Je ne pouvais pas y croire. Comment cet homme pouvait-il me faire une telle proposition ? Je devais venir pour un entretien d’embauche, pas pour devenir la pute d’un goujat. Dans le bureau, ses compagnons s’étaient bien moqués de moi en voyant mon air incrédule. Néanmoins, ils ont vite perdu leur sourire mesquin lorsque j’ai commencé à crier et surtout quand je me suis échappée par la mauvaise porte. Quand j’étais arrivée, quelques minutes auparavant, on m’avait escorté jusqu’à la salle et je n’avais pas prêté attention au chemin emprunté. Alors, au moment où je me retrouvais face à deux hommes à l’allure sévère assis face à face dans des canapés de cuir, je compris que je m’étais trompée de sortie. Mais, je n’allais pas faire demi-tour et prouver à ces hommes que je pouvais rentrer la queue entre les jambes à la moindre contrariété. Ainsi, pour marquer le coup, je criais en direction du goujat que c’était inadmissible qu’un tel comportement ait lieu dans une compagnie comme celle-ci. Il répondit d’un air hautain que c’était la procédure et que si j’étais mécontente, je pouvais aller me faire voir. J’avais fait ce petit numéro exprès face aux deux individus, en raison de leur posture, je me doutais que l’un d’eux avait une place élevée dans l’entreprise. Enfin, je m’excusais auprès des deux colosses pour avoir interrompu leur discussion et je partis en direction de ce qui me semblait être la porte de sortie. Finalement, il s’agissait d’un ascenseur, mais cela était parfait, car je pourrais atteindre l’extérieur sans détours. Alors que j’attendais qu’il arrive à mon niveau, j’entendais le spécimen qui m’avait fait une proposition indécente comme s’il était le roi du monde, demander pardon platement. L’employeur ordonna à ses agents de venir me chercher. Cependant, il était trop tard, j’étais déjà dans le sas et je voyais les trois hommes de main courir vers moi jusqu’à ce qu’ils disparaissent en faveur des portes métalliques.
Alors que je profitais de ma victoire dans le hall d’entrée, je fus coupée dans mon élan par deux personnes en costume qui mesuraient presque deux mètres. Ils m’agrippèrent par les aisselles, et me soulevèrent de quelques centimètres du sol. Je leur donnais des coups de pied qui ne touchaient que trop rarement leur cible. Néanmoins, lorsque mes docs semi-coquées impactèrent le tibia de l’un des géants, ce dernier gémit de douleur. Cependant, cela ne fut pas suffisant pour le mettre à terre et ils m’emmenèrent dans le bureau de l’homme que je venais de quitter en furie. Il m’ordonnait de me calmer, toujours avec cet air mesquin, ce qui ne faisait que m’énerver davantage. Tandis que je voyais rouge en l’appelant par des noms d’oiseaux, il m’interrompit pour m’annoncer que la contrepartie sexuelle qu’il demandait était annulée sans perdre les avantages qu’elle m’aurait apportés. Cela revenait à m’accorder un salaire quinze pour cent plus élevé gratuitement. Je ne savais pas ce qui avait été dit pendant ma courte absence, mais l’homme semblait prêt à tout pour que je travaille ici et surtout que je ne lui colle pas un procès sur le dos. Après quelques minutes de réflexion, j’acceptais son offre sans pour autant lui promettre qu’il n’y aurait pas de conséquences à ses actes. Ainsi, je devins agent de maintenance informatique pour la société d’Art & Co.
Sur le chemin de retour, je me sentis soulagée, comme allégée d’un poids qui me minait le moral depuis quelques mois. Grâce à ce salaire bien trop élevé, je pourrais enfin partir de ce quartier et notamment de cet appartement. D’un point de vue objectif, j’aimais mon lieu de vie, mais les souvenirs de mon ex étaient trop fort en ce lieu. De plus, c’était sans compter sur son manque de respect. En effet, Sasha n’avait jamais accepté notre rupture, au point de me suivre dès que je posais un pied en dehors de mon studio. Ce soir-là ne fit pas exception à la règle et je retrouvais Sasha adossé à ma porte d’entrée qui donnait directement sur la rue. Alors que j’allais pour l’ignorer comme toujours, je remarquais des silhouettes non loin de nous s’approcher. Le cœur battant la chamade, j’avançais rapidement et sortais mes clefs, je préférais devoir le bousculer que de risquer une confrontation avec des voyous. J’ai aimé cet homme durant deux années, mais il n’a jamais été capable de me protéger. Une main sur la poignée, je sentis son bras m’agripper pour me pousser. De tout son corps, il me barra la route et au lieu de me supplier comme à son habitude, il me menaça. Peut-être était-ce une des étapes du deuil, je me rappelais avoir lu que la colère en faisait partie. Néanmoins, je ne me souvenais pas que la violence physique était une des étapes. Le groupe de voyous s’approcha et je découvris qu’ils étaient tous armés de tige de métal ou encore de couteau. Je regardais Sasha, avec un dernier espoir qu’il pourrait être utile dans ce combat, mais l’air vorace plaqué sur son visage me fit frissonner. Il n’avait pas peur d’eux, il était avec eux.
— Salut Eve, dit-il calmement.
— Qu’est-ce que tu fous ?
— Je te laisse une ultime chance mon cœur, c’est tout. Tu vois, je commence à en avoir marre de ton attitude. Je pense que j’ai assez payé comme ça, maintenant, il est temps que tu reviennes avec moi.
— Pour la énième fois, je ne retournerais pas avec toi. Jamais. Donc, passe à autre chose, répondis-je fermement.
— Je suis prêt à tout pour que tu acceptes.
— Même me menacer physiquement ? dis-je en montrant les hommes autour de nous d’un mouvement circulaire.
— S’il le faut. Mais, je n’ai pas envie d’en arriver là, alors sort à nouveau avec moi s’il te plait, répliqua-t-il doucement.
Je ne répondis rien à cette supplication. Il était allé trop loin. J’avais enduré calmement tous ces mois où il avait insisté encore et encore, mais vouloir me faire du mal, c’était trop. Je pris mes jambes à mon cou. Néanmoins, au premier virage, je me retrouvais face à un second groupe de personnes qui m’attendait patiemment, sourire et clope aux lèvres. J’étais cernée, je n’avais pas d’autres choix que de me battre du mieux que je pouvais. J’encaissais les coups et j’en rendais quelques-uns. Soudain, j’éprouvai une vive douleur derrière mes genoux qui me fit tomber à terre. Dans cette position, j’étais plus que vulnérable et les voyous en profitèrent pour me rouer de coups de pied. Je devais m’enfuir sinon j’allais au mieux mourir, au pire être kidnappée par mon ex. J’avais mal partout, ma respiration était saccadée et ma vision était trouble, mais il fallait que je parte tout de suite. Je rampais au sol et au moment où j’entendis la voix d’un homme rire de mon état, je rassemblais toutes mes forces et je me relevais. Ils eurent une seconde de choc qui fut suffisante pour me permettre de courir. Le plus loin et le plus vite possible. Je ne savais pas où j’allais, mais j’y allais. Tout était mieux qu’auprès d’eux. Mes poumons me brulaient, ma bouche était imprégnée d’un goût ferreux. Je n’étais plus qu’un être de douleur, mais j’étais soulagée. Je m’étais caché entre deux poubelles dans une ruelle. J’avais attendu plusieurs heures où j’avais écouté à l’affut du moindre bruit. Je les avais semés, j’étais hors de porter de ces brutes sauvages et de mon ex qui avait contemplé toute la scène.
Je ne pouvais pas rentrer chez moi, c’était sûr qu’ils y étaient à guetter mon retour. Alors, je me dirigeais en boitant vers une supérette ouverte jour comme nuit, le visage tuméfié enfouit dans ma capuche. Je n’avais pas faim à cause de la douleur de mon estomac après les coups subits, mais je savais que boire quelque chose de sucré me ferait du bien. Ainsi, j’achetais une limonade et ignorai l’air à moitié apeuré, à moitié dégouté du caissier. Assise sur une chaise en plastique blanc placé à l’extérieur, je profitais de la fraicheur de la pluie qui était tombée à la minute où j’étais entrée dans cette épicerie. Mon sang se mélangeait à l’eau et mes ecchymoses s’apaisaient. J’allais passer la nuit sur cette chaise à attendre de pouvoir bouger à nouveau sans avoir l’impression de mourir à chaque pas.