Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
LilaMystery
Share the book

Chapitre 1 : La chute du Boston Daily

Le quartier de Back Bay se trouvant à moins de cinq kilomètres de notre domicile, il ne me faut qu’une quinzaine de minutes pour arriver sur le lieu de l’incident. Sur le siège passager, les grands yeux et le visage enfantin de ma petite sœur s’illuminent aussitôt. Elle n’a jamais été aussi excitée de m'accompagner dans une affaire. Il me semble alors bienvenu de lui rappeler que notre présence sur un lieu de crime n'est en aucun cas autorisée et qu'il nous faut donc rester discrètes.

— À vos ordres ! me fait-elle en portant la main à sa tempe, ses lèvres pincées en un sourire taquin.

Mon regard s’arrête un instant sur le rétroviseur central. À l’intérieur, une jeune femme à l’aspect fantomatique me dévisage, deux grandes poches de cernes trônant sous ses yeux fatigués. Ma dernière bonne nuit de sommeil me semble si lointaine… Ne m’inquiétant guère de mon apparence, je me contente d’enfoncer une casquette sur mon crâne avant de sortir du véhicule à la suite de Maya.

Le bâtiment abritant la rédaction du Boston Daily est facilement identifiable. L’attroupement de personnes, juste en dessous du balcon qui a vu se dérouler le drame, ne laisse planer aucun doute. Des policiers sécurisent le périmètre tandis que les journalistes déjà sur le coup surveillent les allées et venues, prêts à interviewer le moindre malheureux qui entrerait ou sortirait des locaux. De leur côté, les voisins et quelques passants, piqués par la curiosité et le souci du détail, tendent le cou pour entrevoir l’endroit précis où se serait écrasée la victime.

Nous contournons la structure en briques rouges pour accéder à la porte arrière. L’agent Rogers nous y attend comme convenu. Visiblement soulagé de nous voir arriver, il s’empresse de nous faire entrer à l’intérieur du bâtiment. Cela serait dérangeant pour nous tous si quiconque s’apercevait que le policier laissait des inconnues pénétrer le lieu du crime. On pourrait croire que l’homme serait perturbé de défier ainsi la loi mais il a été plutôt facile à convaincre. Comprenant que mon expertise lui serait d’une grande aide pour sa carrière, il a accepté mes conditions sans rechigner, même le fait que j’emmène une adolescente avec moi.

— Vous êtes toujours aussi ravissante, me glisse l’homme avec un regard insistant.

J’entends Maya pouffer à ma gauche tandis que mes yeux se déposent avec flegme sur le policier. Je constate avec surprise que l’homme arbore sur son torse bien en chair un insigne d’inspecteur flambant neuf. Satisfait de son effet, le policier nous offre un franc sourire avant de nous guider dans le couloir désert.

— Mesdemoiselles, fait-il en nous ouvrant la porte tout au bout.

Du coin de l’œil, j’aperçois ma sœur qui tente de contenir son rire tandis que je m’attèle à détailler notre nouvel environnement. La salle alambiquée contient plusieurs postes de travail et dispose d’une fenêtre grande ouverte donnant sur le fameux balcon.

— C’est de là qu’elle est tombée ? demande Maya en s’en approchant.

Je lui fais signe de ne pas trop s’avancer, lui rappelant la foule qui se trouve juste en dessous, puis demande à l’inspecteur Rogers de me résumer la situation. Il brandit alors le dossier qu’il tenait dans sa main et l’ouvre avec un air solennel.

— La victime est Rose Miller. C’était la rédactrice en chef de…

— Je sais déjà tout ça.

L’homme s’arrête net. J’ai effectivement profité du trajet pour me renseigner sur l’affaire.

— Parlez-moi plutôt des témoins, je lui demande en me faufilant entre la dizaine de bureaux qui envahissent la salle.

Tous sont munis d’ordinateurs couverts de post-it et chargés de piles de documents en tout genre.

— Euh, oui, bien évidemment ! me répond l’homme, quelque peu décontenancé.

Il pose le dossier et sort de son manteau un calepin usé qu’il se met à feuilleter.

— En plus de Mme Miller, reprend-t-il, il y avait cinq employés présents au moment des faits : le secrétaire de rédaction James Callen, l’illustratrice Iliana Taylor, la rédactrice Pamela Lipman, le caméraman Jack Thomas et le maquettiste Gregory Wilson, qui est également le fiancé de la victime. Ils se trouvaient tous dans la salle de pause, à l’autre bout du couloir, quand Mme Miller s’est absentée vers 18h15 pour aller chercher son portable à son bureau. En ne la voyant pas revenir, M. Wilson s’est inquiété et est parti à sa recherche. C’est là qu’il a découvert sa fiancée sur le trottoir.

— Vos agents n’ont rien touché ?

Mon regard s’arrête sur les bureaux de l’allée centrale. Certains sont mieux rangés que d’autres, reflétant les personnalités diverses des employés du Boston Daily, mais ce n’est pas vraiment le désordre qui m’interpelle. Sur le premier bureau, les stylos ne sont pas du même côté que le bloc note, l’écran de l’ordinateur n’est pas tourné dans le bon axe par rapport à la souris qui est complètement tournée dans un sens peu pratique. Même une personne désordonnée ne placerait pas des objets de façon aussi illogique sur son poste de travail.

— Non, j’ai veillé personnellement à ce que rien ne soit touché, bien évidemment. Le corps a déjà été emmené mais il y a des photos.

Il désigne le dossier qu’il a posé plus tôt et Maya, qui s’en était discrètement rapprochée, en profite pour s’en emparer. Elle se met à le parcourir avec un air étonnement sérieux tandis que je continue de questionner l’inspecteur.

— Qui d’autre a quitté la salle de repos ?

L’homme tourne les pages de son carnet et j’ai le temps d’examiner de plus près les bords du bureau suspect avant qu’il ne me réponde.

— Mme Lipman s’est rendue aux toilettes vers 18h05 et a croisé Mme Miller en revenant dix minutes plus tard. Mme Taylor est également allée se rafraichir vers 18h20 puis, cinq minutes plus tard, M. Thomas est venu dans le bureau chercher ses cigarettes mais n’y a pas vu Mme Miller. Il est retourné dans la salle de détente vers 18h40, suivi de près par Iliana. M. Wilson est parti à la recherche de sa fiancée directement après. Quand il a crié, tous les autres l’ont rejoint i-

L’inspecteur Rogers se tait soudain.

— Euh… Mademoiselle Johanson ? m’interpelle-t-il.

À quatre pattes en train de renifler le sol au pied du bureau, je me relève d’un coup et me dirige vers Maya dont le nez est toujours plongé dans le rapport de police. J’aperçois ses lèvres mordues en signe de concentration alors que des mèches oscillant entre le châtain clair et l’auburn viennent cacher ses sourcils froncés. Elle n’a que dix-sept ans et c’est la troisième fois que j’ai accepté, après maintes insistances de sa part, de l’emmener avec moi sur une enquête.

Au vu de son jeune âge et de son inexpérience, j’étais assez réticente mais, à ma surprise, elle s’est rapidement adaptée et sa curiosité naturelle et sa spontanéité se sont parfois révélées utiles.

— Tout le monde semble d’accord pour dire que tout allait bien pour Rose et qu’elle n’avait aucune raison de se suicider, m’informe-t-elle en me tendant le dossier. En revanche, Pamela n’a pas l’air de la porter dans son cœur. D’après les autres, elle était furieuse que ce soit Rose qui ait obtenu le poste de rédactrice en chef alors qu’elle était dans la boite depuis moins longtemps qu’elle. Pour se venger, elle draguait son fiancé devant tout le monde. Si quelqu’un a un mobile, c’est bien elle !

Maya pose ses yeux verts mousse sur moi avec une certaine fierté. Jouer les détectives semble l’enchanter au plus haut point. En parcourant la déposition des témoins, il est pourtant évident que le fiancé est le seul à ne pas avoir d’alibi au moment de la chute et plusieurs employés ont entendu des rumeurs comme quoi la victime le trompait avec Jack Thomas. Serait-ce un crime passionnel ?

— C’est aussi Pamela qui a probablement lancé la rumeur de l’infidélité de Rose, par jalousie, théorise Maya.

J’acquiesce tout en gardant les yeux rivés sur les photos prises par la police puis cherche le constat de décès. Sans surprise, la victime est morte entre dix-huit heures dix et dix-huit heures cinquante d’un coup violent à la tête et possède plusieurs fractures dues à la chute. Deux choses retiennent cependant mon attention. La victime portait une lentille de contact sur l’œil gauche et un stylo a été retrouvé non loin du corps.

