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Prologue - Marakme

〔 Concernant le traitement des derniers éléments terriens : l’élimination totale est la piste à observer ▿ Gloire à l'Empire〕

ᴇxᴛʀᴀɪᴛ ᴅᴜ ᴄᴏᴅᴇ ɪᴍᴘᴇ́ʀɪᴀʟ – ᴇ́ᴅɪᴛɪᴏɴ ᴠɪ

┈ ⋞ 〈 ⏣ 〉 ⋟ ┈

Marakme.

Si ce n'était pas le véritable nom de la station lunaire, c'était pourtant ainsi que tous ses habitants – y compris les voyageurs de passage - avaient fini par la désigner. Pourtant, plus personne, pas même les plus anciens, n'étaient en mesure d'expliquer l'origine de ce sobriquet, ni de se souvenir du nom originel de cette petite colonie délabrée.

Il fallait dire que depuis l'uniformisation des peuples sous l’Empire (Gloire à l’empire !), près de trente ans après la grande catastrophe, le langage était confus.

Marakme.

L'un des garçons avec lesquels Ryk partageait sa chambre lui avait dit que cela venait d’une langue occidentale parlée sur Terre, du temps où cette dernière était toujours habitable.

Marasme désignait la maladie, la stagnation. L'état végétatif. Au fil des décennies, dans la bouche de ses résidents et des rares visiteurs de la station désaffectée, le terme s'était déformé. Marasme était devenu Marakme.

Marakme.

Le dernier avant-poste.

Ryk n'avait pourtant pas grand-chose à faire de la manière dont on désignait son lieu de vie.

A presque dix-sept ans, tout ce qu'il voyait, c'était une étendue de ferrailles cabossées, rongées par la rouille et malmenées par les crashs réguliers de déchets venus de l’ancienne Terre. C'était les restes de l'âge ou l'exode spatial était encore un rêve accessible à tous, des bourgeois de l'Empire (Gloire à l'empire !) aux rats d'égout, comme lui.

Tournant l'accélérateur de sa moto, il s'engouffra dans le sillage d'un vaisseau qui s'était écrasé plus tôt dans la journée, jetant un petit coup d'œil dans son rétroviseur pour y apercevoir les silhouettes floues de ses comparses.

A sa ceinture, son vieux transpondeur cracha : « Ryk ! Signal à moins de deux kilomètres ! »

C'était la voix d’Hécate, la pilote de la moto bleue électrique qui le suivait à la trace. Elle aussi avait mis les gaz, le rattrapant, un grand sourire peint sur son visage juvénile alors qu'elle dépassait par la gauche :

— Tu vois ce que je vois ? Elle lança en hurlant pour couvrir le bruit des moteurs.

— Oh que oui ! Il répondit, levant les pouces de son guidon un court instant.

A sa droite, une autre moto arriva à sa hauteur, chevauchée par un jeune adolescent qui manqua de les percuter dans la manœuvre. Vêtu d’un blouson de cuir noir bariolé d'inscriptions - la plupart injurieuses - il adressa un petit signe de tête à Ryk et Hécate :

— Le dernier arrivé est une petite bite !

Et sans leur laisser le temps de rétorquer, il lança son bolide à toute vitesse sur la plaine lunaire, soulevant un nuage de poussière gris pour slalomer entre les vestiges de vaisseaux d'un autre âge et les roches abruptes.

Derrière ce cimetière de déchets et de carcasses métalliques en tout genre, une grosse masse de fumée noire se détachait dans la lumière rasante de l'aube, couvrant le ciel d'un voile grisâtre. La silhouette mourante d'un vaisseau imposant se dessinait en son pied, géant de métal dont le ventre ouvert laissait échapper de longues flammes léchant l'horizon.

C'était Astrande - le petit rigolo qui venait de les dépasser en manquant de les renverser - qui les avait réveillés plus tôt dans la nuit, leur indiquant qu’un nouveau vaisseau venait de s'écraser non loin de Marakme, suffisamment imposant pour que l'on puisse espérer y trouver quelque chose.

Des vivres, des pièces électroniques, des tissus ou même de simples jouets pour les plus jeunes, peu importe ce qu'ils trouveraient. Cela serait toujours profitable à la fange dans laquelle ils avaient grandi. Ryk jouant les grands frères - et étant aussi parmi les plus vieux de l'hospice impérial (Gloire à l'Empire !) - c'était à lui qu'était revenue la tâche d'aller fouiller la carcasse avant qu'elle ne soit pillée par plus gros qu'eux.

