989 jours avant…
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Killian
Thanksgiving est à nos portes, et mon père a décidé d’inviter Louise et Alicia, pour cette fête qu’il n’apprécie plus vraiment, depuis que maman est décédée. Pour moi, c’est encore une des rares fêtes que j’accepte encore de célébrer. Ce sont toujours des moments difficiles pour moi, mais grâce à la dernière que j’ai vécu avec ma mère et qui m’a laissé un merveilleux souvenir, j’apprécie encore Thanksgiving. Je me rappelle être allé voir la parade avec mes parents, le repas avec ma tante et mes cousins, la dinde énorme et la magnifique soirée à observer les étoiles qui avait suivi.
Ma mère et mon père semblaient si heureux ce jour-là, si complices. Je ne m’imaginais pas que ce serait le dernier Thanksgiving en famille. Je ne m’imaginais pas qu’à peine un mois après, ma mère nous quitterait et emporterait une partie de mon âme avec elle. Je ne m’imaginais pas que ma vie allait être brisée pour ne plus jamais être la même. Aujourd’hui tout a changé, ma mère n’est plus là et sa sœur ne viendra pas fêter avec nous cette année. Heureusement il y a Alicia et sa mère… et toi.
Je me suis rasé et pour une fois, j’ai enfilé une chemise bleu ciel à longues manches et un pantalon noir à pinces. Je m’observe dans le miroir de la chambre alors que tu t’habilles toi aussi. Je me place derrière toi et glisse mes mains dans tes poches de pantalon. Tu sursautes mais ne me repousses pas. J’embrasse ta nuque, ton épaule, pas vraiment motivé à descendre rejoindre mon père.
J’ai ce besoin de sexe qui me hante depuis le début d’après-midi et je sais que ce n’est pas vraiment une envie. C’est le stress qui parle à cet instant. Je sais faire la différence entre besoin et envie et je ne veux pas que tu sois la personne qui réponde à mes besoins. Je veux que tu sois celui à qui je fais l’amour, avec passion et surtout par envie. La différence est peut-être encore invisible pour toi mais moi elle me hante et parfois me pousse contre mon gré à te désirer pour de mauvaises raisons. Je me déteste d’avoir ces pensées, ces besoins qui perturbent mon corps et mon esprit. J’ai parfois l’impression d’être un équilibriste sur un fil et que chaque pas pourrait me faire tomber du mauvais côté.
Je me déteste si fort, que je me recule et ferme les yeux pour ne pas croiser ton regard dans le reflet du miroir. Je sais que depuis que nous avons fait un pas de plus dans l’intimité tous les deux, j’ai énormément de mal à contenir mes pulsions. Parfois et malgré-moi, je te repousse pour ton bien, sans pouvoir vraiment te le dire et je sens bien que tu es déçu mais je n’arrive pas à mettre de mots sur ce qui me bloque. A nouveau tu soupires et te tournes vers moi mais je fuis ton regard qui pourtant se veut bienveillant.
— Killian, tu te sens bien ? T’as l’air tendu, dis-tu en prenant ma main dans la tienne.
Je regarde le sol, incapable d’avouer ma souffrance à cet instant. Je suis faible et j’ai honte de ce qui me ronge et surtout pas envie de te le dire.
— C’est rien de grave Tim. Ça va passer, soufflé-je les dents serrées.
Ta main serre plus fort encore la mienne lorsque tu m’embrasses avec tendresse.
— Tu as besoin de décompresser, c’est ça ?
Je ferme les yeux afin de chasser ce besoin malsain qui me hante. J’ai beau tenter d’ignorer la petite voix dans ma tête qui me dit que je devrais t’en parler, les mots tournent en boucle malgré moi, sans qu’aucun ne puisse passer la barrière de mes lèvres. Je serre le poing et reste silencieux mais lorsque tu m’enlaces en traçant des ronds dans mon dos, je craque.
— Je veux pas te demander ça Tim. Je vais me débrouiller tout seul, dis-je en me défaisant de ton étreinte précipitamment.
Je file à la salle de bain en t’abandonnant dans notre chambre. Je sens ton regard sur moi mais je préfère l’ignorer et faire la seule chose qui puisse me soulager. Appuyé sur le meuble duquel j’ai sorti le lubrifiant, j’évite mon reflet dans le miroir et me concentre sur mon objectif. Je vise l’efficacité et oublie le plaisir qui, depuis un moment, ne vient même plus me soulager dans ces moments-là. Ce n’est que physique, un simple réflexe nerveux. Même plus de plaisir à me branler. Je me lâche dans un mouchoir, me crispant à peine quelques secondes puis je le jette dans les toilettes avec rage et me lave les mains. Refermant nerveusement ma braguette, je jure en me maudissant.
Lorsque je reviens dans la chambre, tu es assis sur le lit, les bras croisés sur ta chemise légèrement ouverte. Tu ne dis rien mais je vois bien que tu es contrarié et je n’ai aucune envie, ni le courage de parler de ça maintenant.
