Loading...
1 - Prologue
2 - Chapter 1
3 - Chapter 2
4 - Chapter 3
5 - Chapter 4
6 - Chapter 5
7 - Chapitre 6
8 - Chapitre 7
9 - Chapitre 8
10 - Chapitre 9
11 - Chapitre 10
12 - Chapitre 11
13 - Chapitre 12
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Share the book

Chapitre 7

La magie bruisse et bourdonne avec violence en parfaite harmonie avec ma terreur. Je perçois ses filaments à bonne distance, inaccessibles. Pour une fois, je me fiche bien de sa présence. Au contraire. Je suis prête à faire n'importe quoi, même à m'en servir pour me sortir de là.

Sauf que je ne sais pas m'en servir. Je n'ai jamais su. Et les fils d'énergies sont tenus à distance par le sel.

 Je crois que je crie mais je n'en suis pas certaine. Ma conscience se distend comme un élastique en direction du flux...

Un des hommes pousse un grognement et tombe inanimé au sol. Son comparse s'immobilise, médusé.

J'ai réussi ? je songe, hébétée.

— Je vous conseille de dégager d'ici, grince une voix.

Une silhouette se découpe dans la ruelle et je ne distingue pas son visage. Elle s'avance lentement, nonchalante, et la seule chose que je remarque alors que la foudre illumine à nouveau le ciel, ce sont des gants. Des gants noirs.

— Sinon quoi ? grommelle le docker en se redressant.

Il fait deux fois la carrure de mon sauveur. Mais il ne prête plus guère attention à moi et pendant une seconde je songe qu'il serait de bon ton d'en profiter pour prendre mes jambes à mon cou. Sauf que mon corps n'est pas de cet avis. Mes genoux tremblent et s'il n'y avait le mur pour me soutenir je crois que je m'effondrerais comme une loque.

— Sinon, je risque de m'agacer. Et je suis déjà bien à cran ce soir, réplique l'autre en avançant d'un pas.

La lueur d'une fenêtre éclaire sa figure et son expression sévère. Il jette à peine un regard sur moi, concentré sur son adversaire. Lorsqu'il lève une main, je comprends soudain pourquoi ses gants m'ont à ce point interpellés. Sa cape révèle une redingote noire à bouton de nacre.

Un magicien.

Le docker a suivi le même raisonnement car il s'écarte soudain et hausse les épaules, nerveux.

— Ça va... on faisait que s'amuser un peu...

Le magicien penche la tête sur le côté. Une mèche de cheveux noire de pluie retombe sur son front.

— C'est drôle, assène-t-il froidement. Je n'ai pas l'impression qu'elle s'amusait beaucoup.

Un léger mouvement du poignet, à peine perceptible. Je vois le flux fondre sur mon agresseur et s'enrouler autour de sa poitrine.

Il recule, affolé et s'enfuit avec un couinement de terreur sans demander son reste.

Je ferme les yeux en écoutant ses pas disparaître dans la rue. Le sang continue de battre à tout rompre contre mes tempes et mon souffle est aussi saccadé que si je venais de courir un marathon.

— Qu'est-ce vous fabriquez dans ces rues en pleine nuit ? Vous cherchez à écourter votre existence ?

J'ouvre les yeux. Le magicien se dresse devant moi, un sourcil levé. Je n'apprécie pas vraiment la manière dont il me scrute. Maintenant qu'il s'est rapproché, je réalise qu'il est jeune. Sans doute pas beaucoup plus âgé que moi. Pourtant, le regard réprobateur qu'il me porte me donne l'impression d'être une enfant. On dirait le curé de ma paroisse lorsqu'il s'apprête à proférer ses interminables sermons.

— Je... je cherchais une auberge, je marmonne la voix chevrotante. Ce serait plus simple si toutes les chambres de cette maudite ville n'étaient pas déjà louées.

— Ce quartier n'est pas sûr. C'était stupide de votre part de vous attarder ici, assène-t-il.

J'ai l'impression de me faire réprimander par mon père et même si au fond de moi, je dois bien admettre que c'est mérité... c'est bien la dernière chose dont j'ai besoin à cet instant.

Il me tend une main pour m'aider à me relever.

— Merci, murmuré-je.

— Vous êtes trempée.

Finement observé, je songe par devers moi en poussant un ricanement nerveux.

Je tiens pourtant ma langue, même si je dois avoir l'air complètement folle. Peut-être que je le deviens d'ailleurs avec ces émotions contradictoires qui s'entrechoquent sous mon crâne et me déchirent l'esprit.

— Bon. Suivez-moi.

Sans attendre ma réponse, il se détourne.

— Pourquoi vous suivrais-je au juste ? Je ne vous connais pas, je réplique.

Il s'arrête et me jette à peine un regard de biais avant de hausser les épaules.

Il agite sa main gantée en direction de mon second agresseur, toujours inconscient sur les pavés.

— Si vous préférez tenir compagnie à ce porc à son réveil, grand bien vous fasse.

Je me raidis et grimace. Il marque un point.

Comme pour me rappeler le marasme dans lequel je me suis empêtrée, un frisson me secoue l'échine. Je ne sens pratiquement plus mes doigts tant ils sont gourds et une fatigue écrasante, s'abat sur mes épaules.

Je consens à lui emboîter le pas et songe qu'au premier signe suspect de sa part, je m'enfuirais à toute jambes.

"Pour aller où ?" me murmure une petite voix narquoise.

Mes épaules s’affaissent : je n'ai plus un sous en poche, le contenu de ma bourse s'est volatilisé avec mon agresseur.

Nous déambulons dans les ruelles pendant un moment avant qu'il ne s'arrête devant la devanture illuminée d'une auberge. Je la reconnais pour m'y être arrêtée un peu plus tôt dans la soirée.

— Inutile. C'est complet, je maugrée en resserrant les pans de ma cape humide contre moi.

— Il y a une chambre à mon nom, décrète-t-il.

— Je ne compte pas dormir avec vous, je crache, offusquée avec un mouvement de recul.

Il roule des yeux, exaspéré.

— Moi non plus. Je vous la laisse. Dites que vous venez de la part de Thomas à l'aubergiste. Il saura.

Je sens mon visage s'enflammer.

— Et vous, où irez-vous ?

— C'est aimable de vous en inquiéter.

Mon nez se retrousse. J'ai vaguement l'impression qu'il se moque de moi. Toute chevaleresque que soit son attitude, je n'apprécie pas vraiment ce ton condescendant.

— J'ai un autre endroit où dormir, explique-t-il en rajustant ses gants.

Je fronce les sourcils. S'il a déjà un toit, pourquoi prendre une chambre dans une auberge au juste ? Est-ce que ce n'est pas suspect ? Ma tête peine à réfléchir correctement. Mon corps a trop besoin de confort et de sécurité pour creuser plus loin.

Le dénommé Thomas me salut sèchement. Avant de prendre congé, il se retourne et ajoute :

— Ce n'est pas un lieu pour une jeune fille. Rentrez chez vous mademoiselle.

Sur ces derniers mots, il s'éloigne en direction du port. Je le regarde s'enfoncer dans les ombres bouche bée, sans trop savoir si je me sens honteuse ou indignée.

J'aimerais répliquer quelque chose de spirituel histoire de réparer un peu mon orgueil, mais le temps qu'une répartie me vienne, il est déjà trop loin. Tant pis.

Je pénètre dans l'auberge et la chaleur de l'établissement m'arrache presque un sanglot. Je dégouline sur le plancher, mais des chandelles sont allumées un peu partout et dans une énorme cheminée, un feu crépite. Toutes cette lumière, cette tiédeur bienfaisante, ce brouhaha... après avoir lutté seule avec les ombres contre ce mur froid, c'est comme poser le pied dans un autre monde.

Il y a des gens attablés, et les odeurs de nourriture me font saliver. Je réalise que je suis affamée.

L'aubergiste doit se souvenir de moi car il fronce les sourcils en m'apercevant. Son regard s'écarquille en détaillant mon allure. Je dois paraître bien misérable. Mes cheveux mouillés me collent au visage, mon jupon est tâché de sang de poisson et je dois sentir aussi bon qu'un tas d'algues vaseuses. Je retiens un haut le cœur. J'ai l'impression de sentir encore l'odeur de ces dockers sur moi. Elle imprègne mes vêtements, ma peau et mes cheveux. Même l'eau de pluie n'est pas parvenue à la rincer.

— Mademoiselle ? Je suis navré mais... commence l'homme en s'approchant.

— Je... je viens de la part de Thomas. Il m'a proposé de... enfin, il me laisse sa chambre. Si cela vous agrée.

L'aubergiste cligne des yeux, dérouté et hoche lentement la tête.

— Ah... Eh bien. Elle est déjà payée alors... Voulez-vous souper avant de monter ?

Je pousse un soupir de soulagement qui doit ressembler à un couinement de souris. Peu m'importe. Je n'ai rien avalé depuis ce matin et mes jambes me soutiennent à peine. Je pourrais tuer pour un bol de soupe à ce stade.

Je m'installe à une table à proximité du feu et patiente, le dos rond et la tête basse. Les discussions autour de moi forment une rumeur qui me berce. De temps en temps une phrase se détache.

" Tant pis. Nous prendrons la première marée dès demain."

"Je ne comprends pas que recruter soit si difficile... "

"Calais est trop petite. Nous trouverons peut-être à Londres..."

J'ouvre un œil et observe les deux hommes attablés derrière moi. Il me semble reconnaître un membre d'équipage d'un des voiliers que j'ai aperçus. Je ne pourrais en jurer néanmoins. Lorsqu'ils tournent la tête, je baisse le nez et me concentre sur le bois de la table.

***

J'ai englouti la purée et les sardines baignées d'huile servies par l'aubergiste sans même me plaindre de leur fadeur, ni demander de sel. J'avais trop faim pour m'y attarder. Je suis ensuite montée dans la chambrette qui m'a été allouée, incapable de supporter cette impression collante que les autres clients m'observaient. Les hommes en particulier.

Une fois la porte verrouillée derrière moi, je me débarrasse de mes vêtements humides et jette ma robe dans un angle de la pièce. Je ne supporte plus son contact. J'ai l'impression de sentir encore les mains de ces hommes à travers la soie. Cette idée seule me donne la nausée et je me penche au-dessus de la bassine posée sur la table de toilette, à deux doigts de rendre mon repas.

J'inspire profondément et ferme les yeux. Les images de mes agresseurs, leur rires, l'odeur de leur peau empreinte de sel... J'essaye de chasser ces souvenirs mais ils s’accrochent et plantent leurs griffes dans ma mémoire.

"Rentrez chez vous mademoiselle."

La voix méprisante du magicien résonne à mes oreilles. Le pire, c'est de savoir qu'il n'a pas tort. Sans son intervention, je ne préfère même pas songer à ce qu'il serait advenu. Jamais encore je ne m'étais sentie aussi démunie. Et si proche de renoncer.

Je relève la tête et contemple mon reflet dans le minuscule miroir de la table de toilette.

Je suis méconnaissable. J'ai le teint cireux, et mes yeux gris sont ternes, cernés et hagards. Je tremble de tout mon corps dans mes sous-vêtements humides. Les longues mèches ondulées que ma mère prenait tant de soin à coiffer pendouillent tristement autour de mon visage, assombries par l'eau de pluie.

"Tu as de si beaux cheveux Louise...Il faut en prendre soin"

"Ce n'est pas un lieu pour une jeune fille."

"L'est bien tard pour traîner comme ça toute seule..."

Il y a un petit nécessaire de toilette sur le rebord de la table. Je sors lentement la lame du rasoir et joue un instant avec la lumière. Elle glisse sur l'acier. Je retire lentement un de mes gants pour en éprouver le tranchant avec une fascination morbide. La lame me coupe et me brule en même temps. J’observe attentivement la goutte de sang qui perle au bout de mon pouce.

 " Ce côté du port n'est pas très convenable pour une jeune fille... "

J'entends la magie qui crépite autour de moi. Elle s'est rapprochée maintenant que je ne porte plus ma robe. Je ne peux pas abandonner. Pas après m'être aventurée si loin.

Et en même temps, je ne peux pas continuer. Pas comme ça. Pas avec cette peur chevillée au ventre.

J'approche le rasoir d'une mèche de cheveux. La lame taille sans broncher. J'observe, médusée la boucle tomber dans la bassine. Mon bras attrape une autre mèche. Je flotte dans un brouillard. C'est si facile, si mécanique...

J'ai l'impression que chaque cheveu que je sectionne est comme un fil qui me retenait encore à mon ancienne vie.

Je refuse d'être à nouveau cette petite fille apeurée et impuissante coincée entre un corps et un mur.

— Plus jamais, je murmure. Plus jamais.

Je répète ces deux mots, encore et encore, pour chaque coup de lame, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien à trancher.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet