Lucas
Le dimanche matin, malgré une courte nuit, Lucas bouillait d’impatience. L’idée de revoir Charlotte flottait dans son esprit. Insistante. Persistante. De nouveau, il chassa l’introspection que sa hâte de la retrouver soulevait et se concentra sur autre chose. Plus tard, éluda-t-il.
Il s’était amusé à publier ces images toute la semaine. Un jeu anodin, au départ. Une simple provocation pour poursuivre leur échange au club. Puis, sans s’en rendre compte, ce jeu innocent s’était mué en une complicité. Charlotte avait de la repartie et un second degré qui le stimulait. Leurs conversations étaient fluides, naturelles. Évidentes.
Lucas chassa de son esprit la source, devenue quotidienne, de distraction. Il récapitula. Sa tenue. Un parfum léger. Il passa une main dans ses cheveux, puis haussa les épaules. Ridicule. Ce n’était pas un rendez-vous. Juste une régate, une belle journée, une femme intéressante.
Il attrapa son sac à dos, y glissa son appareil photo, une veste pour se protéger de la brume fraîche qui nappait la ville et chercha partout sa foutue casquette. Agacé de prendre du retard, il fila réveiller Adam de l’autre côté du palier.
— Où est ma casquette des Giants ? déclara-t-il à peine la porte ouverte.
— À quelle heure on a changé de fuseau horaire ? bâilla Adam encore endormi.
— Depuis que t’as pris ma casquette, s’irrita Lucas en entrant dans l’appartement de son frère.
Adam ouvrit un œil suspicieux.
— Tu es nerveux à l’idée de retrouver Charlie ?
Lucas grogna en répondant :
— Tais-toi et aide-moi à la chercher !
Adam soupira, amusé, et l’aida, sans insister.
Sa bonne humeur revenue après avoir récupéré son accessoire, Lucas partit à la recherche des meilleurs croissants du quartier. Cette fois, il offrirait un petit déjeuner à Charlotte en face à face. Adam, dorénavant réveillé et « curieux de voir Lucas se prendre un vent » l’accompagnait. Lucas l’ignora en accélérant le pas. Ce n’était pas pour arriver en avance et s’assurer qu’elle viendrait.
Il faisait frais, et il voulait se réchauffer.
Rien d’autre.
Devant leur lieu de rendez-vous, Adam brisa finalement le silence.
— Toujours pas de nouvelles de ta mystérieuse Charlie ? demanda-t-il avec un sourire en coin.
— Patience. Elle viendra.
— On dirait qu’une certaine Française t’a tapé dans l’œil, non ? persista-t-il en lui donnant un coup de coude.
Lucas roula des yeux, mais ne put empêcher un sourire de lui échapper.
— Elle est… différente, admit-il, songeur.
— Je dois avouer, ça fait plaisir de te voir aussi… motivé pour autre chose que tes plans, observa Adam.
— J’ai toujours été motivé, tu sais bien, se défendit Lucas, piqué au vif.
Adam lui jeta un regard entendu.
— Oui, sauf que depuis un moment, ta « motivation » ressemblait surtout à de l’évasion. Combien d’heures par jour tu passes au bureau, déjà ?
Lucas pinça les lèvres.
— Ce projet est important, Adam. Je ne vois pas pourquoi…
Son frère l’interrompit, plus sérieux cette fois.
— On sait tous les deux pourquoi.
Son regard se durcit brièvement. C’était vrai. Il le savait. Mais tout était plus simple quand il se concentrait sur son travail.
Pas de complications.
Pas de surprises.
Pas de promesses qu’on ne pouvait pas tenir.
Adam lui posa une main sur l’épaule, son expression adoucie.
— Peut-être qu’il est temps de faire de la place pour autre chose. Pour quelqu’un d’autre.
Lucas expira. Son frère avait raison, et il le savait.
— C’est pas faux, accorda-t-il finalement, les yeux rivés vers l’hôtel dans lequel Charlotte et ses amies avaient logé une semaine auparavant.
Peut-être que cette fois-ci… non. Ce n’était pas le moment d’y penser.
Adam lui adressa un rictus encourageant.
— Regarde-toi, tu as fait un effort pour choisir des croissants. C’est un bon début !
Lucas esquissa un sourire, mi-railleur, mi-nerveux.
— Ne plaisante pas à ce sujet, ces croissants sont un chef-d’œuvre[1], feignit-il de s’indigner. Et puis, si tu ne veux pas que je te cuisine sur Diane, tiens-toi tranquille.
Adam lui offrit un majeur bien senti. Lucas s’apprêtait à lui rendre la pareille quand la porte de l’hôtel s’ouvrit.
Son cœur rata un battement.
Charlotte apparut dans l’encadrement, son regard se posant directement sur lui. Une seconde d’hésitation. Puis ses lèvres s’étirèrent en un sourire doux. Un frisson d’excitation traversa Lucas. J’avais tellement envie de la revoir, reconnut-il. Et il se promit intérieurement : cette fois, je vais en profiter.
[1] En français dans le texte.