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Silanti
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Chapitre Dix-neuf : Au revoir & faveur

Et sans que personne n’y prêtât attention, Azarël referma son codex, glissa sa plume dans ses cheveux. L’ange de la mort partit par-delà les nuages.

À la stupeur succédèrent rapidement les clameurs des armées. Sacha sauta sur Phistophélès en criant leur victoire, les deux démons déchus et le dhampire finissant dans une ronde effrénée. Plus loin, Samaël tomba à genoux, abattu. Les Lilith s’agenouillèrent à ses côtés, lui chuchotant des mots que personne n’entendit dans le vacarme.

Toute la tension qui avait fait tenir Haziel s’évanouit à l’annonce de Gabriel. Il eut un vertige, ratant un battement d’ailes. Lucifer le rattrapa. L’expression sur le visage de Michel était indéchiffrable. Était-il soulagé ou déçu ? Prenait-il cela comme un désaveu ou comme un présent ? Il ne laissa à personne le temps de s’interroger là-dessus.

— Qu’il en soit ainsi. Mais cela ne veut pas dire que tu aies raison, Haziel.

Sans plus de cérémonie, il leur tourna le dos, suivi par les quatre archanges cardinaux. La lumière du Ciel sur la Terre se fit moins intense, tandis qu’ils repartaient avec les légions d’où ils venaient. Lucifer et Haziel se posèrent, le Diable soutenant toujours le déchu. Gabriel et Raphaël les suivirent, sans atterrir cependant, leurs pieds frôlant le sol sans le toucher.

— Et ce n’est pas pour autant que tu es autorisé à marcher sur Terre, Satan, rappela l’archange de la Charité.

Les mains de Haziel et de Lucifer se serrèrent douloureusement, conscients de leur séparation très prochaine. Cela n’échappa pas à Raphaël. Il soupira.

— Que les déchus dorment tranquillement ce soir. Ils ne seront pas punis parce que leur Prince est tombé amoureux du Diable. Mais nous reviendrons te voir, Haziel. Tes liens avec l’Enfer nous intriguent.

Ce n’était pas une menace, il laissa cela à Michel. C’était plutôt un aimable avertissement. Haziel aurait tout de même à répondre de ces quelques jours passés en compagnie de Satan. Et sans doute serait-il surveillé plus étroitement, maintenant que les deux s’étaient réconciliés. Le propriétaire du Purgatorio choisit d’en sourire.

— Voilà qui me laisse le temps de concevoir des cocktails dignes des palais archangéliques.

Raphael lui rendit son sourire, plus crispé. Après un dernier signe de tête pour eux deux, il rejoignit le reste des anges s’envolant pour le Paradis. Des trois ne restaient plus Gabriel, qui posa ses mains sur celles de l’ancien archange de la Connaissance. Il les garda quelques secondes dans les siennes, avant de lui faire lâcher le déchu.

— Puis-je t’emprunter Haziel quelques minutes ? Ce sont de bien vilaines blessures qu’il arbore.

— Qui serai-je, sinon le Diable, pour m’opposer à une demande du Messager du Ciel ? rétorqua ironiquement Lucifer, comprenant qu’il n’avait pas vraiment le choix.

Avec un clin d’œil très humain en guise de salutations, il se dirigea vers ses démons. Tout comme les légions angéliques, les armées infernales repartaient, menées par Bélial, emportant avec elles l’ombre qu’elles avaient amenée sur la Terre. Le Grand Lilith était accroché à Asmodée. Ils célébraient chastement – d’après les critères du Cercle de la Luxure – la préservation de la Drève, debout sur les deux archidémons séditieux. Satan se pencha vers eux.

— Beaucoup de choses ont été dites aujourd’hui : que Belzébuth prendrait mon trône ; que Léviathan me prendrait Haziel ; que je couperai des têtes et vous tuerai pour cela. Heureusement pour vous, je me sens d’humeur magnanime… Vous serez jugés avant.

Il se redressa, se retrouvant nez à nez avec ses Luxurieuses Altesses en pleine acrobatie sensuelle. Il soupira.

