, ne sachant pas où me cacher mais c’est trop tard, tu ouvres la porte, dégoulinant d’eau sur le parquet.
— Timothy ! Viens ici ! dis-tu sourire aux lèvres mais rouge de la tête aux pieds.
— Non ! Je viendrais pas, dis-je en sautant sur le lit à pieds joints tel un gosse.
Je me dis que tu ne vas pas y venir, trempé comme tu es, mais je me trompe lourdement et une fois sur le lit tu m’attrapes par la taille et me portes sur ton épaule tel un sac de patates. Tu ouvres la porte qui mène à la salle de bain et me dépose dans la douche en enlevant mon t-shirt d’un geste rapide. Tout en allumant l’eau, tu te glisses derrière moi, entourant mon torse de tes bras. Je ris discrètement contre le carrelage de la douche mais tes soudaines chatouilles me font pouffer de rire, ce qui t’énerve encore plus.
— Timothy arrête ou tu vas le regretter ! dis-tu en me retournant pour que je te fasse face.
Je déglutis difficilement lorsque je vois que tu ne portes plus rien.
— P…pour… pourquoi t’es tout nu ? balbutié-je en ne regardant surtout pas autre chose que tes yeux.
— J’ai de l’huile dans le dos et je viens de me rendre compte que je déteste ça. Tu vas me l’enlever, ce sera ta punition pour m’avoir poussé dans la piscine.
Ton sourire me déstabilise mais je ne me démonte pas et, saisis le gel douche et répète les mêmes gestes qu’un peu plus tôt mais lorsque j’atteins le bas de tes reins, j’hésite.
Tu te retournes à nouveau, glisse tes doigts sous la ceinture de mon boxer et le baisse ainsi que mon short, jusqu’à mes chevilles. Ton regard explore mon corps nu, puis reviens sur ma bouche. Tu mordilles ta lèvre.
— Est-ce que je peux t’embrasser ? susurres-tu à mon oreille.
— T’as plutôt intérêt, parce que j’en ai très envie, murmuré-je en glissant mes mains derrière ta nuque.
Nos regards se croisent et se percutent comme deux planètes à la dérive. Je ne sais pas exactement ce qu’on est à ce moment mais je n’ai qu’une envie c’est de t’embrasser jusqu’à ce que l’air manque à mes poumons, jusqu’à ce que mes lèvres gonflent, en redemandant encore et encore. Je laisse tes mains glisser sur mes hanches puis dans mon dos, ton torse chaud contre le mien et soudain, je sens mon corps prendre vie entre tes bras, comme si jusqu’ici il n’avait jamais vraiment vécu.
Ton sourire s’épanouit, tout comme les fleurs au printemps, tout comme une partie de mon anatomie qui apparemment n’attendait que toi pour s’éveiller elle aussi.