Parfum épicé
Je me réveille au bord d'une route, la tête douloureuse comme si un troupeau d'éléphants avait dansé le Kuduro dessus.
Mon esprit oscille entre somnolence et inconscience, je lutte pour émerger du brouillard qui m'engloutit encore.
Petit à petit, mes pensées retrouvent un semblant de clarté. Le souvenir brutal de l'impact refait surface, ravivant une frustration cuisante. Je grogne, tente de me redresser, mais un éclair de douleur me traverse.
Un glapissement m'échappe.
Merde, j'ai encore mal.
Je n'ai aucune idée du temps que j'ai passé inconscient, exposé à la vue de tous. Il fait encore nuit. Peut-être que ce n'était que quelques minutes. Mon corps a déjà commencé à se régénérer, mais je suis trop amoché pour me fondre dans les ténèbres ou ouvrir un passage vers l'Enfer.
Quoique, même si j'en avais la force, je le ferais pas. Pas après m'être fait percuter comme un vulgaire clébard errant... Si les autres créatures infernales l'apprennent, je vais en entendre parler pendant les deux prochaines décennies. Et je suis un putain d'Alpha !
Je peux pas me permettre cette position de faiblesse, au risque de perdre mon autorité en plus de ma fierté. Mes blessures se refermeront en quelques heures, mais l'humiliation, elle, mettra des lustres à disparaître.
Assez pensé à ces conneries. Je dois déjà gérer l'urgence.
Incapable de me relever pour chercher un abri, je me résigne à adopter une forme plus discrète.
Un chien terrestre ? Ça me paraît le choix le moins dégradant.
Allongé sur le flanc, je gronde et serre les mâchoires en sentant mes os brisés muter. La transformation, déjà un effort mental colossal, devient une torture physique. Mon corps proteste, chaque nerf en feu. Je douille comme jamais auparavant. J’ai le tête qui tourne, et…
.
Putain... Je me suis évanoui.
Encore !
La rage m'envahit par vagues. Ces foutus humains et leurs machines de merde ! Avec leur vacarme et leurs carcasses de fer meurtrières, ces voitures ont tout d'un engin infernal.
Mes pensées dérivent vers mon maître, vers ma raison d'être, celle de ma présence sur cette île de malheur...
Mes paupières s'alourdissent. Le sommeil me gagne de nouveau. Puis un bruit me ramène à la réalité.
Un pas, suivi d'un autre.
Quelqu'un approche.
L'odeur me frappe en premier.
Humaine.
Je me fais violence pour redresser la tête, prêt à user de mes dernières forces pour attaquer. Puis je le vois. Il avance lentement vers moi.
Tous crocs dehors, je grogne furieusement. Langage universel, le message est donc clair. L'humain ralentit, mais ne renonce pas. Il lance d'une voix grave feutrée :
— Hey, tout doux mon beau. Je ne compte pas te faire de mal.
Il ne me fera aucun mal si je lui saute à la gorge ! C'est ce qui l'attend s'il s'entête à s'approcher.
— Bon sang, t'as l'air bien amoché.
Bravo pour la déduction, Charlock !
— Allez, calme-toi.
Le type, un noir à la silhouette athlétique, s'agenouille à une distance qui souligne une certaine prudence.
Je renforce mes avertissements, bien décidé à le faire fuir. Mes grognements et mes aboiements de sommation redoublent. L'effort diffuse ma douleur dans toutes les fibres de mon corps. Mais l'humain ne sourcille pas. Au contraire, il m'interrompt en me jetant une couverture sur la tête.
Putain, je vais le buter !
— Pardon pour la méthode, mais je tiens à mes doigts.
Je compte t'arracher bien plus que ça, connard !
Puisant dans mes réserves, je me redresse douloureusement. Même chancelant, je me débats comme un beau diable pour me débarrasser de ce foutu tissu. Jusqu'à ce que le sac de viande m'attrape et me soulève par surprise.
Beaucoup trop facilement.
Une humiliation de plus ! Si j'avais ma taille normale, il m'aurait jamais touché. Je lui aurais pas laissé cette occasion.
Je parviens à le griffer, mais suis trop faible pour me libérer. Il continue à déblatérer ses bobards pour m'amadouer. Mais rien à foutre ! Je me débats comme un damné, puisque je le suis, et m'épuise inévitablement.
Mes grognements se muent en râles de frustration. J'ai plus la force d'amorcer le moindre mouvement quand l'humain me séquestre sur le siège avant de sa caisse. Il me sangle, sans doute avec la ceinture de sécurité, retire la couverture de ma tête et ose planter son regard dans le mien.
— Pauvre bête, tu dois être déboussolé en plus de souffrir le martyr. Je comprends que tu sois effrayé.
Je t'emmerde, barbaque ambulante…
Gonflé par cette vulnérabilité inhabituelle, je détourne les yeux, le souffle court. Il ferme la portière et je l’entends faire le tour de sa voiture avant de prendre place côté conducteur.
Je suis en rogne d'avoir été capturé par un foutu humain, mais je sais qu'il ne me fera rien. Pas tant que je reste sous cette forme. Mon espèce flaire les relents des mensonges et des mauvaises intentions. Aussi bien que la naïveté et l'innocence. Celui-là dégage rien de tout ça.
Il sent... un mélange entêtant. Une odeur musquée de puissance, avec une note épicée caractéristique des humains avides de sexe.
J'aime l'odeur du sexe.
Je me concentre dessus et m'autorise à me reposer alors qu'il met le moteur en marche.
Dès que je me sentirai mieux, je me sortirai de ce bourbier.