— Un peu de tenue, il y a des enfants ici.

Il avisa Sacha. Le dhampire avait reconnu Mammon d’une vieille gravure qu’il avait aperçue dans un des livres de sa tutrice. Il s’en était approché, pas de trop près, mais assez pour attirer son attention. Le Prince de l’Avarice, qui s’apprêtait aussi à quitter la Terre, daigna abaisser ses yeux sur lui.

— Que veux-tu à Mammon ?

— Pourquoi tout le monde dit que je suis ton fils ?

L’archidémon partit dans un éclat de rire guttural.

— Tu m’as bien diverti tout à l’heure, je vais donc te répondre. Anges et démons t’appellent ainsi, parce qu’un jour, des humains qui avaient tout et voulaient encore plus, m’ont invoqué. Je leur ai offert la seule chose qu’ils ne possédaient pas : l’immortalité, afin qu’ils puissent continuer à amasser des richesses. En échange, je leur ai pris leurs âmes, car même les immortels meurent et l’attente ne fait que les rendre plus savoureuses, ainsi que le peu de lumière qu’ils leur restaient. Ils se sont qualifiés de sang-pur et sont devenus ce que les humains ont appelé vampires.

La plus longue de ses six queues louvoya jusqu’au torse du garçon, effleurant la plus impressionnante des griffures que les damnés avaient laissées sur lui.

— Rares sont leurs bâtards qui survivent aussi longtemps. Garde ta lumière, petit. Sinon... je me ferai un plaisir de t’accueillir dans mon palais.

Sur ses mots, il disparut dans un écran de fumée noirâtre sentant le soufre et le vomi. Sacha n’eut pas le temps d’intégrer que les vampires avaient été créés par les démons qu’une main sur son épaule le retournait. Satan lui adressait un de ces sourires charmeurs dont il avait le secret.

— Aussi charmant que soit le Cercle de Mammon, je compte bien te garder pour moi.

Sacha leva les bras en l’air, s’étirant de tout son long. La journée avait été longue, et son corps était fourbu et douloureux. Il ne dirait pas non à une poche de sang frais et à la plus longue grasse matinée de sa vie.

— Je ne voudrais pas faire de l’ombre à Haziel.

— Ton adorable impertinence va me manquer, pouffa Lucifer, avant que son visage ne se pare d’un air on ne peut plus sérieux. Tu m’as été utile, Sacha. Pire, je crains de t’être redevable. Et peu importe ce que les humains racontent de moi sur Terre, sache que le Diable paie toujours ses dettes.

Il porta sa paume à hauteur de ses lèvres et souffla dedans. Une fiole, semblable à celle ayant contenu les larmes de Haziel, apparut. De la pointe de sa queue, il piqua profondément son poignet. Il fit goutter son sang épais et opaque dans le petit flacon, jusqu’à le remplir aux trois-quarts. Il le referma, puis le tendit à Sacha. Celui-ci le prit, perplexe.

— Merci ?

— Bois ceci, et durant quelques minutes, tu devrais pouvoir tenir tête jusqu’aux premiers de ta race. — Tandis que le dhampire glissait le cadeau dans sa poche, il ajouta. — Il y a deux gorgées. Je ne doute pas que tu trouveras comment en faire usage.

Pour la première fois depuis qu’il l’avait rencontré, Sacha se demanda ce que le Diable savait réellement sur lui, juste en lisant son âme. Il le lui aurait bien demandé, mais ils furent interrompus par Faust et Phistophélès. Ils ne restaient plus qu’eux, sur la Piazzale Michelangelo. Ainsi que Gabriel et Haziel.

Avec la grâce du Ciel, l’archange de l’Espérance avait guéri Haziel de toutes ses plaies et contusions. L’espace d’un instant, le Prince déchu s’était rappelé ce que c’était de vivre, dans la douche chaleur du Paradis. Il avait senti monter en lui une vigueur nouvelle. Toutefois, ce n’était pas seulement pour ça que Gabriel avait voulu lui parler seul.

— As-tu trouvé ta raison de vivre ?

— Je n’en suis pas sûr, mais je crois que je vis pour permettre aux autres déchus de trouver la leur.

Un ange passa, sans que le Messager ne réponde.

— Pourquoi souris-tu ? s’étonna Haziel.

— Tu t’es rebellé parce que tu ne voulais pas d’une vie de servitude, et pourtant tu as mis ta vie au service des autres.

— Peut-être voulais-je juste avoir la liberté de choisir ?

— Je vais devoir vérifier qu’il n’y ait pas un pommier qui traîne quelque part sur nos nuages, rit Gabriel.

— Si cela te distrait de souffler dans ta trempette.

L’archange prit une mine grave.

— Je soufflerai dedans un jour, Haziel, et j’espère aussi fort que toi que ce sera pour une Révélation sans bataille. D’ici là, je prie pour que tu sois heureux. Tu en as le droit.

Quelque part au cours de ces derniers jours, l’archange déchu l’avait compris. Ils révoltaient pour être libres, et pourquoi voulaient-ils être libres, si ce n’était pour leur bonheur ? Rien n’effacerait jamais les morts ou la souffrance causée par leur Chute qui perdurait encore aujourd’hui. Mais rester enfermé dans sa culpabilité non plus. Il les avait vus, tous, chacun à leur manière, quitte à déclencher une guerre ou à tuer un adelphe ou deux, lutter sans honte pour atteindre le futur auquel ils croyaient. Il pouvait essayer aussi. Se battre non pas en rémission de ses fautes, mais parce que lui aussi voulait un avenir meilleur. Pour lui et les autres. Et tant pis si c’était égoïste, de vouloir le bonheur. Il n’était plus un ange depuis longtemps, il n’avait plus à être parfait. Un sourire éclaira son visage.

— Je crois que je le sais, maintenant. Merci. Est-ce un message ?

— Non, mais j’en ai bien un pour toi et Lucifer. Ne lui dis pas que je l’ai appelé ainsi, s’il te plaît. — Le propriétaire du Purgatorio leva solennellement la main. — Lorsque le Soleil disparaîtra de l’horizon, le Diable devra retrouver l’Enfer.

Haziel tourna ses yeux vers l’astre du jour, lequel touchait presque déjà la ligne au loin. L’orange du ciel se teintait du bleu de la nuit. Il hocha la tête. Moins d’une heure leur était accordée. Le Prince de l’Espérance prit ses mains dans les siennes.

— Je dois m’en aller maintenant. Au revoir, Haziel. Tu nous manques toujours.

— Vous me manquez toujours, aussi. Au revoir, Gabriel.

L’archange relâcha l’étreinte de ses mains. Il eut un dernier sourire resplendissant, puis dans un flash de lumière, il disparut. Le Diable se retourna pour contempler l’être qu’il aimait. Devant la façon avec laquelle les deux se dévoraient des yeux, Phistophélès et Faust échangèrent un regard entendu. Ils prirent chacun un bras de Sacha pour l’embarquer.

— Eh, je n’ai même pas dit au revoir à Lulu !

— Il s’en remettra.

Ignorant les râleries du dhampire les deux démons déchus partirent avec lui dans l’escalier le plus proche. Lucifer et Haziel étaient seuls.

***

La vie sur Terre reprenait doucement son cours, au moment même où elle s’était arrêtée. Pourtant, l’esplanade restait déserte, un petit miracle assurément dû à quelques archanges bienveillants. Sans dire un mot, Haziel glissa sa main dans celle de Lucifer. Comme tant d’humains avant eux et tant d’humains après eux, ils s’assirent sur les marches de la piazzale pour contempler le coucher du Soleil. Sous eux, s’étendait la belle Fiorenze, parée de blanc et de rouge. Au loin, se détachaient des monuments, tels que la Basilica des Médicis, ou le Palazzo Vecchio. Et quelque part parmi eux se trouvait le Purgatorio. Qu’elle était belle, la ville des déchus, sous la lumière orangée. Belle et intacte. Haziel l’aimait tellement. Mais moins que l’être qui se trouvait à ses côtés. L’air était sec et froid, transportant avec lui l’odeur des pins. En comparaison, la main du Diable était brûlante. C’était des sensations, des émotions, que l’archange déchu ne voulait pas oublier. Alors, il laissa le silence s’installer. S’il parlait, le départ de Lucifer deviendrait une réalité. Il préférait donc rester ainsi, sans rien dire. À profiter de sa présence pendant que, sans aucune pitié, l’astre du jour continuait son implacable descente.

