Quand je vois Kléïo, s’échapper de l’arène, je tente de la retenir mais elle est déjà partie. Je voulais lui donner une leçon en lui montrant ce spectacle mais je commence à le regretter. J’ai vu son regard quand l’homme est mort puis à nouveau quand ce fut le tour du taureau. Comme si quelque chose s'était brisé en elle. Peut-être que c'était là ma première erreur avec la brunette. La première d’une longue liste.

Je m’excuse auprès de mon père qui me lance un regard désapprobateur et me lance à la poursuite de Kléïo. Je la cherche dans les couloirs de l’arène, mais je dois me rendre à l’évidence, elle n’est plus présente à l’intérieur.

Je me dirige donc vers la sortie de cet immense endroit et la voit accoudé au muret. Les tressauts de ses épaules m'indiquent qu’elle pleure à chaudes larmes. Je m’approche d’elle doucement et je l’attire dans mes bras. A ce moment, elle se laisse totalement aller contre moi. Je voulais l’impressionner avec nos jeux, mais je m’y suis mal pris. Vraiment très mal.

Je la sens se détendre au fur et à mesure que le flot de ses larmes se tarit. Quand enfin ce dernier s’arrête, elle lève la tête vers moi. Je ne pense pas qu’elle se soit rendu compte qu’il s’agissait de ma propre personne qui la consolait. Elle me regarde et je ne lâche pas son regard bleu. Je sais qu’elle a quelque chose à me dire mais les doutes dans ses yeux montrent qu’elle ne souhaite pas le faire. Et pourtant, je suis surpris lorsqu’elle ose le faire.

“- Pourquoi m’avoir montré cela? Pourquoi être si barbare que ce soit avec les animaux ou même avec vous-même?

Je te l’ai dit au début, ce taureau méritait la mort. Il a attaqué une de nos citoyennes. En ce qui concerne l’homme qui est mort c’est n’était qu’un dégat collatéral.

Je refuse de vivre dans un monde qui en fait le spectacle pour une ville entière! Laissez-moi retourner auprès de ma famille! Je vous en prit!”

Sa détresse s'entend tellement dans sa voix que je manque de flancher. Je ne pensais pas qu’elle serait la première à me demander ceci. Je pensais avoir choisi les plus forts pour venir vivre sur Faen, me serais-je trompé? Non je ne pense pas. Je décide alors de lui répondre sèchement:

“ - Reprends toi! Je ne te retournerais pas à ta famille, cela ne sert à rien de me supplier! Je t’ai montré cela, tu devras faire avec. Il s’agit d’une coutume et tu devras apprendre à vivre avec. Maintenant suis moi, je vais te montrer autre chose et après je te laisse retourner auprès d’Agathe.”

Je vois dans son regard qu’elle a compris que le sujet est clos. Mais m'obéira- t-elle à terme? Je ne suis sûr de rien. Je vais devoir faire avec, et la modeler à notre image. Je me dirige donc vers l’endroit où sont situés les temples en hommage aux dieux. Et je fais cela sans vraiment l’attendre. J’ai l’intuition qu’après ce qu’elle vient de vivre, elle me suivra même s’il s’agit d’une chose allant à l'encontre de son mode de vie. Le chemin vers la colline est un peu long et j’entends Kléïo marcher derrière moi, je sais qu’elle a du mal à suivre mon rythme régulier. Je l’entends haleter mais tant qu’elle ne dit rien, je ne ralentirais pas. Pas sûr que je le fasse non plus si elle me le demande.

Au bout d’un certain temps, nous arrivons enfin au lieu des temples. Je sais que cet endroit lui rappellera d’où elle vient car il ressemble beaucoup à leur place des temples. Je compte lui montrer les plus important pour nous, mais surtout pour moi. Le temple d’Héra et celui de Zeus. Puis ceux où elle pourra prier et les temples interdits.

Je prends donc la parole, lui expliquant l’importance d’Héra dans notre civilisation. Et oui cette déesse étant la principale, je me devais de lui expliquer son histoire. Même si elle n’a pas l’air très surprise, certains points la font tiquer. Surtout celui où Héra aurait trouvé son âme-sœur en dehors de Zeus et qu’elle serait partie avec lui pour vivre loin de son propre mari, provoquant la guerre entre les dieux, certains la protégeant, d’autres l’attaquant.

“ - C’est pour cela que certains temples sont interdits de toutes prières. Notamment celui de Poséidon. Ce Dieu a trouvé le moyen d’envoyer en masse ses troupes contre le nouveau couple et de les séparer. Mais comme on dit, l’amour est plus fort. Ils se sont retrouvés et maintenant prier Poséidon est interdit. Zeus est encore autorisé à la prière mais que certains jours de l’année.”

Et oui, prier Zeus est autorisé uniquement deux fois dans l’année. Lors du premier orage et lorsque la saison des pluies est finie. En dehors, il est proscrit de lui porter attention au risque d’attirer les foudres d’Héra sur sa famille. La Déesse étant une personne très rancunière. Mon père en a fait les frais, priant Zeus le mauvais jour. C’est pour cela que je suis l’enfant unique de cette famille, faisant de moi le seul héritier du trône.

Héra n’est d’ailleurs pas la seule à en vouloir au peuple du Land de Dathol, c’est-à-dire le land où nous sommes situés. Depuis quelques années, nous subissons de nombreuses pertes entre le manque de nutrition dans les régions les plus reculées, abandonnées par Déméter et les nombreuses attaques de nos voisins de la Terre de Feu ou de la Forêt noire. Nous avons tenté à de nombreuses reprises une proposition de paix avec leurs habitants, mais rien n’y fait. Nous subissons toujours des attaques qui nous affaiblissent de jour en jour et nous font perdre en population. Notre peuple étant sous entraîné et en manque d’armes, chaque jour nous perdons du terrain. J’espère un jour trouver la solution à nos problèmes, ce que mon père n’a pas su faire.

Mais pour le moment je suis avec Kléïo qui ne semble pas du tout intéressée par ce que je dis. Elle semble avoir décroché à partir du moment où j’ai dit qu’il était interdit de prier pour Poséidon. Je lui demande donc:

“ - Tu m’écoutes? C’est important ce que je te dis.

Oui je t’écoute, mais il me semble impossible de ne pas prier Poséidon, c’est mon Dieu. Celui que j’adule et celui auquel je crois le plus. Je ne peux pas m'arrêter du jour au lendemain pour lui vouer mon attention.

Et bien il va falloir que tu arrêtes, je lui réponds froidement. Il a fait du mal à Héra et ne mérite pas notre attention!”

Je la vois se renfrognée. Elle se met à regarder un à un les temples et semble ne plus vouloir m’écouter. Très bien, tu ne veux plus m’entendre parler? Parfait et bien je vais te laisser rentrer chez ta famille d’accueil, toute seule comme une grande.

“ - Les leçons sont finies pour aujourd’hui! Je te laisse rentrer chez Agathe! Je te laisse y aller seule, vu que tu à l’air si “futée”, voyons si tu retrouveras ton chemin dans la ville!”

Je lui fait un sourire sarcastique tandis que je croise son regard de furie. Elle ne m’apprécie pas tant pis pour elle. Elle veut jouer au plus fort mais va perdre avec son arrogance. Kléïo fait demi-tour pour descendre la colline et je sais déjà qu’elle va se perdre dans la ville. Chaque jour de nouvelles décorations apparaissent aux quatres coins des rues, rendant Derin plus belle que jamais. Mais la rendant aussi plus différente chaque jour passant.

Je me tourne vers les temples adressant ma prière à Héra:

“- Oh puissante Héra, je vous en prie. Permettez moi de trouver ma bien-aimée. Nous avons besoin de cela pour reconstruire notre peuple. N’en voulez pas à tout Datolth pour les fautes de mon père. Il ne mérite pas cela. Je vous en prie, faites que de nouvelles naissances arrivent dans les mois à venir. Je refuse de voir mon peuple mourir.”

J’attends une quelconque réponse venant du ciel, mais comme à son habitude, rien n’y fait. Ce n’est rien, j’ai l’habitude. Mais le fait d’être ignoré par les Dieux me rend plus triste que jamais. Pourquoi refusent-ils de m’écouter et d'exaucer mes prières mais aussi les prières de tous les habitants? Comment espèrent-ils que je sois un bon dirigeant plus tard si je ne peux rien faire pour mon peuple? Ce ne sont que des questions qui resteront à jamais sans réponse. C’est bien connu, je dois me débrouiller tout seul. C’est bien ce que père m’a dit il y a de nombreuses années. Les Dieux ne s’occupent plus de nous. Nous sommes seuls depuis bien longtemps…