Ses pas le guidaient entre les arbres, à travers cette forêt abondante, où le vert et l'orange dominaient, et d'odeurs fraîches, humides. Ses cheveux collaient sur son front moite, la sueur dégoulinait le long de son dos : ses plaies parcouraient sa peau, la striaient de toutes parts et la douleur ne le ménageait pas. Les longs arbres qui arboraient les lieux empêchaient la lumière d'entrer, et c'était pour le mieux : la chaleur de l'été l'étouffait, l'air passait subtilement entre les feuilles et sa peau ne brûlait pas sous le soleil tapant de la saison.
Mais son souffle devenait de plus en plus erratique.
Il devait absolument trouver de l'aide, une âme charitable pour le soigner...
Maximilien jeta un coup d'œil à l'arrière : même s'il avait pu utiliser un sort pour rentrer ses ailes et les cacher, s'il perdait trop d'énergie, son Kin ne circulerait plus assez bien dans ses veines pour maintenir son apparence...
Les rayons du soleil finirent par l'aveugler et Maximilien atteignit l'orée de la forêt, tremblant et pris de nausées. Si ses vertiges continuaient à empirer, il finirait par ne plus pouvoir avancer du tout.
Son regard se porta sur l'horizon, les yeux mi-clos, et une peur asphyxiante serra sa gorge : où était-il ? Il n'avait pas prévu sa chute de Sarcoce et, même s'il avait réussi à se téléporter loin de sa ville natale, la destination lui restait totalement inconnue — bien qu'il se doutait d'être sur Terre. Dans la précipitation, son esprit avait simplement imaginé un lieu éloigné et paisible, sans nom précis...
Les plaines se dépliaient sous ses yeux, d'un or éclatant sous les rayons, et les herbes bougeaient délicatement sous la pression du vent : des champs de blé se confondaient avec des parcelles de tournesols, entourées de forêts verdoyantes et immenses ; des montagnes, où se propageaient des arbres aux tons roses et bleus, surplombaient le reste du paysage. Maximilien aurait aisément pu profiter de ce splendide panorama dans une autre situation, mais avec le sang qui semblait couler le long de ses membres — il n'osait pas baisser le regard — et ses vertiges qui le forçaient à rester éveillé, il se sentait simplement perdu et angoissé.
— Quelqu'un..., murmura-t-il sans finir sa phrase.
Mais il ne put finir sa phrase : ses genoux touchèrent le sol, quelques cailloux éraflèrent sa peau. Malgré cette douleur, il ne gémissait pas. Rien.
Son esprit embrumé l'empêchait de penser, la souffrance ne suffisait plus pour le maintenir conscient. Avant de s'effondrer, il entendit des pas marteler les chemins rêches, nombreux et puissants, d'où des voix s'élevaient aussi fortes qu'un éclair qui tonnât.
« Que quelqu'un m'aide... »
Et ses yeux se fermèrent, tout son corps accablé par la rude guerre qu'il venait de vivre.
Le silence glissait entre ses oreilles, le vide dans son esprit détendait ses muscles.
Et quelque chose de froid glissa sur le coin de son œil, puis sa joue, jusqu'à s'écraser sur la courbure de sa nuque et de dévaler le long de sa clavicule.
Le schéma recommença deux, trois fois, et Maximilien grimaça de douleur quand il sentit ses membres bouger sans son accord. Au bout de quelques secondes, il se rendit compte qu'une personne le portait. « Qui ? » était bien le seul mot qu'il arrivait à formuler dans son esprit malmené, mais sa bouche comme ses paupières refusèrent de s'ouvrir, capricieuses au pire moment.
« Des contrebandiers ? Des mercenaires ? », les possibilités étaient nombreuses, mais jamais rassurantes. Maximilien tenta d'utiliser son pouvoir de téléportation pour se cacher de ces inconnus, mais une sensation étrange l'envahit.
Surtout le long de sa colonne vertébrale.
Ses ailes avaient comme disparu. Réellement, pas juste cachées.
Et sa magie ne fonctionnait pas.
Une deuxième tentative, une troisième, une quatrième... Mais rien ne répondait à ses appels, ni pouvoirs ni plumes. Il se souvenait pourtant bien de les avoir encore quand ils étaient tombés des Cieux pour atterrir sur terre. Maximilien tenta de regarder dans son dos en se contorsionnant du mieux qu'il pouvait, en vain : la douleur le lançait de partout à chacun de ses mouvements et il ne désirait pas se déchirer la nuque juste pour confirmer ses craintes.
Ses yeux s'embuèrent et ses entrailles se firent lacérer par son angoisse grandissante : il avait sûrement dû tout perdre pendant sa marche sans même s'en rendre compte. Le voilà démuni pour de bon et la seule chose qui martelait son crâne déjà souffrant restait cette vérité qui le rongeait, le dévorait tout entier jusqu'à l'aspirer dans un tourment étouffant.
La mort de Dual.
Maximilien ravala ses larmes, toujours entre le sommeil et la conscience alors que cette pensée le hantait comme un mauvais rêve qui se confondait avec la réalité. Il jeta un coup d'œil au petit orbe accroché à sa cheville, qui paraissait toujours intact.
Le dernier cadeau de son Mentor.
Des voix finirent par s'élever, lointaines et abstraites. Son corps fut enfin déposé sur quelque chose de dur, de froid, et des frissons remontèrent le long de son échine : cette sensation désagréable lui permit de se réveiller un peu plus, mais il restait encore trop faible pour ouvrir les yeux. Petit à petit, il commençait à distinguer les bruits autour de lui et, sans pouvoir se défendre, des personnes lui attachèrent deux choses froides autour des poignets et des chevilles.
Ce constat suffit à lui donner la force nécessaire pour ouvrir complètement les yeux, ses membres tremblaient d'appréhension. Quand sa vue devint moins floue et son esprit plus clair, Maximilien baissa les yeux vers son corps endolori par la fatigue, par ses blessures et un frisson de terreur le secoua : non seulement il n'avait pas été réellement soigné — ses plaies avaient été nettoyées à moitié et que partiellement bandées —, mais le pire restait ses chaînes qui l'emprisonnaient, l'empêchaient de fuir. Une entrave à sa liberté, à sa propre existence. Son regard balaya la pièce où il se trouvait, non, où se trouvaient des dizaines de personnes dans la même condition que lui... De petites fenêtres arpentaient les murs vétustes, proches du plafond, si étroites que même un enfant ne pouvait passer à travers, seuls les rayons se permettaient de les traverser pour éclairer les lieux ; le sol n'était qu'un tas de poussière et de sable où des paillasses s'éparpillaient, avec quelques personnes allongées dessus. Une seule porte en fer menait à l'extérieur, le silence l'étouffait au point de lui donner les larmes aux yeux.
« Des esclaves... »
Voilà où Maximilien était.
Dans un enclos.
Un marché d'humains.
Les gens autour de lui ne bougeaient quasiment pas, ils ne semblaient même pas respirer : leurs torses se soulevaient lentement et ils gardaient obstinément leurs têtes baissées. Certains lui jetaient des œillades dégoûtées, haineuses, et quelque chose en lui remua, ce qui serra son cœur et le paralysa.
Tous avaient une peau olive, abimée et sèche, leur maigreur l'inquiéta davantage, mais Maximilien commençait à deviner où il était tombé. La porte s'ouvrit d'un coup alors qu'il tentait de se faire le plus petit possible, une voix gronda dans la salle.
— Prenez les moins chers, finissez avec ceux qui ont le plus de valeur.
Cette simple phrase suffit à le faire frissonner d'horreur, ses yeux s'écarquillèrent quand un des hommes tira un vieux terrien amaigri par les bras, ses jambes trainaient au sol comme deux branches mortes ; la nausée lui prit la gorge alors qu'un autre s'attela à pousser une femme âgée à coups de pied, lui hurlant d'avancer. Maximilien se recroquevilla dans un coin de la pièce, incapable de fuir ou même d'user d'un peu de magie : que pouvait-il faire, sans défense, démuni de toute puissance ? Il marmonna une invocation, en vain. Plus rien ne semblait répondre à ses appels.
Était-ce sa punition pour avoir affronté ce qu'il pensait injuste ?