— Tu n’as pas accompli la faveur que je t’ai demandée, mon doux archange.

Haziel tourna la tête vers lui. Lucifer ne le regardait pas. Ses yeux se gorgeaient du ciel, pour l’emporter avec lui jusqu’en Enfer. Le premier déchu reporta son attention sur la Cité du Lys.

— Pour être honnête, je l’avais oublié, avec toutes ces histoires de guerre et de fin du monde. Léviathan a avalé ta fiole devant mes yeux. Si tu te sens de le faire vomir…

— Il se trouve que ton ancien séraphin lui a tiré dessus avec un bazooka belphégorien. La fiole a éclaté en même temps que sa gorge.

— Ce n’est pas de chance.

Haziel n’était guère affecté par la nouvelle. Tout juste pensa-t-il qu’il devrait remercier Grand Lilith et Asmodée, la prochaine fois qu’ils passeraient à son club. Il était bien plus attristé pour le Diable, trahi jusqu’à ses plus proches serviteurs.

— Je suppose que Samaël et la petite Lilith ont participé à tout ça aussi, d’une façon ou d’une autre.

ll serra sa main plus fort. Le Diable ne recherchait pas la compassion, mais ça ne l’empêchait pas de la lui donner.

— Je sais que tu avais confiance en eux.

— Il semblerait que je ne sois pas un aussi incroyable Monarque que je le pensais, répliqua Lucifer avec un grand détachement.

— Je ne dirais pas ça. Ce n’est pas comme si c’était la moitié de l’Enfer qui s’était révoltée afin de ne plus être sous ta coupe. Ça c’est déjà vu, tu sais. — L’autre pouffa discrètement. — Que va-t-il leur arriver ?

— Plus que l’Enfer, c’est toute la Création qu’ils ont mise en péril. Ils seront jugés. Et punis. — Un grognement lui échappa, lorsqu’il songea à tout le foutoir qu’il allait avoir à gérer dans moins d’une heure. — Je vais également devoir trouver deux nouveaux Princes et un nouvel intendant.

— Ne sois pas trop dur avec eux, je te prie. Ce sont des victimes de la Chute, eux aussi. Nous ne pourrons jamais avancer, si nous ne surmontons pas nos rancœurs.

Ce n’était pas tant par compassion pour Belzébuth et Léviathan, que par charité envers eux-mêmes. Trop longtemps, ils avaient laissé leur colère envers Sa Déité guider leurs vies. Ils méritaient mieux, tous. La queue de Lucifer se balançait, tandis qu’il réfléchissait à sa demande.

— Je ne peux pas te le promettre, Haziel. Leur conduite m’inspire tout, sauf miséricorde. Quand je pense à ce que Léviathan aurait pu te faire…

Le Prince déchu caressa sa joue. Se sentir mourir et se réveiller dans cette cage avait été l’une des expériences les plus terrifiantes de sa vie. Et sans doute en rêverait-il bien des nuits. Il ne prétendrait pas comprendre Léviathan, et il faudrait sans doute bien des siècles pour qu’il lui pardonne. Mais ce n’était pas lui qui avait souffert le plus, des deux. Le Diable contempla ses yeux. Malgré leur beauté sans nulle autre pareille, il s’en détourna devant la pureté de leur résolution. Il paraissait bien misérable à côté, avec sa colère et ses envies de vengeance. Il finit par soupirer.

— Je ferai de mon mieux.