— Il est énorme ! S’excita Astrande en posant pied à terre, le regard brillant alors qu'il découvrait la dimension imposante de la carlingue du vaisseau, enveloppé dans une fumée de plus en plus épaisse.

A sa suite, Ryk freina sur le sable gris, immobilisant sa lourde moto avant d'ôter son casque pour libérer des cheveux roux flamboyants. Quelques secondes plus tard, c'était au tour d'Hécate de le rejoindre, son regard sombre rivé sur l'épave de métal.

Les lèvres pincées, elle secoua la tête, déçue :

— Vaisseau Terrien. On ne trouvera rien là dedans si ça n'est des cadavres calcinés.

Si Ryk fronça les sourcils, la réaction d’Astrande fut plus viscérale. Les yeux écarquillés, lui qui s'était déjà approché du vaisseau recula brusquement, soudain blême :

— U-un vaisseau terrien ? Il répéta.

Prêt à regagner sa moto, son regard pâle se porta sur la planète bleue - qui ne l'était plus tant - énorme boule à la couleur de cendre surplombant la lune. Comme neige au soleil, sa belle assurance avait fondu à la simple évocation du berceau de son espèce.

— Oh ça oui. Acquiesça Hécate. La carlingue est trop vieille pour que ce soit un modèle de l'Empire - Gloire à l’Empire.

D'un doigt expert, elle désigna les marquages sur les portes encore scellées, bandes colorées et symboles illisibles pour quiconque ne maîtrisait pas les langages de navigation spatiaux.

 — C'est pas un transporteur. On dirait un vaisseau volé... Faut pas entrer là-dedans. On va se porter l'œil. Et on sait pas... Dans quel état sont les... les passagers.

Prêt à remonter sur son bolide rouge, Astrande opina franchement, jetant un petit regard inquiet à son aîné à la chevelure rousse.

— Ouais...tu as raison. On peut pas entrer là-dedans. On va pas le faire, hein?

Stoïque, Ryk n'avait pas ouvert la bouche depuis que son amie avait indiqué l'origine de la carcasse fumante.

Un vaisseau terrien...

Hécate ne se trompait jamais lorsqu'il s'agissait des différents modèles de vaisseaux parcourant la galaxie. Pourtant, cela faisait bien longtemps qu'aucun objet spatial n'avait quitté l'orbite de leur bonne vieille planète bleue. C'était même mieux ainsi ; à Marakme, évoquer la Terre n'était jamais de bonne augure. On en parlait à voix basse, avec respect, comme l'on évoquerait une catastrophe meurtrière... Non. On ne parlait pas de la Terre. 

Pourtant, massif comme il était, ce vaisseau devait bien contenir quelques vivres, ou même de vieux médipacks, fussent-ils venus d’une planète abandonnée des dieux et des hommes. Le sol lunaire était stérile, et chaque année, les bouches à nourrir se faisaient plus nombreuses. Et si l’Empire (Gloire à l'Empire !) oubliait d'effectuer son escale de rationnement, comme le mois passé, l'hospice risquait de se trouver dans une situation critique... 

— Je vais jeter un coup d'œil. Il trancha.

Attrapant le blaster qu'il portait toujours à la cuisse - on ne savait jamais trop sur qui on tombait à Marakme - il fit un pas vers le vaisseau, cherchant une entrée où les flammes se faisaient moins nombreuses.

— Ryk... Couina Astrande. C'est dangereux...

— T'es malade. Renchérit Hécate, prête à lui barrer la route.

Mais le jeune homme était décidé :

— Restez ici. Il y en a pour trente secondes...

Son regard vert glissa le long de la carlingue abîmée, trouvant enfin la forme rectangulaire d'une porte de secours qui s’était ouverte sous la violence de l'impact.

— ... Et s'il y a le moindre souci, je vous bipe. Il ajouta, tapotant son transpondeur cabossé avant de s'avancer vers la carcasse, ses bottes renforcées faisant rouler les roches sous ses pieds.

Prudemment, il s'avança dans l'embrasure sombre qu'il avait repérée plus tôt, disparaissant dans la fumée grasse qui s'échappait des flammes ravageant l'avant du vaisseau.

Quelques minutes. Juste le temps de voir s'il y avait deux trois bricoles à récupérer...

