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Chapitre 3 - Christie

Christie

L’ordre,

Le faux emblématique : ce qui fait de nous des hommes. Il faut l’arracher. Il faut sauter le fossé, et repartir. Il faut voir le bordel.

Putain.

Les quelques mots commençaient à noircir la feuille. Le sujet la laissait pantoise : « L’ordre s’oppose-t-il à la liberté ? ». L’ordre lui paraissait ordinaire, on donne des ordres tout le temps, depuis toute petite :

Mange tes légumes.

Range ta chambre.

Tais-toi.

Assieds-toi.

Lave la vaisselle.

Obéis.

Ecoute tes professeurs.

Donnez-moi ce cahier.

Lisez ce texte.

Viens me chercher.

Souris pour la photo.

Et merde.

Le téléphone vibre, l’écran s’allume, la tentation d’Adam version 21eme siècle. Une urgence : un nouveau film au ciné qu’il ne faut pas louper : 21 heures, place de l’hôtel de ville, le rendez-vous est fixé. Tout le monde y va, d’après Mireille, et là où va Mireille, Coline la suit, et si Coline est de la partie, Benoît se doit d’être présent, et puisque Benoît est trop timide pour rester seul avec deux filles même s’il les connaît depuis la maternelle, Grimm se dévoue, et puisque tout le monde y va, Christie se prépare et Charlie, lui, aurait dû couper son téléphone.

Une demi-heure plus tôt, Christie et Charlie avaient eu une violente dispute pour savoir lequel d’entre eux devait aller récupérer leur mère à l’aéroport, situé à quarante-cinq minutes de route. Elle revenait du Japon où elle avait réussi à débaucher un gros poisson comme elle le disait. Il avait été convenu que la plus jeune de la fratrie, ayant obtenu récemment son permis, allait chercher leur mère avec la petite twingo rouge de la famille. C’était un petit peu de la triche, parce que Christie et Agatha était né à vingt-six minutes d’intervalle. Mais puisque Agatha était à ses cours du soir, ils l’avaient exclus d’office du shifumi décisionnaire. De toute façon, leur mère aurait pété une crise si le frère ou la sœur avait eu l’audace de déranger Agatha, la parfaite. Christie pouvait encore goûter le goût âcre de l’amertume sur sa langue. Elle avait perdu au shifumi, elle soupçonnait Charlie de tricher en lisant dans les pensées, mais elle s’était résignée à la lourde tâche de chauffeur pour la soirée. Cependant, cela était avant d’apprendre l’urgence, le film au ciné, celui qu’il ne faut pas louper. Charlie, l'aîné, était avachi dans son lit lorsque Christie toqua à la porte et entrouvrit doucement. Charlie tentait de mémoriser des diapos et des notes de conférences qui portaient des noms peu attrayants pour Christie comme : « Médecine Antique » ; « La symbolique du sang » ou « Histoire de la chirurgie ». Après quelques arguments, un haussement de ton, et le jet d’un classeur orange plein à craquer, Christie gagna cette bataille avec :

— Demain, c’est notre anniversaire. Ce sera un cadeau en avance.

Charlie leva les yeux au ciel, et c’est ainsi que Christie se trouvait au rendez-vous, 21 heures, place de la mairie. 

Il fallait dix minutes de marche pour se rendre au cinéma. Ces dix minutes furent meublées de détails sur le synopsis et la distribution du film qu’il ne fallait pas louper. Une fois arrivé, chacun paya sa place avec un popcorn moyen. Coline demanda un supplément de caramel sur ses popcorns, parce que « la vie est trop courte pour faire attention à la taille de ses hanches ». Et Grimm demanda un supplément chocolat, parce qu’il adorait ça. Une fois installés sur les sièges rouges et usés, cinquième allée en partant de l’écran (la meilleure place), Christie envoya un message à sa mère, pour la prévenir que ce serait Charlie, et non elle, qui viendrait la chercher. Elle décida aussi d’envoyer un message à Charlie pour le remercier. Puis, elle mit son portable en mode avion, la salle devint sombre, et le film qu’il ne fallait pas louper commença.

