Le silence, le vent, le ciel. Rien d’autre. Rien d’urgent. Rien d’hostile.
Je suis là, à demi allongé sur son dos, bercé par la régularité puissante de ses battements d’ailes. Il vole sans un effort apparent, porté par un instinct sûr, ancien. Je n’ai pas besoin de guider. Je n’ai même pas besoin de penser. Il sait. Et moi, pour une fois… je peux lâcher prise.
Le vent me traverse, me nettoie. Il soulève mes cheveux, efface la sueur, le sang séché, les cris étouffés dans ma gorge. Il me rafraîchit, m’apaise, me rappelle ce que c’est que d’exister en dehors de la douleur, en dehors de la mission. Ici, il n’y a ni colère, ni mémoire trop lourde. Il n’y a que l’air.
Je ferme les yeux un instant. Le monde disparaît. Je n’entends plus que le sifflement du vent, le froissement régulier de ses plumes épaisses et chaudes sous moi. Elles sont comme un manteau vivant, dense, protecteur. Je sens sa chaleur sous mon ventre, stable, immuable. Il est là, et je peux m’abandonner.
Je rouvre les yeux. En bas, le paysage défile à toute allure, flou d’abord, puis précis. Des collines, des forêts, des rivières qui scintillent comme des veines d’argent. C’est beau. Injustement beau. Presque cruel, dans ce monde brisé, que quelque chose puisse encore être aussi pur. Mais je ne résiste pas. Je regarde. J’en profite. Parce que ces instants sont rares. Fragiles. Et que dans cette solitude absolue, je retrouve quelque chose de moi-même que je croyais perdu.
Je me sens léger. Délesté. Plus d’armure. Plus de masque. Juste moi. Et lui. Et le ciel. Ce vol n’est pas une fuite. C’est une pause. Une respiration. Un battement de cœur arraché à l’atrocité du monde. Je me laisse aller contre lui, les mains perdues dans son plumage. Et je souris, presque malgré moi. Pas un sourire heureux. Un sourire tranquille. Un sourire vrai. Je suis vivant. Là-haut, entre ciel et terre, au creux du vent. Et pour un moment, ça suffit.