Blaster au poing, il passa d'abord une jambe au travers de la porte, remontant l'écharpe qui portait autour du cou sur son nez pour respirer convenablement. Ne repérant rien de suspect de prime abord, il se décida à entrer après un rapide examen de la structure du vaisseau, le cœur battant malgré son courage. Certes, il avait déjà exploré des centaines de vaisseaux, des petits modèles T100 de l'Empire (gloire à l’Empire !) aux croiseurs stellaires de l'ancienne république, mais aucun d'eux n'avait été si énorme, ou si... fascinant.

Du bout des doigts, il se risqua à effleurer les tôles de métal éventrées, fasciné par la dimension titanesque du monstre de métal qui semblait l'appeler dans son ventre.

Oui, fascinant.

Faisant couiner les plaques de métal sous ses pieds, il activa par réflexe la lampe du transpondeur à sa ceinture. Au clic du petit interrupteur, un filet de lumière jaune grésillante vint illuminer le sas d'évacuation dans lequel il s'était faufilé, guidant ses pas dans l'obscurité.

Il n'y avait aucune trace de marchandises, ni même de caisses pour stocker des munitions. Hécate avait raison, ce vaisseau n’avait rien d'un FRET. Ses murs composés de câbles et de grilles rouillées n'avaient pas non plus la douce élégance des vaisseaux liés au transport de voyageurs prestigieux.

Non, ce vaisseau d'un autre âge n'avait rien à voir avec tout ceux qu'il avait connus jusqu'ici.

Avec le maigre faisceau lumineux de son transpondeur pour guide, il dépassa un premier sas aux portes explosées, le doigt toujours prêt à appuyer sur la gâchette de son blaster, laissant son regard courir sur la large salle de pilotage dans laquelle il venait de déboucher. Tout était en place : les fauteuils de vinyle craquelés par les années, les consoles aux milles boutons clignotant en bleu et orange, les petits écrans LCD indiquant des séries de messages d’alerte... 

Mais quelque chose ne tournait pas rond. Ce vaisseau avait la capacité de transporter l'équivalent d'une centaine de personnes. Pourtant il n'avait vu aucun corps, comme dans les vaisseaux de transport qui se faisaient parfois piéger par les astéroïdes ; il n'y avait nulle trace de vie, ou même d'un quelconque passage.

Qui avait pu piloter ce monstre?

— Il y a quelqu'un ? Il tenta, poussant une série de rubans de plastique pour parvenir dans une pièce plus large où une lumière d'alarme battait l'atmosphère.

Ici, l'odeur de métal brûlé se faisait plus forte. Il ne pourrait pas progresser plus loin, il le savait. Des banquettes, une table, des verres renversés... Les contours d'une cantina spatiale se dessinaient sous ses yeux, vide de tous ses habitants. Quelques pas et sa lampe éclaira la forme ronde d'une boîte de rations de survie qu’il ramassa - c’était toujours ça de pris.

« Ryk ?» Grésilla une voix depuis son transpondeur. « Tout va bien ? »

Mais Ryk ne répondit pas.

La lumière d'alarme avait dû battre trois fois l'air avant qu'il ne réalise ce qu'il avait sous les yeux. Là, au sol, avachi contre l’une des banquettes de la cantina, se tenait le corps sans vie d'un homme.

Mais pas tout à fait.

Des cadavres de pilotes, Ryk en avait vu assez pour les reconnaître. Et ce qu’il avait face à lui n'était pas un cadavre, il en était certain. Le coeur battant, il brandit son blaster, tentant de paraître menaçant malgré son jeune âge :

— V-Vous m'entendez ?! Il lança.

Il n'y eut aucune réaction. Pourtant, le pilote était en vie, il en était certain.

Sous sa combinaison spatiale déchirée, il pouvait voir sa poitrine se lever et s'abaisser à un rythme régulier, malgré son visage noirci par la poussière et la cendre - du moins, c'était ce que laissaient deviner l'action conjointe du faisceau lumineux de sa lampe et de l'alarme. Alors sans un bruit, il abaissa lentement son arme, la rangeant à sa ceinture pour s'approcher lentement du rescapé.

— Ryk ! S'exclama soudain une voix dans la cantina, le faisant sursauter alors qu'il parvenait presque à sa hauteur.

