Non… ce mot est trop faible. Ce n’est plus de la douleur, c’est un ouragan qui déchire mes nerfs, un feu glacé qui consume ma chair. Ma jambe… je ne la sens plus. Comme si elle avait cessé d’exister. Et pourtant, je suis encore là, éveillé, accroché à un fil ténu de conscience. Comment est-ce possible ?
J’en ai enduré des blessures. Des os brisés, des chairs ouvertes, des nuits à cracher le sang sous les étoiles froides. Mais jamais… jamais je n’ai connu pareille agonie.
Le sang ne circule plus. Ma jambe s’alourdit, se ramollit, comme du bois pourri qu’on s’apprête à couper. Et cette étreinte… Ce maléfice, ce sortilège infâme du sorcier… il broie, il ronge, il me vole tout contrôle. Mon corps n’est plus mien. Si je ne me lève pas maintenant, si je ne brise pas ce sceau, je tomberai… et je ne me relèverai plus.
Mais comment me relever quand je suis déjà si bas ? Seul. Face à une armée d’arcanistes sans pitié.
Que puis-je faire… sinon mourir ?
Devrais-je me rendre ? Abandonner ? Livrer mon âme et renoncer au rêve de mon peuple ?
Mais alors…
Le déshonneur s’abattra sur ma lignée comme une malédiction.
Et Rïa me refusera...
Mon dernier souffle approche. Je le sens, il rôde, prêt à me faucher.
Mais je ne peux capituler.
Je ne veux pas. Je ne dois pas.
Alors, d’un geste désespéré, je glisse ma main sur ma jambe valide. Mes doigts trouvent la dague de jet — celle qu’Érule m’a offerte, le soir de l'adieu, le soir de l'office. Le manche est froid, familier. J’en serre la garde, et dans un cri muet, je la lance de toutes mes forces.
Mais mes yeux me trahissent.
Ma visée est faussée.
La lame file à côté.
Le sorcier ricane. Un ricanement sec, cruel, inhumain. Il tend sa seconde main, et la magie se resserre, double, m’écrase dans les herbes hautes comme un serpent monstrueux.
Je ne sens plus rien. Ni jambe. Ni force. Ni espoir.
L’autre jambe aussi commence à hurler de douleur.
Il est temps de mettre fin à cela.