La nuit tombait lentement sur le jardin d’un immense château construit dans une sorte de verre. Les derniers rayons du soleil se reflétaient dans les immenses fenêtres du palais, laissant sa place à la lune. Devant l’immense porte d’entrée, se tenait l’entrée d’un jardin habité par de nombreuses espèces végétales. En ce centre, un arbre haut de plusieurs centaines de mètres trônait fièrement, la brise berçant doucement ses nombreuses feuilles. Cet arbre était marqué d’un symbole doré : un soleil à six rayons, avec en son centre, une rune ancestrale. Un homme était installé depuis quelques dizaines de minutes devant le majestueux végétal, et commençait à s’agiter. On aurait dit qu’il attendait la venue de quelqu’un d’important. Une grande cape camoufle ses vêtements, et on n’aurait su dire s’il appartenait à la noblesse ou aux gens du peuple. Il jeta un coup d’œil dans un fourré près de l’arbre et aperçut deux hommes, à qui il adressa un hochement de tête. Les deux hommes répondirent silencieusement à celui qu’ils étaient chargé de protéger et se remirent en position de défense. N’importe quel inconnu qui s'approcherait de leur maître se verrait assommé par leur puissance. L’homme reprit sa longue attente, satisfait de sa sécurité. Enfin, au bout du chemin qui menait au grand arbre, une femme apparue, tenant quelque chose dans ses bras. Elle avançait d’un pas rapide et silencieux, sous le regard de l’homme qui attendait vraisemblablement sa venue. Elle arriva à sa hauteur et se pencha pour l’embrasser tendrement.
– Excuse moi pour l’attente, j’ai du être vigilante pour qu’on ne remarque pas notre absence, dis la femme, mais nous devons faire vite, le Conseil se rendra bientôt compte de notre escapade.
– Comment va-t-elle, demande l’homme en désignant du regard ce que sa femme tenait dans ses bras.
– Elle s’est endormie sur le chemin, répondit-elle en montrant l’enfant qu’elle tenait dans ses bras. Écoute moi, je ne sais pas si nous devons réellement la laisser partir. Elle sera plus en sécurité avec nous.
– Je sais que tu ne veux pas l’abandonner, et moi non plus. Mais il nous faut la protéger. Tu connais mieux que moi les directives d’Elyara. Elle doit s’en aller chérie.
– Mais nous pouvons la protéger ! Nous saurons le faire nous-même !
– Il ne s’agit pas d’être égoïste aujourd’hui. C’est un luxe que nous n’avons pas. Tu sais qu’elle doit s’en sortir par elle-même.
– Je ne veux pas qu’elle se dise qu’on ne voulait pas d’elle! s’énerva la femme
L’enfant qu’elle tenait dans ses bras se mit à s’agiter, réveillée par la voix de sa mère.
– Je comprends ma chérie, calme toi, lui dit-il doucement. Écoute moi, elle est l’avenir de cet empire. Même si aujourd’hui elle doit s’en aller pour le bien de tous, elle reviendra d’accord ? Et lorsque ce jour arrivera, nous serons là pour elle, et pour notre fils.
La femme se mit à sangloter en serrant sa fille dans ses bras. L’homme les entoura toutes les deux et son cœur se serra. Il ne voulait pas non plus abandonner ses enfants, mais il devait se montrer fort pour ne pas que ses émotions soient plus importantes que son devoir. Soudain, une lueur bleutée apparue progressivement dans la nuit et illumina l’enfant et ses parents. Ces derniers se retournèrent vers l’arbre pour contempler le spectacle qui avait débuté pendant leur échange. Le symbole de l’arbre était à présent ouvert en deux, et les deux parties s’écartaient lentement l’une de l’autre pour former un espace à l’intérieur de l’arbre. Mais cet espace ne laissait pas entrevoir l’intérieur du grand arbre. Un autre paysage apparu, comme le miroir du jardin dans lequel ils étaient. De l’autre côté, un jeune garçon les observait à travers la faille qui venait de s’ouvrir, sans réellement les voir. Ses yeux cherchaient dans le vide pendant qu’il attendait qu’un événement se produise. La femme pris alors la décision la plus importante de toute sa vie : elle embrassa une dernière fois sa fille sur le front et la metta dans les bras de son mari. Ce dernier répéta ses gestes et plaça l’enfant à l’intérieur de l’arbre. Il prit sa femme dans ses bras et tout deux se tournèrent pour observer ce qui allait se produire. Tout à coup, la faille s’illumina et l’enfant fut traversé par un souffle qui la fit disparaître de l’endroit où son père l’avait placé. La femme étouffa un cri, mais vit que de l’autre côté de le faille, le jeune garçon venait de se pencher pour ramasser quelque chose. Les extrémités du symbole se rapprochèrent peu à peu, rétrécissant la taille de la faille. Le couple eut juste le temps d'apercevoir le garçon qui se relevait avec un enfant dans les bras. Leur fille avait réussi à traverser, et elle allait pouvoir grandir en sécurité.
– Nous vous attendrons, dit l’homme en essuyant la larme qui coulait sur sa joue.
Ensemble, ils observèrent la faille se refermer et le soleil reprendre sa place au complet. Puis ils tournèrent le dos à celle qui sauverait certainement le monde.
~
Althéa se réveilla en sursaut. Elle était couverte de sueur et des larmes séchées qui avaient coulé avant qu’elle ne s’endorme. Il faisait encore nuit dehors et le silence régnait, elle ne percevait que les ronflements qui provenaient de la chambre voisine. Elle se redressa dans son lit, encore secouée par le rêve qu’elle venait de faire. Un sentiment particulier l’envahissait, et elle ne savait pas encore comment l’interpréter. Ce rêve lui donnait une impression de déjà vu qu’elle ne parvenait pas à identifier. Troublée, elle se leva de son lit pour atteindre le lavabo qui était de l’autre côté de la pièce. Elle ouvrit le robinet pour se rafraîchir le visage. La fraîcheur de l’eau calma doucement son pouls, qui battait encore trop rapidement. Elle prit une profonde inspiration et laissa le calme de la nuit apaiser son esprit. Elle s’obligea à ne pas encore penser aux évènements des heures précédentes. Pas encore. Elle ouvrit la fenêtre de sa chambre pour laisser entrer l’air tiède de l’extérieur et retourna se blottir dans ses draps. Elle ne mit pas longtemps à s’endormir, et cette fois rien ne vint perturber son sommeil.
Quelques heures plus tard, les premiers rayons du soleil pénétrèrent dans la chambre de la jeune fille, illuminant petit à petit chaque recoin de la pièce. Les paupières d’Althéa s’ouvrirent doucement, aveuglée par l’intensité de la lumière. Elle finit par s’habituer à la vivacité du jour et se redressa lentement dans son lit pour s’étirer et réveiller tranquillement ses muscles. Elle ressentit une légère gêne au niveau de son cou, au même endroit où elle avait senti la piqure quelques heures auparavant. Elle se leva pour examiner sa peau, mais ne vit rien d’inhabituel dans le miroir. Celui-ci lui renvoya un visage légèrement plus pâle que d’habitude, et de petites cernes bleutées qui commençaient à apparaître sous ses yeux. Son état de fatigue commençait à se voir de plus en plus. Les évènements de la nuit dernière lui reviennent en mémoire. Aiden avait quitté l’orphelinat. Elle se sentait dorénavant seule au monde. Et cette journée serait la première d’une longue série. Son cœur se serra, et elle refoula les larmes qui tentaient d’échapper à ses yeux. Elle avait assez pleuré pour le moment. Il était temps qu’elle endosse son rôle de référente, responsable vis-à -vis des autres pensionnaires de l’orphelinat puisque dorénavant, c’était elle la plus âgée. Elle décida donc qu’elle passerait la journée à effectuer ses tâches quotidiennes pour donner l’exemple, et s’occuper l’esprit. Elle sorti rapidement de sa chambre après avoir enfilé des vêtements confortables, c’est à dire un t-shirt et un jean noir, pour une tenue simple mais efficace. Elle entreprit d’abord de préparer le petit déjeuner avant le réveil des autres enfants. En entrant dans la cuisine, elle sentit la bonne odeur de pain grillé qui emplissait la pièce. Madame Dolly, la cuisinière, s’affairait déjà depuis une bonne heure. Elle était chargée de préparer tous les repas qui étaient servis aux enfants, mais bénéficiait toujours de leur aide. Elle ne fut donc pas vraiment surprise de voir entrer la jeune fille, la seule chose qui était étrange fut que ce soit si tôt dans la matinée. Althéa salua la vieille dame, et s’affaira comme à son habitude quand elle venait l’aider. Elle disposa sur la grande table toutes sortes de fruits, de petits pains et de confiture, des céréales et du chocolat chaud. Le petit déjeuner avait aussi droit à sa version salée avec du fromage, des œufs brouillés et de la charcuterie. Une fois satisfaite de son installation, elle dressa la table pour accueillir les premiers pensionnaires, qui commençaient à arriver dans la grande salle. Althéa s’installa à sa place habituelle, aux côtés des autres enfants. Madame de Sachy arriva dans la salle à manger et s’installa à ses côtés. Althéa senti le regard de la directrice sur elle, et remarqua ses sourcils légèrement froncés qui témoignaient de son inquiétude. La jeune fille la rassura d’un sourire, consciente qu’elle devait faire bonne figure pour ne pas alarmer l’assemblée. Elle en profita quand même pour lui demander quelques tâches supplémentaires qu’elle pourrait effectuer aujourd’hui. Madame de Sachy, consciente qu’il fallait que sa pensionnaire occupe ses pensées, lui indiqua qu’elle pourrait prendre en charge l’entretien de l’extérieur, avec l’aide de Damien, le jardinier, qui était également une des seules personnes de son âge qu’elle côtoyait à l’orphelinat. Et qui était aussi le meilleur ami de son frère.
