PDV Nina
Le lendemain de mon arrivée, je me réveillai en sursaut, désorientée. Pendant un instant, j'avais oublié où j'étais. La lumière filtrant par les planches mal clouées me rappela la réalité : une maison en ruine, une poignée de filles, et un monde devenu fou.
Maëlys dormait à mes côtés, son arc près d'elle, comme un doudou mortel. Dans un coin, Kim et Violette ronflaient doucement, blotties sous une couverture trouée. On aurait pu croire à une soirée pyjama... si les murs n'étaient pas couverts de moisissures et si une mort brutale ne nous guettait pas dans chaque coin.
- Tu es réveillée ? souffla une voix.
C'était Alice. Silencieuse, comme toujours, mais attentive. Elle me tendit une tasse d'eau tiède. De l'eau. Pure. Inespérée.
- Merci...
Elle hocha simplement la tête, puis s'éloigna pour réveiller Peggy, qui dormait encore, bras en croix, comme si de rien n'était. Malgré tout, il y avait un semblant de routine ici. Une illusion de normalité.
Plus tard, nous étions toutes assises autour de la table branlante. Violette comptait les rations, comme tous les matins. Kim coupait des bandes de tissu pour faire des pansements. Maëlys s'entraînait à tirer dans un coussin éventré suspendu au plafond. L'ambiance était studieuse, presque sereine.
- Tu peux nous aider à faire les pièges si tu veux, me proposa Peggy en mastiquant un morceau des restes d'hier soir.
- Des pièges ?
- Ouais. Pour chasser. Ou... se défendre.
J'acquiesçai. Je voulais me rendre utile, ne serait-ce que pour me sentir moins coupable d'être là. Parce que, malgré leur accueil, je me sentais comme une intruse. Comme si je portais un poison invisible.
On passa une bonne partie de la journée dans les bois. Peggy me montra comment camoufler une corde entre deux troncs pour attraper des oiseaux. Comment avait-elle appris cela ? C'est triste de se rendre compte que c'est dans ce genre de situation qu'on apprends à mieux connaître les personnes qui nous entoure.
Elle riait, beaucoup. C'était étrange, presque gênant, dans un monde aussi sombre. Mais j'en avais besoin. On parlait peu du jeu, de la mort, des autres. On parlait de rien, et c'était doux.
- T'as déjà tué quelqu'un ? me demanda-t-elle à brûle-pourpoint.
Je ne répondis pas tout de suite. Mon silence suffisait.
- Ouais... moi non plus. Mais je sens que ça viendra.
Un silence.
- Tu sais, Maëlys a pas toujours été comme ça. Avant, elle pleurait pour une mauvaise note. Maintenant... elle vise en plein cœur.
Je baissai les yeux. Nous n'étions pas si proche que ça Maëlys et moi, mais c'est vrai que j'étais loin de me douter de tout ça.
Le soir venu, on s'était improvisé un petit feu, bien caché derrière des couvertures suspendues aux fenêtres. Kim avait raconté une blague nulle sur un lapin et un fusil. Violette avait grogné. Alice avait ri. Moi, j'avais souri.
Pour la première fois depuis longtemps, j'avais eu l'impression d'avoir un abri. Une famille.
Mais les nuits étaient toujours plus dures.
Allongée sur un matelas déformé, je regardais le plafond. Le bois craquait au moindre souffle de vent. Chaque ombre était suspecte. Chaque silence, pesant. Et puis il y avait cette voix dans ma tête. Cette angoisse sourde.
« Tu n'as pas le droit au repos. »
Je pensais à Cassian. À Nathan. Où étaient-ils ? Était ce mieux ou pire, là où ils étaient ? Et s'ils étaient... morts ?
Je me recroquevillai, essayant d'oublier les souvenirs, les cris, le sang.
Juste quelques heures de répit.
PDV Maëlys
Nina faisait des efforts. Je le voyais. Mais elle restait ailleurs. Détachée. Comme si elle attendait que quelque chose - ou quelqu'un - surgisse.
Elle m'inquiétait, mais je ne pouvais pas l'abandonner. Pas après ce qu'elle avait vécu.
Je la surprenais parfois à fixer la porte, ou à écrire sur un coin de tissu avec du charbon. Elle gribouillait des noms. Parfois le sien. Parfois d'autres. Je n'ai jamais osé lui demander.
Un matin, alors que je revenais de la rivière avec Alice, j'entendis Nina hurler. Elle s'était réveillée en panique, trempée de sueur, les yeux hagards.
- Non... non... Cassian, recule ! criait-elle.
Je l'avais prise dans mes bras. Elle tremblait comme une feuille.
- Ce n'est qu'un cauchemar, ma belle. Ce n'est pas réel.
Mais je savais que si. Tout était réel, sauf la paix.
PDV Nina
Je me suis attachée à elles. Et c'est ça, le pire.
Parce que je sais que tout peut s'effondrer en une seconde. Un cri. Un mauvais geste. Un simple doute.
