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Chapitre 2 - HOPE

♫Oh and all I taught her was everything

Oh I know she gave me all that she wore

And now, my bitter hands, chafe beneath the clouds

Of what was everything, oh the pictures have,

All been whashed in black, tatooed everything♫

L’odeur de l’huile de moteur et du cuir imprègne chaque recoin du club-house[1]. Il y a quelque chose de réconfortant dans ce parfum, un rappel de l’époque où Logan rentrait de ses run[2], un sourire fatigué éclairant son visage, sa main toujours égarée sur ma nuque comme pour s’assurer que j’étais bien là, avec lui dans notre belle Manchester[3]. Aujourd’hui, ces souvenirs me lacèrent. Chaque détail du décor me crie son absence. La table en bois marquée par les brûlures de cigarettes, les vieilles affiches de concerts punaisées sur les murs, la musique de Pearl Jam, sa préférée, qui grésille dans la radio, et même le drapeau noir et argenté du club… tout me remémore qu’il ne passera plus cette porte. Je suis plantée devant la grande baie vitrée qui donne sur le parking. Les motos sont alignées comme des sentinelles silencieuses. La Triumph Rocket III de Logan trône encore au premier rang. L’image de cette bête de métal me serre la gorge. Logan aimait cette bécane autant qu’il m’aimait, peut-être même plus parfois. Mais parmi ces nombreuses maîtresses de métal, elle était celle du quotidien, ce n’est pas sur elle qu’il est mort. Celle-là, celle qui l’a fauché est bousillée.

Jayce entre dans mon champ de vision, émergeant des ombres comme un spectre. Ses bottes martèlent le bitume avec une assurance tranquille. C’est le genre de mec qui impose le respect sans dire un mot. Aujourd’hui, il tente tant bien que mal de cacher son inquiétude. Je sais qu’il ne veut pas être ici à me parler de ce qui va suivre, or il n’a pas le choix. Tout comme moi.

— Hope, murmure-t-il en franchissant la porte.

Je me retourne lentement, croisant ses yeux clairs. Il a ce regard qui semble toujours sonder les gens, comme s’il cherchait quelque chose de dissimulé au fond de leur âme. Aujourd’hui, il trouve simplement une femme brisée.

— Tu voulais me voir, annonce-t-il, la voix grave.

— Oui, Jayce, mais pas ici.

Je l’entraîne dans une pièce plus petite, loin des oreilles indiscrètes. Dans ce lieu lambrissé, dominé par un bureau en acajou massif couvert de papiers, de cartes, et d’un cendrier débordant de mégots. Le lustre impose sa présence. Plus qu’un simple objet d’éclairage, il est le symbole d’un raffinement absolu, témoin silencieux des décisions importantes, des lectures studieuses et des pensées ambitieuses. Dernier héritage de Carter Howard, qui le tenait lui-même de sa mère, nous ressentons encore l’influence protectrice du Grand Président. Jayce ferme la porte derrière lui et s’appuie contre le mur, bras croisés.

— Qu’est-ce que tu veux me dire ? demande-t-il sans préambule.

Je prends une profonde inspiration. Mes mains tremblent légèrement, alors je les croise sur ma poitrine pour masquer mon trouble.

— La mort de Logan… impossible que ce soit un accident.

Jayce fronce les sourcils, il ne réagit pas immédiatement. Son silence en dit long : il ne désire pas entrer dans ce terrain glissant.

— Hope, je sais que c’est difficile, mais tu dois accepter la réalité. Logan était fatigué. Il roulait depuis trop de temps. Il s’est endormi sur son drag bars[4], et… ce genre de trucs arrive.

— Pas à Logan ! protesté-je vivement. Pas comme ça. Tu le connaissais. Il était prudent. Trop prudent pour…

— Hope, m’interrompt-il en soupirant. Parfois, chercher des explications complique les choses. Logan est parti, et nous devons avancer. Ça ne sert à rien de remuer le passé.

Je le fixe, incrédule. Il reste planté là, le visage fermé. Je sens ma colère bouillir sous la surface. Comment peut-il être aussi froid, aussi distant ?

— Tu ne comprends pas, murmuré-je, la voix tremblante. Logan avait des doutes. Il… il savait que quelque chose n’allait pas. Il m’en avait parlé, même si… même s’il est toujours resté vague sur le sujet.

Jayce secoue lentement la tête, visiblement peu convaincu. Ça me donne envie de hurler, pourtant je ravale ma frustration. Je ne peux pas lui forcer la main.

— Je suis désolé, Hope. Je ne peux pas t’aider. Ce club a besoin de toi, maintenant plus que jamais. Logan aurait voulu que tu restes forte pour les gars.

Je détourne les yeux, essayant de réprimer les larmes qui menacent de couler. Jayce se redresse et s’éloigne, me laissant seule dans la pièce. Quand la porte se referme derrière lui, un silence oppressant s’installe. Ma colère refait surface, mélangée à un sentiment de désespoir. Personne ne souhaite m’écouter, personne ne veut voir ce que je vois.

J’ai envie de me griller une clope. Je tâte les poches de mon jean… Où est passé ce putain de briquet ? En glissant ma main dans la poche intérieure de ma veste, j’effleure ce bout de papier, celui que je porte depuis toujours au plus près de mon cœur. Je l’extirpe de sa cachette. Une vieille photo. Logan, Keith, April et moi. C’était un jour d’été, comme beaucoup d’autres qui ornaient notre enfance. Les quatre gamins inséparables que nous étions semblaient alors éternels et immortels. Logan possédait ce sourire rieur, April se planquait derrière moi, timide, et Keith… Keith portait déjà le poids du monde. Cette photo est tout ce qu’il me reste d’eux à cet instant précis. Elle est froissée par les années, mais les souvenirs qu’elle contient me paraissent encore si vifs. Je passe mes doigts sur le papier, les yeux fixés sur cette époque que je ne retrouverai jamais. Une larme roule sur ma joue, je l’essuie rapidement. Je n’ai pas le droit de craquer maintenant.

 ****

Le temps semble s’étirer alors que je me prépare pour ce qui s’annonce être une longue journée. Les Silver Foxes arrivent demain. Keith, leur Président, est mon beau-frère. Cela fait des années que nos chemins se sont écartés. Son territoire est loin, à Édimbourg en Écosse, et nos vies n’ont jamais cessé de diverger. Pourtant, il sera là pour Logan. Parce que malgré tout, nous étions une famille. Je me regarde dans le miroir. Mon reflet me fixe, et je me demande combien de temps encore je pourrai tenir ainsi. Ma peau métisse a tout le temps été une source de fierté pour moi, un héritage de ma mère. Mes cheveux, volumineux et indomptables, sont l’une des rares choses que j’aime toujours chez moi. Aujourd’hui, mes yeux verts sont cernés, rouges. Ils traduisent la douleur et la fatigue que j’essaie de cacher. Je passe une main sur mon visage, inspirant profondément. Je dois être forte. Non pas pour moi. Pour eux. Pour Logan. Pour le club.

Dans la grande salle du club-house, l’activité bat son plein. Les gars préparent les lieux pour accueillir les Silver Foxes. Les tables sont poussées, des caisses de bières sont alignées contre le mur, et une atmosphère tendue flotte dans l’air. Je supervise discrètement, observant chaque détail.

— T’es sûre de vouloir être là quand ils arriveront ?

Je me retourne pour voir Nathan, toujours aussi nerveux, mais sincèrement inquiet. Ce gamin est un prospect, un nouveau venu dans le club qui doit prouver sa valeur avant d’en devenir un membre à part entière. Il a un bon cœur, même s’il n’a pas encore tout compris des règles de ce monde. Son regard trahit à la fois une admiration authentique et une peur de mal faire, cette dualité qui marque tous ceux qui débutent dans cet univers.

— Oui, Nate. C’est ma place.

Il hoche la tête, je vois qu’il reste perplexe. Ses doigts triturent nerveusement une lanière de cuir pendante à son gilet, un tic que j’ai remarqué chez lui. Je ne lui en veux pas. Moi-même, je doute parfois de ma capacité à affronter tout ça.

Lorsque le bruit des moteurs des Silver Foxes résonne au loin, un frisson parcourt la salle. Tous les regards se tournent vers l’entrée. Je me redresse, m’efforçant de paraître calme et sûre de moi. Les premières motos apparaissent, suivies par d’autres. Un long cortège de métal et de puissance. Et à leur tête, Keith. Il coupe le moteur de sa Custom Chopper, enlève son casque, et ses yeux croisent les miens. L’espace d’un instant, le temps semble suspendu. Keith descend lentement de sa machine, avançant vers moi. Il n’a pas changé. Toujours ce regard intense, cette aura imposante. Pourtant, quelque chose en lui parait plus dur, plus froid qu’auparavant. Ses muscles roulent sous chacun de ses mouvements, un ballet hypnotique de force et de contrôle. Chaque geste est pensé, maîtrisé, comme s’il sculptait l’air autour de lui. Il a rattrapé mon mari, ou peut-être même l’a dépassé. Sa silhouette n’est plus celle d’un jeune homme en devenir, mais celle d’un homme accompli, d’un Président né, dont la simple prestance inspire le respect. Ses yeux verts, perçants, semblent sonder jusqu’à mon âme, comme s’il devinait mes pensées les plus secrètes. Ses cheveux blonds, plus longs qu’avant, tombent en mèches désordonnées autour de son visage, accentuant le contraste avec sa barbe soigneusement entretenue. Il est sauvage et raffiné à la fois, un mélange irrésistible de brutalité et d’élégance. Les tatouages qui couvrent sa peau, tels des symboles mystérieux, attirent mon regard comme un aimant. Ils ne se contentent plus de parsemer son corps : ils l’enveloppent, l’habillent d’une aura magnétique, presque intimidante. J’ai l’impression qu’ils racontent une histoire, celle d’un homme qui a vécu, aimé, combattu… Chaque ligne d’encre semble vibrer, accentuant la puissance qu’il dégage. Et pourtant, au-delà de cette force brute, quelque chose d’infiniment troublant émane de lui, une chaleur qui me fait frissonner. Il est tout simplement impossible de détourner les yeux.

— Hope, murmure-t-il en arrivant à ma hauteur.

— Keith.

Le silence qui suit est lourd, chargé de tout ce qui n’a pas été dit depuis des années. Ce n’est pas le moment pour les réconciliations ou les disputes. Nous avons un enterrement à préparer, et des questions sans réponse à nous poser.


[1] Un club-house est l’endroit où les membres d’un club de bikers se réunissent pour discuter, organiser leurs activités, stocker leurs équipements, et parfois accueillir des événements sociaux ou des fêtes.

[2] Run est un terme très courant dans le jargon des motards, il désigne une sortie organisée, souvent sur une longue distance et parfois pour un événement particulier.

[3] Ville d’Angleterre.

[4] Le drag-bar est un type de guidon droit, bas et épuré.

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