Flashback - PDV Nathan

Je lui tendis mon arme.

Le geste fut simple, presque silencieux, mais il contenait en lui une décision irréversible. C'était ma seule arme. Mon unique chance de me défendre ici, dans cette mascarade sanglante où l'innocence avait été piétinée depuis longtemps. Et pourtant... je la lui tendis. À elle.

Chloé me regarda, d'abord avec de l'incrédulité, puis une peur brute et viscérale. Ce n'était pas qu'un pistolet que je lui offrais. C'était un choix. Une responsabilité. Une charge immense pour ses épaules qu'elle n'aurait jamais dû porter. Ses doigts tremblaient. Ses lèvres s'entrouvrirent.

— Prends-la, soufflai-je.

Elle secoua la tête, un pas en arrière, refusant encore de croire que je pouvais faire une chose pareille.

— Nath... t'es sérieux ? Et toi alors ? Tu vas te retrouver sans rien ! Tu sais ce que ça signifie ?!
— Je sais, répondis-je calmement. Et je m'en fous. Je préfère te savoir armée. J'ai pas besoin d'arme pour survivre. Pas quand il s'agit de te protéger.

Elle me dévisagea longuement, comme si elle cherchait à lire entre les lignes, à comprendre ce que je n'osais pas dire à haute voix. Puis, lentement, elle tendit la main et s'empara du pistolet. Son regard changea aussitôt. Une dureté nouvelle s'y installa. Ce n'était plus ma petite sœur apeurée. C'était une survivante. Peut-être de la peur qui se camouflait. Peut-être une forme de force que je ne lui connaissais pas.

— T'hésites pas, d'accord ? dis-je en attrapant doucement ses poignets. S'il faut tirer... tu tires. Promets-moi.

Elle hocha la tête.

— Promis.

Je fis glisser mes mains sur son visage, comme je le faisais quand nous étions petits et qu'un cauchemar l'avait réveillée en pleine nuit. Mais on n'était plus dans notre chambre, ni même dans une réalité connue. Ce monde n'avait plus rien d'un rêve. C'était un cauchemar éveillé, sans réveil possible.

Un craquement retentit à ma gauche. Sec. Brutal. Je fis volte-face. J'avais rien sur moi. Aucun couteau. Aucun bâton. Juste mes poings. Et ma rage.

Et vu celui qui émergeait de l'ombre, ça n'allait pas suffire.

Cassian.

Bien sûr que c'était lui. Fallait que ce soit lui.

Il avançait à pas lents, calculés, presque élégants. Une silhouette calme, trop calme, dans ce chaos. Ses cheveux étaient en bataille, ses yeux... vide, pas une lueur rien.

Son regard se posa sur moi. Puis, insidieusement, glissa vers Chloé. Il eut un sourire. Un rictus amer. Celui-là même que j'avais toujours rêvé d'effacer d'un bon coup de poing.

— Touchant, dit-il d'une voix moqueuse. Le grand Nath qui joue les grands frères modèles.

Il fit un pas en avant. Je me plaçai aussitôt entre lui et ma sœur. Les poings serrés. Le cœur battant.

— Dégage, Cassian. J'ai pas envie de me battre. Pas maintenant.
— T'as pas envie... ou t'as pas de quoi te battre ? lança-t-il en lorgnant sur le pistolet dans les mains de Chloé.

Je restai de marbre.

— C'est pas tes affaires.

Il s'arrêta à quelques pas à peine. Trop près. Son regard s'assombrit. Le masque du sarcasme glissa légèrement, dévoilant autre chose. Une ombre plus sombre. Plus dangereuse.

— Chloé m'a cherché, tu sais, dit-il d'un ton détaché. Elle voulait qu'on parte ensemble.

Je fronçai les sourcils, mon estomac se contracta.

— J'l'ai pas suivie, ajouta-t-il.

Je baissai les yeux un instant. Je me suis tourné vers elle, pour qu'elle puisse démentir ce qu'il dit mais, sa tête baisser vers le sol et ses yeux fuyant mon regard en disait long.. Elle voulait partir sans moi. Elle, Chloé. Même après tout ce qu'on avait traversé, elle avait encore choisi Cassian. Ça faisait mal. Viscéralement mal.
Mon cœur s’est contracté comme sous un coup invisible. Je ne savais pas ce qui me faisait le plus mal : qu’elle m’abandonne... ou qu’elle le préfère à moi.

— Elle t'a toujours préféré, hein ?

Il ne répondit pas. Juste un haussement d'épaules, comme si elle ne représentait rien. Comme si elle n'avait jamais compté.

Ce connard.

— Tu m'as toujours foutu la haine, Cassian. Ton air supérieur, ton petit sourire de merde... Mais là, t'as dépassé les bornes. Tu crois que ça te rend fort de tuer des gens ? De balancer des filles qui t'aiment comme ci de rien ?

Son expression changea. Brutalement. Son corps se tendit.

— Tu crois que j'ai eu le choix ?! explosa-t-il.

Sa voix avait tremblé. Juste une seconde. À peine. Mais je l’avais entendu.

Le silence retomba comme un couperet.

Je le fixai. Il y avait eu... quelque chose. Dans son regard. Pas de la haine. Pas du mépris. Une fatigue. Une douleur, peut-être. Mais c'était trop bref pour être certain.

— Tu as de la chance que nous soyons encore dans l'école mais crois moi quand je te dis que je ne t'ai pas tué quand j'en ai eu l'occasion, Nath, souffla-t-il. Réfléchis à ça.
— Et moi, je t'ai pas explosé la gueule encore. Pas par pitié. Crois-moi.

Il recula d'un pas, son regard toujours sur moi. Puis il se détourna. Sa silhouette se fit plus lointaine, plus floue. Chloé n'avait pas bougé. Elle restait derrière moi, comme figée. Je la sentais trembler. Cassian s'éloignait, droit, calme. Trop calme.

Juste avant de disparaître, il s'arrêta.

— Protège-la bien. T'as pas le droit à l'erreur. On ne sera pas toujours ici. Et si je vous recroise... j'hésiterai pas.

Puis il disparut.

Je restai figé. Mâchoire contractée. Les poings toujours serrés. Tout en moi bouillonnait. J'avais envie de hurler. De le suivre. De lui faire ravaler chacune de ses paroles. Mais je n'avais rien. Juste elle.

Je me retournai.

— Chloé ?

Mais elle n'était plus là.

Tout ce que je vis, c'était une silhouette blonde s'éloignant à toute vitesse dans la forêt. Fuyant quoi ? Lui ? Moi ? Elle-même ?

Dans ma tête, ça hurlait.

Cassian avait déjà tué. Chloé m'avait abandonné. Et ce jeu... ce putain de jeu... était loin d'être terminé.

Pas encore.