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Chapitre 3

Le soleil venant illuminer ma chambre me réveille. Nous sommes samedi, le jour de la confrontation. Après avoir passé deux jours le nez dans mes cahiers à réviser chaque matière et terminer mes devoirs pour la rentrée, je suis enfin en weekend. Seulement, ma mère aussi. Je ne l'ai toujours pas vu depuis le Nouvel An, elle passe son temps à l'hôpital. Ils sont sûrement en manque d'effectif.

Je m'assois sur mon lit, me frottant les yeux pour aider ma vue à s'adapter à la forte lumière. J'entends le ronronnement de l'aspirateur en bas. Mon téléphone m'indique qu'il est seulement huit heures et demie. Pour que Lyndsay fasse le ménage de si bon matin, c'est que quelque chose ne va pas. Après un long soupir, je pars à la salle de bain enfiler un sweatshirt et un jean avant de descendre retrouver ma mère pour le petit déjeuner.

Une fois à la cuisine, je sors un bol que je remplis de céréales et me serre un verre de jus de pomme. Tout en grignotant, je vais m'installer sur la table du salon, là où le café de ma mère refroidit. Elle ne lève pas le nez, concentrée dans ce qu'elle fait. Attendant que la guillotine vienne me couper les vivres, je passe en boucle dans ma tête tout ce dont elle peut me reprocher durant ces deux semaines de vacances.

Elle finit par éteindre l'aspirateur et enlever ses gants en latex. Elle s'essuie le front et replace une de ses mèches rebelles derrière son oreille. Son regard qui me parait bien noir s'adoucit lorsqu'elle remarque enfin ma présence. Elle vient déposer machinalement un baiser sur mon front avant de remettre sa tasse au micro-ondes. Je ne peux pas dire que ce blanc soit apaisant. Nous cherchons toutes les deux quoi dire, par où commencer. Une fois qu'elle revient, elle s'adosse au canapé et me fixe, elle a l'air déçue.

— Qu'est-ce qu'il y a ? finis-je par dire, voyant qu'elle ne crache pas le morceau.

— Qu'est-ce que j'ai loupé avec toi ?

— Quoi ? De quoi tu parles ?

— J'ai l'impression de tout te donner, de tout faire pour que ça aille bien, mais je ne récolte rien en échange.

Je reste assez abasourdie, ne voyant pas vraiment où elle voulait en venir.

— Tu peux être plus précise s'il te plaît ? Je te suis pas là !

— En quinze jours de vacances, à part sortir en cachette, me mentir, fumer, boire de l'alcool, trainer avec des garçons et ta trainée de copine, tu peux me dire ce que tu as fait ?

Je reste bouche bée. Mes yeux grands ouverts, je la fixe. Je ne m'attendais pas du tout à ça. Je suis tellement outrée par la violence de sa phase que je n'ai même pas les mots pour lui répondre.

— Voilà, on est d'accord, rien ! Si tu pouvais grandir un peu Naïs, ça serait bien. Tu vas avoir dix-huit ans, tu as le bac à la fin de l'année et un avenir à préparer. Je ne sais plus comment m'y prendre avec toi. Et tu pourrais m'aider un peu à la maison, je fais tout toute seule.

— C'est une blague ? Tu n'es pas vraiment sérieuse rassure moi ?

Elle pose sa tasse de café, à son tour troublée. Elle me lance un regard interrogateur.

— Ça fait deux jours que je suis enfermée dans ma chambre à faire mes devoirs, je te prépare à manger tous les soirs, je te ramène des supers notes et t'informe d'absolument toutes mes sorties ! Et Candice n'est pas une trainée ! Je t'interdis de parler de ma meilleure amie comme ça.

— Ne me prends pas pour une imbécile Naïs. Tu crois que je n'entends pas les escaliers craqués à onze heures le soir ? Et l'odeur d'alcool qui a imprégné ta chambre, on en parle ? On croirait être dans une distillerie ! Sans oublier que la maison est petite, et les murs sont très fins, donc crois-moi, je suis bien au courant des exploits de ta super Candice. Tu ne me feras pas croire qu'elle est une sainte-nitouche !

