Dans l’ombre
La main tamponne autour d’elle pour trouver l’interrupteur de la lampe. Une bouteille vide roule sous le lit. La lumière l’aveugle un instant. La main vient frotter son visage encore endormi, alors qu’il essaie de s'asseoir au bord de son lit sans rien heurter. Calme. Doucement. Cette migraine ne l’a toujours pas quittée. Foutue migraine. La boîte de cachet est vide. Foutue migraine. Les mains le dévisagent, il enfouit sa tête. Ces mains-là qu’il ne peut plus voir en peinture. Ces mains qui ne sont plus les siennes. Elles se piquent à la repousse des poils de sa barbe. Une impression étrange de ne plus s’appartenir. Une dissociation de tout ce qui le compose. La tête dans ses mains, il se décompose. Foutue migraine.
Pour le petit déjeuné, il a le choix entre du pain dur ou un autre verre de whiskey bon marché. Il n’aime pas le pain dur. Ses yeux toujours bouffis, après sa sieste de dix heures, fixent le mur d’en face. Un comateux. Il n’y voit plus rien tant il y a à voir : feuilles punaisées, coupures de journaux, articles découpés, photos de mauvaise qualité imprimées sur du mauvais papier, le tout encadré de post-it “prix le plus bas” qu’il faut sans cesse coller à nouveau. Dehors, des klaxons se font entendre. Les volets fermés, il ne peut savoir s’il s’agit du rush de sept heures, treize heures ou dix-huit heures. Peu l’importe. Il vit dans un constant état de quatre heures du matin. L’agitation de la ville ne parvient plus jusqu’à lui. Et cette foutue migraine.
Seul ce mur l’importe. Au milieu des brochures, des post-it, des punaises et des feuilles, un portrait. Il ne la regarde plus tant il la voit de partout. Elle l’obsède. Il la connaît par cœur comme si elle était là, dans sa chambre, sur son lit, tous les soirs. Sur le cliché, elle pose avec légèreté, se moquant de lui, le narguant presque, tournée de trois quart sur ses talons aiguilles, elle lui tourne le dos et laisse apercevoir la peau de son épaule. Son regard vient le chercher. La tête dans la direction de l’objectif, de grosses montures rouges autour des yeux, il ne peut se méprendre. Elle lui fait un sourire. Ce sourire qui dit : « Attrape moi si tu le peux. » et cette foutue robe noire. La photo est vieille, mais la silhouette ne cesse de se rafraîchir. Il ne peut l’oublier. Elle apparaît dès qu’il ferme les yeux. Elle a détruit sa vie. Il la reconnaîtrait entre mille, c’était elle, place de l’étoile ce fameux soir. Cette femme qui semble poser pour la photo. Il ne s’expliquait pas comment mais c’est bien elle.
Ce sera elle ; la première femme qu’il tuera.
Et cette foutue migraine qui ne s’en va pas.