Après le petit déjeuner, Althéa emprunta la direction du jardin aux fleurs qui se trouvait devant le bâtiment principal. Ce jardin était la première chose que l’on remarquait en arrivant car il encadrait le grand portail en fer qui permettait d’entrer dans les limites de Saint-Clément. En passant devant la bibliothèque, elle remarqua que plusieurs enfants étaient en train de ranger les étagères restantes, menés par Ella et Noé qui avaient partagé sa méthode. Elle sentit son cœur se serrer légèrement, car elle savait exactement pourquoi tous étaient aussi investis. Elle s’appliqua à rester sérieuse, mais la barrière qu’elle avait érigée autour de son cœur se fissurait petit à petit. Elle rejoignit enfin le jardin et aperçut Damien, qui s’affairait déjà autour des fleurs.
– Bonjour Althéa ! Salua Damien
– Salut Damien ! Tu vas bien ? Madame de Sachy m’a dit que tu avais besoin d’un coup de main ce matin !
– Oui ! J’avais prévu de rajouter quelques myosotis supplémentaires pour embellir l’ensemble ! Ca rajoutera un peu de couleur !
– Comme s’il n’y en avait pas assez, plaisanta Althéa en saisissant les plants qui se trouvaient dans la brouette placée devant le carré de terre.
Elle entreprit donc de planter les fleurs aux endroits que lui indiquaient Damien. Une fois qu’ils eurent terminé, ils arrosèrent leurs plantations, et passèrent au désherbage d’une autre partie du jardin. Althéa était plongée dans son travail, concentrée sur la moindre petite tâche qu’elle effectuait. Elle s’obligea à repousser les pensées parasites qui venaient déranger le vide de son esprit. Elle appréciait que Damien ne lui pose pas de questions, mais elle savait aussi que le départ d’Aiden lui faisait de la peine. Durant toutes ces années, leur duo était inséparable, et Aiden passait le plus clair de son temps à l’aider au jardin, souvent accompagnée d’Althéa. Non, elle ne devait pas y penser. Ce n’était pas le moment de craquer. Elle se reconcentra sur son travail, qui finit par leur prendre toute la matinée. Damien remerçia Althéa pour son aide, et la jeune fille se dirigea vers sa chambre afin de se débarrasser de la terre qu’elle avait accumulée un peu partout. Arrivée à destination, elle prit de quoi se nettoyer et fila dans les douches, qui étaient communes à tout l’étage. L’eau chaude qui se dégageait du pommeau l’apaisa agréablement et ses muscles endoloris par le travail de la matinée se relaxèrent. Elle s’appliqua à frotter chaque parcelle de son corps pour extraire la terre qui s’était incrustée dans sa peau. Une fois terminée, elle s’enveloppa dans une serviette et se dirigea vers sa chambre. Elle enfila une nouvelle tenue, dans le même style que la première et se dirigea vers la grande salle pour manger. L’ambiance était déjà bien bruyante, et elle s’installa comme à son habitude. En relevant la tête devant elle, elle observa la chaise anormalement vide, où Aiden s’asseyait autrefois. Elle secoua discrètement la tête, retenant encore une fois ses fichues larmes qui menaçaient de couler. Elle avala rapidement quelques bouchées des délicieuses lasagnes de Madame Dolly, et sortit de table sans se faire réellement remarquée. Elle se dirigea vers la bibliothèque pour voir l’avancée du rangement et fut agréablement surprise de voir que les enfants avaient quasiment terminé de trier l’entièreté des ouvrages de la pièce. En même temps, ce n’était pas comme si elle avait fait le plus gros pendant quatre jours. Satisfaite du travail des enfants, elle sortit de la pièce et prit la direction de l’Orangerie, où Damien lui avait donné rendez-vous pour l’après-midi. Elle avait difficilement accepté au vu des évènements d’hier, lorsque son ami lui avait proposé, mais elle savait que si elle ne retournait pas rapidement dans cette salle, elle n’y remettrait sûrement jamais les pieds. Elle prit donc son courage à deux mains, et pénétra dans la verrière dorée. Le soleil illuminait les nombreuses plantes et fleurs qui vivaient paisiblement à l’intérieur, protégée des changements de température qui s’effectuaient au rythme des saisons. Elle se promena tranquillement dans l’allée principale en essayant de repérer où se trouvait Damien. Elle entendit un bruit derrière elle, et fit volte face. En tournant la tête, elle ressenti un coup d’électricité dans la nuque, au même endroit que les deux premières fois. Elle porta la main pour toucher l’endroit qui pulsait sous sa peau et perçut une sensation de chaleur, qui formait un cercle. Elle leva la tête, et remarqua que Damien l’observait au loin, l’air un peu inquiet. Elle laissa retomber sa main, et s’avança en direction du garçon.
