Le soleil venait de se coucher, laissant place à un ciel noir, dépourvu d'étoiles pour l'éclairer. Le croissant de lune, qui avait pris sa place, peinait à s'imposer dans ces ténèbres. Ce soir-là, la nuit était d'un calme mortuaire, annonciateur de mauvaises nouvelles.
Assise à même le sol, dans une pièce aussi grande qu'un cercueil, sombre et sans issues, la porte verrouillée à double tour et la fenêtre au-dessus de sa tête barrée par une tôle qui ne laissait filtrer aucune lumière, Malkia avait les poignets attachés. Ses yeux étaient rivés sur ce sol humide qui était en contact étroit avec sa peau et qui la frigorifiait. Les oreilles en alerte sur le moindre bruit, elle écoutait avec attention l'hibou perché sur l'arbre planté devant la maison de son bourreau hululer ; son seul indicateur de temps.
Elle attendait, une boule au ventre, qu'il revienne, et cela depuis plusieurs heures maintenant. Voilà une semaine que sa vie avait radicalement changé. Jeudi dernier, elle était encore dans sa petite parfumerie, à faire ses comptes de la journée, heureuse d'avoir pu récolter assez d'argent pour prendre plus de marchandises. Puis était venu le coup de fil qui allait tout faire basculer.
Elle se souvenait de sa conversation téléphonique avec Antonella, sa belle-mère, qui l'implorait de venir dîner à la maison. Et elle, idiote, avait accepté. Depuis quand Antonella, cette femme qui n'avait cessé de lui rappeler qu'elle était une bâtarde, une enfant du péché, était-elle gentille avec elle ? Depuis quand voulait-elle dîner en sa compagnie, elle qui lui avait répété en boucle avoir la nausée à ses côtés ?
Malgré toutes ces humiliations, elle avait laissé une place dans son cœur pour cette femme, espérant qu'un jour elle puisse l'aimer, l'accepter. Et c'était cela qui l'avait poussée à tomber droit dans le piège de cette dernière.
Aujourd'hui, esclave d'un homme qui la répugnait, elle n'avait que ses yeux pour pleurer. Elle avait perdu tout espoir de retrouver un jour sa liberté, de reprendre sa vie, de s'appartenir.
Depuis qu'elle était entre les mains de celui qui s'autoproclamait son "dieu", elle voyait la vie sous un autre angle. Au collège, on lui avait parlé de l'esclavage, mais jamais elle n'aurait pensé en devenir une victime, au XXIe siècle, qui plus est.
Elle lui appartenait, il le lui avait dit, et peu à peu, cette idée qu'elle essayait de repousser devenait réalité, s'insinuant petit à petit dans son esprit.
"Ma propriété privée."
Cette phrase, cette étiquette qui lui collait à la peau, lui donnait la chair de poule.
Elle avait l'impression d'être une chose, un jouet destiné à distraire son bourreau jusqu'à ce qu'il s'en lasse. Mais quand ? Dans un mois ? Un an ? Aurait-elle sa liberté si cela arrivait ? Cette situation allait la rendre folle si elle ne se reprenait pas.
Elle ne dormait plus, mangeait à peine et son hygiène... elle se dégoûtait elle-même.
L'espoir...
Non !
Elle avait trop espéré et s'était résignée à accepter son triste sort.
Combien de fois avait-elle été battue ? Combien de fois ses larmes avaient-elles noyé son visage ? Combien de fois sa gorge lui avait-elle fait mal à force de crier ? Crier à l'aide, mais qui viendrait la sauver ? La police ? À cette idée, elle se mit à ricaner comme une folle en pleine démence.
Elle se rappelait de ce jour où, durant une réception, Damon Salvatore, son geôlier, lui avait présenté son ami, un lieutenant de police. Elle avait cru enfin voir la lumière au bout du tunnel et avait profité que celui-ci se soit éclipsé pendant quelques minutes dans son bureau pour demander de l'aide au représentant des forces de l'ordre, celui-là même dont le devoir était de la protéger. Sa réaction n'avait pas tardé, la laissant abasourdie et meurtrie.
Il s'était moqué d'elle et l'avait menacée de bien se tenir, mais le comble, il l'avait dénoncée et le soir même, elle recevait une bonne fessée dont les traces étaient encore présentes sur ses fesses et l'empêchaient de bien s'asseoir. Une larme solitaire roula sur ses joues en repensant à son lamentable échec.