Le visage angoissé d'Hécate fit son apparition. Sous la lumière rouge de l’alarme, sa peau sombre semblait presque s'enflammer :

— Sors d'ici immédiatement ! Elle lui ordonna. Si jamais je... Si jamais tu...

— Regarde. Répondit Ryk en lui désignant l'homme face à lui.

Les yeux d’Hécate s'écarquillèrent. Elle aussi avait compris. Trouver un vaisseau désert de ses habitants, avec pour seul rescapé un pilote inconscient, ne sonnait pas bon pour eux. Quelque chose les dépassait.

— O-On s'en fout Ryk. C'est pas notre problème. Astrande va nous faire une crise d'angoisse si on-

— Il est vivant ! Rétorqua le rouquin. On peut pas le laisser ici. Aide moi à le sortir, je pourrais pas le faire tout seul.

La jeune femme fronça les sourcils, l'air de peser le pour et le contre - et surtout imaginant les ennuis que pourraient leur rapporter le sauvetage du pilote d'un vaisseau qui avait été clairement volé. Un grincement métallique provenant des poutres du vaisseau, suivi d'un léger tremblement et d'un nuage de poussière, accéléra sa réflexion :

— Okay. Elle souffla. Mais on l'achève deho-

Un nouveau bruit sinistre l'interrompit. Sans perdre de temps, elle trottina donc jusqu'à Ryk qui avait déjà passé son bras sous l’une des épaules du survivant.

— T'es vraiment con ! Elle lui lança en faisant de même, son regard s’affolant en remarquant les flammes qui commençaient à progresser dans la cantina.

Ils parvinrent à soulever le blessé avec difficulté, laissant ses jambes traîner au sol alors qu'ils boitillaient hors du vaisseau où les bruits métalliques qui se faisaient de plus en plus nombreux.

À l'extérieur, le jeune Astrande s'était assis en tailleur, les ongles enfoncés dans ses joues rondes, le regard épouvanté. Les voyant sortir, il se redressa d'un bond, avant de reculer brusquement, plus pâle encore que d’ordinaire - si cela était possible.

Ne ménageant pas leurs efforts, Ryk et Hécate avaient installé le blessé contre la carlingue du vaisseau, échangeant un regard circonspect - quoique légèrement inquiet. Car Astrande avait eu raison de pâlir. Dans l'obscurité du vaisseau, ni le rouquin, ni la brune n'avaient pu percevoir l'apparence singulière de ce Terrien.

Deux yeux, un nez et une bouche, tout semblait à sa place si on l'observait d'un point de vue purement physiologique.

Et pourtant...

Sur son front, une forme d'étoile était gravée à même la chair, laissant échapper une faible lueur, trop irréelle pour être le fruit d'un simple tatouage cosmétique. Il en allait de même pour ses joues creuses où dans l'ombre de son nez busqué, de fines tâches blanches luisaient de la même manière, sillons surnaturels éclairant son visage.

Et le plus étrange était sa peau.

Épaisse aux articulations, elle avait la couleur de la Terre. Pas celle de la Terre d'antan, non. Celle de la cendre sèche qui dévastait celle que l'on appelait autrefois planète bleue. Une cendre morte, stérile, qui rongeait tout sur son passage. 

Cet homme, bien que jeune d'apparence, avait la teinte de la cendre.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Demanda Hécate, bras croisés, reculant de trois pas.

Elle ne semblait absolument pas partager la fascination de Ryk pour ce terrien, au contraire. Se rangeant aux côtés d'Astrande, elle foudroya son camarade du regard, attendant vraisemblablement une réponse.

— Faut partir. Couina Astrande. On fait comme si on avait pas v-

— Non. 

S'agenouillant aux côtés de l’étranger, Ryk porta une doigt à sa tempe, dégageant une longue mèche noire collée à son front.

— Passe moi l'Étherium. Il lança à Hécate qui grimaça.

— On en a besoin. Tu veux vraiment gâcher de l'Étherium pour un-

— Tu es blessée, là tout de suite ?

Elle leva les yeux au ciel, attrapant la petite trousse accrochée sous la selle de la moto de Ryk pour lui l’envoyer. Agile, le rouquin la réceptionna puis en sortit un petit pistolet-seringue empli d'un liquide à la lueur bleutée.

— T'es un malade Ryk. Conclut Astrande. Il va tous nous tuer.

— T'en sais rien. Casse-toi si tu flippes. Rétorqua le concerné en visant la carotide du blessé.

Un « Pchiit » sec retentit, suivi d'un léger frisson alors que l’Étherium s’infiltrait sous la peau. Un instant, le silence se fit, le regard de Ryk rivé sur le corps inerte de l'homme.

— Tu c- commença Astrande, avant de reculer d'un pas, s'éloignant encore davantage.

Le terrien avait ouvert les yeux.

La poitrine saisie d'un souffle profond, inspiration de vie qui avait secoué son corps tout entier, il laissa échapper un râle déchirant, bientôt suivi par une toux grasse et douloureuse. Aussitôt, Ryk se pencha sur lui, dégrafant à la hâte les sangles de sa combinaison de navigation pour lui permettre de respirer plus aisément.

Pourtant, tout courageux qu'il était, une nouvelle vision vint le secouer tout entier alors que derrière lui, Astrande laissait échapper un gémissement de terreur.

La main sur la boucle de l'une des lanières de tissu, il venait d'apercevoir dans son champ de vision la lueur rouge d'un iris monstrueux, si terrible qu'il provoqua un frisson le long de son dos. Si sa peau conservait encore le lointain souvenir de ce qu’avait été l’humanité, le regard de cet homme n’en portait plus aucune trace.

Noire, la surface de son œil était fendue en son centre par un cercle rougeoyant, lueur de flammes qui illuminait son visage d'une teinte de sang. Lorsqu'il avait ouvert les yeux, il semblait même que les stries sur son visage s'étaient illuminées, pulsant doucement alors qu'il se redressait, grognant de douleur.

— Ryk... Souffla Astrande dans son dos, la voix suppliante. On s'en va, s'il te plaît...

Mais le rouquin ne pouvait détourner son regard des yeux de l'inconnu, fasciné.

— Hum... Monsieur, vous m'entendez ? Il murmura doucement, relâchant la dernière sangle de la combinaison du blessé pour révéler un simple débardeur de coton blanc, taché de sueur et de sang.

L'homme cligna plusieurs fois des yeux, comme pour tenter de se réorienter, laissant échapper un léger grognement.

— Monsieur ? Répéta Ryk, posant une main courageuse sur son épaule. Votre vaisseau s'est écrasé. Vous m'entendez oui ou non ?

Enfin, le blessé sembla percevoir sa présence. Intense, son regard rouge parcourut le visage de Ryk, les paupières légèrement plissées, comme s'il était ébloui par le soleil. Après un instant de contemplation marqué par une respiration rauque, il leva une main, la posant sur la joue du jeune homme aux cheveux roux, ses ongles noirs effleurant sa peau marquée par les vents solaires et les tâches de rousseur.

Astrande, voyant ce contact physique, laissa échapper une exclamation terrifiée.

— Ryk... On part. On part. On part. Il répéta plusieurs fois, agrippant le bras d'Hécate qui, pour une fois, semblait en accord avec lui.

Mais le rouquin ne bougea pas d'un iota.

— Monsieur. Il répéta plus doucement. Est ce que vous parlez la langue commune ? Or you speak euh.... the old euh... république ? 

Sa tentative de prononcer les rares mots qu'il connaissait dans le langage de la vieille république ne semblèrent pas avoir plus d'effet. Muré dans son silence, l'homme avait fait descendre ses mains sur la veste de cuir jaune qu'il portait, s'arrêtant sur les traces de graisse et les quelques patchworks maladroits.

Puis, sa voix résonna enfin à leurs oreilles, rocailleuse. Terrible.

— ...Où ? Il articula avec difficulté. Où je...

Chaque mot semblait lui coûter, sa mâchoire se contractant douloureusement alors qu'il toussait, faisant tomber une partie de sa masse de cheveux hirsutes devant son visage gris cendre.

— Marakme, secteur lunaire. Répondit Ryk en l'empêchant de basculer de côté. Je viens de vous faire une injection d’Étherium. Il va vous en falloir un peu plus pour vous remettre sur pied. Vous pouvez marcher ?

— Non ! Le coupa Astrande d’une petite voix aiguë, terrorisé. Ryk, on s'en va !

Le regard rougeoyant du rescapé se darda soudain sur le jeune adolescent. Comme blessé, ce dernier recula brusquement, manquant de percuter Hécate qui avait elle aussi retenu son souffle.

— Je... Callisto. Expira faiblement le terrien. Je dois... Callisto. Comment... ?

— Le convecteur du vaisseau n'a pas tenu le choc de la poussée dans l'atmosphère. Callisto est à l'opposé du système. Répondit doucement la jeune femme, intriguée par l’évocation de la petite planète minière.

Voyant que l'homme qu'ils avaient tiré des flammes ne représentait aucune menace, elle se décida à approcher, osant faire un pas vers lui ; il laissa échapper une nouvelle quinte de toux douloureuse, ses yeux rouges plissés perdus dans le vague alors qu'il semblait réaliser la distance qui le séparait encore de sa destination.

— Je suis Ryk. Et elle c'est Hécate. Fit doucement le rouquin en glissant une main autour de sa hanche pour l'aider à se redresser. On va vous ramener à la station, il y aura bien de quoi vous soigner.

Rien n'était moins sûr cependant.

— Ryk... Souffla l'étranger, les yeux brillants de larmes douloureuses, tout en s'accrochant à lui avec une poigne étonnante.

— Oui. On va aller sur ma moto, la jaune là bas.

Hécate vint en support, comprenant le regard que le roux lui adressait. A deux, ils parvinrent à hisser le blessé sur leurs épaules ; même voûté, affaibli par le crash, il faisait une bonne tête de plus qu’eux. Ce nouveau détail acheva de terrifier totalement Astrande qui gémit de terreur, recroquevillé sur lui-même.

— Il va tous nous tuer...

— Fais pas le gamin. Le rabroua la jeune femme en aidant le blessé à s'asseoir à califourchon sur la moto de Ryk. Va prévenir Satek qu'on amène un blessé. Si tu balances aux agents impériaux - gloire à l'Empire - qu'on a trouvé un terrien, je m'occupe personnellement de ton cas, compris ?

Avec un glapissement de terreur, le petit blond hocha vivement la tête, retournant à son bolide rouge vif. Il y mit le contact avec un dernier regard pour ses amis, les lèvres pincées. Mais même s'il était pleutre, Ryk comme Hécate savaient qu’Astrande ne ferait pas dans la délation, il aimait trop défier l'autorité - et il avait bien trop peur d’Hécate.

— On y va. Fit Ryk une fois leur benjamin hors de vue, le visage de poussière soulevé par l'aspiration du véhicule comme seule trace de son passage.

Avec difficulté, il aida l’homme à plier les jambes pour s'installer convenablement, plaçant ses mains à la teinte grisâtre sur les poignées rouillées du porte-charges situé à l'arrière de sa moto.

— Accrochez-vous-bien. Il lui lança en vérifiant sa jauge d'essence. Je vais rouler lentement, mais ne tombez pas, okay ?

Puis, il bondit sur sa selle, le cœur battant. 

Ryk avait déjà fait des choses illégales dans sa vie : vol de marchandises, passage de Kygh non raffiné, trafic de seringues d’Étherium... Mais jamais une action ne lui avait semblé si folle, si hors de toute rationalité. Si lui et Hécate se faisaient attraper, ils risquaient bien plus que le simple enfermement dans les geôles impériales (Gloire à l'Empire !).

Avec souplesse, il tourna le contact, laissant le moteur ronronner contre ses cuisses alors que la moto faisait ses premiers mètres, prudent. Aussitôt, il sentit les bras puissants de son blessé passer autour de lui, sa haute taille l'enveloppant tout entier. Sombres, ses mains grisâtres tranchaient avec la couleur vive de son blouson, comme si elles n’avaient rien à y faire, sèches et étrangement épaisses.

Puis sa voix rauque résonna à nouveau à l’oreille de Ryk alors que le véhicule prenait de la vitesse.

Leto... Je suis Leto... où... où va-t-on ?

L'étendue de carcasses et de déchets était devenue camaïeu de gris et de tâches enflammées, provoquées par les incendies qui prenaient de temps à autres sur la plaine lunaire. La moto bleue d'Hécate, puis la sienne, jaune, étaient deux tâches vives dans ce brouillard misérable, comme deux symboles vecteur d'un changement à venir. Au loin, les échafaudages maladroits qui composaient la colonie vacillaient dans la poussière.

Marakme.

Le nom de la station désaffectée battait encore comme un cœur brûlant, symptôme de la misère qui hantait ces lieux.

Mais la misère venait de récolter les premiers semis de la rébellion.

Leto.

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