– Tout va bien ? Demanda le garçon
– Oui oui ! Ne t’inquiète pas ! Une abeille a dû me piquer hier quand je suis rentrée.
– Laisse-moi vérifier, dis Damien en relevant les cheveux bruns de la jeune fille pour dégager son cou.
Le contact de ses doigts sur la peau d’Althéa agit comme un pansement sur l’endroit qui la démangeait. Elle frissonna légèrement, intimidée par l’attitude du jeune homme, qui ausculta minutieusement l’endroit qui la faisait souffrir. Elle avait eu, à une période, de l’affection pour Damien, qu’elle avait dissimulé par peur que ses sentiments ne soient pas réciproques. Avec le temps, ils s’étaient dissipés, et aujourd’hui ce n’était plus d’actualité. Mais cela n’empêchait pas la jeune fille de rougir légèrement à son contact.
– Tu vois quelque chose ? Demanda timidement Althéa.
– Tu as une légère rougeur en effet mais je ne vois pas de piqûre, répondit Damien, qui avait laissé ses doigts sur la rougeur, tu ferais mieux d’aller voir l’infirmière pour vérifier ce que c’est.
Althéa se dégagea délicatement et remarqua une légère gêne dans les yeux du garçon. Elle préféra ne pas y penser et le remercia pour son aide. Elle promit de revenir l’aider ensuite et prit la direction de l’infirmerie. Sur le chemin, la douleur restait constante mais largement supportable, c’était simplement une sensation dérangeante qui l’accompagnait. Arrivée à destination, elle toqua par trois fois à la porte de Madame Soyer mais resta sans réponse. Elle se dirigea vers une des salles de bain de l’étage pour accéder à un miroir. En effet, une légère tâche rouge était apparue à l’endroit qui lui faisait mal, mais comme l’avait dit Damien, aucune trace de piqûre. Althéa s’interrogea sur la provenance de cette douleur, sans savoir comment elle avait pu apparaître. En sortant de la salle d’eau, elle croisa Madame Soyer, qui était partie soigner un autre pensionnaire qui s’était écorché le genou en tombant dans la cour. Elle ausculta la rougeur de la jeune fille, et lui appliqua une crème censée diminuer la douleur, et la renvoya à ses tâches puisque cela ne l’empêchait pas de faire son travail. Althéa fit donc le chemin en sens inverse pour retourner à l’Orangerie. Mais quand elle arriva sur place, aucune trace de Damien. Elle s’approcha de son petit coin formé de coussins et de couvertures, installées pour rendre l’endroit confortable, et s’asseya timidement. Les paroles d’Aiden résonnèrent dans sa tête et, cette fois-ci, elle ne put retenir sa tristesse. Elle s’allongea sur les plaids et serra un des oreillers dans ses bras en se recroquevillant sur elle-même.
Elle laissa enfin exprimer le chagrin qu’elle intériorisait depuis plus de vingt-heure déjà. Les larmes qui coulaient sur ses joues finirent par se tarir peu à peu. Sa respiration se calma et les battements de son cœur ralentissaient petit à petit. Lorsqu’elle fut complètement calmée, elle se redressa pour s'asseoir contre le rebord de la fenêtre. Elle se laissa encore aller quelques instants, repensant aux paroles de son frère, “tu sauras t’en sortir par toi même, j’ai confiance en toi Althéa”. Il avait raison, elle devait s’en sortir toute seule. Aiden ne reviendrait pas. C’était elle contre le reste du monde maintenant. Elle s’autorisa ce dernier moment de faiblesse qui marquait la fin de l’ancienne Althéa. La nouvelle version d’elle-même était forte et confiante. Et pour sceller sa décision, elle se jura que quoi qu’il lui en coûte, elle ferait toujours en sorte de se sauver d’abord.