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13 - Chapitre 12
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Chapitre 11

La pluie s'abat sur le pont alors que j'achève le dernier nœud. Ses gouttes glacées coulent dans mon col, trempent mon bonnet et plaquent mes cheveux sur mon crâne. Je contemple avec fierté mon ouvrage.

Les cordages sont tendus partout sur le pont, offrants aux hommes une sécurité supplémentaire et de quoi garder l'équilibre lorsque le gros de l'orage sera sur nous. Brebant m'offre un bref signe de tête satisfait avant de courir ferler les voiles avec les autres matelots. Je me dirige vers eux pour leur prêter main forte quand une main se pose sur mon épaule.

Jacque, le visage dégoulinant de pluie, me fourre une veste entre les mains avec un clin d'œil.

Je murmure un "merci" étouffée par un violent coup de tonnerre. Je sursaute malgré moi. J'ai beau avoir l'habitude des orages qui s'abattaient en permanence sur Paris, je dois bien avouer qu'en haute mer, alors que les vagues malmène la coque de notre vaisseau comme s'il ne pesait rien, je ne suis pas rassurée.

— Attache-toi quelque part, me conseille le marin avant de foncer vers le bastingage pour grimper en direction des voiles.

J'enfile la veste qui se révèle en meilleur état que ce que j'avais envisagé. Elle est en revanche deux fois trop grande pour ma carrure, évidemment. Je retrousse les manches et attrape un reste de corde qui traîne pour m'en faire une ceinture. Au moins, le tissu n'entravera pas mes mouvements ainsi.

Les ordres et les cris fusent, parfois avalés par les bourrasques de vent où le fracas des vagues qui s'écrasent contre le vaisseau. Mon cœur se met à battre la chamade. Le pont tangue avec une telle violence que j'ai parfois l'impression de tomber dans le vide. Je m'accroche de toutes mes forces aux sécurités que j'ai placées un peu partout. Je ne vois plus rien. Le soleil s'est probablement couché depuis un moment et tout est devenu noir. Quelques lampes tempête accrochées aux mats servent de balises dans cet enfer.

Quelqu'un pousse un long cri. Je ne suis pas certaine mais je crois deviner un "Accrochez-vous !".

Quelques secondes après, une vague plus haute que les autres déferle sur le pont. Sa puissance m'arrache au plancher et sans la corde à laquelle je m'agrippe, je serais probablement passée par-dessus bord. L'eau salé envahis ma bouche et mon nez et je crachote lorsque la vague se retire. À peine le temps de me remettre debout et de reprendre ma respiration, une autre arrive.

Titubante, je remonte à l'aveuglette la corde pour tenter de me rapprocher de la dunette et de l'abri relatif qu'elle représente. Je me cogne à une silhouette et lorsque je lève le menton, Je croise le regard hagard de Thomas van Hecke. Ses cheveux trempés sont plaqués sur son front et sa redingote noire gorgée d'eau semble peser une tonne autour de lui.

Que fiche-t-il ici ? Je tuerais pour pouvoir m'enfermer dans une cabine au sec et il trouve que c'est le moment idéal pour se promener sur le pont ?

— Rentrez à l'intérieur ! lui crié-je par-dessus la tempête.

Il me fixe avant de répondre quelque chose mais je n'entends rien. Je jure. Maudit magicien ! Qu'est-ce qu'il croit ? Que sa magie le sauvera lorsqu'une vague gorgée de sel le fera passer par-dessus-bord ? J'agrippe son bras et le tire tant bien que mal vers ce que j'estime être la poupe.

Alors que nous sommes presque arrivés devant la porte qui mène aux quartiers des officiers sous la dunette, une secousse ébranle le pont et le navire se met à giter dangereusement. Je me retourne tandis que l'équipage pousse des hurlements.

Une des cordes sensées maintenir la misaine ferlée fouette l'air tandis que la toile claque au vent, et déséquilibre le vaisseau. Je cherche du regard Jacques dans les cordages mais il n'est nulle part en vue. Il y a un attroupement autour du mât et mes yeux s'écarquillent quand j'aperçois le matelot étendu sur les planches, le visage si blanc qu'il semble briller dans la nuit. Je crois voir du sang sur sa tempe et sa jambe forme un angle qui ne me paraît pas naturel.

