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Chapitre 3 KEITH

 ♫Hello darkness, my old friend
I’ve come to talk with you again
Because a vision softly creeping
Left its seeds while I was sleeping… ♫

— Hope.

— Keith.

Le timbre de nos voix reste placide. Le temps de l’amitié est révolu depuis des années. Autrefois tout était différent. Ma femme était en vie, mon frère aussi.

Aujourd’hui tout est terminé. Ce qu’il se passe maintenant, ce sont les conséquences de l’éloignement.

Est-ce que je suis triste ? Peut-être.

J’aurais aimé voir mon frère une dernière fois, même pour éprouver de la colère à son égard, même pour ressentir de la frustration à son encontre. Quelque chose en tous cas. Tout me parait mieux que cette amertume qui me colle au cul, cette sensation d’abandon qui me revient.

C’est l’endroit qui veut ça. Cette maison, ce club-house, tout ce qui est sur ce putain de territoire. Les non-dits qui y traînent ne seront jamais résolus. Nous resterons des étrangers. Du quatuor, il n’y a plus que nous. Hope et moi. Une impulsive caractérielle aux allures de fauves et un grand con taciturne et silencieux. April aurait été capable de tout bouleverser ici, de faire briller le monde, de l’éclairer de son sourire. Elle aurait attrapé Hope dans ses bras et l’aurait étreinte avec force en l’appelant ma sœur. Elle lui aurait promis que la douleur n’est que temporaire, sans comprendre pourtant combien cela peut faire mal de perdre la personne que l’on aime.

Je suppose que je devrais lui dire ça.

Hélas, je ne peux pas. Je suis incapable de la serrer dans mes bras, de lui donner plus que ce regard froid. J’ai paumé mon cœur quand ma femme est morte, et il reste toujours cette pensée amère que ce sont eux, les Hounds, qui ont agi pour me voler une part de moi. Je suis persuadé que je ne pourrais jamais leur pardonner. Je me rappelle que je les déteste autant que j’ai su les aimer. Je me remémore que j’étais un des leurs… presque.

Tout ça, c’est du passé.

Elle me sourit.

Je n’ai jamais vu son visage aussi triste, April ne le supporterait pas. J’entends presque sa voix m’ordonner de la prendre dans mes bras, pour lui offrir la chaleur d’un réconfort que je n’ai jamais eu. Ma brunette hyperactive peut m’en vouloir de là où elle est. Moi, je toise sa silhouette filiforme, son corps discret, le chagrin qui hante ses traits graciles. J’avais oublié qu’elle était aussi fine que tranchante. Une Irons Hounds dans toute sa splendeur, il lui manque sa moitié. Je devrais pouvoir lui offrir cette consolation que les gens entiers ne peuvent pas donner. Pourtant, pas un mouvement, pas un geste. Je la détaille, évite de plonger dans le soleil brun de ses iris, je ne veux pas qu’elle démêle mon âme, qu’elle la trouve et que la sienne soit un écho. J’ai perdu cette part d’émotion que j’avais acquise, je l’ai jetée, suspendue je ne sais où, mieux vaut la tenir loin.

C’est elle qui essaie, dans un geste, de m’enlacer.

Pourquoi est-elle heureuse de me voir ?

Perturbé par son attitude, je me force à la garder dans mes bras. Une main posée convenablement dans son dos, je le frotte avec une rigidité sans affection. Lui tapoter la tête reviendrait au même, ce serait tout aussi distant et mal assuré. Je songe encore à April et un peu à mon frère, l’impression qu’ils me fixent de loin est là. Ils ne doivent pas aimer mon attitude, aucun des deux morts ne le peut. Mais qu’ils n’oublient pas, l’une est décédée sous leur esprit d’attaque, l’autre… je ne sais pas. La fatigue ?

J’veux pas y croire.

Cette pensée disparaît vite, ce ne sont pas mes affaires. Je me détache de Hope, reprends une distance appréciable. Je l’ai à peine touchée, une minute tout au plus. Elle semble perplexe. Qu’attend-elle de moi ?

— Viens, que je te présente.

Je la suis, devinant au passage qu’elle cherche comment faire cesser mon mutisme. D’autres ont essayé avant elle et ils s’y sont tous cassé la gueule. Mon éloquence a foutu le camp il y a longtemps.

D’un signe de tête, j’intime à Zayne de m’accompagner. Mon vice-président obéit, reluquant une brebis des Hounds. Il fait le beau, rajuste le blouson de cuir élimé, roule des mécaniques. Nous laissons les autres, venus avec nous.

 Le bras droit scrute tout le monde, d’un air désinvolte, un rictus au coin, une attitude de gamin, se demandant quelle salope il pourrait séduire, mais pas que…

C’est un queutard certes, c’est sa maladie, or je sais qu’il agit plus loin que cette apparence. Je joue le jeu, d’une œillade je lui fais comprendre que nous avons mieux à foutre, il sourit.

Les renards ne sont jamais ce qu’ils paraissent.

Nous traversons la cour, sous les observations des autres, je n’ai pas amené beaucoup d’hommes, préférant ne déclencher aucune hostilité. J’ai beau avoir l’âme remplie de rancœur, je veux dire adieu à mon frère de manière convenable. Honorer ce qui reste de mon ancienne vie aussi.

Après tout cela, je serais définitivement loin.

— Zayne, le gars qui seconde ce mec mystérieux et monosyllabique ! balance mon Vice-Président en se rapprochant de Hope.

Il sait qu’elle est la veuve et que le moindre comportement déplacé de sa part lui vaudra une droite, mon éclaircissement de gorge fait redresser sa tête, il range ses mains dans ses poches, hausse les épaules.

— Tu l’as connu moins taciturne ?

— Beaucoup moins, sourit tristement la brune.

Je les dépasse, je me cogne totalement de leur remarque, préférant m’enfoncer dans le vif du sujet. J’aimerais accomplir autre chose que du blabla, veiller mon frère me semble plus intéressant que s’écorcher la gueule sur des mondanités.

Je passe la cour, le bar, les zones communes, reconnaissant chaque parcelle de ce territoire qui a été le mien jadis. Je suis loin de me revoir gamin en train d’arpenter ce putain d’endroit, j’ai l’impression de n’y avoir jamais réellement foutu les pieds. Même si rien n’a changé, mon esprit a volontairement mis de côté tout ce merdier.

En grimpant les marches, faisant résonner les semelles de mes bottes, je me retourne pour ne lancer qu’un regard noir à mon V.P[1].

— Et dire que t’as tiré tes premières gonzesses ici, ça me fait presque un petit quelque chose.

Abruti.

Le souci avec Zayne c’est qu’il a besoin de parler, de s’exprimer, c’est un mec qui analyse plus en faisant le con, qu’en gardant son sérieux. Je pige bien qu’il prend note de tous les détails de cet endroit. Au cas où…

Lui donner tort serait stupide, nous sommes en territoire ennemi.

— Du coup, tu peux m’aider à résoudre un grand mystère Hope…

Cela l’intrigue, elle attend qu’il lui pose sa question.

— Il était comment plus jeune ? Si tu me dis qu’il faisait des blagues du genre camion « pouet pouet », je ne te croirais pas.

— Zayne, soufflé-je.

Je clôture ses conneries d’un regard, et fais comprendre à Hope que ce n’est pas la peine de lui répondre. Il continue son ascension, hausse les épaules et semble se foutre de l’éclaircissement. Son sourire en coin me permet de capter qu’il a tout ce qu’il faut si jamais…

Je hoche la tête.

Si je supporte Zayne, c’est pour ce qu’il ne montre pas. Sa fidélité et sa filouterie s’associent parfaitement, comme tout bon Renard, il ne lui faut pas grand-chose pour se sortir des pires merdiers. Je sais de quoi je parle, à l’heure actuelle, je l’apprécie aussi pour ce qu’il est : tout mon inverse.

Une dernière marche et nous parvenons aux abords des grands lieux.

Cela pue encore le vieux…

L’odeur ou l’aura de mon paternel traîne ici, le cador des cadors, le maître de ces lieux. Peut-être que ce n’est qu’une sorte de fantôme à la mord-moi-le-nœud qui veut me pousser à croire qu’il est là… je n’ai jamais vu mon frangin régner, alors ce ne serait pas étonnant. Le patriarche est toujours présent, j’ai l’impression.

Le M.C[2] s’aligne en rang d’oignons, comme les clébards aux aguets qu’ils sont, ils forment une ligne derrière les chefs. Le premier, je ne sais pas qui c’est. Ses cheveux noirs trop longs, sa barbe drue de plusieurs jours, il pue la nicotine d’ici. Je devine même ses doigts jaunis par la présence du tabac. Il a des allures d’enflures, des épaules qui vont avec, il est pourtant marqué sur sa gueule que c’est un mec posé là temporairement. Il n’a pas l’écusson du chef, pas encore, une simple veste de second sur la carcasse. Il a pris sa place, le temps…

Qu’ils se décident à oublier Logan…

Le reste de ma troupe est en bas, cinq gars dociles, aux caractères plus fourbes que franc-jeu, ils ne causeront pas d’esclandres, je suis venu volontairement avec ceux-là, histoire d’éviter la merde. J’aurais pu voyager avec n’importe qui en réalité, ils me respectent tous pour savoir se tenir.

