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AlodieRomand
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Chapitre 3

     Installé dans la tour Ouest la plus haute, le Comte fixait sans bouger les aiguilles qui avançaient très lentement dans le cadran de son horloge. Il était presque vingt-trois heures et son hôte n’était toujours pas arrivé.

     Agacé, il saisit le verre de vin posé sur le manteau de la cheminée, puis en but une longue gorgée. Le feu flamboyait dans l’âtre, réchauffant sa peau froide et projetant des ombres difformes sur les murs.

     Peter Hawkins lui avait pourtant assuré que son associé était un jeune homme absolument exemplaire, digne héritier de ses parents. Aussi charmant que feue Mme Margaret Harker et sérieux comme Edmund Harker. Le Comte Dracula ne demandait qu’à le croire, même s’il n’appréciait guère certaines informations qu’il avait obtenues à son sujet. De ce qu’il avait pu réunir comme renseignement sur son nouveau notaire, le jeune homme de vingt-cinq ans pouvait être un allié comme un ennemi. Il comptait bien profiter de son séjour dans sa demeure pour mieux apprendre à cerner cet individu qui, il n’en doutait pas, lui serait fort utile dans tous les cas. Gardez ses amis près de soi, mais ses ennemis encore plus près, serait une ligne de conduite à tenir, au cas où M. Harker ne serait pas aussi exemplaire et charmant qu’annoncé. Et si le jeune homme n’avait rien à se reprocher, ma foi, il pourrait être un allié de taille.

     Au loin, les loups se mirent à hurler. Habitué à les entendre toutes les nuits, le Comte tressaillit pourtant. Intrigué, il reposa son verre, puis ouvrit en grand la fenêtre en arceau qui donnait sur un balcon. Après quelques instants d’écoute, il réalisa que les animaux lui indiquaient la position du notaire. Il n’était plus très loin.

     Il délaissa le balcon, tout en ajustant machinalement la manche de sa chemise autour de son poignet.

     — Varney ! appela-t-il.

     Quelques secondes s’écoulèrent, puis la porte de son salon s’ouvrit sur un jeune homme d’un peu plus de vingt ans. Sa peau pâle mettait en valeur ses yeux d’un bleu très clair. Ses cheveux blonds, indisciplinés, lui tombaient sur le front.

     — Messieurs Harker et Renfield arrivent, annonça le Comte en s’adressant à lui. Peux-tu t’occuper d’ajouter un couvert ? Etant donné l’heure, je pense que Miklós va rester chez nous, cette nuit.

     Il ponctua sa phrase d’un sourire entendu tandis que le visage du jeune homme s’éclairait de ravissement.

     — Je préviens Carmilla et Lenore ! s’exclama-t-il. Elles vont se faire une joie de lui préparer la chambre. Je leur demande de l’installer dans celle à côté de M. Harker ?

     — Plutôt dans une des chambres à l’ouest, rectifia le Comte. Malgré votre discrétion à tous les quatre, nous ignorons s’il restera sagement dans son lit, cette nuit. Je ne désire pas qu’il se pose de questions sur les bruits qu’il entendrait.

     Dans la mesure où le notaire serait installé dans une pièce, du côté Est du château, il y avait peu de chances pour qu’il tombe ainsi par hasard sur certaines activités nocturnes.

     Varney acquiesça avec enthousiasme, tout en saisissant le verre vide abandonné sur la cheminée.

     — Pense à ouvrir la grille également.

     —Bien sûr ! Je vais commencer par ça !

     D’excellente humeur, le jeune homme ressortit du salon en courant, hélant déjà ses deux amies les plus proches. Amusé, le Comte l’écouta s’éloigner dans le couloir. Les visites de Miklós Renfield étaient toujours synonymes de joie chez ses trois camarades. Quant au cocher, il n’était pas le dernier à apprécier ses nuits au sein de sa demeure.

     Rassuré de savoir que son invité n’allait plus tarder à arriver, il se dirigea à nouveau vers la fenêtre dans l’intention de la fermer. Ses longs doigts pâles restèrent en suspend sur la poignée alors que le chant des loups ne cessait de résonner dans la nuit. Les canidés, particulièrement en forme, ne s’arrêtaient pas. Ils avaient l’air plus heureux que jamais.

     Le Comte s’avança sur le balcon, perplexe. Jamais ses alliés à quatre pattes n’avaient démontré un tel bonheur lorsqu’un invité se présentait au château. Comme envoûté par cette joie qui picotait sa peau, il marcha jusqu’à la rambarde de pierre. Ce fut lorsque ses paumes la touchèrent qu’il constata un autre phénomène étrange : nul givre présent. Pourtant, à cette période de l’année, dès que le soleil se couchait, une fine couche de glace s’emparait des lieux. Intrigué, il caressa la pierre du bout des doigts : froide, mais non givrée. Etant donné les températures actuelles, elle devrait l’être.

     En bas, dans la cour intérieure, il aperçut la silhouette de Varney qui traversait les pavés polis par le temps afin d’ouvrir la grille.

     Le Comte fronça les sourcils. Où était passée la neige ?!

     Tout comme le givre, elle restait maîtresse des lieux jusqu’à la mi-mai, en général ! Ce matin encore, il avait demandé au jeune homme de déneiger au moins un chemin pour que le notaire puisse avancer jusqu’à la porte. Quelques heures plus tôt, il discernait nettement le passage formé dans la couche blanche. A aucun moment, les températures n’étaient remontées suffisamment pour que tout fonde. Il ne restait pourtant que quelques résidus blancs et glacé, amassés contre le mur de l’entrée. Au petite trot, Varney retourna à l’intérieur du château.

     Au milieu des hurlements lupins, le Comte Dracula discerna le bruit des sabots. Sans réfléchir, il retourna dans son salon, éteignit les lumières, puis ressortit sur son balcon. Il demeura immobile jusqu’à ce que deux cavaliers soient discernables sur le chemin qui conduisait au château. Là, il y avait encore de la neige, mais les loups galopaient devant les deux hommes, pour leur faciliter la voie. La silhouette familière de Miklós chevauchait derrière la meute. Derrière lui, le notaire maintenait une allure correcte, accompagné par le chef des loups qui l’escortait en personne.

     La lune décida d’éclairer le duo de ses rayons argent. Le Comte, déjà immobile comme une pierre, se pétrifia tout à fait en découvrant les cheveux roux du notaire. Celui-ci avançait en dévorant le château d’un regard émerveillé. Sans avoir besoin de s’approcher, le maître du domaine savait déjà qu’il possédait deux yeux d’un ambre chaud.

     Il déglutit. Varney avait intérêt à lui servir un vin très fort pour le dîner à venir. Très très fort.

     Drapé dans les ombres comme s’il s’agissait d’une cape, il observa les loups entrer dans le domaine, faire le tour de la cour en galopant et hurlant, avant de repartir par la grille dès que M. Harker l’eut franchi à son tour. Celui-ci leur adressa un signe de la main amical pour leur dire au revoir, charmé par leur compagnie. Encore perché sur son cheval, il se tordit le cou en arrière pour observer la façade.

     Les yeux du Comte s’attardèrent un instant sur sa gorge exposée, avant de remonter sur son visage. La joue droite du jeune homme était marquée de quatre lignes parallèles, les restes d’un profond coup de griffes qui dataient d’un peu plus de dix ans. Peter Hawkins, en confiant Jonathan Harker à ses bons soins, lui avait expliqué, dans une lettre, les circonstances de cette blessure. C’était ce détail qui pouvait faire du notaire un ennemi ou un allié.

     Le problème étant que le Comte réalisait à cet instant précis qu’il n’avait pas tout anticipé. Cet homme allait causer son bonheur ou sa destruction.

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