Lucas
Lucas se sentait bien, captivé par la présence de Charlotte. Il ne pouvait détacher ses yeux d’elle, observant ses mouvements au rythme de la salsa qui jouait en fond. Assise sur le canapé, elle se balançait en souriant, fredonnant les paroles de “Alors on danse” de Stromae.
— Tu comprends le français ? demanda-t-il, espérant relancer la conversation.
Elle hocha la tête tout en aspirant doucement sa boisson à la paille, le regard vaguement pensif. Lucas haussa les sourcils, surpris.
— Française d’origine, donc ?
Elle acquiesça à nouveau avec une légère moue, sans en dire plus. Il sentit une barrière, une sorte de retenue calculée. Elle se plaisait dans cette distance, se drapant d’une aura mystérieuse. Chaque réponse était mesurée, comme si elle hésitait à lui en dévoiler plus. Il aurait aimé qu’elle se montre curieuse à son encontre, qu’elle lui pose des questions à son tour. À la place, elle restait fermée, légèrement tendue, contrairement à la manière décontractée dont elle plaisantait avec ses amies.
Finalement, elle se leva, tenant son verre vide.
— Je vais me chercher un autre cocktail. Quelqu’un veut quelque chose ?
Lucas se contenta d’un vague geste de la main, frustré, incertain. Peut-être s'était-il trompé en pensant qu'il y avait une connexion entre eux. Alors qu'elle s'éloignait, Daphne se pencha vers lui, un sourire complice aux lèvres.
— Charlie, c’est la fille la plus forte que je connaisse, lui confia-t-elle, un clin d'œil à l’appui. Elle sait gérer des crises, des imprévus… Mais quand il s’agit d’elle-même, de ses propres sentiments, elle perd pied. Si elle te fuit, c'est bon signe. Accroche-toi.
Lucas sourit, amusé et intéressé.
Un défi ? Il aimait ça.
Il leva les yeux au moment où Charlotte revenait, le visage plus détendu qu’auparavant. Elle buta sur une marche et se mit à pouffer. Elle était enfin plus à l’aise, libérée, comme si cette pause lui avait permis de lâcher prise.
Elle posa son verre sur la table et, d’un geste gracieux, lécha le dos de sa main pour nettoyer les quelques gouttes renversées. Le regard de Lucas se fixa sur cette lèvre, puis sur la pointe de sa langue qui effleurait la peau.
Merde. Son cœur accéléra.
Où était passée la biche apeurée de tout à l’heure ? Cette nouvelle Charlotte, plus audacieuse, réveillait en lui des envies qu’il aurait préféré ignorer.
— Tout va bien ? murmura-t-il, la voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.
Elle hocha la tête, ses fossettes creusant ses joues. Lucas devait bouger. Agir. Sinon…
— D’ailleurs…Est-ce que j’aurais la faveur de choisir une autre chanson ? lança-t-elle, son regard planté dans le sien, pétillant d’espièglerie.
Lucas sentit ses doutes s’évaporer.
— L’offre tient toujours, Charlie, répondit-il, appréciant le surnom qui glissait naturellement. Rien que pour toi.
Elle tendit sa main vers son téléphone. Lucas le lui donna sans hésiter. Il observa la manière dont elle pianotait sur l’écran, concentrée, ses lèvres pincées en une moue adorable. Les premières notes de “Dancing with a Stranger” de Sam Smith résonnèrent dans le club, plongeant l’atmosphère dans une ambiance feutrée.
Lucas se leva et lui tendit la main.
— Danse avec moi.
Elle le contempla, puis glissa sa main dans la sienne, une étincelle dans les yeux. Le contact fut léger et fugace, toutefois suffisant pour lui envoyer une décharge dans les veines. Il la guida jusqu’à la piste et enlaça sa taille, tandis qu’elle enveloppait sa nuque d'un geste délicat, ses ongles effleurant sa peau. Il frissonna.
Elle était trop près. Ou peut-être pas assez.
Il aurait pu l’attirer plus étroitement contre lui. La réclamer. À la place, il la laissa contrôler le rythme.