Mais elles m'ont tendu la main, alors j'essaie au mieux de leurs rendre. Je ris, parfois. Je cuisine, je répare des pièges. Et je prie intérieurement pour que ce fragile équilibre tienne encore. Un court moment je mes pensées se sont égarées vers Lyanna. Une larme coula le long de ma joue. Je l'ai essuyé du revers de ma manche et repris mes esprits.
Au fond, je sais que ça ne durera pas. Rien ne dure ici.
Mais tant que je peux... je veux croire qu'on peut encore se raccrocher à un semblant d'humanité.
Même si ça ne tient qu'à un fil.
PDV Maëlys
Plus tard, Violette et Kim s'affairaient à préparer le repas. On faisait comme on pouvait avec un vieux réchaud crasseux, qu'on avait allumé grâce aux allumettes d'Alice. Moi et Peggy, on avait ramené deux lièvres. Une chasse plutôt fructueuse.
Nina, elle, restait assise à la table, le regard perdu. Tête baissée, muette. Je tentais de lui arracher quelques mots. En vain.
Je sentais son corps encore tendu. Elle était là sans l'être. C'est comme si elle retenait quelque chose.
PDV NINA
Je n'arrivais pas à manger, ni même à parler. Le simple fait de sentir l'odeur du lièvre grillé m'écœurait et me donnait faim en même temps. Un paradoxe insupportable. Et malgré la chaleur de la pièce et la présence des filles... je me sentais oppressée ce soir. Plus que d'habitude.
Comme si cette maison me rejetait. Comme si... j'étais de trop.
Mais elles, elles étaient si gentilles. Trop peut-être. Je ne les méritais pas.
Je me laissais aller, la tête posée sur la table froide, paupières lourdes. Le sommeil me gagnait peu à peu... jusqu'à ce que la voix forte de Kim me tire brusquement de mon état second.
- À table !
Elle posa le plat encore fumant au centre de la table, et commença à servir tout le monde. Elle termina par moi, avec un clin d'œil et un sourire.
- Bon appétit ! lancèrent toutes en chœur.
Enfin, presque toutes. Peggy mangeait déjà à pleines dents.
Et puis soudain...
Un cri.
Peggy s'étrangle, convulse, ses bras tremblent. Elle s'effondre dans son assiette. Raide morte. Un liquide blanc mousseux sort de sa bouche.
Le silence explose. Je reste bouche bé devant cette scène, les mains devant la bouche, n'osant faire de bruit.
- Elle est morte ! Peggy est morte !
Violette se tourne vers moi, les yeux fous, le doigt tremblant.
- C'est elle ! C'est Nina ! C'est elle qui a fait ça !
- Quoi ?! je m'exclame. Mais je n'ai rien fait ! Je n'ai même pas touché à la bouffe, c'est toi qui l'as faite !
- Ne l'accuse pas ! intervient Kim. J'étais avec elle tout le temps. Si elle avait mis quelque chose, je l'aurais vue !
- Alors pourquoi elle m'accuse, hein ?! Ma voix tremble de colère.
- Parce que je t'ai vue ! crie Violette. Quand tu t'es approchée, t'as versé un truc dans la marmite ! J'ai tout vu !
Alice hoche frénétiquement la tête, paniquée.
- Moi aussi ! Je l'ai vue ! Dit-elle gênée en appuyant les propos de Violette tout en la regardant.
Je regarde autour de moi. Leurs regards changent. Les uns après les autres. Ils deviennent hostiles. Soupçonneux. Glacés.
- Maëlys, je t'en supplie, crois moi... Je n'ai rien fait.
Mais elle évite mon regard. Elle prend son arc, lentement.
- Je suis désolée, Nina... Deux personnes t'ont vue. Et Peggy est morte. Tu dois mourir aussi. Une vie pour une vie, nous t'avons accueillis et tu as trahis.
Je ris. Un rire triste. Ai-je une chance face à toutes ses filles qui me dévisage comme un monstre ?
- Mais je n'ai rien fait.. je vous jure.. lançai-je dans un dernier élan d'espoir qu'elles changent d'avis ou au moins que ça laisse place au doute.
Mais je l'ai vue dans leurs regard, elles sont toutes sûres d'elles et ont confiance en Violette qui pleure dans les bras de Kim.
- Bien. Allez-y. Je suis fatiguée. Je n'ai pas la force de me battre contre vous. Mais j'espère que celle qui a vraiment fait ça est fière. Parce qu'elle a réussi. Elle m'a tout pris. Même vous. Même ma vie.
Je la regarde droit dans les yeux. Je ne cille pas. Je n'ai plus peur. Je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça face à la mort, mais je n'ai pas envie de me battre pour une cause perdue.
Maëlys arme son arc. Sa flèche est métallique, luisante, et sa pointe... aiguisée comme un rasoir. Elle tremble. Son regard se trouble et vacille.
Elle tourne les yeux.
Tire un peu plus la corde, moi je ne détourne pas les yeux de son visage et attends ma sentence en silence.
Morts : 10 | Survivants : 20