♫ Save me if I become my demons
Take me over the walls below
Fly forever, don’t let me go
I need a savior to heal my pain
When I become my worst enemy ♫
Les coups de feu résonnent sur le stand de tir tel un tambour de guerre, écrasant tout dans un écho métallique qui vibre jusqu’à l’intérieur de mes os. À chaque détonation, une partie de moi se déleste de sa rage, comme si le vacarme lui-même portait mes frustrations au-delà des parois épaisses. La pièce s’est emplie d’une odeur âpre presque suffocante, mélangeant la poudre brûlée et le caoutchouc. Mes mains sont moites, je serre le Glock avec la force de quelqu’un qui n’a plus rien à perdre. Les murs, peints d’un gris neutre et écaillé par endroits, absorbent les vibrations des déflagrations. Tout ici est fait pour contenir. Tout ici est fait pour être dissimulé.
Caleb est debout, appuyé contre le cadran de la porte d’entrée, les bras croisés, observant en silence. Ses yeux sombres suivent chaque mouvement, chaque geste, comme un prédateur qui garde ses distances, sachant qu’au moment où il se rapprochera, il faudra être prêt. Il ne dit rien, attendant patiemment que la tempête se calme. Or elle ne se calme pas. Elle ne se calmera jamais.
Je tire, encore et encore, les détonations brisant l’air autour de moi. Les cibles s’effondrent les unes après les autres, déchirées, méconnaissables. Dans mon esprit, ce sont des symboles, des personnes qui m’ont trahie, des fantômes du passé qui refusent de se dissiper. Chaque impact est une résonnance à une douleur que je croyais enfouie. Les balles frappent les silhouettes dessinées sur le carton avec une précision qui frôle la perfection, hélas ce n’est pas assez. Cela ne le sera jamais. La frustration reste profondément ancrée, un poids que je porte depuis trop longtemps. Mais c’est ce que je suis, n’est-ce pas ? Une guerrière, pas une proie. Mes mâchoires sont crispées, mon regard brûlant. Je recharge rapidement, mes doigts sont agiles et assurés. Tout dans mon langage corporel hurle ma rage, une colère contenue prête à exploser.
Un coup de feu éclate dans la pièce une seconde silencieuse, suivi d’un autre. Le bruit du métal atteignant le carton fait vibrer l’air. Les murs sont devenus témoins de ma fureur, de mon besoin de détruire. Et puis, je ne peux plus supporter le calme qui s’installe après l’instant de violence. C’est trop paisible, trop vide.
— C’est un connard, Caleb, un putain de connard ! soufflé-je enfin, le canon du flingue toujours pointé vers la cible, mes doigts engourdis par l’adrénaline. Un dernier coup file, le carton se déchire telle une promesse brisée, puis j’abaisse l’arme, haletante. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine, il fonce dans une cavalcade effrénée, une course sans queue ni tête qui me compresse le thorax.
Comment ose-t-il ? Comment peut-il me foutre dehors comme ça ? Comme une merde ?
Caleb décroise les bras et s’avance lentement dans ma direction. Il a ce calme apaisant qui contraste violemment avec ma furie. Avec son jean et son t-shirt noir, simple, il me semble presque invisible dans cet environnement morne. Il n’y a que ses yeux qui sortent de l’ordinaire. Ils paraissent être une mer tranquille, paisible en apparence, mais qui cache des abysses profonds. Il n’a pas besoin de parler pour que je ressente l’intensité de ce qu’il pense.
— Jamais je ne me serais fait mettre à la porte du temps de Logan.
— Et tu sais pourquoi ? me souffle-t-il, sa voix grave résonnant dans la pièce comme une caresse.
— Parce qu’il avait des couilles, lui ! Et il savait qui je suis ! Une putain de lionne, pas une vulgaire brebis, bordel. Logan… il voyait en moi son égal ! Il croyait en ma force, en mon rôle dans le club, et surtout, en notre lien.
Je le fixe, la gorge nouée, les yeux brûlants. Je retire mes lunettes de protection et les jette sur le comptoir avec un claquement sec, brisant l’espace entre nous. Caleb ne réagit pas, il me laisse respirer, prendre l’air comme une chienne en cage, sans s’éloigner pourtant. Il reste là, immobile, un point d’ancrage dans ce tourbillon de colère.
— Logan n’aurait jamais permis ça, Caleb…
— Mais Logan n’est plus là, Hope. Et toi, t’es toujours debout. Alors, qu’est-ce que tu vas faire ?
Ses mots tombent comme une sentence. Je le regarde droit dans les yeux, la fureur qui monte dans ma gorge me fait perdre pied. Je suis prête à éclater, prête à tout détruire. Il faut que je parle, que tout ça sorte, sinon j’explose.