Ce petit manège se répéta : hommes, femmes, mêmes les enfants, ils y passaient tous et aucun d'eux ne revenait. Après une bonne heure ainsi, il ne restait plus que lui. « M'ont-ils oublié ? », cela aurait été une superbe opportunité, mais la réalité le rattrapa bien vite. Un grand bonhomme arriva dans la minuscule pièce, le visage dur et parsemé de cicatrices. Il lui adressa un regard véhément et il l'attrapa par le bras, le pressant de se lever. Une vive colère secoua ses membres et il se dégagea rapidement de son emprise, la sueur sur son corps abondait au point de le rendre glissant.
— Je peux me déplacer seul, objecta Maximilien, le regard féroce.
— Alors dépêche, morveux.
Ce colosse n'avait pas l'air bien méchant, mais sa grande stature et ses muscles saillants suffisaient à convaincre n'importe qui de le suivre. Il attacha ses poignets et ses chevilles de manière à le tenir avec une chaîne. Maximilien marcha devant lui, le pas lent et les mâchoires serrées : cette soumission était insupportable, se retrouver à la merci d'un simple humain aussi faible qu'idiot le rendait fou. Sans compter que la chaleur ne l'aidait pas à se calmer : il haïssait cette lourdeur dans l'air qui venait l'étouffer, lui griffer sa gorge asséchée par le manque d'eau. Après plusieurs minutes à marcher dans un sable brûlant — heureusement qu'il portait des sandales — entre des murs en bois où se faufilaient les rayons du soleil, ils arrivèrent vers une sortie au bout de ce tunnel. Les yeux plissés, Maximilien s'abrita de la lumière aveuglante du dehors de ses mains, mais l'homme derrière lui tira sur ses chaînes et le fit trébucher en avant. Tout son corps s'aplatit sur le sol et il retint un gémissement d'inconfort quand des picotements se propagèrent sur sa peau pâle : c'était bien trop chaud !
— Espèce de brute sans cervelle..., marmonna Maximilien, se relevant tant bien que mal.
En guise de réponse, l'homme lui asséna un coup de pied dans le dos, une douleur électrisa tous ses membres et elle lui arracha un râle : ses plaies semblaient se rouvrir, des sueurs froides glissèrent sur son dos moite et son souffle court se coupa quelques instants, ses organes donnaient l'impression d'être sur le point d'imploser tant la souffrance l'accablait. Si seulement sa magie ne l'avait pas quitté après cette bataille acharnée, ses blessures auraient été soignées en quelques secondes à peine... Il n'eut pas le temps de s'apitoyer davantage sur son sort que son bourreau le traina jusqu'à une estrade, elle aussi faite de bois, et où se tenaient plusieurs personnes que Maximilien ne put distinguer à cause de la fatigue, du soleil et de son état quasi comateux.
— Monte, persifla l'homme.
Incapable de riposter, il fit ce que cette brute lui ordonnait et ses jambes, lourdes et tremblantes, le portèrent jusqu'en haut. Dès que Maximilien atteignit le milieu de la plateforme, il s'effondra à genoux : à deux doigts de suffoquer, la chaleur ne le laissait pas respirer et les sifflements dans ses oreilles n'aidaient en rien pour lui permettre de garder son calme. Au bord de l'inconscience, il ne put qu'écouter ce qui se tramait autour de lui sans pouvoir réagir. Des voix tintèrent de toutes parts, Maximilien ne distingua que des bribes de phrases, des mots décousus ; des discussions sans queue ni tête où les syllabes se mélangeaient et les mots se confondaient, tout cela à cause de son esprit malmené.
— Unique... Dernier... Les votes...
Les syllabes se dilataient, se tordaient, s'étendaient, jusqu'à devenir des bruits sourds, des bourdonnements insupportables qui se fracassaient sur son crâne déjà douloureux : malgré ses tentatives pour retrouver totalement ses esprits, ses blessures rouvertes et sa perte de magie le conduisaient petit à petit vers le néant.
— Adjugé...
Ses yeux se fermèrent sous la fatigue, tout son corps tomba en avant et il s'écrasa face contre terre, en sueur et épuisé de devoir se battre en vain.
— Vendu !
Ce fut le dernier mot qu'il entendit.