L’inspecteur Rogers me confirme que la deuxième lentille n’a pas été trouvée, ni dans la rue ni dans les bureaux. Il me permet également de jeter un coup d’œil au stylo qui a été ramassé. Ce dernier arbore le sigle du Boston Daily, identique à ceux disposés ci et là sur les bureaux. Sauf que le stylo à bille est drôlement tordu en son centre, comme si on avait tenté de le plier en deux.

— Ça veut dire que Rose était en train d’écrire quelque chose avant qu’on la pousse ? propose Maya.

— Je ne suis pas sûre. Il faudrait que je puisse inspecter le balcon…

Décoré d’une belle barrière en fer forgé, le balcon n’est pas très grand. Sur le côté, un flot de terre s’écoule d’un pot brisé et les restes d’une fougère reposent sur le petit tas. Mon smartphone devant le visage, je m’avance en feignant prendre des photos et observe l’état des barrières. En bas, la petite foule semble s’être un peu dissipée.

— Alors ? me demandent Maya et l’inspecteur avec impatience alors que je reviens vers eux.

Je n’ai pas le temps de leur répondre, trop occupée à scruter les environs avec frénésie. Je parcours la pièce de long en large, cherchant dans les tiroirs, les pots à stylos, les vestes. Malheureusement, ma fouille ne me rapporte qu’un trousseau de clés, une boite de chewing-gums et trois paquets de cigarettes de marques différentes.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiète ma sœur en prenant soin de me retirer le paquet neuf de Marlboro des mains. Tu cherches quelque chose ?

Ce n’est qu’une fois la tête sortie de la poubelle que je m’exclame finalement :

— Les témoins ! Où sont-ils ? Vous ne les avez pas encore lâchés, n’est-ce pas ?

— Non, répond l’inspecteur en m’étudiant d’un œil inquiet. Ils sont dans la salle de repos. J’attendais d’avoir votre avis avant de les autoriser à partir. Il s’agit bien d’un suicide alors ?

•♣•

Quand l’inspecteur Rogers entre dans la salle de repos quelques minutes plus tard, les cinq employés du Boston Daily se tournent vers lui. Ils ne remarquent pourtant pas l’oreillette qu’il porte ni la caméra espion fixée à son manteau. Maya et moi-même pouvons alors suivre la scène derrière un écran, planquées dans les toilettes du bâtiment.

Je n’ai pas de peine à identifier chaque individu. Leurs comportements parlent d’eux-mêmes. Le fiancé qui semble encore tout retourné par les évènements de la soirée est assis dans un des fauteuils et regarde devant lui d’un air absent. À côté de lui, une grande rousse portant un chemisier cintré et un tailleur serré, sans nul doute Pamela Lipman, en profite pour le réconforter.

— Elle ne manque pas d’air celle-là ! s’exclame Maya à côté de moi.

La petite brune qui s’est figée en plein milieu de la salle ne peut donc être qu’Iliana Taylor. Elle pose des yeux ronds en direction du policier, ses traits tirés par l’appréhension.

Quant à James Callen et Jack Thomas, les deux hommes se tiennent en retrait, près de la machine à café. Ils semblent assez calmes étant donné la situation.

— On peut partir ? demande posément James en levant les yeux de son portable.

Quand l’inspecteur répond qu’il a encore des questions à leur poser, Pamela se met à maugréer qu’elle a d’autres choses à faire. Iliana, visiblement offusquée, jauge sa collègue d’un mauvais œil.

— C’est forcément Pamela la coupable ! clame alors Maya. Je ne la sens pas depuis le début.

Je secoue la tête sans quitter mon portable des yeux.

— Ne pas sentir une personne n’est pas un motif valable d’arrestation. Pour l’instant, il n’y a que James qui est en dehors de tout soupçon puisqu’il n’est pas sorti de la pièce. Pamela, Jack et Gregory ont tous un mobile potentiel et Iliana montre de flagrants signes de nervosité. Je suis certaine qu’elle cache quelque chose.

— Oui… mais tu sais déjà qui c’est, pas vrai ? sourit ma sœur avec malice.

Je ne peux m’empêcher de sourire à mon tour. J’ai bien ma petite idée, en effet. Cependant, il me reste encore des questions à élucider et je sais exactement comment m’y prendre.

— Demandez une cigarette.

L’inspecteur sursaute au son de ma voix dans l’oreillette. Heureusement, personne ne semble avoir remarqué son comportement étrange.

— Excusez-moi, dit-il sur un ton faussement gêné, l’un de vous pourrait-il me dépanner d’une cigarette ?

James se met à fouiller ses poches avant de déclarer qu’il a dû laisser son paquet sur son bureau. Il se tourne alors vers Jack mais celui-ci proclame ne plus rien avoir en montrant un paquet vide et c’est finalement Pamela qui tend au policier une Camel light.

James affiche un air surpris. Il cherche à établir un contact visuel avec ses collègues mais le seul regard qu’il croise est celui de plus en plus soucieux d’Iliana dont le visage devient subitement pâle. Apparemment, James lui aussi a repéré le fait qui contredit les témoignages. Jack Thomas n’a-t-il pas déclaré s’être rendu dans le bureau pendant la soirée pour chercher un nouveau paquet de cigarette ?

— Oh ! s’exclame Maya. C’est à lui qu’appartient le paquet neuf dans le bureau ! S’il ne l’a pas pris, c’est qu’il a menti… C’est lui le meurtrier !

Sous mes directives, l’inspecteur Rogers interroge donc le suspect mais Jack n’ose pas répondre. Incertain, il lance des regards en direction d’Iliana, faisant comprendre qu’il ne désire pas la mettre dans l’embarras mais qu’il n’a pas le choix.

— Quand je suis arrivé devant le bureau, la porte était entrouverte, explique-t-il. Rose et Iliana étaient à l’intérieur. Je crois qu’elles… se disputaient.

Obligée de reconnaitre les faits, Iliana explique alors qu’elle devait une grosse somme d’argent à Rose, somme qu’elle était à ce jour encore incapable de lui rembourser. Jack appose une main sur l’épaule de la femme alors que celle-ci éclate en sanglots.

Je sens Maya s’agiter à côté de moi :

— À tous les coups, elle joue la comédie pour avoir notre sympathie alors qu’en fait elle l’a tuée pour ne pas avoir à la rembourser !

Je l’écoute d’une oreille, toujours concentrée sur l’écran devant moi. Je n’ai plus qu’une seule question à poser et l’inspecteur la répète mot pour mot :

— Mme Taylor, avez-vous fermé la porte du bureau derrière vous après votre dispute ?

Les yeux encore humides, Iliana explique qu’elle a laissé Rose dans le bureau mais n’a pas fermé la porte et est passée aux toilettes avant de revenir dans la salle de repos. C’est étrange car Gregory a affirmé que la porte était close quand il est parti chercher Rose.

— C’est exact, confirme-t-il tout de suite. Mais j’ai à peine tourné la poignée qu’elle s’est ouverte d’un coup, comme s’il y avait eu un grand courant d’air. Puis il y a eu le bruit de pot brisé et c’est là que j’ai vu les fenêtres du balcon grandes ouvertes…

Mettant de côté le smartphone, je me recule contre le mur des toilettes et replie mes genoux contre mon torse pour y déposer ma tête. Je peux sentir tout mon être bouillonner de cette rage de me savoir si près de la solution. Seul un minuscule détail m’échappe encore. J’entends presque la voix de mon père me répéter : « Le diable se cache dans les détails ». J’ai tous les éléments pour résoudre cette affaire. Je le sais. Je le sens. Il faut seulement que je trouve comment...

Puis le déclic vient et la seconde suivante, deux mains m’empoignent fermement les épaules et me secouent frénétiquement, m’obligeant à ouvrir les yeux.

— Tu as trouvé la solution, hein ? s’empresse de me demander Maya.

Je me contente de lui sourire, un soupçon de folie dans les yeux. Cependant, ma sœur ne me regarde pas avec émerveillement et excitation comme à son habitude. Elle a plutôt l’air amusée.

— Parce que l’inspecteur ne savait plus quoi dire et vient de relâcher les suspects.

Je m’empare en vitesse du micro pour hurler à cet incapable de retenir les témoins. Heureusement, ils n’ont pas eu le temps d’aller plus loin que le couloir.

— C’est une blague ! s’écrie Pamela en refusant de rentrer à nouveau dans la salle. Vous insinuez réellement que l’un de nous l’a tuée ?

— Oui, affirme l’inspecteur en répétant mes mots. Et le coupable porte encore la preuve sur lui.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet