Point de vue Elijah.
Les jours qui suivent sont un mélange d’observation, de calculs et d’adaptation. J'ai été recruté comme stratège financier, mais je sais que mon rôle ne s’arrête pas à des bilans comptables et des ajustements budgétaires. Ici, les chiffres cachent des vérités plus sombres, des flux d’argent soigneusement maquillés pour échapper aux regards trop curieux.
Dès l’aube, je suis plongé dans des dossiers épais, analysant des mouvements financiers qui semblent anodins mais qui, sous mon regard d’expert, révélent des transactions détournées et des comptes offshore bien trop garnis. Je suis là pour comprendre comment l’argent circule… Et surtout, où il disparait. Mon bureau, situé non loin de celui de mon patron, est spacieux mais impersonnel. Une large baie vitrée donne sur la salle principale du casino, où les machines à sous clignotent en permanence et où les croupiers manient les cartes avec une précision presque théâtrale.
Mes journées sont rythmées par diverses tâches qui ne me laissent que peu de répits. Entre autre, des vérifications comptables, épluchant les rapports financiers en recherchant des anomalies dans les comptes. Ou bien des échanges avec Rocco – Ce dernier, hostile, me teste sans cesse. Il me demande d’expliquer des chiffres, de justifier des dépenses, comme s’il cherche une faille dans mes compétences ou ma loyauté. Mais le pire reste les entrevues avec Lorenzo. Régulièrement, ce dernier passe me voir, s’appuyant contre mon bureau et m’observant en silence avant de me poser une question directe sur les finances. À chaque fois, j'ai la réponse et je vois dans le regard du mafieux un intérêt croissant.
Chaque conversation avec Costa est une partie d’échecs où je dois jouer prudemment, ne rien révéler de mes véritables intentions. Mais il y a autre chose.
L’adrénaline.
Chaque nuit, lorsque je quitte mon bureau, j'ai cette drôle d’impression d’être épié. Et un soir, alors que je finis une analyse sur une transaction douteuse, mon patron entre sans prévenir et s’appuie contre le chambranle de la porte.
— Tu travailles tard, Carter.
Je referme le dossier lentement.
— Je veux comprendre chaque détail avant de donner mon avis.
Un sourire amusé se dessine sur ses lèvres.
— Et qu’est-ce que tu comprends jusqu’ici ?
J'hésite un court instant. Dois-je mentir ou bien dire que je ne vois rien d’anormal ? Je choisis finalement une demi-vérité.
— Que votre empire repose sur une gestion de précision. Rien ne dépasse. Rien n’est laissé au hasard.
Lorenzo me fixe un instant, puis hoche lentement la tête.
— Alors assure-toi que ça le reste.
Une question lancinante vient s'encrer dans ma tête alors que le mafieux se redresse. Est-ce un avertissement ou une invitation à entrer plus profondément dans l’engrenage ? Je n'ai pas vraiment le temps de m'épancher sur la question que mon patron me fais un signe de tête pour m'intimer de le suivre. Lâchant un discret soupir, je finis par lui emboitait le pas jusqu'à son bureau. La porte est refermer lentement après mon arrivée, dans un grincement sinistre qui n'a rien de rassurant.
Face à moi se tient à présent un homme calculateur, prêt à écraser quiconque menace son empire. Une détermination sans faille qui aurait pu me faire frissonner si je ne savais pas garder un minimum mon sang-froid. Les pas de Lorenzo se font entendre alors qu'il s'approche d'un rangement, dont il ouvre le premier tiroir. Ce dernier est rempli d'une dizaine, voir plus, de dossiers. Au vu de leurs épaisseurs, ils sont plutôt bien fournis mais je n'ai pas le temps de m'attarder dessus.
— Regarde ça, dit Lorenzo en désignant une pile de dossiers. Ce sont des comptes. Ceux des gens qui me doivent des choses.
Je m'approche et feuillète les documents rapidement, mon cœur s’alourdissant. Chaque ligne représente une vie brisée par la dette et la manipulation.
— Et ceux qui ne paient pas ? Demande-je finalement, après de longues minutes de silence, jouant l’ingénuité.
Le mafieux me lance un regard glacial à m'en faire frissonner.
— Ils apprennent ce qu’il en coûte de défier Lorenzo Costa.
Ce fut un moment de vérité pour moi. Cet homme, avec toute sa complexité, reste un criminel impitoyable. Pourtant, malgré tout, une partie de moi hésite. Est-ce de la fascination ? De la pitié ? Ou pire encore, quelque chose que je ne veux pas admettre ?
Ce soir là, je rentre chez moi un peu perturbé. Ma mission me parais maintenant plus complexe qu'il n'y paraissait au départ mais je me suis bien trop investit jusqu'à maintenant, pour vouloir tout arrêter là.
Le lendemain, je me trouve dans la salle de réunion attenante au bureau de Lorenzo, celle-ci étant plongée dans une ambiance feutrée. Une lumière tamisée émane d’un lampadaire d’angle, projetant des ombres sur les murs recouverts de tableaux représentant des scènes de jeux et de luxe. Le mafieux s’adosse contre le bord de la table, une tasse de café noir à la main, m'observant alors que j'examine quelques documents éparpillés devant moi.
— Le chiffre d'affaires du dernier trimestre est impressionnant, commente-je, brisant le silence. Mais il y a des anomalies dans certaines transactions. Des fonds passent par des filiales qui n’ont aucune raison d’exister.
Lorenzo hausse un sourcil, intrigué mais visiblement pas surpris.
— Des filiales fictives, tu veux dire ? Demande-t-il calmement, prenant une gorgée de son café.
— Exactement. Je suppose que c’est votre façon de brouiller les pistes, mais certaines de ces opérations attirent l’attention des services financiers. Si quelqu’un fouille, ça pourrait compliquer les choses.
Le mafieux pose sa tasse et croise les bras, un sourire amusé sur les lèvres.
— Tu sais, j’apprécie ton regard analytique, Carter. Mais tu es dans mon monde maintenant. Ici, les règles ne sont pas les mêmes.
Je relève les yeux de mes papiers, fixant mon patron.
— Je comprends ça. Mais même dans votre monde, un empire ne tient pas longtemps sur des fondations fragiles. Si vous voulez que tout ça dure, il faut être plus subtil.
Ce dernier me regarde longuement, pesant vraisemblablement mes mots.
— Tu es un homme intelligent, Elijah. Mais il y a une chose que tu dois comprendre: Dans ce jeu, tout est calculé. Chaque filiale, chaque transaction douteuse, chaque nom sur un papier a une raison d’être.
Il s’approche de la table et s’appuie dessus, ses yeux perçant les miens.
— La subtilité, c’est de savoir jusqu’où on peut aller avant que quelqu’un ne remarque. Et si quelqu’un remarque, il faut s’assurer qu’il n’aille pas plus loin.
Je soutiens son regard, un mélange de respect et de défiance dans les yeux.
— Vous jouez avec le feu, dit-je simplement.
Lorenzo esquisse un sourire en coin.
— C’est ce que je fais de mieux.
Le silence s’installe un instant, seulement brisé par le bourdonnement léger de la climatisation.
— Et toi, Carter ? Me demande t-il soudainement. Tu dis vouloir protéger cet empire, mais qu’est-ce que tu cherches vraiment ici ?
Il a le don pour me mettre en porte à faux. J'hésite une fraction de seconde avant de répondre, choisissant soigneusement mes mots.
— Je cherche à comprendre comment tout ça fonctionne. À voir jusqu’où je peux aller, moi aussi.
Un sourire approbateur se dessine sur le visage du mafieux.
— Intéressant. Tu sais, tu pourrais aller loin, très loin, si tu continues à penser comme ça.
Je baisse les yeux sur les documents, essayant de cacher l’inconfort que ces paroles suscitent en moi.
— On verra, murmure-t-il.
Lorenzo pose une main sur mon épaule, un geste à la fois amical et possessif.
— N’oublie pas, Carter: Dans ce jeu, les cartes que tu choisis de garder près de toi sont celles qui te sauveront… Ou qui te détruiront.
Je hoche la tête sans répondre. À cet instant, je réalise à quel point je marche sur une corde raide. Chaque conversation avec Lorenzo ressemble à une partie d’échecs, où chaque mot et chaque geste comptent. Mais ce qui me trouble le plus, c’est qu’une part de moi commence à apprécier ce défi. Et c'est... Perturbant et effrayant à la fois.