À sa surprise, elle se détendit, ferma les yeux et posa sa joue contre la sienne. Lucas inspira profondément, envahi par le parfum subtil de Charlotte, cette fragrance fleurie qui marquait son épiderme.
Mauvais plan.
Ils tournaient lentement, bercés par la musique, leurs souffles se mêlant dans cette proximité délicieuse.
Il murmura à son oreille :
— Ça te plaît de danser avec un inconnu ?
Elle hocha la tête, puis ouvrit les yeux, ses lèvres frémissant.
— Maintenant, oui.
Puis, elle se haussa sur la pointe des pieds, elle chuchota quelques mots en français, juste assez près de son oreille pour qu’il ne les entende pas clairement. Il ne comprit pas, et ce mystère lui plaisait.
Elle se recula légèrement, son regard pétillant, un sourire en coin.
— Qu'est-ce que tu as dit ? demanda-t-il, intrigué.
Elle gloussa, posant un doigt sur ses lèvres.
— Devine, susurra-t-elle, taquine.
Lucas rit, et elle sentit le tremblement de son torse contre elle. Juste au moment où il ouvrait la bouche pour répondre, la musique changea pour un rythme latino, déclenchant une onde d’énergie qui les entraîna dans une cadence plus endiablée. Lorsqu’elle se retourna, dos contre son buste, le souffle de Lucas s’accéléra. Elle se cambra légèrement, s’abandonnant dans ses bras. Il posa doucement une main sur son ventre, sentant les battements de son cœur sous ses doigts.
Il se pencha à son oreille et murmura :
— Charlotte… Qu’as-tu dit ?
— Que j’ai mal aux pieds, pouffa-t-elle.
Lucas éclata de rire à son tour et s’agenouilla pour lui attraper un mollet et lui ôter son escarpin. Elle s'accrocha à ses épaules pour garder l'équilibre. Il fit de même avec son autre pied, posa ses chaussures sous une table vide à proximité et se redressa tout en la frôlant sciemment. Charlotte n'avait pas ôté ses mains de ses épaules.
Cette fois, ils étaient vraiment proches. Elle était plus petite sans ses talons et son visage arrivait au niveau de l'encolure de la chemise de Lucas.
Il se remit à chalouper, trouvant un prétexte pour bouger, sinon il savait qu’il pourrait dire ou agir d’une manière qui la ferait fuir.
Comme l'embrasser.
Comme la dévorer.
Comme l'emmener dans un coin plus intime et lui montrer tout ce qu'elle lui inspirait.
Déterminée, Charlotte leva la tête pour le regarder droit dans les yeux, teinté de timidité.
— Peut-être que je veux… te revoir, Lucas.
Elle déposa un baiser léger, presque imperceptible, au coin de sa bouche, puis recula avec un sourire espiègle. Lucas, le cœur battant, se retint de réagir. Il savait déjà qu'il ne pourrait pas rester indifférent à cette femme complexe et mystérieuse.
Elle avait ses barrières.
Lui aussi.
Le club était sur le point de fermer, et Lucas n'avait aucune envie de laisser Charlotte partir. Il ne s’expliquait pas cette sensation, cette envie de la retenir encore un peu, de prolonger cet instant suspendu. Comme si la nuit recelait un pouvoir magique, capable de transformer un simple moment en quelque chose de mémorable. Il réfléchissait à toute vitesse, cherchant un prétexte pour la revoir.
Il fera son introspection plus tard.
Ce fut Adam qui vola à son secours.
— Les filles, c'est quoi votre plan pour demain ?
— Nous embarquons notre Charlie dans une journée relax. Et on va garder le secret pour qu’elle en profite à fond, répondit Diane en croisant les bras, un sourcil levé.
L’amie de Charlotte les avait percé à jour et avait décidé de jouer avec eux. Lucas sentit une pointe de frustration monter. Il avait espéré pouvoir la revoir rapidement.
— Vous restez dans le coin ? insista Adam.
— On a pris une chambre d’hôtel pour éviter de prendre la voiture. Demain Diane et Daphne repartent à Los Angeles, informa Charlotte sans lâcher Lucas du regard.
Ressentait-elle aussi cette urgence d’avoir la promesse de se revoir ?
Lucas passa une main dans ses cheveux, prêt à l’inviter quand son regard tomba sur un prospectus tâché sur le comptoir. La voilà son idée ! Il le saisit du bout des doigts, froissé mais lisible.
— Il y a la SailGP* dimanche prochain ! s’exclama-t-il.
Charlotte leva un sourcil à son tour.
— Mes fins de mois sont un peu justes pour acheter un bateau, répliqua-t-elle, ses fossettes apparentes.
Lucas éclata de rire.
— Absolument. Non c’est une course de voile qu’on peut voir depuis la baie. C’est gratuit mais il faut arriver tôt pour avoir une chance de trouver un bon spot.
Elle reprit son verre, comme si elle réfléchissait à sa réponse.
— Je te dirai ça.
Une esquive élégante. Typique. Lucas laissa échapper un rictus amusé.
— Alors je vais espérer.
Elle sourit, cette fois sans masquer son amusement.
— Peut-être que nous raccompagner à notre hôtel me permettrait de réfléchir à cette singulière attention. En même temps, de la part d’un barman-architecte, je m’attends à tout, taquina-t-elle.
Lucas sentit son cœur bondir. Elle lui rendit un sourire timide, empreint de douceur et de réserve. Ils étaient sur la même longueur d’onde, comme s’ils avaient déjà compris sans mot dire qu’ils voulaient prolonger cette rencontre.
Adam, Diane et Daphne marchaient devant, riant aux éclats, tandis que Lucas et Charlotte traînaient en arrière, en silence, comme pour retarder le moment inévitable de se séparer.
Dans un geste naturel, Lucas glissa son bras sous celui de Charlotte, comme s’ils avaient fait cela des centaines de fois. Leurs épaules se frôlaient, leurs souffles s'accordaient à chaque pas. La nuit était douce, pleine de non-dits et de promesses discrètes. Une quiétude complice s’installa entre eux, et Lucas avait l’impression qu’il pourrait déambuler ainsi pendant des heures, seulement pour la garder près de lui plus longtemps.
Ils s’arrêtèrent devant l’hôtel, un bâtiment charmant niché dans le quartier de l’Embarcadero, à proximité d’un des meilleurs points d’observation de la régate. Lucas ne croyait pas particulièrement au destin, et durant la soirée, chaque événement lui semblait orchestré par une force invisible. Sa rencontre avec Charlotte, cette invitation impromptue à la course… tout convergeait vers une signification plus profonde, un signe qu’il ne devait pas ignorer.
— On pourrait se retrouver ici dimanche prochain, proposa-t-il d’une voix douce. Juste… pour prendre un café avant d’aller à la régate.
Charlotte lui répondit par un hochement de tête, ses yeux brillants d’une lueur complice.
Diane et Daphne étaient déjà en train de récupérer la clé de leur chambre à la réception, et Adam, d’un geste discret, leur laissa un peu de temps en s’éloignant sous prétexte de vérifier quelque chose sur son téléphone.
— À dimanche prochain, Lucas, murmura Charlotte en se tournant vers lui.
Avant qu’il ne puisse répondre, elle se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser léger sur sa joue. Le contact de ses lèvres, chaste et inattendu. Lucas sentit un picotement là où elle l’avait effleuré, un frisson délicat qui s’imprimait en lui. Elle se précipita à l'intérieur sans un regard en arrière, le laissant planté là, un sourire flottant sur les lèvres, ses pensées tournant autour de ce baiser comme un manège.
Il va regarder s’éloigner, laissant derrière elle un vide inexplicable.
Une semaine.
C’était le temps qu’il lui faudrait avant de la revoir. Un sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres. Il savait déjà qu’il n’attendrait pas sans rien faire.
Sur le chemin du retour, Adam, visiblement amusé, n’attendit pas longtemps avant de le cuisiner.
— Tu comptes me dire ce qui vient de se passer, ou je dois deviner ?
Lucas esquiva habilement, un sourire en coin.
— Plus tard.
— Plus tard ? s’indigna Adam.
Lucas ne répondit pas. Son attention était ailleurs.
* La SailGP est une compétition internationale de voile en équipage à bord de bateaux monotypes, organisée sur plusieurs régates. En gros comme de la Formule1 mais sur l’eau…