Sang…
— S'il vous plaît, allez-vous-en ! hurle le condamné autour duquel la meute resserre les rangs.
Pantelant et couvert d'une couche infecte de sueur, ce magnat de l'immobilier bedonnant s'agenouille dans l'herbe rêche de son jardin. Il pue l'alcool. Ses mains se joignent et il baisse la tête par-dessus, comme s'il adressait sa prière ridicule à notre Maître.
Il doit le confondre avec les putains de Dieux qu'ils ont fabriqués de toute pièce pour leur propagande d'amour et de miséricorde.
— Je vous donnerai tout ce que vous voudrez ! insiste le gros lard. J'ai des enfants. Si vous voulez quelqu'un du même sang, vous pouvez prendre l'aîné. Ou même le bébé ! Mais je vous en supplie, laissez-moi la vie sauve.
Quel sans couilles... Ô grand jamais une créature de l'Enfer n'offrirait sa descendance en sacrifice. Ses sanglots débiles ne font que renforcer ma haine pour son espèce. Tous des lâches ! Ils se vantent pourtant à qui veut l’entendre de la mascarade qu'ils nomment fièrement « morale ».
Babines retroussées et tous crocs dehors, j'avance encore plus. Jusqu'à lui grogner au visage.
𝗖𝗲 𝗾𝘂'𝗼𝗻 𝘃𝗲𝘂𝘁, 𝗴𝗿𝗼𝘀 𝘁𝗮𝘀 𝗱𝗲 𝗺𝗲𝗿𝗱𝗲, 𝗰'𝗲𝘀𝘁 𝗮𝗿𝗿𝗮𝗰𝗵𝗲𝗿 𝘁𝗼𝗻 â𝗺𝗲 𝗱𝗲 𝘁𝗼𝗻 𝗰𝗼𝗿𝗽𝘀 𝗲𝗻 𝗹𝗮𝗺𝗯𝗲𝗮𝘂𝘅 𝗮𝘂 𝗻𝗼𝗺 𝗱𝘂 𝗗é𝗺𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗖𝗿𝗼𝗶𝘀𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁𝘀.
C'est le pacte qu'il a signé. Dix belles années de richesse et de réussites en échange de son âme.
Les humains ont ce culot qui me débecte. Ils sont assez déterminés pour construire des autels et s'enrôler dans des invocations démoniaques ancestrales. Mais quand l'heure arrive d'honorer leur part du marché, y'a plus un pet d'audace ! Que des larmes et des suppliques. Aussi vaines l'une que l'autre.
𝗧𝘂 𝗺𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗰𝗲 𝘀𝗼𝗶𝗿, 𝘀𝗮𝗹𝗲𝘁é 𝗱'𝗵𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻. 𝗟𝗲𝘀 𝘁𝗲𝗿𝗺𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝘁𝗼𝗻 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗮𝘁 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗶𝗿𝗿é𝘃𝗼𝗰𝗮𝗯𝗹𝗲𝘀.
Le sac à viande tremble de terreur. Je prends un malin plaisir à faire l’écho infernal de ma voix résonner dans sa tête :
𝗖𝗼𝘂𝗿𝘀.
Son regard fuyant se braque sur moi. Ses sanglots s'arrêtent et son visage rougit se fige, à croire qu'il pense vraiment avoir une chance malgré l'énoncé de sa sentence.
Idiot comme un louveteau de deux jours, le pathétique humain se lève en toute précipitation et détale. La respiration toujours haletante, l'équilibre incertain, il franchit l'ouverture qu'on lui a laissée à toutes jambes. Son cœur bat plus férocement, l'adrénaline et sa trouille bleue imprègnent ses sales effluves. Ils tracent son sillage dans l'air humide.
Un courant d'excitation transcende la meute. Les autres trépignent d'impatience sur leurs pattes. Certains lèchent leurs babines, par anticipation du sang chaud qui remplira bientôt leur gueule, mais tout le monde reste en position.
Sans quitter l'humain des yeux une seconde, je lance enfin mon ordre :
— À table !
Les quatre chiens infernaux qui m'accompagnent s'élancent dans une course frénétique. Ils rattrapent la limace humaine en quelques foulées et se jettent sur elle. À tour de rôle, ils lui lacèrent les cuisses de coups de griffes pour l'affaiblir. Ils jouent vite fait à le ballotter entre eux, sans vergogne, à coups d'épaule ou de croupe. Le type marine tellement dans son effroi que l'odeur âcre de sa peur, de l'alcool et de sa pisse me prend à la gorge.
Je pousse un râle de dégoût.
Rapidement à court de patience, une des femelles lui saute dans le dos. Il trébuche et tombe en avant. L'autre chienne lui arrache un bras d'une seule morsure.
Les hurlements d'agonie de la bidoche sur pieds remplissent le voisinage. Des lumières commencent à s'allumer çà et là aux fenêtres des maisons du quartier.
De l'écume plein la gueule, je tourne en rond. Mes yeux rouge sang scrutent chaque carré de lumière, à la recherche d'une quelconque silhouette.
— Achevez-le j'ordonne, avant qu'un de ces abrutis d'humains ne commence à filmer par sa fenêtre.
Avec le développement d'internet et des réseaux sociaux, ce nouveau phénomène est devenu un fléau depuis quelques décennies. Et bien que les autres et moi-même soyons en mode ténèbres, invisibles aux yeux des humains lambdas, les coups qu'on porte durant nos attaques sont enregistrés par leurs foutues appareils. Les vidéos d'attaques fantômes sont particulièrement populaires et attirent une attention non désirée sur notre existence.
Mes comparses obéissent donc fissa. Nul besoin de s'y mettre à quatre pour déchiqueter le pauvre connard du soir. Mais plus on est de fous, mieux on s'amuse. Ses derniers hurlements se changent en gargouillis étranglés quand il se fait arracher la gorge.
Un voile de fumée noire s'échappe de son corps inerte ; l'âme promise à notre maître. Elle est aspirée au sol et s'évapore, arrivant sans doute à bon port avant que mes subordonnés ne finissent d'éventrer la carcasse.
— Beau travail, les gars. On traîne pas.