— On devrait rejoindre mon père, dis-je pour couper court à toute discussion.
Tu acquiesces puis me suis dans le couloir, jusqu’au salon qui embaume la dinde et la sauce brune. Mon appétit s’échauffe mais hélas je n’arrive pas à manger et à apprécier cette soirée. Pourtant Alicia est adorable avec nous, telle la meilleure amie que j’ai toujours connue. Louise nous parle de sa boutique de fleurs puis de sa fille, qui commence sa deuxième année en école d’infirmière, par de beaux résultats. Elle est fière d’Alicia et ça se voit sur son visage qui rayonne de joie. Mon père a le sourire aux lèvres lui aussi, le tien se fait plus timide. Quant au mien, il est resté dans la salle de bain. Je n’arrête pas de penser à ton expression lorsque j’en suis sorti. J’ai l’impression de t’avoir déçu, de t’avoir dégouté et plus j’y pense, plus la nausée me tiraille l’estomac.
Je me lève de table en m’excusant et file dehors prendre l’air. Je m’enfonce au fond du jardin, dans l’orangeraie de ma mère. Les fleurs se sont transformées en petites boules vertes, pas plus grosses que des tomates cerises pour l’instant. Je m’assois à même le sol, prenant ma tête dans mes mains. Je tente de gérer cette nausée, cette sensation horrible que tout me file entre les doigts, lorsque j’entends des pas derrière-moi.
— Est-ce que je peux m’assoir ? demande une voix féminine que je reconnaitrais entre mille.
— Bien sûr Ali, viens-là, dis-je en tendant une main vers elle, l’observant du coin de l’œil.
Elle s’assoit à côté de moi, relevant ses jambes contre son buste, contemplant l’horizon sans me regarder. Elle sait qu’un regard suffirait à me faire craquer. Elle prend pourtant ma main dans la sienne, sans rien dire pendant quelques secondes, puis elle me souffle :
— Tout le monde s’inquiète pour toi Kiki. Surtout ton père, c’est lui qui m’envoie. Mais je suis aussi là parce que toi et moi on se comprend et je crois que tu ne vas pas bien ce soir.
J’expire tout l’air contenu dans mes poumons brulants, ferme les yeux et déclare :
— T’as raison, ça va pas ce soir. J’y arrive pas. Je ne sais pas comment faire taire les souvenirs de ma mère… et d’autres, dis-je en reniflant.
— Peut-être qu’il serait temps d’en parler à un professionnel Kiki. Je sais ce que tu en penses mais je crois sincèrement que ça pourrait t’aider.
Je secoue la tête, elle serre ma main plus fort encore.
— Je peux pas Ali, c’est trop dur de revivre tout ça, dis-je alors que les larmes me montent aux yeux.
Elle se tourne vers moi et caresse ma joue.
— Je sais Killian, tu as vécu plusieurs traumatismes violents mais tu dois apprendre à y faire face, tu peux pas continuer de vivre comme ça, en faisant l’autruche. C’est pas bon pour toi… et pour Timothy non plus.
Je relève soudain la tête, essuyant mon nez au passage.
— Putain, tu crois que je le sais pas ?! J’y pense tout le temps justement et ça me bouffe, mais je veux pas lui faire de mal, alors je gère ça à ma manière et pour l’instant ça fonctionne très bien.
Elle ricane et tapote ma cuisse.
— Si bien que tu te caches au milieu des orangers du jardin. T’as raison, tu gères.
— C’est pas gentil Alicia.
— Non, je sais… mais ce que tu fais à Timothy, ça ne l’est pas non plus. Il tient à toi, il a le droit de savoir comment t’aider. Il est paumé là !
— Mais moi aussi merde ! crié-je sans le vouloir.
— Bin bouge-toi le cul et fais quelque chose avant qu’il ne décide pour toi. J’ai pas envie de te retrouver au fond du trou comme il y a quelques années Killian. Peut-être que Tim n’aura pas la force, ni la patience qu’il m’a fallu pour tenter de t’arracher à ce trou noir dans lequel tu t’étais caché. Parle-lui, ne fais pas le muet comme tu l’as fait avec moi.
— Je l’ai déjà fait mais je sais pas quoi lui dire pour le rassurer. Je sais pas comment sortir de cette tornade Ali.
— Tu vas pas aimer ce que je vais te dire, mais je crois que tu dois l’entendre. Tu dois aller voir un psychiatre Killian. Tu peux plus gérer ça tout seul.
Je mords l’intérieur de ma joue pour ne pas pleurer devant Alicia, alors qu’elle se lève en tapotant mon épaule. Elle me laisse seul sous les orangers, avec ces paroles qui ne me plaisent pas, et malgré le tourbillon que ça provoque dans mon estomac. Je sais ce que je dois faire mais je sais aussi ce que ça rouvrirait comme cicatrices. Sous la surface, l’eau bout en moi et je sais qu’un tsunami me noierait si j’allais voir un psy.
Je reste seul encore quelques minutes, puis retourne au salon, sans grande envie. Je pique une cigarette dans mon paquet laissé sur le bar et repars aussi sec vers la piscine. Je m’assois sur un transat, parce que revenir à l’intérieur m’angoisse, les regards m’effraient, autant que les mots d’Alicia. Je tire une bouffée brûlante et la recrache dans la nuit. Ton visage apparait soudain derrière le blanc du nuage empli de nicotine.
— Est-ce que je peux m’assoir près de toi ? J’ai juste besoin de te sentir contre moi, si tu ne veux pas parler, ça me va.
Je hoche la tête et tu t’assois entre mes jambes. J’appuie mon front contre ton dos, t’enlaçant de ma main libre. Ta main caresse la mienne, le silence de la nuit nous protégeant comme dans une bulle d’intimité. Ton contact me rassure un peu et me donne une bribe de courage pour m’ouvrir à toi.
— Je suis désolé Tim, pour tout à l’heure.
— T’as pas à t’excuser, je sais que ta carapace est solide mais je pense que tu devrais la poser de temps en temps, parce qu’elle me semble bien lourde à porter. Tu sais qu’avec moi, tu n’en as pas besoin ? murmures-tu la voix brisée.
Tes mots me touchent mais j’ai du mal à les accepter.
— Je crois que je ne sais plus faire sans, malheureusement.
Tu te retournes et plantes ton regard dans le mien. Tes yeux brillent et ta bouche s’étire à peine.
— Et si on apprenait ensemble ? A se faire confiance, à comprendre comment soulager tes besoins en prenant en compte les miens ? J’ai envie et besoin de connaitre ce qui t’angoisse vraiment, pour pouvoir avancer avec toi, à tes côtés. Je veux pouvoir être la personne sur qui tu peux compter.
— Mais j’ai peur de te faire fuir.
— Pourquoi je ferais ça ?
— Parce que je suis brisé, pas réparable et parce que je fais fuir les gens malgré-moi.
— Killian, je tiens à toi bien plus qu’à n’importe qui dans ma vie. J’ai confiance en nous et je sais qu’on y arrivera. On trouvera une solution, j’en suis convaincu.
Tu m’enlaces tendrement, et toute la tension que je retenais jusqu’ici, se transforme en un torrent de larmes qui coule sur ta chemise. Je laisse les barrières tomber, le barrage déverser cette souffrance qui me hante et lorsque je n’ai plus de larmes, j’essuie mes yeux en me demandant si vraiment on y arrivera.
Je survis finalement à cette soirée de Thanksgiving et c’est tard qu’on monte dans notre chambre. Mon père a sorti une bouteille de Whiskey et s’est enfermé dans son bureau. Je sais qu’il n’en ressortira pas avant un bon moment. Dans la pénombre de notre chambre, je me déshabille, passe par la salle de bain afin de me brosser les dents et une fois fait, je me glisse dans le lit. Tu me rejoins quelques minutes plus tard en soupirant.
— Est-ce que je peux te poser une dernière question ?
— Je pense que t’as le droit de me poser autant de questions que tu veux Tim. Je t’écoute.
— J’ai bien compris que tu as cette addiction au sexe qui te perturbe énormément et je voudrais savoir une chose. Est-ce que tu ressens le besoin d’avoir… d’autres partenaires pour te satisfaire ? demandes-tu d’une toute petite voix.
Ta question me surprend et je me tourne vers toi afin de te rassurer immédiatement, parce que sur ce sujet-là, je n’ai aucune hésitation.
— Non Tim, je ne veux pas d’autres partenaires. Tu es le seul avec qui je veux partager mon intimité, ma sexualité. Tu es le seul en qui j’ai confiance et le seul dans mon esprit quand je pense au sexe. Au pire, j’ai ma main, dis-je en ricanant pour détendre l’atmosphère.
Je vois ton sourire étirer tes lèvres et d’un geste vers toi, je joins nos bouches qui se retrouvent avec plaisir. Tu déclares le temps des câlins ouvert en glissant tes mains sur mon torse et à cet instant, je sais que c’est l’envie qui nous relie, nous connecte l’un à l’autre. Je me sens bien dans tes bras et en réponse à mon désir grandissant, tu te rapproches de moi, ton sexe dur venant se frotter au mien.
Nous faisons l’amour, plusieurs fois cette nuit-là et à chaque fois, je retrouve ce lien qui nous unit, cet amour qui fleurit chaque fois que nos corps s’entrelacent et ne font qu’un. Je sais que cette faim de toi n’est pas motivée par mon besoin mais par le désir de t’aimer, l’envie de te faire mien et de partager cette intimité qui nous rend plus complices que jamais.
Je sais que désormais je peux faire la différence entre mon addiction et mon amour pour toi. Je ne te l’ai pas encore dit mais je t’aime et pour rien au monde, je ne laisserais cette souffrance interférer entre nous.