Je ne sais pas ce qui me donne le sang-froid et l'aplomb nécessaire quand je me tourne vers Van Hecke.

— Vous êtes médecin, non ? Hurlé-je par-dessus le vent.

Il hoche la tête et je lui désigne la scène tout en détachant la corde de sécurité à laquelle nous sommes agrippés. Il me regarde sans comprendre.

— Alors allez-y, par tous les saints ! Il y a un blessé là-bas !

J'entoure ma taille deux fois et effectue mon meilleur nœud de chaise. Je n'ai pas intérêt à me tromper sur ce coup-là, je risque bien plus qu'un savon de la part de Brébant.

— Qu'est-ce que vous faîtes ? gronde Van Hecke.

— Mêlez-vous donc de vos affaires et faites votre boulot, répliqué-je en désignant Jacques.

— Vous êtes folles ! Vous allez...

Je ne lui laisse pas l'occasion de me retenir et m'élance vers les haubans du mât de misaine. La confusion sur le pont est telle que personne ne me voit grimper dans les cordages avant que je n’aie atteint la première vergue. Le vent traître agite les cordages comme une balançoire et tout mon corps se crispe sur le chanvre trempé de pluie pour ne pas glisser.

Un coup d'œil en contrebas fait stopper mon cœur dans ma poitrine. La mer et le ciel semblent s'être donné le mot pour déchaîner leur fureur contre nous. Je ne distingue plus ni l'un ni l'autre mais je perçois nettement la distance qui me sépare du pont. Van Hecke me regarde aussi, bouche bée avant de secouer la tête et de filer en titubant vers Jacques.

Bien.

Je souffle un coup et lève le regard vers la misaine toujours à demi affalée. J'ai observé Jacque faire cela un bon nombre de fois. Vue du sol, cela ne paraissait pas si compliqué, mais maintenant que je suis perchée à plusieurs dizaines de mètres avec une simple corde en guise de salut, je me sens beaucoup moins assurée. Je me glisse sur la hune d'un pas mal hésitant.

Le navire tangue à nouveau et je suis obligée de m'accroupir, pratiquement allongée sur la vergue. En contrebas, l'équipage m'a vue. Brébant hurle quelques choses mais je tâche d'en faire abstraction. Si je meurs, cela ne me sert à rien. Et si je vie, ma foi, je serais plus qu'heureuse d'entendre son sermon. Il se précipite à son tour vers les haubans avec un autre gabier dont j'ai oublié le nom.

Je laisse mes jambes pendre dans le vide à la recherche du marchepied sensé me donner l'appui nécessaire. Je m'accroche à la vergue comme si ma vie en dépendait. Ce qui est le cas si on y pense. Je pousse un soupir lorsque mon pied rencontre enfin l'épaisse corde tendue. Je m'accorde une seconde pour souffler, le cœur au bord des lèvres. Je secoue la tête pour écarter les mèches de cheveu dégoulinantes qui me tombent sur le front. Mon bonnet a disparu, probablement emporté lorsque les lames ont balayé le pont.

Je me mets sans plus attendre à l'ouvrage : j'agrippe la toile glissante et l'enroule contre le bras de vergue. Je suis concentrée sur ma tâche et sur l'équilibre que je dois conserver que je ne remarque pas tout de suite lorsque Brébant et l'autre gabier se place à mes côtés pour m'aider. Ma mâchoire est si serrée que mes gencives me font mal.

Nous enroulons ainsi la voile pour l'empêcher de prendre au vent et de faire basculer le vaisseau. Mes bras hurlent sous le poids de la toile. Le vent et la pluie semblent se jouer de nous et vouloir arracher notre fardeau. Lorsque la voile est entièrement repliée, Brébant m'indique les garcettes qui servent à la maintenir en place. J'enroule le cordage et effectue un nœud de chaise mais mon mentor longe le marchepied pour arriver à ma hauteur et, le visage fermé, m'arrache la corde des mains. Il l'enroule en faisant deux clés qu'il resserre l'une sur l'autre avec des gestes habiles. Je le regarde faire.

— Noeud de ris, gronde-t-il à mes oreilles.

Je hoche la tête et me met à rire nerveusement. Je dois avoir l'air complètement folle, trempée jusqu'aux os, suspendue dans le vide alors que des éclairs zèbrent le ciel. J'ignore si c'est la pression qui se relâche maintenant que le navire est stabilisé ou le fait d'apprendre à faire des nœuds marins dans une situation aussi précaire.

Pourtant, Brébant me sourit en retour et m'assène une puissante claque dans le dos. J'en ai le souffle coupé, et ce n'est pas seulement parce que le choc me plaque contre le bois de la vergue.

Il m'indique le sol et je hoche la tête. Nous descendons plus lentement, et lorsque je pose enfin pied sur le pont, je suis accueilli par plusieurs claques approbatrices.

— Joli coup, Louis, me souffle le gabier qui nous a accompagné. C'tait hardi d'ta part mais t'as d'bons réflexes.

Je souris et essuis l'eau sur mon visage en plaquant mes cheveux sur mon crâne. C'est la première fois qu'un membre de l'équipage m'appelle par autre chose que "morveux", "gamin" ou "messire sainte-nitouche".

Mon regard cherche Jacques, toujours étalé au pied du mât. Il presse un morceau de tissus contre sa tempe et son teint est devenu verdâtre. Thomas Van Hecke est en train de fixer deux planches de bois autour de sa jambe avec des cordes pour la maintenir droite.

Leroy s'avance vers moi et me jette un regard torve.

— Louis ! beugle-t-il. Il nous manque un gabier. Tu remplaceras Jacques le temps que sa jambe soit en état.

— Oui lieutenant !

— Joseph ! Tu lui montreras les ficelles.

Le gabier qui m'a félicité hoche la tête.

— Les gabiers au repos, aidez Jacques à descendre en soute pour qu'il se repose. Les autres, restez ici, il y a encore du travail !

Les hommes opinent et s'exécutent sans broncher. Joseph passe le bras de Jacques par-dessus son épaule avec un autre homme. Je les regarde partir sans bouger tandis que Brébant et les autres matelots se dispersent sur le pont.

— Toi aussi Louis. Va te reposer maintenant, exige Leroy avant de se détourner.

J'acquiesce sans pour autant faire un pas. J'observe Thomas Van Hecke tandis qu'il ramasse le tissu sanglant que Jacques a abandonné.

— C'était la chose la plus idiote et inconsidérée que vous ayez jamais faite, grogne-t-il sans me regarder. Et pourtant, le Flux sait qu'il s'agit de votre spécialité.

— Parce que vous pensez que gambader sur le pont dans votre redingote de velours en pleine tempête était une idée brillante je présume ?

— Je vais là où je suis utile, rétorque-t-il.

Je hausse un sourcil et ramasse sa trousse de médecin pour la lui tendre.

— En quoi est-ce différent pour moi alors ?

Son expression se trouble une seconde avant qu'il ne me m'arrache des mains, les lèvres pincées.

— VAGUES ! hurle alors un des matelots.

Une lame puissante balaye à cet instant le pont et fond sur nous. Thomas perd l'équilibre et je vois en une fraction de seconde sa silhouette emportée par les flots. La corde de sécurité toujours accroché à ma taille, je plonge et agrippe sa veste.

Le câble me cisaille l'abdomen lorsqu'il se tend. J'ai l'impression de sentir tous mes organes remonter dans ma gorge. Je ne lâche pas Thomas pour autant, aveuglée par le sel. Je bois la tasse une fois. Puis deux.

Lorsque la vague se retire, elle nous laisse tout deux ruisselants, et hors d'haleine, étalés contre le bois du pont.

— Je... Je... halète Thomas à quatre patte, pâle comme la mort.

— De rien, j'assène sèchement entre deux hoquets. On est quitte.

Il me lance un regard interdit, et semble vouloir ajouter quelque chose mais je le coupe avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche :

— Retournez donc dans votre cabine avant que je regrette d'avoir sauvé un satané magicien.

Les doigts tremblants, je détache la corde qui m'étouffe et m'empresse de m'éloigner de lui et de sa magie. Je marche le dos droit, fière d'avoir réussi à fermer le clapet de ce petit mage arrogant.

L'adrénaline qui a inondée mes veines disparaît petit à petit pourtant et ne laisse derrière elle que des muscles tremblants et des membres gourds. Je me sens épuisée. Même mes vêtements humides ne parviendraient pas à me garder éveillée. Je soulève la trappe de la soute et me laisse envelopper par la chaleur des quartiers de repos.

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