Elle pouvait encore entendre le fouet prendre de l'élan pour venir s'écraser sur ses fesses et la douleur lancinante qui avait suivi. La leçon, elle l'avait apprise : personne ne pourrait l'aider, elle était seule face à son destin et plus vite elle se plierait, moins difficile serait l'épreuve.
La gorge nouée, les yeux cernés à cause de ses insomnies, le teint pâle et les lèvres aussi sèches qu'une terre aride, elle attendait, elle guettait sa venue. Que lui avait-il réservé ce soir ?
Fatiguée d'attendre, elle s'apprêtait à fermer l'œil quand elle entendit des bruits de pas dans le couloir ; quelqu'un venait. Son supplice fut de courte durée, car la porte s'ouvrit à la volée sur un homme de taille moyenne à la corpulence d'un adolescent, dont les yeux, malgré l'obscurité, trahissaient sa perversité.
Si la situation était différente, si elle était libre, elle aurait pu en rire de cet homme que la nature n'avait pas gâté. Debout dans l'encadrement de la porte, les poings sur les hanches, il était difficile d'observer ses traits, mais elle savait, même sans les voir, qu'il avait les yeux braqués sur elle.
Elle observa ses chaussures sales et boueuses se rapprocher à petit pas d'elle, alourdissant l'atmosphère qui était déjà tendue et qui n'allait pas tarder à devenir asphyxiante.
— Debout, nous avons de la visite ! ordonna l'homme d'une voix dure qui ne laissait place à aucune résistance de sa part. Sans perdre de temps, elle s'exécuta, la tête toujours baissée comme il lui avait appris.
— J'aime quand tu es obéissante, et si tu continues comme ça, peut-être, je dis bien peut-être, tu auras une friandise, commenta l'homme comme s'il s'adressait à son animal de compagnie.
Malkia avait ce sentiment désagréable, déshonorant d'être comme un chien dont il était le maître, et cette situation allait devenir plus insupportable dans les minutes à venir, quand elle devrait lui lécher les bottes devant ses amis, tous aussi dégoûtants que lui, qui allaient chercher à tester sa résistance.
Avec un soupir résigné, elle le suivit silencieusement dans le couloir. Ils marchèrent ainsi pendant plusieurs secondes jusqu'à une porte en bois de couleur belge.
— Voici la salle de bain, dépêche-toi de prendre une douche avant que mes invités n'arrivent. Je ne voudrais pas que tu les indisposes avec ta puanteur ! lui expliqua-t-il d'une voix aussi froide que la glace, en se pinçant le nez pour lui signifier qu'elle puait.
En cet instant, elle aurait voulu lui donner une belle gifle pour qu'il la ferme et lui crier que tout était de sa faute, mais elle n'en fit rien. Au contraire, elle le remercia pour cette "attention" avant de disparaître derrière la porte.
À présent seule, elle se laissa glisser le long du mur et ramena ses jambes jusqu'à son menton pour s'apitoyer sur son sort, mais elle savait qu'il l'attendait là, derrière la porte, et que le temps était compté.
Malkia jeta un regard bref sur la salle de bain moderne sans charme et se dépêcha de retirer ses vêtements et d'entrer dans la cabine de douche. Dès que les premières gouttes d'eau jaillirent du pommeau et glissèrent sur son corps crasseux, une sensation étrange l'enveloppa.
Elle se sentait d'une part libre, libre de pouvoir se laver seule, sans avoir à suivre des instructions, libre de voir cette odeur nauséabonde se décoller de sa peau dont elle avait pris possession. Mais d'une autre part, elle se sentait plus prisonnière.
En effet, il lui montrait une fois de plus qu'elle était dans le creux de sa main et qu'il décidait de tout, même de quand elle pourrait se laver. Si il le voulait, elle pouvait sentir fort ; il décidait en gros de son hygiène.
Elle appuya sur le bouton stop et se saisit d'une serviette pour s'éponger et enfila ses vêtements sales dessus pour avoir un coup d'avance.
— Je commence à m'impatienter ! tonna Damon, toujours derrière la porte et qui l'attendait de pied ferme.
— J'ai fini...
Elle courut le rejoindre dans le couloir avant qu'il ne perde patience.
— Tu en as mis du temps, mais au moins... Il la renifla avant de continuer : ... Tu es propre. Viens, suis-moi.
Toujours dans un silence pesant, il la conduisit jusqu'à une autre pièce. Une chambre, cette fois-ci, complètement à l'opposé de celle dans laquelle elle séjournait depuis son arrivée dans sa prison.
Il alla jusqu'à la penderie et en sortit une robe rouge simple mais assez vulgaire, destinée à ressortir ses formes pour faire baver ses invités. Elle était son jouet, il s'en vantait.
La chambre, d'un style scandinave, inspirait la tranquillité, loin de l'autre pièce qui donnait l'impression d'être dans une prison, pire, dans un cercueil, sous terre.
Les murs étaient recouverts de couleur beige pour accentuer cette impression de grande pièce avec un pan de couleur de bleu canard pour créer une ambiance unique. Le mobilier, fait en bois naturel d'une couleur douce, renforçait ce côté douillet.
Son cœur sauta de joie devant les plaids doux et chaleureux, les grands coussins sur le lit qu'elle n'avait pas dans sa "chambre" pour se coucher dessus. La pièce était épurée, elle n'était pas surchargée. Juste le strict nécessaire : un lit, une penderie, une commode et une coiffeuse.
Après lui avoir donné des instructions fermes, il s'en alla pour la laisser se préparer pour la représentation.
Dès qu'elle fut rassurée d'être seule, Malkia laissa exploser sa joie. Elle s'approcha d'un pas hésitant vers le petit lit, mais qui faisait l'affaire, et se coucha sur les coussins pour apprécier leurs douceurs.
Toujours ébahie, elle explora la petite pièce ; la délicatesse du bois dont était faite la commode lui procura un sentiment de tranquillité. Elle ouvrit la penderie pour voir ce qu'elle regorgeait et le regretta tout de suite. Le mobilier renfermait des robes, toutes aussi vulgaires les unes que les autres.
Près d'un vase, elle remarqua une porte, sûrement la salle de bain, et comprit que malgré ce privilège, il restait maître du jeu. Elle était scellée et, à travers la lucarne, elle constata qu'il s'agissait de la salle de bain, ce qui l'obligerait à traverser le couloir pour aller prendre sa douche, la rendant encore plus vulnérable.
Elle venait de prendre la robe qu'il avait quelques minutes plus tôt déposée sur le lit pour l'examiner de plus près, quand la porte s'ouvrit une nouvelle fois sur lui. Damon avait le regard plus ténébreux. Elle pouvait lire dans ses yeux de l'inquiétude et pouvait jurer avoir vu ses mains trembler.
Il s'approcha, les traits toujours aussi sévères, embaumant la pièce de son odeur fétide, les yeux braqués dans les siens. Il s'arrêta à son niveau et là, ses traits prirent une forme plus démoniaque ; ses lèvres s'incurvèrent en un sourire diabolique, assombrissant le charme de la pièce.
Et voilà, il avait réussi à lui enlever ce petit bonheur.
— Elle te plaît ?
Malkia resta dans le flou, sans savoir de quoi il parlait : de la robe ou de la chambre, avant qu'il jette un regard circulaire dans la pièce.
— Oui... oui, elle me plaît, maître, balbutia-t-elle.
Elle avait eu la désagréable sensation que sa bouche allait prendre feu en prononçant ce dernier mot, "maître", et sa réaction lui laissa un goût amer dans la gorge.
Il semblait se réjouir de la voir totalement à sa merci.
— Très bien, elle est à toi, si... si tu te montres gentille, ma petite chérie, lui confia-t-il sans se départir de son sourire machiavélique qui lui glaçait le sang.
— Merci, maître, murmura Malkia.
— Sois sage. Ce soir, Malkia, tu joues ta vie, ne l'oublie pas, la prévint son geôlier avant de s'en aller une nouvelle fois, la laissant seule avec ses appréhensions qui n'avaient de cesse de s'accroître.
Soudainement, la chambre lui parut funeste, alors qu'il était parti. Elle lui était plus étroite, voire étouffante, comme une boîte de sardines. Son cœur, qui avait repris un rythme normal, se mit à battre rapidement, prêt à sortir de sa poitrine ; ses mains devinrent moites et sa respiration suivit son organe vital en s'accélérant.
Elle avait l'impression d'avoir été vidée de son sang, sa tête pesait une tonne, tout semblait danser autour d'elle. Mais elle devait se reprendre, contrôler cette peur qui avait pris possession de son corps ; il le fallait si elle voulait être encore en vie demain.
Aujourd'hui, elle jouait sa vie l'avait-il prévenu avant de retourner sur ses pas...