Haziel hocha la tête. Il ne pouvait exiger plus du Diable. Le silence s’étira à nouveau. Lucifer allait repartir. Ils allaient être séparés l’un de l’autre, encore. Il se retrouverait seul, avec ses souvenirs de cet entracte interdit qu’ils s’étaient octroyé, dans la grande pièce de la Création. L’archange déchu n’osait plus rien dire. S’il parlait à nouveau, il allait se mettre à pleurer. Et il ne voulait pas que ce soit la dernière fois l’image que Lucifer emportera de lui, un ange pitoyable et larmoyant.

L’Étoile du Matin voyait sa mâchoire se contracter et sa gorge déglutir. Il voyait ses yeux briller plus fort, sous les derniers éclats du Soleil. Délicatement, Lucifer prit son visage en coupe entre ses mains. Il posa ses lèvres entre les siennes. Ce fut le baiser le plus tendre de toute l’histoire de l’Humanité, un baiser qui ne pouvait naître que entre deux êtres connaissant tout de l’autre, leurs forces comme leurs fêlures, leurs rêves et leurs cauchemars, leurs victoires comme leurs défaites, et qui, pour et malgré ça, s’aimaient, sans honte ni fards, dans toute leur gloire. Et lorsque ce baiser s’arrêta, lorsque leurs lèvres se séparèrent, ils restèrent dans les bras l’un de l’autre, enveloppé de leurs douze ailes. Jusqu’à ce que Lucifer, connaissant mieux qu’aucun ange ou démon la course des astres et le peu de temps qu’ils leur restaient, eut un fin sourire :

— Et pour ma faveur, sinon ?

— Tu es infernal !

Haziel avait éclaté de rire, si fort qu’il s’était cogné contre ses cornes. Et il n’y avait pas de rire plus libérateur qu’en pleine tristesse, ou d’autre musique que Lucifer aurait voulu entendre en cet instant. Si les cascades d’or de l’Enfer avaient pu, très pâlement, s’approcher de la couleur de ses yeux, aucun oiseau, aucun instrument, n’avait pu imiter la splendeur de ce rire.

— C’est bien la moindre des choses, pour le Diable, déclara celui-ci, très satisfait de lui.

— Je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais je sais pleurer à nouveau. Si tu arrêtes de me faire rire, je devrai pouvoir te remplir une nouvelle fiole sans mal, au vu des circonstances.

Tout comme il l’avait fait pour Sacha, Lucifer fit apparaître une nouvelle fiole vide, bougonnant sourdement.

— Dire que tu as versé tes premières larmes depuis des millénaires pour Michel, et pas pour moi.

Haziel s’était remis à pouffer, tant Lucifer semblait sincèrement vexé. Le Diable contempla la fiole quelques secondes, les étoiles dans ses yeux renaissant de leurs propres implosions en une danse frénétique. Finalement, il la balança par-dessus son épaule. Ils l’entendirent se briser en mille fragments derrière eux.

— Ce n’était qu’un peu d’eau et d’or. Ton amour pour moi vaut infiniment plus.

Sa décision était prise. Il inspira profondément, avant de s’agenouiller devant l’archange déchu. Le Diable avait horreur de l’idée de montrer sa vulnérabilité. Mais pour Haziel, il se serait ouvert le torse pour en extraire toute la noirceur de ses entrailles afin de la lui offrir.

— Tu m’as dit que tu préférerais pourrir ici une éternité plutôt que de régner une journée à mes côtés… Et une nuit ?

Haziel eut l’ombre d’un sourire.

— Je pourrais me laisser tenter.

— Alors, je te propose un nouveau pacte avec le Diable, pour remplacer celui que tu n’as pu remplir : À chaque anniversaire de ce jour, jusqu’à ce que sonne la trompette de l’Apocalypse, tu me retrouveras en mon palais, du crépuscule à l’aube.