La déception se voyait sans peine sur les cinq visages sortant de la salle de projection. Ils jetèrent le récipient en carton qui avait feu contenu du popcorn, et sortirent. Là, Grimm s'alluma une cigarette, vite imité par Mireille.

— Je ne m’attendais à rien, dit-il en tentant d’allumer la cigarette de Mireille en dépit du vent, et pourtant je suis quand même déçu.

Les autres ne purent que hocher la tête. Ils venaient de perdre 140 minutes de leur vie. Quoique, pour relativiser, Benoît avait réussi à s'asseoir à côté de Coline, et Mireille avait adoré l’acteur principal qui jouait aussi dans une série qu’elle appréciait grandement. Le plus grand bémol pour elle, était la voix française du dit-acteur, puisqu’elle regardait toujours ses séries en VO sous-titré, et elle en regardait beaucoup. 

Le chemin du retour fut l’occasion de parler un peu de chose plus importante du point de vue de Coline : le bac approchait à grand pas. Mireille ne se faisait pas de soucis, c’était le genre de fille à réussir, celle où on se dit toujours : « si elle, elle ne l’a pas, personne ne l’aura. » En réalité, la seule qui stressait, c’était Coline justement. Et elle s’inquiétait surtout pour Grimm qui se contentait du strict minimum. Il avait d'autres projets, les seuls cours qu’il ne séchait jamais était ceux du conservatoire. Si on le cherchait, il fallait se laisser guider par le son du piano, et bim on était sûr de tomber sur Grimm. Et pourtant, Coline parlait encore de l’importance du bac, et demanda à tout le monde s’ils avaient bien rempli leur dossier pour la fac encore et encore.

Ce n’est qu’une fois revenu à sa dissertation de philosophie que Christie pensa à son portable, toujours en mode avion. Elle décida de le réactiver, puis le jeta sur son lit et fila sous la douche avant qu'Agatha ne rentre et ne prenne encore une fois toute l’eau chaude.

Après cette douche relaxante, la douche froide. Le portable fait une crise, il ne cesse de vibrer : sa mère, en colère : personne n’est venu la chercher, personne de joignable, à quoi vous servent vos portables ? Elle a dû prendre le train, et le billet lui a coûté un bras, comme elle dit. Elle sera là dans vingt minutes, et demande à Christie d’au moins venir la chercher à la gare, qu’elle n’ait pas à porter sa valise toute seule, et puis une femme seule dans la rue à minuit, c’est dangereux. Christie s’excuse et lui promet de l’attendre sur le quai de la gare. Dans la foulée, elle reçoit un message d’Agatha, cette dernière reste dormir chez une amie. Un projet commun à finir pour quelque chose du genre, Christie n’y prête pas vraiment attention, bien trop contente d’avoir la chambre qu’elle partage avec sa sœur pour elle toute seule pour la nuit. 

Sur le chemin jusqu’à la gare, elle tente de joindre Charlie, en vain. Elle s’énerve. Quel con celui-là. Elle essaie de réfléchir à sa dissertation, mais rien ne vient. La gare est là, et le train arrive. Sa mère sort, à vive allure, comme d’habitude, elle n’a jamais été du genre à marcher. Elle s’approche de sa fille en courant presque, les roulettes de sa valise peinant à la suivre. Un pas les sépare, elle lui donne un petit coup sur la tête à l’aide de son magazine, puis la prend dans ses bras.

— Tu m’as manqué, tête de linotte ! sourit-elle, alors il était comment ce film ?

— Y’a eu pire, menti-t-elle, pour ne pas avouer que non seulement elle n’a pas tenu sa promesse, mais qu’en plus, ça n’en valait pas le coup. 

— Rah, ton frère va m’entendre ! 

Christie s’empare de la valise de sa mère. Ils venaient de quitter la gare lorsqu’une sonnerie retentit. Sa mère répond. 

Si elle avait su quelques minutes plus tôt que ce serait la dernière fois qu’elle voyait le sourire de sa mère, elle en aurait profité. elle aurait tenté de tout photographier : les pates d’oies qui se formaient au coin de ses yeux, ses fines lèvres au rouge impeccable, la fossette qui se creusait sur sa joue gauche. Elle sentit la tension s’abattre sur elles d’un coup.

— Que se passe-t-il maman ? en tentant de contrôler la nervosité de sa voix.

Pour toute réponse, des larmes roulèrent le long de cette même joue, où la fossette avait quitté son trône. Le téléphone tomba, la batterie se retrouva séparée de son socle. Solange, qui tenait autant à son téléphone qu’à l’un de ses enfants, ne fit même pas un geste pour le ramasser. Elle agrippa fermement l’avant-bras de sa fille.

— On rentre à la maison, dit-elle.

Et le chemin se fit en silence, si ce n’est quelques reniflements intempestifs qui n’étaient qu’une preuve de plus pour Christie que plus rien n’allait bien dans ce monde. Elle n’avait jamais vu sa mère pleurer, ni rester silencieuse d’ailleurs. Et les quinze minutes de marche nécessaire entre la gare et leur maison se firent en plus d’une demi-heure. Cette femme déboussolée, aux yeux rougis qui lui serrait toujours le bras quitte à y planter ses ongles, n’était pas celle qu’elle avait appelé maman toute sa vie, jusqu’à présent. Elle regrettait à présent qu’Agatha ne soit pas là. Elle arrivait bien mieux qu’elle à gérer ce genre de situation. Solange éluda toutes les questions de Christie, jusqu’à ce que cette dernière s’avoue vaincue pour le moment. Sa mère était en état de choc, Christie avait déjà vu des reportages à ce sujet. Une boule commence à se former au creux de son estomac. 

Une fois rentrée, Solange ordonna à Christie de monter dans sa chambre, et de dormir. Christie ne souleva pas qu’elle avait plus dix ans, mais dix-huit, et qu’elle ne pouvait pas lui ordonner de dormir. Elle monta dans sa chambre, mais ne put se résoudre à dormir, quand bien même ce fut un ordre. Elle entendit la porte d’entrée s’ouvrirent, quelques bruits de pas, et enfin la voix de son père. Pour comprendre sa surprise, il faut savoir que son père et sa mère avaient divorcé dix ans auparavant, une sombre histoire d’adultère. Et, même si leur père habitait dans le village voisin, qui se situait grosso modo à une dizaine de kilomètres, ils ne le voyaient que rarement. Christie ne put s’empêcher de les espionner par les barreaux des escaliers, comme lorsqu’Agatha et elles étaient petites. A cette époque, Charlie venait toujours la rejoindre, et lorsque les cris devenaient trop fort, il emmenait ses petites sœurs avec lui dans sa chambre, et il leur racontait des histoires. Aujourd’hui, ses parents ne hurlaient pas. Son père tenait sa mère dans ses bras. La dernière fois qu’elle les avait vu ainsi, elle avait huit ans, et grand-père venait de mourir. Le cœur de Christie se serra.

— Solange, il faut leur dire… murmura son père, d’une voix douce qu’elle ne lui connaissait pas.

Il pleurait lui aussi. Sa mère se blottit un peu plus dans les bras de son ex-mari et secoua vivement la tête.

— Non, c’est leur anniversaire aujourd’hui, on ne peut pas leur faire ça, déclara-t-elle, on fait comme si de rien n’était.

— Elles le sauront un jour et…

— Qu’est-ce que ça peut te faire de leur laisser un jour de répit ?

— Elles ne sont plus des enfants, Solange, elles ont maintenant 18 ans, lui rappela son ex-mari.

— Elles restent mes bébés, je ne peux pas leur faire ça aujourd’hui, ça peut attendre demain.

Son père lacha les épaules de sa mère. Il se tourna vers la console de l’entré, où trone des photos de nous trois en pagaille. Il attrape un cadre avec une photo de Charlie souriant, tendant un poisson gigantesque à la caméra. Les deux soeurs se moquent régulièrement de cette photo, en disant que tous les mecs ont une photo où ils posent fièrement à côté d’un poisson mort. Elles ont même fait promettre à Charlie que s’il ouvrait un compte sur une application de rencontre un jour, il aurait l’interdiction de mettre cette photo, sauf s’il voulait passer pour un tocard. Son père passe une main sur le verre. L’émotion fait craquer sa voix.

— Et que vont-elles dire lorsqu’elles ne verront pas leur frère au repas ? Que vas-tu inventer ? Charlie ne…

— Charlie sera toujours mort demain !

Crac. Le cadre tombe des mains de Victor. Le bruit du verre brisé emplit la pièce devenue soudain beaucoup trop silencieuse. Crac c’est le bruit qu’à fait sa vie en partant. Christie porte une main à son poul, pour s’assurer qu’elle est encore vivante. Bien sûr, sinon elle n’aurait pas aussi mal. Seuls les vivants souffrent à ce point. De partout. Tout son corps lui fait affreusement mal, même les bouts d’elle dont elle n’avait pas encore conscience. Elle ressent la douleur de cette déclaration jusqu’au bout de ses orteils. Elle ne sait plus comment elle faisait pour respirer avec autant de facilité avant. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas possible. C’est un cauchemar et elle va se réveiller. 

Sa mère s'effondre sur le sol, la tête cachée dans ses mains. Elle pousse des cris comme un animal blessé. Si elle avait besoin d’une confirmation pour savoir que tout cela est réel, elle est sous ses yeux. Sa mère, Solange, rayon de soleil parmi les rayons de soleils, qui n’a pas pleuré quand elle a appris la tromperie de son mari, qui est resté debout, droite derrière le cercueil de son père, était sur le sol, haletante, en larmes. Et Victor, son père, qui avait la capacité émotionnelle d’une fourchette à huître, la serrait fort contre lui, lui promettant tout ce qu’il lui passait par la tête pour qu’elle arrête de pleurer. Lui répétant à quel point il l’aime. Christie n’avait jamais entendu son père dire ses mots à sa mère. Pour dire à quel point il devait être dépassé par la situation. Christie quitta sa cachette, et descendit lentement les escaliers. Elle s’arrêta devant sa mère agenouillée sur le sol, se baissa à sa hauteur, et la prit dans ses bras.

— Ça va aller maman, je te le promets, la consola-t-elle, je suis là, ça va aller. 

Le père se joignit à cette étreinte désespérée qui tentait tant bien que mal d’arrêter ces vagues de douleur qui les heurtait de plein fouet.

— Je suis là, répéta Christie, je suis là.

Pour autant, l’idée commençait déjà à germer au fond d’elle : si je n’étais pas allée au cinéma, Charlie serait encore là. 

Christie se réveilla. Elle détestait quand elle s’endormait en ayant pas assez consommé de substance lui permettant de faire une nuit dans rêve. Parce qu’elle revivait toujours ce moment lorsqu’elle fermait les yeux. Ce cauchemar. Ce souvenir. Elle se frotta les yeux, chassant les larmes séchées sur ses joues. Elle sentit alors une tâche poisseuse contre sa joue. Elle frotta, et regarda sa main souillée de rouge. Ses yeux s’écarquillèrent. Ce n’est qu’alors qu’elle sentit l’odeur métallique du sang empreignant la pièce. Son cerveau baignait encore dans le brouillard. Elle tourna la tête, et s’empecha de vomir sur sa couette préférée Harry Potter en voyant l’homme allongé à côté d’elle. Il avait la gorge tranchée, les yeux ouverts, la respiration inexistante. Un cadavre. Dans son lit. Sa couette Harry Potter, ruinée.

— Agatha va me tuer.

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2 Comments

1 month ago
Ohhh le petit flashback ❤️ C'était super fluide, et les émotions (⁠。⁠ŏ⁠﹏⁠ŏ⁠) Merci ❤️
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1 month ago
🥰
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