— Jayce, je te présente Keith, le Chef des Foxes. Keith, voici Jayce, le Président temporaire des Irons Hounds.

J’aime pas sa gueule.

Face à ce type qui m’équivaut en taille, je m’impose. Mon aura, ma présence se font délibérément plus pressantes. À mon côté, Zayne se contente de sourire, il n’est pas en reste dans l’attitude.

— Zayne est son Vice-président, voici Cole celui des Hounds.

Gros silence, mutisme réciproque, nous nous dévisageons le plus paisiblement du monde. C’est compliqué quand deux camps adverses doivent co-exister.

L’histoire va au-delà de la rivalité, j’étais un Hounds, je suis parti, je ne reviens pas pour leur faire la guerre, seulement enterrer mon frère. Et je me casse.

Rien ne me retient ici.

Mes yeux sont attirés par Hope, sa fatigue se joint à sa peine. Est-ce que je dis la vérité quand je pense que rien ne me retient ici ? Je l’ignore. Logan aurait voulu que je n’oublie pas une promesse qu’on s’était faite. Une de celle qu’il a parjuré en tuant ma femme, même indirectement. Aujourd’hui, je souhaiterais dire que je ne la tiendrais pas, je me connais malheureusement bien.

— J’aurais préféré te rencontrer dans des circonstances différentes. Le fameux frangin…

Mon attention revient sur ce Zayne, il avance sa pogne, je suis le mouvement. Nos paumes se rejoignent, c’est à celui qui broiera l’autre. D’habitude, je ne joue pas à ce genre de trucs débiles, mais je n’ai pas le choix. Un sourire étire ses lèvres, je reste impassible.

— T’as entendu parler de lui, et de tout le bordel ? ricane Zayne.

— Logan ne tarissait pas d’histoires sur toi.

Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?

— Tant mieux.

Ma voix vibre, caverneuse, elle rappelle probablement les intonations de mon propre sang.

Je me souviens…

Logan et moi avons développé tant de similitudes, même en m’éloignant, je suppose que cela reste au vu des têtes qui se tournent vers nous. Je n’y fais pas cas.

— Allons discuter, conclus-je en me dirigeant vers le bureau.

Je lui coupe volontairement l’herbe sous le pied, il n’est pas encore le patron de ce groupe, je n’ai pas à attendre son bon vouloir et j’en ai marre d’être reluqué par des gueules de clebs. Prenant les devants, je m’avance.

Cette putain de porte me paralyse toujours autant…

Je la vois, inchangée, immense, je ne suis plus un ado, elle ne devrait plus m’impressionner. Pourtant… combien de fois je me suis glissé là pour observer mon paternel en action, espérer un regard, attendre je-ne-sais-pas-quoi.

Conneries.

M’arrêtant pour laisser passer Jayce, mon inconscient m’interdit de pénétrer comme ça dans la niche. Ce n’est pas ma place, cela ne l’a jamais été et alors que je fais signe à Zayne de se bouger le cul, je m’engouffre, refermant la porte par réflexe.

C’est là que je la vois. Ses pas la guident vers nous. Mon frère n’a jamais rien dû lui interdire, la rendant égale des autres, au-delà de la simple Officielle…

Pour l’heure, je refuse de l’avoir dans mes pattes. Il ne reste qu’elle de nous quatre et j’ai juré jadis. La toisant de toute ma hauteur, j’attends qu’elle réalise. Je suis parfaitement conscient de ce que je vais faire, de la gifle que je vais lui administrer.

Peu importe.

Elle s’arrête en comprenant que je lui barre la route. Son regard surpris semble s’intriguer face à mon acte.

— T’es peut-être une régulière, mais t’as rien à foutre ici. C’est pas la place d’une gonzesse.

Sans attendre sa réponse, je ferme la porte et la plante là. Je ne veux pas la voir dans ce merdier, c’est mieux pour elle. Elle finira par le comprendre.


[1] V.P : Acronyme de Vice-Président

[2] M.C : Acronyme de Motorcycle Club. Terme qui désigne un rassemblement de motards partageant la même histoire, les mêmes valeurs et qui ont décidé de s’unir en donnant un nom à leur groupe.

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