La première fois, Haziel avait réussi à quitter Lucifer parce que leur séparation avait été dure et brutale. La deuxième fois, parce que les blessures qu’ils s’étaient causées étaient toujours vives. Ça n’avait été ni facile, ni agréable, mais c’est ce qui devait être fait. Et aujourd’hui ? Pour cette troisième fois, Haziel se rendit compte qu’il n’avait aucune envie de faire à nouveau ce sacrifice. Pas après ce qu’ils avaient vécu, pas après avoir goûté de nouveau à la félicité d’être à ses côtés. Et pour quelle raison devrait-il le faire ? Les déchus vivaient, aussi libres et protégés qu’ils pouvaient. On l’avait fait chuter du Paradis, et il obéissait au Ciel uniquement parce que c’était la condition sine qua non à leur tranquillité. Accepter ce nouveau pacte, ce serait assurément mettre en danger ce qui avait été construit ici-bas, à un moment où les anges seraient plus vigilant envers sa conduite. Et pourtant... Son sens du devoir lui paraissait bien faible, face à l’éclat de l’Étoile du matin. Qu’On lui pardonne, ou pas, mais après avoir été un archange déchu, il allait devenir un archange corrompu. Que les déchus l’excusent, après avoir manqué de leur faire connaître à nouveau la guerre, il allait les mettre en danger. Il ne vivrait plus dans la culpabilité éternelle de leur Chute. Il avait dit au Prince de l’Espérance qu’il avait compris que lui aussi avait le droit au bonheur. Ce n’étaient pas que des mots. Il choisissait le bonheur. Il choisissait Lucifer.

— Ça me paraît aussi juste qu’égoïste, mon Diable. J’accepte.

— Qu’il en soit ainsi. Que ma volonté soit faite, en Enfer, comme sur Terre.

Le Diable prit ses doigts entre les siens, déposant un révérencieux baisemain sur le dos de sa senestre, puis il se releva. Une dernière fois avant ce qui ne serait pas une éternité, mais trois cent soixante-cinq petits jours, ils se perdirent dans les yeux l’un de l’autre. Et cette dernière heure sur Terre, qui avait jusqu’ici un goût de douleur mêlé de soufre, avait pris des saveurs de nuages et de joie. Haziel pria pour que chaque être, immortel ou non, vive un tel bouleversement.

— Le Paradis ne sera pas mis au courant de ce nouvel arrangement, n’est-ce pas ?

— Cela va de soi, mon sublime archange.

Tous les deux, ils se rassirent. Il ne devait rester qu’un quart d’heure sur Terre. Lucifer leva la tête. Les premières étoiles étaient apparues.

— J’ignore si tu as raison, Haziel. Et j’ignore si l’Enfer aurait pu être autre chose que ce que nous, les démons, en avons fait. Et je ne sais pas plus si nous pouvons changer, ou même si c’est souhaitable. Mais si l’Enfer doit t’accueillir, même pour une nuit, j’essaierai d’en faire un endroit digne de toi. — Il eut un sourire digne du Prince de la Vaine Gloire. — Ne serait-ce que pour montrer à Sa Déité que je peux le faire.

Il ne reverrait plus jamais le ciel, la mer, ou la terre jusqu’à l’Apocalypse. Il continuerait de diriger des démons qui ne rêvaient que d’être libérés de tout règne. Mais une fois par an, la nuit ne sera pas longue et froide. Et c’était déjà plus que ce qu’il pensait avoir. Main dans la main, la tête de Haziel reposant sur son épaule, le Diable fit en son âme ses adieux au monde. Et à toutes les étoiles, qui avaient été ses sœurs.

La nuit fut sur eux. Contre lui, l’archange déchu s’était endormi. Un dernier petit tour diabolique. Lucifer n’aimait pas les aux revoirs, il en avait déjà trop eu tout au long de sa très longue vie. Avec piété, il souleva Haziel, pour l’allonger sur la pelouse. Il déposa un dernier baiser sur son front. Puis, après un dernier regard vers le Firmament, là où il avait brillé, aux Premiers Jours de la Création, il disparut dans une flambée de géhenne.

La Lune dardait ses pâles rayons sur Haziel quand celui-ci se réveilla d’un rêve délicieux, qui déjà lui échappait. Quelque chose avec des nuages, des chats, des pâquerettes et des pommes. Il regarda tout autour de lui. Il était seul. Il finit par sourire, se levant. Le Purgatorio l’attendait. Les déchus devaient être en train d’y faire une fête de tous les diables.

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