Ma bouche entrouverte.
Mes bras croisés, sans savoir pourquoi.
Et ce feu dans ma poitrine.
Il était beau.
Pas "beau" comme dans les livres.
Beau comme un cri. Comme une vérité.
Kay termina par un dernier mouvement, un appui au sol, puis un redressement lent, presque théâtral. Il planta ses yeux dans les miens.
— Convaincue ?
Je pris une seconde pour retrouver ma voix.
— C’est… impressionnant.
Il s’approcha, reprenant son souffle.
— Maintenant à ton tour.
— Pardon ?
Il attrapa ma main et me tira doucement vers le centre de la pièce.
— Tu vas essayer. Rien de complexe. Je te montre quelques bases.
— Je suis en chaussons, protestai-je.
— T’enlèves tes chaussons, répondit-il.
Il dit ça comme si c’était la chose la plus simple au monde.
Je roulai des yeux, mais obéis. Pieds nus, la sensation du sol contre mes orteils me donna une drôle de sensation. Moins de contrôle. Plus de vérité.
Kay recula un peu.
— Ok. Regarde. C’est simple. On va commencer par un bounce. Tu plies légèrement les genoux, tu relâches les épaules, et tu laisses ton corps descendre au rythme.
Il me montra.
Je tentai.
C’était… bizarre.
Je n’avais pas l’habitude de me relâcher ainsi.
Mon corps voulait se tenir droit. Il cherchait la ligne. Le contrôle. La grâce.
Mais le hip-hop demandait autre chose.
L’abandon. Le ressenti.
— C’est comme si tu laissais tomber ton masque, murmura-t-il.
— Là, tu joues encore un rôle. Lâche-le.
Je croisai son regard.
Et dans ses yeux, je vis quelque chose de doux.
De vrai.
Qui ne jugeait pas.
Je pris une inspiration. Et je recommençai.
Cette fois, un peu plus relâchée.
— Voilà, souffla-t-il. Là tu danses.
Il s’approcha, lentement. Sa main effleura mon bras, me guidant dans un mouvement plus fluide, plus souple. Je sentis son souffle, à peine à quelques centimètres.
Je tournai doucement la tête, comme attirée malgré moi.
Et là, je réalisai à quel point il était proche.
Ses yeux plongeaient dans les miens, comme s’ils lisaient mes hésitations.
Comme s’ils savaient. Tout.
Il ne souriait pas.
Il ne parlait pas.
Il me regardait.
Et il se rapprocha.
Juste un peu.
Nos visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.
Je sentais son souffle effleurer mes lèvres.
Mes doigts, sans le vouloir, s’accrochaient au bas de son t-shirt.
Mes paupières battirent une seconde trop lentement.
Tout dans mon corps criait recule.
Et tout dans mon cœur murmurait reste.
Il s’arrêta.
À une inspiration de moi.
Je sentis ses mains toujours posées contre mes hanches.
Il me tenait comme si j’étais fragile, mais qu’il refusait de me lâcher.
Et puis…
— OOOOH NON MAIS ATTENDEZ, JE RÊVE OU VOUS ALLIEZ VOUS EMBRASSER ?!
La voix de Lou explosa dans la salle comme un feu d’artifice mal placé.
Je sursautai violemment et fis un bond en arrière, manquant de trébucher sur mes chaussons abandonnés.
Kay recula lui aussi, clignant des yeux, pris en flagrant délit de quelque chose qui n’était pas censé arriver.
— Lou... sérieusement ! grognai-je, rouge écarlate.
Elle tenait la porte grande ouverte, Maë juste derrière, bouche grande ouverte de surprise, et Léo, qui leva les mains avec un air innocent.
— Je jure qu’on voulait juste voir si vous étiez encore là, dit-il, amusé.
— Mais franchement, on tombe bien.
Maë éclata de rire.
— On aurait dû filmer. C'était comme dans les séries Netflix : ralenti, regards intenses, et bim, presque le bisou...
Je ne savais plus où me mettre. Mon cœur tapait si fort que j’avais l’impression que tout le studio l’entendait.
Kay, lui, passa une main dans ses cheveux et détourna légèrement la tête, un demi-sourire en coin.
Pas moqueur.
Plutôt… troublé, lui aussi.
— Vous avez un sens du timing exceptionnel, souffla-t-il, sans réussir à paraître indifférent.
Lou se rapprocha de moi, hilare.
— Tu m’expliqueras ça ce soir, princesse. Je veux tout.
Je lui lançai un regard noir, mais je sentais encore la chaleur dans mes joues, les traces invisibles de ses mains sur mes hanches, et surtout… le souffle de Kay, juste là, là où nos lèvres avaient presque...
Non. Stop. Ne pas y penser. Ne pas revivre ce frisson étrange qui refusait de partir.
Léo leva les bras au ciel avec un air désespéré, cassant l’ambiance d’un ton exagérément dramatique :
— Et notre soirée entre potes, hein ?!
— On devait la faire dans votre chambre, les filles. Me dites pas que vous avez tout oublié…
Lou tapa dans ses mains, comme si l’information venait de réapparaître par miracle dans sa tête.
— Ah mais ouiii ! C’est vrai !
— Je suis sincèrement désolée... intervint Maë, qui s’était un peu reculée, son sac déjà sur l’épaule.
— Mais je vais pas pouvoir me joindre à vous ce soir.
Kay, qui avait l’air d’avoir retrouvé son calme, la regarda, un peu surpris par l’annonce.
— Pourquoi ? demanda-t-il, sincèrement curieux.
Maë soupira et leva les yeux au ciel.
— Je vous rappelle que je ne suis pas dans la même classe que vous. À part les cours de pas de deux, on se croise à peine.
— Et demain matin, j’ai un contrôle de maths. Et pas un petit. Un bien relou. Donc je dois vraiment bosser.
Lou fit une petite moue triste, puis s’approcha pour la serrer fort contre elle.
— T’es sûre que tu veux pas juste passer une heure ? Même pas un cookie ou un câlin ?
Maë sourit.
— Non, mais envoyez-moi des photos. Et surtout… ne mangez pas tout le pop-corn.
Lou se sépara d’elle à contrecœur, puis se tourna vers moi avec un air sérieux et déterminé, m’attrapant par le bras comme une mission urgente.
— Bon, les garçons, on va aller faire des courses avec Elina. Parce que si vous voulez une bonne soirée, il faut ce qu’il faut. Donc... à plus !
Elle se tourna vers Kay et Léo, leur pointant du doigt :
— 19h30. Devant notre chambre. Pas une minute de retard, sinon c’est pizza froide et spoil de film garanti.
Avant de sortir, je me retournai machinalement. Kay était encore là, bras croisés, adossé à la porte du studio.
Il me regardait.
Avec ce sourire en coin, moitié moqueur, moitié doux, celui qui disait sans parler :
J’ai hâte de te revoir.
Et moi…
Je crois que j’avais hâte aussi.