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Alcancia

Chapitre 4

Il s'éveilla en sursaut d'un cauchemar terrifiant. Le souffle court, la sensation des neuf queues rattachées au bas du dos lui semblait encore vivace, comme si elles avaient réellement fait partie de son être. Pourtant, se transformer en un démon renard était plus qu'improbable. Jamais il ne partirait en quête de jeunes gens désabusés afin de leur dérober leurs cœurs.

Sa tunique tapissée de foin couvrait à peine sa peau frigorifiée. Il se leva alors de la paillasse sur laquelle il s'était assoupi, l'esprit hagard avant de retirer la saleté qui s'était mêlée à ses vêtements déchirés. Puis, il se laissa choir sur la couchette sans énergie.

Que pouvait bien signifier ce rêve étrange ?

Le goût puissant et ferreux du sang qui avait maculé son palais lors de son songe lui restait en bouche. Même ses mains tremblaient frénétiquement comme prises par la folie de la tuerie. L'adrénaline ne semblait toujours pas évanouie. Ce songe lui avait paru si concret...

Soudain, des coups furent portés contre le battant de la grange. Une voix tonitruante retentit alors.

— Ici le capitaine Aldra ! Ouvrez !

Devoir partager avec Hope ou avec quiconque d'autre les scénarios qui jalonnaient mon esprit me paraissait un acte si intime que je perdis le peu d'assurance qui me restait. Mes joues se colorèrent de carmin tandis que ma poitrine battait la chamade. J'étais sur le point de refuser quand l'air suppliant et contradictoirement d'une patience infinie de Hope me fit craquer.

Je fermai les yeux, me camouflant derrière mes paupières pour rassembler mon courage et regroupai mes idées en un résumé condensé.

— C'est l'histoire d'un homme amnésique qui chaque nuit rêve de devenir un démon à neuf queues. Chaque matin, quand il s'éveille, il a la cruelle impression que les tueries nocturnes sont belles et bien arrivées. Tandis qu'il sombre lentement dans la paranoïa, à mesure que les victimes imaginaires se multiplient, ses craintes se concrétisent. Le capitaine de la garde d'une des villes où il séjourne s'intéresse à lui de plus près. C'est alors qu'il devra faire la part entre sa folie et la raison. A-t-il vraiment commis ces crimes ? De jour en jour, il s'en convainc de plus en plus, malgré les preuves contradictoires.

Je m'interrompis une seconde, observant sa réaction. Il m'écoutait attentivement pendant qu'une certaine curiosité se peignait sur ses traits.

— Ça me semble être un bon début. Je me demande comment tu as trouvé cette idée.

Tiraillé entre l'envie irrépressible de libérer un flot incessant de paroles et la timidité qui m'envahissait, j'inspirai longuement. Je canalisais mes émotions avant de lui répondre.

— Lors de quelques recherches, je suis tombé sur une variante des légendes asiatiques. L'une, plus macabre que les autres, raconte qu'un Gumiho, un démon renard à neuf queues peut devenir humain dès qu'il a mangé mille foies en mille ans. Ça m'est resté en tête et sans que je le veuille vraiment, une histoire entière s'est créée autour. Je n'ai plus qu'eu à assembler les morceaux et ériger un plan plus construit.

Tout en ouvrant mon cœur, je lui dévoilai des informations dont je n'avais pas conscience.

— Contre toute attente, sortir des sentiers battus m'a fait du bien. La fantasy se prêtait bien au changement et cette idée m'a permis de me lancer.

— Si je ne me trompe pas, tu écrivais de la romance historique ?

Déconcerté, je l'observai avec suspicions. Je n'avais jamais partagé d'informations sur ma carrière d'auteurs. Avait-il fait des recherches sur moi ou était-ce un fan, qui s'était dissimulé depuis le début derrière ses cafés ?

— Tu dois déjà t'imaginer des choses incongrues, mais je t'arrête tout de suite. Il y a une librairie au bout de la rue et un jour, quand je m'y suis rendu, j'ai saisi les brides d'une conversation. Deux jeunes filles débattaient sur le contenu d'un livre où tu apparaissais en quatrième de couverture. Alors ça m'a intrigué, je l'ai donc consulté brièvement.

Une brise de soulagement s'infiltra en moi et balaya mes doutes. J'acquiesçai et devins tout à coup silencieux. Une idée qui m'avait traversé l'esprit se substitua à nos échanges, tant que je n'arrivais plus à m'en défaire.

— Hum, commençai-je d'une voix enrouée, j'aimerais que nous sortions ensemble.

Ses yeux s'écarquillèrent de surprise et d'incompréhension. Je rejouais alors les mots dans ma tête avant de me rectifier vivement.

— Sortir ensemble comme aller dîner un soir dans un restaurant. Pas...

Je me coupai, me sentant tout à coup idiot. Bien sûr, cela devait lui paraître évident. Je soupirai après m'être morigéné et je repris.

— Je suis désolé. Je n'ai pas invité quelqu'un depuis bien longtemps... Souvent, c'est mon éditeur qui me traîne dans des conventions ou des déjeuners d'affaires de force. Puis, à vrai dire, je n'ai jamais été très bon dans cet exercice.

Un rire embarrassé m'échappa. Hope captura alors mes doigts dans les siens tandis que nos regards se croisèrent et avant que je ne détourne la tête, il répliqua.

— Ne t'excuse pas, tu n'as rien fait de mal. Ça me ferait très plaisir de t'accompagner.

Le sourire angélique qui émergea sur ses lèvres réchauffa la salle. Ma poitrine tressauta dans un élan de joie pendant que ma respiration s'acéra.

— Ça me rendrait vraiment heureux, admis-je, assumant à moitié les émotions qui me traversaient.

Depuis deux ans, je survivais cloîtré dans une maison noyée sous les souvenirs d'un mariage éteint par les affres de la vie. Sans âme, je parcourais un monde morne où seul Hope semblait lumineux. L'écriture, cette unique échappatoire, m'était revenue tel un cadeau du destin. La bourrasque de fraîcheur qui avait emporté les couleurs ternes de mon quotidien provenait de cette simple personne devant moi. Comme confronté à un amour naissant, j'avais l'étrange impression de fauter avec cette proposition.

Néanmoins, comme l'on tournait une nouvelle page d'un livre, ma raison me dictait qu'on n'oubliait pas l'existence de la précédente. J'avais consumé de nombreux ouvrages sans pour autant que leurs prédécesseurs ne disparaissent dans les méandres. Tout au plus, les lignes dans ma mémoire se floutaient. Alors pourquoi ne serait-ce pas pareil dans les relations ?

Les conséquences de cette pensée me bouleversèrent tant que je ressentis l'urgence de fuir. Qu'il ne s'agisse que de reconnaissance ou de bons sentiments, je n'étais pas encore capable d'y faire face en toute quiétude.

Je rassemblai les feuilles dispersées sur le bar et je les déposai dans ma sacoche en vitesse. Tout mon courage écoulé, je m'excusai et dans un dernier au revoir, je pris mes jambes à mon cou.

Cependant, nous avions convenu d'une date. Le mardi 15 octobre, nous nous rendrions dans un des restaurants huppés de la ville, Le Lotus d'Argent.

Les pensées emmêlées par milliers, je retournai avec précipitation à mon appartement. Quand je fermai la porte derrière moi, je m'y adossai.

Quelle folie venais-je de commettre ?

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