Loading...
Link copied
Chapitre 1 - Agatha
Chapitre 2 - Agatha
Chapitre 3 - Christie
Chapitre 4 - Dans l'ombre
Chapitre 5 - Agatha
Chapitre 6 - Christie
Chapitre 7 - Agatha
Chapitre 8 - Christie
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Cobrnl
Share the book

Chapitre 7 - Agatha

Agatha

Flashback

D’après la légende, Vincent Van Gogh bouffait de la peinture jaune. Remus Lupin prenait un carreau de chocolat chaque matin. Edith Piaf se perdait entre morphine et cortisone, avec un bon verre de vin rouge. C'est assez beau de se tuer à petit feu comme ça. Se tuer en ingérant quelque chose qui vous fait vous sentir bien, vous sentir mieux... presque heureux? Agatha n’avait pas ce talent ; ni la patience. Elle avait passé le dernier mois à planifier la façon dont elle allait mourir, et cela lui avait déjà paru une éternité.

Minuit.

Il fallait que ce soit minuit.

Minuit, le 31 décembre. 

Ça faisait si longtemps qu’elle y pensait. Elle avait préparé l’événement toute la journée. Elle aime se dire qu’elle a pris sa décision à la mort de Charlie. Lorsqu’elle a vu son cercueil entrer dans la terre, elle s’est promis qu’elle ne passerait pas une année sans lui, qu’elle irait le rejoindre. Mais, elle se mentait un peu. Agatha ne s’était jamais senti appartenir à ce monde. Et elle avait perdu le compte des années qu’elle avait lutté contre cette envie d’en finir, de tout abandonner, et de juste dormir. Longtemps. Pour toujours. Charlie n’a été qu’une excuse. Qu’un prétexte. Une autorisation silencieuse. 

D’abord, il avait fallu monter un plan afin de rester seule à la maison. C’est sa sœur qui lui a soufflé involontairement l’idée : une gastro. Voilà, elle avait une gastro, elle ne pouvait donc pas aller à la fête du nouvel an. Quel dommage, ça aurait été l’occasion de voir ses amis, elle qui ne les avait pas vu depuis si longtemps. Sa mère lui propose de venir avec elle fêter la nouvelle année avec son oncle, mais Agatha déclina, prétextant qu’elle ne voulait pas risquer de contaminer quoi que ce soit. Son père offrit de venir passer le nouvel an à la maison avec ses filles, mais elle réussit facilement à le convaincre que ce n’était pas une bonne idée. Cela faisait longtemps que leur père ne se battait plus pour faire partie de leur vie de toute façon. La gastro, c’est contagieux. Et enfin, elle était seule à la maison, avec le chien, et sa sœur. Mais Christie ne poserait pas de problème, elle était vraiment malade. Elle avait abandonné l’idée de regagner le confort de leur chambre qu’elles partageaient depuis l’enfance, et avait élu résidence dans la salle de bain du rez-de-chaussée. Elle avait emmené son oreiller, une couette, et son ordinateur. Et elle comatait devant des vidéos youtube, ne prenant même pas la peine de mettre sur pause lorsqu’elle se retournait pour vomir dans les toilettes. Avec le son des vidéos, et celui de ses vomissements, elle n’entendrait rien de ce que sa sœur s'apprêtait à faire.

Puis, il a fallu trouver le moyen. L’idée était là, précise dans sa tête. Mais comment faire ? Internet lui fournit en partie la réponse, l’autre partie, elle la trouva grâce aux cours pharmaceutiques de Charlie.

Tout était au point.

Régler les derniers détails : donner au chien sa paté, s’assurer qu’il ait à boire, et le sortir une dernière fois. Apporter une bouteille d’eau à Christie, pour ne pas qu’elle meurt de déshydratation. Et ne pas pleurer.

