La date de la fête annuelle des arts martiaux de l’État du Massachussetts a été fixée à demain et, pour le plus grand bonheur de Maya Johanson, le dojo de karaté dans lequel elle est inscrite sera de la partie. L’année dernière, étant encore nouvelle, la jeune fille n’a pas pu montrer grand-chose. Mais cette année, c’est différent. Elle est désormais ceinture verte.
Il faut dire que la belle n’en est pas à son premier art martial et ses années de pratiques de judo, taekwondo et krav maga lui ont permis d’acquérir les bases du karaté assez rapidement. D’ailleurs, d’après son professeur, Maya est en bonne passe pour monter d’un grade dès la fin de l’année.
C’est donc avec un entrain non dissimulé qu’elle passe les portes du dojo et salut son Sensei. Le cours ne commence qu’à la demie mais la jeune fille a pris l’habitude de venir à l’avance pour s’échauffer et s’entraîner sans gêne.
Seulement, au bout de cinq minutes de cette solitude si confortable, des pas se font entendre dans son dos.
Brusquement, Maya se retourne en élançant sa jambe pour frapper au niveau du torse mais une main lui attrape fermement la cheville, manquant de la faire basculer. L’adolescente sautille sur place afin de retrouver un équilibre sur une jambe, son membre droit se trouvant désormais solidement tenu en l’air. C’est alors qu’elle reconnait le garçon qui lui fait face avec ses courtes boucles chocolat et son visage fin.
Il s’agit en effet de Nathaniel Jenkins, le champion junior de l’école. Adepte de karaté depuis bientôt dix ans, il est déjà ceinture noire et continue son ascension vers son second dan. Ses mouvements sont infaillibles et il est toujours assez impressionnant de le voir à l’œuvre.
Plutôt solitaire, il ne parle quasiment jamais, hormis pour prodiguer des conseils à ses camarades. Au final, ceux-ci n’en savent pas beaucoup sur lui. Cela n’empêche pas certains membres féminins du club de l’admirer en gloussant à chaque fois qu’il assiste le professeur en montrant un mouvement. Étonnement, à part Maya et Leila, aucune des deux autres filles ne semble s’améliorer quand il est dans les parages.
— Plus haut, dit simplement le garçon en soulevant un peu la jambe de la jeune fille.
— Quand est-ce que tu es arrivé ? le questionne Maya, étonnée de le voir si tôt.
Mais sa curiosité reste insatisfaite car le karatéka se contente de frapper légèrement son genou gauche, lui faisant signe de tenir sa jambe plus droite. Le silence s’installe alors.
Bien que l’adolescente apprécie s’entraîner dans le calme, elle ne supporte pas les blancs dans une conversation. Elle ne tarde donc pas à faire remarquer à son camarade qu’il n’est pas très bavard. A ses paroles, le garçon se stoppe et ses yeux d’un brun profond s’emplissent de confusion.
— Tu peux parler, si tu veux, prononce-t-il finalement.
Il baisse le regard et pose délicatement sa main au bas du dos de l’adolescente afin de la pousser doucement vers l’avant, faisant ainsi monter sa jambe sensiblement plus haut. Un merci s’échappe de la bouche de la jeune fille.
Apercevant le visage décontenancé de Nathaniel, elle se presse de lui expliquer que c’est pour tenter de le battre qu’elle s’entraîne si dur et que c’est donc en quelque sorte grâce à lui qu’elle peut s’améliorer rapidement.
— Je devrais faire attention dans ce cas, tu pourrais finir par me battre.
Maya croit deviner un petit sourire sur le visage neutre de toute expression de son camarade. C’est la première fois qu’elle tient une conversation avec Nathaniel et celle-ci est plutôt surprenante.
Jusqu’à maintenant, le garçon a toujours été assez froid et distant, très concentré dans ses combats. C’est d’ailleurs ce que Maya admire chez lui, cette force et cette précision qu’il dégage à chacun de ses coups. Mais après cette approche inattendue, la jeune fille a comme l’impression qu’il n’est pas aussi dur qu’elle le pensait.
Curieuse d’en découvrir plus à propos de ce fameux champion, elle n’hésite pas un instant à accepter sa proposition de faire un combat libre en attendant l’heure du cours.
Au début, Maya arrive à parer toutes les attaques de son adversaire mais elle comprend vite qu’il la ménage. Frustrée, elle tente une feinte pour lui envoyer ensuite son meilleur coup de pied. Surpris par cette attaque agressive, le garçon réussit néanmoins à l’esquiver de justesse. Le combat prend alors une autre tournure.
Nathaniel s’active en changeant constamment de position, obligeant sa camarade à accroître sa vigilance et ne lui laissant aucune occasion d’attaquer. Incapable de prédire le moindre de ses gestes, Maya ne tarde pas à finir perdante.
— Tu es très forte, tu sais, tente de la rassurer Nathaniel face à la mine agacée de la belle.
Déterminée à réussir à toucher son adversaire au moins une fois, la karatéka se replace en position de combat, prête pour le deuxième round.
Cette fois, elle ne perd pas de temps à faire de feinte et attaque directement. Son adversaire esquive et elle recule pour éviter une contre-attaque mais ne sent que trop tard un pied lui accrocher le mollet.
Sans pouvoir réagir, l’adolescente chute en arrière et s’étale sur le tatami. Elle accuse le coup en poussant un grognement tandis que Nathaniel s’avance pour lui tendre la main.
Échauffée par cette cuisante défaite, Maya saisit son bras. Cependant, au lieu de s’en servir comme appui pour se relever, elle décide de tirer tout en plaçant son pied sur le buste du garçon. Puis elle roule en arrière pour entraîner son adversaire qui, pris au dépourvu, bascule en avant et atterri à son tour dos contre le sol.
Maya saisit l’opportunité pour immobiliser le garçon en plaçant ses genoux de part et d’autre de ses hanches. Puis, dans un cri de combat, elle vient arrêter son poing à quelques centimètres de son visage. Un immense sourire s’étale sur ses lèvres tandis que Nathaniel affiche un air penaud.
— Je ne vous savais pas si proches tous les deux, les interpelle une voix chantante.
Maya adresse un regard interrogateur à l’homme qui vient de faire son entrée sur le tatami avant de prendre conscience de sa position. Nathaniel semble lui aussi se rendre compte que la jeune fille est à califourchon sur lui car ses joues s’empourprent soudain.
L’adolescente se retire en vitesse et accours vers l’homme.
— Sensei ! Vous avez vu ce que j’ai réussi à faire ?
— Oui, acquiesce-t-il en rigolant face à son enthousiasme. Très impressionnant. Je n’avais pas vu Nathaniel se faire renverser par une fille depuis longtemps.
— C’est facile quand on triche, rumine alors le concerné en se relevant à son tour.
— Oh parce que tu crois que dans la vraie vie un mec qui essaie de te tabasser va la jouer réglo et t’aider à te relever quand tu tombes ?
Maya adresse un sourire malicieux à Nathaniel alors que ce dernier affiche un air contrarié, les joues encore rouges d’embarras. Le professeur, toujours aussi amusé par cet échange, donne raison à la jeune fille. Il lui rappelle néanmoins que ce genre de pratiques n’est pas la bienvenue lors de combats réglementés, que ce soit dans un tournoi ou pendant le cours.
•♥•
Les autres élèves arrivés, le cours commence par le salut habituel puis une mise au point au sujet de la représentation du lendemain.
En tant que Junior et ceinture verte, Maya aura l’occasion de démontrer ses acquis dans un Bunkai face à Joshua. Logiquement, l’adolescente aurait dû se retrouver en duo avec Tim. Mais quand ce dernier a rompu avec elle au bout de trois semaines, juste parce qu’elle n’était pas prête à aller plus loin, Maya a bien évidemment exigé un changement de partenaire.
Elle n’oubliera jamais le cours qui avait suivi la rupture. Ce fut sa première victoire en combat contre un garçon si haut gradé.
Finalement, après des exercices d’échauffement et une bonne demi-heure de répétition des combats chorégraphiés, le cours se termine sur une session d’entraînement libre ou chacun s’exerce à travailler sur ses lacunes.
Maya aide Leila à travailler sur son équilibre tout en observant avec amusement les deux autres filles accaparer Nathaniel. Les voir feindre de ne pas savoir comment donner un coup de pied avant correctement est une scène qu’elle ne se lassera jamais de voir.
Puis la karatéka décide de revoir ses coups de poings. Cela fait bien cinq minutes qu’elle répète les mêmes mouvements quand une voix calme retentit dans son dos.
— L’énergie est bonne mais tu gagnerais à travailler sur la précision.
Elle se tourne vers Nathaniel qui semble avoir été libéré du joug des filles par le professeur.
— Tu ne peux pas t’en empêcher, hein ? Montre-moi puisque tu es si fort.
À sa grande surprise, le garçon se met à bégayer. Quand elle lui explique qu’elle ne faisait que le taquiner, le soulagement s’étale sur le visage de l’adolescent et Maya se surprend à sourire.
Nathaniel lui apprend ensuite quelques techniques pour que ses gestes soient plus précis et elle s’efforce de les appliquer pendant qu’il révise des enchaînements de son côté.
— Bien, on va s’arrêter là pour aujourd’hui, clame soudain le professeur en invitant ses élèves à faire le salut final. Demain soir, je veux tout le monde à l’heure et en pleine forme. N’oubliez pas vos tenues ! On s’échauffera ensemble mais n’hésitez pas à le faire avant si vous en avez l’occasion. Dormez bien et à demain !
Dans un joyeux brouhaha, les garçons et les filles se dirigent chacun vers leur vestiaire respectif. Quand Maya sort du dojo d’un pas léger, elle passe devant Nathaniel qui attend qu’on vienne le récupérer.
— À demain, lui lance-t-elle en le dépassant.
— A-à demain ! répond-t-il d’un ton trop fort pour paraître naturel.
Maya réprime un rire avant de continuer son chemin, toujours étonnée que le champion froid et impassible soit en réalité un grand timide. Elle qui pensait que rien ne pourrait la surprendre aujourd’hui. Pas après que sa sœur lui ait annoncé ce matin qu’elle viendrait la voir à la nuit des arts martiaux.
Maya ne sait pas vraiment ce qui a décidé son aînée. C’est bien la première fois qu’elle s’intéresse à autre chose qu’une enquête. Et comme elle ne l’a jamais vue combattre, Maya compte bien l’éblouir.
Elle n’a plus qu’une hâte désormais : être demain soir.