— Ce que je vais faire ? Je vais le buter, Caleb. Je vais lui ôter son sourire d’imbécile condescendant avec mes propres mains.
Je me tourne vers lui, mes yeux pleins de flammes.
— Mais avant, je vais lui rappeler qui était Logan, et qui je suis. Parce que ce n’est pas un putain de décérébré de Renard qui va décider de ma place dans ce club.
Mon meilleur ami hoche lentement la tête, imperturbable. Il n’a pas peur. Une étincelle de préoccupation traverse brièvement son visage. Il sait qu’il doit être prudent. Il sait que je suis à deux doigts de faire une connerie.
— Et tu penses que Logan aurait voulu ça ? Que tu te mettes en danger comme ça, pour quoi ? Pour prouver quoi ?
Je le fusille du regard, l’air furieux, mais ses mots me frappent. Comme un gant de fer dans un étau de douleur. Il a raison, bien sûr, il a toujours raison. Logan… Logan n’aurait jamais souhaité ça, malheureusement il n’est plus là pour me le dire et moi, je suis seule à gérer cette merde. Je suis seule à porter ce fardeau. Je ne peux pas m’arrêter, je ne sais pas comment faire autrement.
— Les dernières volontés de Logan sont « Si je meurs, fais venir mon frère. ». Pourquoi ? Pourquoi voulait-il ça ? C’est pas comme si on s’entendait à merveille avec Keith. J’ai toujours eu cette impression qu’il le tenait à distance, cherchant à protéger quelque chose… ou quelqu’un. Mais nous protéger de quoi ? Logan n’était pas du genre à s’expliquer, à partager ses raisons. Il agissait, point. Et maintenant, je dois gérer ça, moi, sans aucune foutue réponse.
La colère me serre la gorge, je suffoque. Une partie de moi semble savoir que je vais perdre quelque chose d’important.
— Mais quoi ? Pourquoi Logan a-t-il réclamé ça ? Pourquoi a-t-il pris cette décision ? Et surtout… pourquoi maintenant, alors qu’il n’est plus là ?
Je me pose des questions, j’ai toujours des doutes, je ne crois pas que mon homme m’ait demandé cela sans raison. Tout ce qui tempête en moi est infernal, et cet abruti de Keith en rajoute en étant un sale con.
Caleb s’approche de nouveau, étouffant la distance entre nous. Il appuie une main ferme, mais légère sur mon épaule, capturant mon attention. À ce contact, un frisson involontaire parcourt mon échine, mélange d’agacement et de réconfort. Une part de moi veut rejeter ce geste, le voir comme une intrusion dans ma bulle de rage, mais une autre, plus fragile, s’y accroche désespérément.
— Peut-être savait-il que son frère avait besoin de toi autant que toi de lui. Que la perte d’un être cher vous rapprocherez. Il devait se douter que ce ne serait pas facile, mais il a toujours cru en toi Hope, il pigeait que tu y arriverais, parce que t’es plus forte que tu ne le penses.
Ses mots sont simples, directs, ils me frappent en plein cœur. Je détourne mon regard vers la cible déchirée, puis en direction du sol. Mes mains tremblent légèrement, je déteste ce signe de faiblesse. Ce n’est pas moi. Je ne devrais pas frissonner. Je ne devrais pas avoir besoin de lui pour me tenir debout.
— J’en ai marre, Caleb, murmuré-je, la voix brisée par un poids que j’ignore comment porter. Marre de toujours devoir prouver quelque chose. Je fais tout ça pour Logan, mais à quel prix ? Ma dignité ? Ma santé mentale ?
Il resserre doucement sa prise sur mon épaule et me lorgne avec une intensité qui me fait mal au cœur. Je devine qu’il me comprend, qu’il sait exactement ce que je ressens. Caleb n’a pas besoin de mots, pas besoin d’expliquer. Sa présence, ses pupilles calmes, sa force tranquille m’enveloppent.
— Tu le fais pour toi, Hope. Parce que t’es une putain de lionne, comme tu dis. Et les lionnes, elles ne se laissent pas dévorer par les hyènes.
Un rictus amer étire mes lèvres. Je le regarde enfin, et je discerne dans ses yeux quelque chose que je n’avais pas remarqué jusque-là : une compréhension sincère, une aura paisible qui égale la mienne. Il y a une forme de douceur dans ses pupilles, une forme de respect, comme si, dans tout ce chaos, il me voyait pour ce que je suis réellement. Cela m’effraie un peu, cela me rappelle qui je suis.
— Merci d’être là, finis-je par dire, d’une voix plus tendre, presque inaudible.
— Toujours, répond-il avec un sourire.
Et dans ce simple mot, il y a tout ce que j’avais besoin d’entendre.