— Mais tu m'espionnes en plus ?

Je commence à perdre mon sang-froid. Je pose mon bol sur la table et me lève. Je me sens trahi, ma mère vient de m'avouer qu'elle a traversé ma bulle d'intimité. Et croyez-moi, il n'y a rien de pire pour une adolescente de savoir ses secrets découverts.

— Non je ne t'espionne pas, je suis ta mère et tu vis sous mon toit. Je suis d'accord, je travaille beaucoup, mais c'est pour toi que je le fais ! J'ai été ado, moi aussi, je te signale, donc tes mensonges, je les connais !

— Justement ! lui criai-je, tu sais exactement ce que ça fait d'avoir un parent trop intrusif. Et arrête de dire que tout ce que tu fais c'est pour moi, je n'ai jamais choisi de quitter l'Amérique, moi !

— Tu n'as pas le droit dire ça. Tu étais petite, j'ai choisi la meilleure vie pour toi, c'est tout ! Si tu essayais de te mettre un peu à ma place et de prendre tes responsabilités, tu comprendrais !

— Ah ça non !

Je pars m'enfermer dans ma chambre. Mais le cœur trop plein, j'ouvre la porte pour achever ma mère et mettre un point définitif à cette conversation.

— Je ne vois pas du tout en quoi c'est bon pour moi d'être privé de mon père ! Ce n'est pas parce que toi tu ne l'aimais plus que je suis obligée de ne pas l'aimer non plus ! Lui au moins, je suis sûre qu'il m'aurait compris et laisser vivre en paix !

Je claque la porte. Je me laisse glisser le long de celle-ci, me recroquevillant sur moi-même. Je fonds en larmes. Trop de choses tournent dans mon esprit, je ne sais même pas réellement pourquoi je suis triste. Est-ce à cause de la fatigue ? De savoir que ma mère est au courant de toute ma vie que je m'efforçais de garder secrète, ou par l'absence de mon père ? Peut-être un peu tout...

Le seul moyen de ne plus penser à tout ça est de me plonger dans mes livres. Je sors mon cours de chimie et reprends mon exercice là où je l'avais laissé hier. Quelques larmes continuent de longer mes joues avant de venir effacer l'encre de mon stylo-plume sur la feuille de papier. C'est trop dur de se concentrer. Je me tourne en boucle notre horrible dispute. Au fond de moi, je sais que je n'ai pas été correct avec ma mère et qu'elle a raison sur beaucoup de choses, mais j'aimerais tellement qu'elle me comprenne... Seulement pour elle, il n'y a que le travail qui compte, que ce soit pour elle comme pour moi, il ne devrait avoir de la place pour rien d'autre autour de nous. Je sais que c'est parce qu'elle cherche à réprimer quelque chose de douloureux qu'elle se comporte ainsi, mais ce n'est pas parce qu'elle est triste que je dois l'être aussi.

À force de ruminer dans mon coin, je commence à avoir mal à la tête. Il est déjà midi. J'entends ma mère m'appeler pour manger. Nous avons trop l'habitude de faire comme si de rien n'était après une dispute. Mais aujourd'hui, c'est trop pour moi. Je veux qu'on avance, je veux qu'on arrive à discuter, à ouvrir notre cœur et parler sincèrement, ce à quoi elle n'est pas prête. Je descends alors en silence, me sers une assiette de haricots verts et prends un steak haché dans la poêle. La voix du journaliste des infos de midi me parvient jusqu'à la cuisine. J'en déduis qu'elle ne compte pas m'adresser la parole, autant monter dans ma chambre alors.

Pour ne pas totalement déprimer, je lance ma musique qui résonne sur l'enceinte de ma chambre et relis mon cours de physique tout en mangeant. Mon esprit vagabonde rapidement ailleurs, je repense à la soirée du Nouvel An, à ses iris si clairs, son sourire ravageur. Ce garçon a réveillé quelque chose en moi, je n'ai jamais ressenti ça avant. Je prends mon téléphone, regardant à nouveau la photo de lui que j'avais prise quelques jours plus tôt. Tout semblait parfait chez lui, ça en était perturbant. Un message vient s'afficher sur mon écran, faisant disparaître Elliot.

« Bonjour chéri, ta mère m'a expliqué que ça n'allait pas très bien en ce moment. Elle pense que ça nous ferait du bien de discuter un peu. Je suis prêt à te parler. Quand tu le seras aussi, appelle-moi sur ce numéro. Hector, ton papa. »

Je n'ai absolument aucune idée de comment réagir à ce message. Je fixe mon portable, relisant le texte un milliard de fois. Voilà plus de dix ans que je n'ai pas eu de nouvelle de mon père. Les larmes coulent à flots, mes mains tremblent, je ne contrôle plus rien. Prise de colère, je lance mon livre de l'autre côté de la pièce dans un cri de haine. Comment après dix ans d'absence il était possible de revenir avec un simple SMS ? J'ai besoin de sortir, j'ai besoin d'oublier, j'ai besoin de respirer.

Je descends l'escalier à toute vitesse et me dirige dans la rue. Je me mets à courir, déchargeant toute ma colère en essayant d'aller le plus vite possible. Ne pouvant pas mettre des mots sur ce que je ressens, il faut que je l'évacue physiquement. Je fais le tour du pâté de maisons, essoufflée, donnant tout ce que peux, jusqu'à m'écrouler sur la balançoire du parc du quartier. Epuisée, j'ai un poing sous les côtes. Fumeuse depuis mes quatorze ans et peu sportive, je suis prise d'une quinte de toux rauque. Je finis par m'assoir, reprenant mon souffle doucement. Plus aucune larme ne coule, j'ai épuisé tout le stock d'eau que j'avais en moi.

Sans téléphone, ni cigarette, je me retrouve seule avec moi-même.

— Salut, vient résonner une voix derrière moi. Je ne savais pas que tu habitais ici.

— Hélio ? Je peux dire la même chose pour toi.

Une fois face à moi, Hélio sort une cigarette différente des autres de son paquet et fait une drôle de tête en apercevant mon visage dévasté.

— C'est pas le moment.

Je sais pertinemment ce qu'il pense, et je n'espère qu'une chose, qu'il garde ses réflexions déplacées pour lui.

Il semble avoir compris le message, car il baisse la tête pour étouffer un petit rire. Il allume sa cigarette à l'odeur étrange et vient s'assoir sur la deuxième balançoire, gardant son regard fixe sur moi.

— Tu veux me parler ?

Je suis étonnée par sa question. Il semble sincère, prêt à me prêter une oreille attentive. J'hésite un instant, cherchant chez lui une marque de plaisanterie, mais rien. Je finis par secouer la tête en soupirant, ça ne vaut même pas la peine d'en parler.

— Je peux commencer si tu veux, me lance-t-il avec désarroi.

Je ne réponds rien. Je me contente de le regarder, essayant de comprendre où il veut en venir.

— Mon père est mort.

Je ne m'attendais pas à une telle révélation. Comment réagir à ça ? Je n'ai pas du tout envie de jouer la psychologue aujourd'hui.

— Je suis désolée, me suis-je contenté de dire.

— C'était il y a quatre ans, dans un accident de voiture. Un camion lui a coupé la route, il était mort avant même que les pompiers n'arrivent.

Encore une fois, je reste muette. Je n'ose même plus le regarder. Je me balance doucement sur le petit siège en bois.

— Je pensais que je serais tout de même triste, mais non. Aucune larme n'a coulé pendant l'enterrement.

Il commence à m'intriguer. Je reste attentive à ses paroles, tout en gardant un air désintéressé.

— Il était alcoolique. Il lui est même arrivé de lever la main sur ma mère, plusieurs fois. Le camionneur est lui aussi décédé, il conduisait sous l'emprise de stupéfiants. Comme quoi, rien n'arrive par hasard. On se battait pour ne pas qu'il prenne le volant ivre, jamais il n'a voulu nous écouter. Il s'en foutait, il était mieux que tout le monde. Je suis toujours resté à ma place, je savais qu'un jour où l'autre, ça finirait comme ça.

— Je ne savais pas, me contenté-je de répondre.

— Peu de gens le savent, ce n'est pas une histoire qui se raconte facilement.

— Alors, pourquoi me la conter ?

À ce moment-là, je redresse la tête, ne comprenant pas le message qu'il cherche à me faire passer.

— Parce que je pense que tu as besoin de savoir que tu n'es pas la seule à avoir des problèmes. Et que tu puisses voir qu'on s'en sort toujours, peu importe comme c'est dur. Alors, je ne sais pas ce qui t'arrive, mais sache que ça va aller. Crois-moi.

— Nos histoires n'ont rien de comparable.

— Pourtant, elles nous font souffrir tous les deux.

Je regarde à nouveau mes pieds, il a raison. Je hoche discrètement la tête, repensant à tout ce qu'il venait de me dire. Je suis trop triste pour croire qu'un jour cette rancœur s'évanouira. Mais... une partie de moi sait qu'Hélio a raison, tout finit toujours par s'arranger, d'une façon ou d'une autre.

Je me lève, prête à reprendre la vie du bon côté et surtout le remercier, mais il est déjà parti. Je me pince les lèvres, envahis de culpabilité. Je me rends compte que je n'ai pas été très cool avec lui. En même temps, je ne lui ai rien demandé... Je lui reparlerai plus tard.

Le soir, une fois douchée, en pyjama dans mon lit, j'essaie tant bien que mal d'appeler Léa et Candice, sans succès. Je m'endors alors, repensant à cette journée remplie d'émotions.

***

Le lendemain matin, alors que je sors difficilement des bras de Morphée, mon téléphone n'arrête pas de sonner. Dans un grognement, je finis par atteindre mon portable sur la table de chevet, et je décroche, m'affalant à nouveau dans mon lit.

— Quoi ?

— J'ai trop besoin de toi !

— Candice ? Quelle heure il est ?

— Tu dors encore ? Il est treize heures, il est temps de se réveiller la belle au bois dormant, qu'est-ce que tu as fait hier soir encore ?

— Rien, j'ai pas beaucoup dormi, attends une minute.

Je pose l'appareil électronique un instant pour ouvrir ma fenêtre, laissant l'air frais de l'hiver pénétré dans ma chambre. Je m'étire, laissant échapper un long bâillement pour tenter de me réveiller pour comprendre le débit impressionnant rapide de Candice.

— C'est bon, je suis là.

— Il faut qu'on retourne à la maison de la fête de Nouvel An.

— Pourquoi ? Je ne saurai même pas y retourner, qu'est-ce que tu as fait encore ?

— Je vais appeler Sarah, elle me dira. J'ai complètement oublié ma veste avec mon portefeuille, et dedans, il y a la carte bancaire que j'ai volée à mon père.

— Oh non ! Il ne s'en est toujours pas rendu compte ?

— Il est en vacances au Japon, il a pris son autre carte. Mais s'il ne la trouve pas en rentrant, on peut dire Adieu à toutes les sorties.

— Et ta mère ?

— Elle ne l'utilise jamais. Mais il faut absolument que je l'aie récupéré avant dix-huit heures.

— Tu crois que Sarah va te donner l'adresse comme ça ?

— Bien sûre, elle n'a pas le choix. Sinon, ses petits secrets se verront révélés au grand jour.

— Tu fais allusion à quoi ?

— Eh bien, après s'être amusé avec Hélio à Nouvel An, je l'ai vue embrasser un mec de l'université sur le porche, et apparemment, c'était sérieux entre eux ! Je crois que c'est son mec !

— Comment tu arrives à savoir autant de choses sur les gens ?

— On aime se confier à moi, que veux-tu. On se retrouve au centre-ville dans une demi-heure, OK ? Je te garantis que j'aurai l'adresse.

Je n'ai même pas le temps de refuser son plan catastrophe qu'elle a déjà raccroché. Je pose l'oreiller sur ma tête, grognant, déjà fatiguée de ma journée.

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