Aarïa, prisonnier lui aussi des chaînes mystiques du sorcier, ne peut me prêter sa force. Je suis seul. Le moindre faux pas, le plus léger bruissement, et les mages accourront, assoiffés de sang. Le danger est partout — rampant, tapi, prêt à bondir.

Mais Érule me l’a appris : le chasseur et sa bête, unis par l’âme, peuvent transcender chair et limite.

Je n’ai pas compris. Je n’ai pas réfléchi.

J’ai senti. Et cela a suffi.

Nos esprits ont fusionné dans une clameur muette. Nos corps se sont embrasés, mêlés, remodelés par une force ancienne.

Ce que je deviens, n’a plus de nom.

Ma peau se couvre d’un pelage sombre, rayé de guerre. Mes ongles s’allongent en serres d’obsidienne. Mes dents se muent en crocs voraces. Mon dos se tend, ma colonne se déploie, ma taille double. Une queue siffle derrière moi, souple comme un fouet, tranchante comme une lame.

Je suis vitesse.

Je suis puissance.

Je suis chasseur incarné.

Je n’ai plus besoin de penser. Mon corps sait. Il bondit, il frappe, il déchire. Je me jette de mage en mage, comme l’orage d’un ciel en colère. Les sorts des ennemis fusent, mais trop lents. Mes réflexes sont fulgurants, mes bonds titanesques, mes griffes impitoyables. Chaque adversaire s’écroule avant même d’avoir compris. Ils sont faibles. Fragiles. Déjà morts.

Les arbres ne sont plus des obstacles. Ils sont alliés, tremplins, armes. Je virevolte parmi les feuillages comme un esprit vengeur, insaisissable et souverain. La peur se lit dans les yeux de mes proies. Et moi ? Je ne ressens rien. Rien, sauf l’instinct brûlant et la joie sauvage de la traque.

Lorsque le dernier cœur cesse de battre, je me penche et ramasse le collier — cet artefact pour lequel tant sont tombés.

Je prends enfin une respiration.

Je contemple ce que je suis devenu. Non plus un homme. Non plus une bête. Une légende en marche.

Puis, dans le silence revenu, la fusion se défait, douce comme un dernier soupir. Aarïa retrouve sa forme. Moi aussi. Nous nous faisons face, et dans nos regards, une certitude éclate :

Ce pouvoir a toujours été là.

Endormi.

Redouté.

Jamais appelé.

Mais aujourd’hui, il s’est levé.

Et rien ne sera plus comme avant.