Loading...
Report sent
1 - Chapitre 1
2 - Chapitre 2
3 - Chapitre 3
Loading...
Loading...
You have no notification
Mark all as read
@

Chapitre 2

Je croise mon reflet dans le miroir. C'est déprimant. Mes cheveux sont en bataille et mon eye-liner s’étale maintenant le long de mes joues. On dirait que je sors tout droit d'un film d'horreur. J'ingurgite mon médicament avant d'aller me glisser sous l'eau chaude de la douche. Je ferme les yeux, essayant tant bien que mal de rassembler les morceaux de ma soirée de la veille. Un sourire s'immisce sur mes lèvres. Son visage aux traits fins et son regard poignant me reviennent en tête. Léa a peut-être raison finalement, c'était une très belle soirée...

Lavée, maquillée et habillée, je descends, prête à subir les foudres de ma très chère mère, mais au lieu de ça, je ne trouve qu’un mot sur la table de la cuisine, accompagné d'un sachet de croissants.

« J'ai dû aller travailler, on parle de ta soirée plus tard, je t'aime. »

Infirmière à cent pour cent, la pauvre ne touche pas terre. Il faut dire qu'elle doit payer mon lycée privé, la location de la maison, les courses, les factures... et c'est tout juste si on s'en sort. Le pire dans tout ça, c'est que, trop fière, elle refuse de demander de l'aide à mon père qui, aussi riche que Crésus, l’aiderait sans même poser de question. Pourtant, il est hors de question pour Lyndsay de demander à son ex-mari de l'argent. Ce serait comme avouer qu'elle avait fait la pire erreur de sa vie en quittant la Californie pour venir vivre en France. En même temps... je n'ai aucun souvenir de mon enfance en Amérique, pourtant, je suis sûre que c'était mieux qu'ici.

Alors que je savoure ma viennoiserie tout en faisant défiler mon fil d'actualité sur les réseaux sociaux, mon téléphone vibre entre mes mains.

— Ouais ?

— Alors, la Belle au bois dormant, bien dormi ? me demande Candice.

— Ta mère ne t'a pas encore confisqué ton portable ? s’étonne Léa.

— Salut les filles. Non, son travail me sauve la mise, comme toujours.

— Super ! Bowling, ça te dit ? Jalel et Hélio nous invitent, ça pourrait être sympa, suggère Candice.

— J’ai loupé un truc ? demandé-je.

— Non, pourquoi ?

— Depuis quand on est amies avec eux ? C'est à peine si on s’adressait la parole il y a encore deux mois.

— Parce que maintenant, mademoiselle Naïs, nous devenons sociables ! Allez, prépare-toi, on se retrouve là-bas dans vingt minutes.

Candice raccroche sans me laisser le temps de répondre. Impossible pour moi de réfléchir tant ma tête est remplie de bourdonnements. C’est décidé, je ne bois plus d'alcool. Jamais je ne m’étais sentie aussi mal.

Je m'assois sur le banc de l'entrée pour lacer mes chaussures et, en me redressant, je vois à nouveau des étoiles. Décidément, sortir aujourd'hui n'est peut-être pas la meilleure idée de l'année. Je me regarde une dernière fois dans le miroir avant de me décider à franchir le seuil de la porte pour rejoindre mes amies. Cernes marquées, acné alarmante, traits tirés, teint macabre... Tout est OK, je peux sortir.

Après vingt minutes de bus et trois tramways différents, j’arrive enfin à Ballsland. Mon groupe d'amis est déjà là, fumant une cigarette sur le parking. Je les rejoins, rassurée de voir à leur tête qu'ils sont tous dans le même état que moi.

— On y va ? propose Hélio.

— Allez, c'est parti, allons vous mettre la raclée du siècle !

Léa et moi, un peu en retrait, rions de voir Candice les chambrer. Elle est absolument nulle au bowling... et au tennis, au badminton, au foot, et dans tout autre sport qui se joue avec une sphère.

Une fois que les garçons ont réservé la piste, nous enfilons nos hideuses chaussures rouges et blanches et commandons quelque chose à boire avant de nous installer à notre table.

— Bon alors, qu’est-ce qui s’est passé hier soir, Naïs ? On t’a perdue un moment, me demande enfin Candice.

Je zieute les garçons au bar, m’assurant qu'ils soient assez loin pour raconter aux filles ma rencontre avec Elliot. Je n’omets aucun détail : de la tache de vomi sur mon tee-shirt à ses yeux revolvers. On aime ça, nous : les détails. Pour beaucoup, ce n’est pas intéressant et ça rend l’histoire bien trop longue, mais pour nous, c’est tout le contraire. Ça nous permet de poser le décor et de prendre la place de l’autre pour ressentir tout ce qu’elle a pu ressentir. C’est comme ça qu’on s’aide à prendre les bonnes décisions, en revivant la scène. Mais généralement, ça ne nous empêche pas de faire les mauvais choix.

— T’as pas une photo ? me questionne Léa.

— Non... Je ne sais même pas son nom de famille, son âge, où il vit... rien.

— En même temps, tu n’allais pas lui faire un interrogatoire ! Si tu savais déjà tout ça après un rencard dans des toilettes en n’arrêtant pas de vomir, tu t’appellerais Miss Monde. Ou Commissaire Phelps.

Je scrute Candice et son air hautain, me demandant si ça vaut vraiment le coup que je lui réponde. Je jette un regard à Léa qui lève les yeux au ciel. On est d’accord, ce n’est pas la peine de relever sa remarque.

Les deux garçons arrivent enfin, une girafe de bière à la main et sept verres. Ce qui nous intrigue le plus, ce sont ces sept verres.

— On attend quelqu’un ? interroge Candice.

— Ouais, Sarah et Vanessa ne vont pas tarder.

En parlant de Miss Monde... Vanessa faisait partie du groupe au collège, mais depuis l’arrivée de la nouvelle élève en troisième, Sarah Roussel – jolie, studieuse et toujours avec le dernier sac à la mode –, notre groupe s’est déchiré. Candice et Vanessa nous ont lâchement abandonnées pour cette fille. Néanmoins, Candice s’est vite rendu compte qu’elle n’était intéressante qu’en apparence. Alors, après de plates excuses et une bonne glace qu’elle nous a offertes, Léa et moi avons accepté de lui pardonner et de reformer le trio de choc que nous étions depuis l’école primaire.

Enfin bref. Les deux filles viennent s’installer vers nous, ou plutôt dos à nous, et discutent avec les garçons, nous snobant complètement. Il fallait absolument qu’on gagne cette partie. Motivées et déterminées, nous nous concentrons sur le jeu et arrivons même à prendre un peu d’avance. Plus qu’un lancer par équipe et le jeu est terminé. Nous menons de seulement dix points. Tout repose sur Léa. Sportive, compétitrice et surtout fille du directeur du bowling, elle ne peut que faire quelque chose de bien. Elle n’a pas le choix : notre honneur repose sur elle.

— Strike ! T’es la meilleure, bébé ! s’enthousiasme Candice en me tapant dans la main.

— OK, j’avoue, vous avez gagné. Respect, les filles ! s’incline Hélio.

— Je savais pas que tu avais autant d’expérience avec les boules, Miss Léa, je t’aurais déjà appelée sinon.

Léa s’arrête nette. Elle fixe Jalel, ne sachant même pas quoi répondre. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'elle ne peut pas compter sur le soutien de Sarah et Vanessa, qui pouffent de rire face à cette blague mal placée.

Candice, voyant que notre amie ne semble pas décidée à se défendre, prend le taureau par les cornes et se lève, faisant face à Jalel.

Du haut de son mètre soixante-quinze, elle n’a pas à lever les yeux, au contraire.

— Répète ce que tu viens de dire, je n’ai pas bien entendu.

Je vois au visage de Jalel, qui a perdu son air amusé, qu'il comprend qu'il est allé trop loin.

— Ça va, je rigolais... Désolé, les filles, c'était pas pour être blessant.

— Ce n’était pas blessant, mais déplacé. Une fille, ça se respecte. Ce n’est pas parce que tes deux copines n'ont aucune estime d'elles-mêmes et que ce genre de blague les fait rire que c'est notre cas. Tu nous dois le respect. Si tes bijoux de famille te chatouillent, c'est pas notre problème. C'est clair ?

Silence. Personne ne répond. La moitié de la salle nous regarde, et je ne sais plus où me mettre. J'attrape le sac du bulldozer qui me sert d'amie, et nous quittons toutes les trois le Ballsland d'un pas précipité.

— Non, mais tu as vu leurs têtes ? C'était à mourir de rire !

Se sentant visiblement pas du tout gênée, Candice s'esclaffe en songeant à son monologue. Léa, elle, c'est tout le contraire. Ses yeux sont humides, elle a envie de pleurer, touchée par l'humiliation qu'elle vient de subir.

Nous nous asseyons toutes les trois sur un muret un peu plus loin, et je tends une cigarette à Léa.

— Allez... Ne prends pas ça à cœur, Jalel n'est qu'un idiot.

— Je sais, mais... Je croyais qu'on était amis. Ça lui apporte quoi de m'humilier ainsi ? Devant tout le monde en plus.

— Tu es beaucoup trop sensible. Il voulait te draguer et faire le beau devant Vaness et Sarah, c'est tout. Oublie ça, on s’en fout de lui, c'est un pauvre type.

Un peu trop franche, Candice ne trouve pas forcément les mots justes pour réconforter Léa. Elle semble le comprendre à ma grimace. Je pose alors ma tête sur l'épaule de Léa, réfléchissant à ce qui pourrait lui remonter le moral.

— Et si on allait se commander une pizza ?

— Super idée ! On ira la manger au parc du centre-ville, au bord de la rivière, comme tu aimes. Ça te dit ?

Je lance un clin d'œil à Candice, et nous empruntons le bon chemin pour redonner le sourire à notre amie.

Sous ses longs cheveux châtains tombant sur son visage, je perçois un petit sourire. Elle écrase sa cigarette par terre et nous tend ses deux mains, prête à passer au-dessus de la perversion de notre camarade de classe.

Nos cartons chauds entre les mains, nous nous dirigeons vers la rivière qui ruisselle le long du parc de notre petite ville. On s'installe toutes les trois dans un soupir et ouvrons nos boîtes, prêtes à déguster un bon repas au calme.

— Ta mère rentre à quelle heure ? me demande Candice.

— Je ne sais pas, vers vingt-deux heures, je pense. Je vais tout faire pour l'éviter.

— Vous êtes encore en froid ? demande Léa à son tour.

— Je ne sais pas... Disons qu'avec la reprise des cours, ça ira peut-être mieux. Elle n'aime pas trop que je passe mon temps dehors.

— Pourtant, elle sait que tu es avec nous, et ce n’est pas à Pôville que tu risques quelque chose !

— Je pense qu'elle s'inquiète justement parce que tu traînes avec Candice ! On ne peut pas dire que tu aies une super réputation...

Je serre les dents. Léa frappe là où ça fait mal. Mais, étonnamment, Candice ne relève pas sa réflexion, même si elle sait parfaitement à quoi elle fait allusion. Une fête qui avait mal tourné... La police avait dû intervenir pour mettre fin aux débordements, et Candice avait fini à l'hôpital après avoir trop bu. La rumeur s'était vite répandue. Depuis, ses parents ne lui avaient plus jamais laissé la maison lors de leur absence. Il était hors de question pour eux que leur charmante demeure se transforme à nouveau en beuverie.

— Je ferais mieux de rentrer, les filles. Il est déjà vingt heures, et on reprend les cours dans quatre jours. Je n’ai encore rien fait... En plus, je dois me préparer à affronter Lyndsay le dragon, alors souhaitez-moi bonne chance !

Mes deux amies m'envoient un bisou de loin tandis que j’enfile mes écouteurs, me dirigeant vers mon tramway.

Assise au fond du dernier wagon, je défile mon fil d'actualité, bougeant la tête au rythme de ma musique country. Des voix couvrant les chuchotements des autres passagers me font lever les yeux. Mon cœur rate un battement.

Mon regard s’arrête sur ses yeux bleus. Nous nous fixons un instant avant que, trop intimidée, je baisse la tête, faisant semblant d’être absorbée par mon téléphone. Je suis tellement perturbée par sa présence que je n'arrive même pas à lire une seule phrase sur mon écran. Je tape du pied. Je n’ai qu’une envie : disparaître.

Je sens son regard posé sur moi, ce qui me rend d’autant plus mal à l’aise.

Lorsque le tram s’arrête, je prends mon courage à deux mains pour affronter une nouvelle fois son regard. Captivé par sa conversation avec ses amis, Elliot ne me remarque pas tout de suite. Une fois les portes ouvertes, il tourne enfin la tête vers moi et m’adresse même un petit sourire avant de disparaître derrière les portes automatiques.

Ai-je rêvé ? M’a-t-il réellement souri ?

Je dégaine mon téléphone et ouvre rapidement l’application photo, attendant que le tram redémarre pour capturer l’image de mon « sauveur du Nouvel An », comme l’a appelé Candice. J’envoie la photo à mes deux meilleures amies.

Aussitôt, mon téléphone vibre. Je décroche l’appel vidéo et vois que mes deux amies n’ont pas bougé de notre table au parc.

— C’est lui, Elliot ? s’exclame Candice.

Je me contente d’acquiescer en me mordant la lèvre inférieure. C’est la première fois que j’avoue à mes amies qu’un garçon me plaît. D’habitude, je préfère garder ça pour moi, sachant pertinemment que ça ne donnerait rien et que je finirais simplement par être déçue. Il y a peut-être aussi la peur de l'humiliation. On ne peut pas dire que Léa et Candice soient les reines de la discrétion.

Cependant, Elliot… Je ne sais pas, c’est différent. Le fait qu’il ne soit pas dans notre lycée m’aide peut-être à me confier. Il est aussi peu probable que je le recroise à la reprise des cours, alors je ne risque rien. C’est juste pour le plaisir des yeux.

— Jamais je n’aurais pensé que tu avais un penchant pour les crânes rasés ! s’étonne Léa.

— Hé ! Je ne vous ai pas demandé de juger. De toute façon, je ne suis pas sûre de le revoir un jour.

— Je peux te le retrouver, ton beau militaire, si tu veux, propose Candice.

— Non merci, ça ira ! Et arrêtez de le juger, il n’a rien de strict, il est juste... différent.

Les deux filles éclatent de rire, répétant mon dernier mot d’un air moqueur. Je lève les yeux au ciel, essayant tant bien que mal de cacher mon agacement.

— Allez, je vous laisse, mon bus est là. On se voit au lycée lundi.

— Salut Naïs, on t’aime !

Comment this paragraph

Comment

No comment