C’était le moment des dernières fois. Une dernière caresse, un dernier verre de jus d’orange. C’était la dernière fois qu’elle montait les escaliers pour se rendre à sa chambre. La dernière fois qu’elle fermait sa porte. La dernière fois qu’elle voyait son reflet dans le miroir, les photos sur le bureau, les bouquins sur la table basse, les posters sur les murs. Mais il fallait faire vite, le temps presse. Bientôt minuit. Bientôt demain. Bientôt elle aurait dix-huit ans. Et elle ne voulait pas vivre une année de plus dans ses baskets. Elle se détestait tellement. Elle détestait le monde entier. Elle détestait ses parents pour s’être séparés alors qu’elle avait tant besoin d’eux. Elle détestait sa mère de faire un métier où elle est en déplacement tous les quatre matins. Elle détestait son père de ne jamais avoir le temps. Elle détestait Charlie d’être mort. Elle détestait Christie d’être allée au cinéma. Et elle se détestait en pensant que parfois, elle aurait préféré que ce soit Christie au lieu de Charlie. Quelle soeur pensait ça ? Si ce n’est un monstre. Christie l'étouffait. La rivalité entre soeurs, c’est un problème vieux comme le monde. Mais quand votre sœur a une meilleure version que vous, vous ne pouvez pas lutter. Elle se souvenait encore du jour où on avait annoncé à ses parents que Christie était surdouée. Elles avaient huit ans. Jusqu’à ce jour-là, elle avait été tout pour sa sœur, la seule à vraiment la comprendre, la protéger, la consoler. Et là, on lui arrachait. Elle avait toujours été la sœur parfaite, sage, avec des bonnes évaluations, gentille. Et voilà que ses parents regardaient Christie avec de grands yeux ronds ébahis pleins de fierté, comme s’ils doutaient qu’eux, simples mortels, avaient réussi à fabriquer ça, un miracle, un génie. Et Agatha, elle n’était plus que le personnage secondaire. Elle se retient d’aller voir sa sœur une dernière fois, pour vérifier que tout va bien. A la place, elle ferme la porte de leur chambre à clé.

Elle s'assure que tout était en place. S'assure que sa tablette soit bien déverrouillée pour que son contenu soit accessible. Toutes les réponses s’y trouvaient. Sa lettre d’adieu, expliquant son mal-être. Ses secrets. Ses envies. Son désespoir. Sa haine.

Puis, elle s’allongea sur son lit, et s’endormit. 

Dans le brouhaha des horloges, des « bonne année » et des bises, personne n’entendit son cœur cesser de battre.

Et ainsi mourut Agatha. 

C’est ainsi que cela aurait dû se passer. Si Christie n’avait pas défoncé la porte de la chambre, et ne s’était pas précipitée sur sa sœur. Si elle n’avait pas appelé les pompiers, et leurs parents. Si elle n’avait pas pris le corps frêle de sa sœur dans ses bras pour l'emmener sous la douche et laisser couler l’eau froide sur elles deux. Si elle n’avait pas enfoncé deux doigts au fond de la gorge de sa sœur pour la forcer à vomir. Si elle n’avait pas pleuré toutes les larmes de son corps et supplié sa sœur de ne pas la quitter. Si Agatha, au milieu du brouillard médicamenteux, n’avait pas entendu la voix brisée de soeur, lui promettre que si elle meurt, elle l’a suivrait dans la tombe.

Agatha se réveilla à l’hôpital. Cependant, c’était comme si elle était vraiment morte ce jour-là. Parfois, elle a peur de se réveiller et réalise que depuis tout ce temps, elle n’était que dans un long coma. Parfois, elle espère que ce soit le cas, et prie pour ne jamais se réveiller.

Parfois, elle déteste sa sœur de lui avoir pris ça aussi. De l’avoir piégé. Pour qu’elle vive. Alors qu’il n’y a plus rien de vivant en elle.

Et quand elle ferme les yeux, elle se retrouve toujours dans cette salle de bain, le corps de Christie pressée contre le sien, ses larmes se mêlant au jet de la douche, à lui murmurer à quel point elle est désolée, et à quel point elle l’aime. Et Agatha se sent comme de la merde. Alors, elle prend des cachets pour dormir. Pour être sûr de ne pas voir les grands yeux verts de sa sœur en pleurs, et ne pas entendre le cri déchirant sa poitrine.

Même mourir, elle n’était pas foutue de le faire correctement.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet