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Nikkihlous

Chapter 3

C'était une belle après-midi ensoleillée dans le jardin d'Anastasia, où des guirlandes colorées pendaient entre les arbres, et où les ballons flottaient paresseusement, portés par la brise légère. Une longue table en bois, dressée au centre du jardin, était recouverte d'une nappe à motifs d'animaux, parsemée d'assiettes en carton, de gobelets jetables et d'un bouquet de fleurs fraîches, cueillies à la hâte. Les rires des enfants éclataient dans l'air, résonnant comme des éclats de bonheur pur. Théo, vêtu d'un t-shirt aux couleurs vives, imprimé d'un super-héros, courait autour du jardin avec ses amis, un pistolet à eau dans les mains. À chaque éclat de rire, il aspergeait joyeusement ses camarades, les éclaboussant de jets d'eau dans un ballet d'amusement.

À quelques pas, un groupe de mamans s'était formé sous l'ombre d'un coin de terrasse, sirotant des verres de thé glacé. Anastasia se trouvait parmi elles, son sourire chaleureux masquant une fatigue palpable. Elle portait une robe d'été blanche, simple mais élégante, et ses cheveux roux étaient relevés en un chignon soigné, quelques mèches échappées encadrant doucement son visage. Ses grands yeux expressifs balayaient discrètement la scène, oscillant entre l'animation joyeuse autour de la table et les visages des femmes qui l'entouraient.

Marika, une femme à la chevelure blonde impeccable et aux lunettes de soleil perchées sur la tête, se pencha en avant, baissant la voix pour ajouter une touche de mystère à son récit.

— Vous avez entendu ce qui s'est passé la semaine dernière près du parc ? Une autre histoire de drogue. Deux jeunes arrêtés avec des sachets pleins de je ne sais quoi. C'est effrayant de se dire que ça arrive si près de chez nous.

Une autre maman, plus âgée, croisa les bras en secouant la tête.

— Oui, tout cela devient de plus en plus courant. Et dire qu'on pensait que notre quartier était à l'abri de ce genre de choses... Surtout après ce qui est arrivé à ce pauvre homme, il y a quelques mois.

Anastasia releva légèrement la tête, ses doigts toujours crispés autour de son verre glacé.

— Quel homme ? demanda-t-elle, feignant la curiosité anodine.

Marika hocha la tête avec gravité, ses yeux bleus s'élargissant pour renforcer l'effet dramatique.

— Tu te souviens d'Henri Moreau ? Il habitait juste derrière chez les Anderson. Un deal qui a mal tourné, apparemment. Ils ont retrouvé son corps près de la vieille usine désaffectée, poursuivit-elle en chuchotant presque.

— Mon Dieu... souffla une autre maman, sa main couvrant sa bouche. Je n'avais jamais réalisé que c'était lié à la drogue.

— Oui, murmura Marika. La police est restée discrète, mais mon mari a entendu dire qu'il s'agissait d'un règlement de comptes. Rien d'officiel, bien sûr, mais tout le monde sait comment ça se passe...

Anastasia sentit son cœur s'accélérer, mais elle garda son visage impassible. Sous la table, ses ongles s'enfonçaient dans sa paume. Elle repensait à la soirée de la veille, à cet homme à la voix tranchante comme une lame, à ses paroles empoisonnées. Matthew devait de l'argent à un dealer, et maintenant, elle entendait parler de mort, de règlements de comptes.

— C'est tellement injuste, reprit la troisième maman. On a toujours pensé que notre quartier était sûr. Entre cette histoire de drogue, et maintenant Henri... On dirait que rien n'est plus pareil.

Anastasia sourit mécaniquement, ses mains tremblant légèrement lorsqu'elle servit une nouvelle tournée de thé glacé.

L'autre maman, plus discrète, sembla sentir la tension et détourna habilement la conversation :

— Ton gâteau a l'air délicieux, en tout cas. Tu l'as fait toi-même ?

Anastasia se força à offrir un sourire plus large, se raccrochant à cette bouée de normalité.

— Oui, hier. Théo voulait absolument un gâteau au chocolat, alors... j'ai fait ce que j'ai pu.

Les enfants, attirés par l'odeur sucrée du gâteau, se ruèrent autour de la table, impatients de goûter à la pâtisserie maison. La pâte moelleuse et le glaçage brillant scintillaient sous les rayons du soleil. Alors qu'ils chantaient à l'unisson « Joyeux anniversaire », Théo, les joues rouges de plaisir, souffla ses sept bougies sous les applaudissements enthousiastes de ses amis. Après avoir découpé et distribué des parts généreuses à chacun, il arriva enfin le moment tant attendu : l'ouverture des cadeaux. Les enfants s'assirent en cercle sur l'herbe, les genoux repliés, leurs yeux brillants d'impatience. Théo déballa frénétiquement ses paquets colorés : des jeux de société, des livres, une boîte de Lego. Puis, enfin, ce fut le tour du cadeau de sa maman.

— Celui-là, c'est de moi, murmura Anastasia, s'accroupissant près de lui, ses yeux emplis d'émotion.

Théo arracha le papier avec enthousiasme et poussa un cri de joie en découvrant une voiture télécommandée rouge vif. Il la leva en l'air, tel un trophée, et ses yeux brillaient de bonheur pur.

— Merci, maman ! Elle est trop cool ! s'exclama-t-il, déjà occupé à essayer de comprendre comment la faire fonctionner.

Le moment fut brisé par une voix qui s'éleva derrière Anastasia. Une des mamans s'approcha, son ton empreint de douceur mais aussi de curiosité.

— Et Théo... comment il gère tout ça ? Ca fait deux ans que Matthew est décédé, n'est-ce pas ?

Anastasia sentit son sourire s'effacer lentement, et elle se redressa, croisant les bras sur sa poitrine comme pour se protéger. Elle prit une profonde inspiration, son regard se posant sur Théo, absorbé par sa nouvelle voiture, ses rires emplissant l'air.

— Il est fort, murmura-t-elle après un silence. C'est difficile. Il en parle peu. Mais... il a ses moments. Une question par-ci, un souvenir qui resurgit. Je fais ce que je peux pour qu'il se sente entouré, pour qu'il sache qu'il est aimé.

Un silence respectueux s'installa parmi les femmes, interrompu seulement par les éclats de rire des enfants. L'une d'elles posa une main réconfortante sur l'épaule d'Anastasia.

— Tu fais de ton mieux, Anastasia. Et ça se voit. Théo est un petit garçon heureux.

Les discussions reprirent peu à peu, plus légères, mais Anastasia sentait, au fond d'elle, le poids de la journée. Le poids des souvenirs. Et, surtout, l'ombre de l'homme qui était venu frapper à sa porte la veille.

Le soleil déclinait lentement à l'horizon, baignant la pelouse encore jonchée de ballons et de gobelets en plastique dans une lumière dorée. Les mamans, légèrement fatiguées, rassemblaient leurs enfants, les aidant à enfiler leurs vestes et à ramasser les derniers cadeaux. Leurs rires s'estompaient doucement tandis qu'ils quittaient la fête d'anniversaire de Théo, laissant derrière eux une sensation de calme relatif.

Dans la cuisine, Anastasia s'affairait. Ses boucles rousses, relâchées autour de son visage, ondulaient légèrement, une mèche échappée caressant sa joue. Pendant ce temps, Théo jouait toujours dans le jardin, concentré sur sa voiture télécommandée qu'il faisait zigzaguer entre les restes de décorations. Soudain, la voix aiguë de Théo brisa le silence.

— Maman ! Tonton Andy est là !

Anastasia se redressa, fronçant légèrement les sourcils. Elle essuya ses mains sur un torchon, intriguée par cette visite inattendue. Lorsqu'elle s'approcha, elle aperçut Andy, adossé nonchalamment à la porte du jardin. Un frisson d'inquiétude parcourut son échine. C'était la dernière personne qu'elle s'attendait à voir ici, après le dealer. Andy, l'électron libre de la famille, le beau-frère qu'elle n'avait jamais su véritablement apprivoiser. Il portait une chemise à carreaux froissée, légèrement ouverte sur un t-shirt usé. Ses cheveux bruns, en bataille, encadraient son visage mal rasé, et son éternel sourire malicieux dégageait une étrange nonchalance. Il tenait une bière à la main, comme si cette apparition impromptue était la chose la plus normale au monde. Sa présence décalée ajoutait une touche de chaos, comme si tout pouvait basculer en un instant.

— Andrew ? Qu'est-ce que tu fais là ?

— Tu devineras jamais. Je rentre d'Inde ! lança-t-il avec son ton habituel, mi-sarcastique, mi-amical. J'ai raté la fête, mais il reste un bout de gâteau pour moi, non ?

La jeune femme soupira, à la fois exaspérée et amusée. Andy avait ce don de débarquer sans prévenir, mais, en ce moment, elle se surprenait à être presque soulagée de le voir.

Andy jeta un coup d'œil autour de lui, prenant une gorgée de sa bière, ses yeux clairs pétillant de cette curiosité insouciante qui le caractérisait. Son regard se posa sur les décorations d'anniversaire encore en place, les assiettes en carton abandonnées sur la table du jardin, et les restes du gâteau au chocolat à moitié écrasé dans son plat.

— Alors, c'était bien la fête ? Théo a aimé son cadeau ?

Anastasia hocha la tête, une lueur de douceur dans les yeux.

— Oui, il a adoré. Une voiture télécommandée. Il ne la lâche plus depuis ce matin. Je vais mettre Théo au lit. Viens, rentres.

Anastasia, après avoir couché Théo, avait rejoint son beau-frère dans la cuisine. Elle se tenait près de l'évier, une tasse de thé entre les mains. Andy était avachi sur une chaise, un coude appuyé contre la table. Il jouait distraitement avec une cuillère, la faisant tourner entre ses doigts. Son sourire, toujours ironique mais désormais empreint de tristesse, dissimulait mal la fatigue et le fardeau qui pesaient sur lui. Il avait ce charisme désinvolte, propre à ceux qui fuient leurs responsabilités, mais qui finissent par inspirer une étrange forme de sympathie.

— Alors, Andy... l'Inde, hein ? demanda Anastasia, brisant le silence.

Sa voix était douce, mais il y avait une pointe d'interrogation, presque inquiète.

Andy haussait les épaules, sirotant sa bière avant de répondre.

— L'Inde, c'était... intense. Sale, bruyant, mais beau. Je me suis retrouvé dans un ashram, tu sais, genre méditation, karma, et tout ce bazar spirituel. Ça m'a calmé, je crois... ou peut-être pas.

Il lâcha un rire nerveux, détournant les yeux comme pour cacher quelque chose. Anastasia le scrutait, sans jugement, mais attentive à chaque détail de son comportement.

— Et toi ? reprit-il enfin, posant son regard sur elle. Tu t'accroches, Anast ? Ça doit pas être facile avec tout ça...

Elle fronça légèrement les sourcils, comprenant qu'il parlait d'autre chose. Elle déposa sa tasse et, croisant les bras, répondit doucement.

— Ça n'a pas été facile.

Un silence lourd s'installa. Andy se redressa légèrement, son sourire disparaissant peu à peu. Il posa la bière sur la table, regardant dans le vide.

— Ouais... murmura-t-il finalement. J'étais à des milliers de kilomètres, à méditer sur la vie, pendant que... pendant qu'il disparaissait.

Il passa une main dans ses cheveux, visiblement mal à l'aise.

— Tu sais, j'ai pas eu le courage de revenir. Pas pour ça. Pas pour... affronter tout ce bordel.

Anastasia l'observait, son regard rempli d'une compassion silencieuse. Elle savait qu'Andy n'était pas un mauvais homme, juste un homme perdu, toujours en fuite.

— Il t'aimait. Il parlait toujours de toi comme de son grand frère un peu cinglé, mais il était fier de toi.

Ces mots semblèrent le frapper de plein fouet. Il détourna le regard, la mâchoire serrée, avant de se lever brusquement et de faire quelques pas dans la cuisine.

— Je sais... finit-il par murmurer. Mais c'est pas pareil. On ne peut défaire ce qui a été fait. Et j'avance, sans jamais m'arrêter pour regarder en arrière.

Elle s'approcha doucement, posant une main légère sur son bras.

— Parfois, Andy, il faut regarder en arrière. Pas pour s'y perdre, mais pour se souvenir.

Il la fixa un instant, son regard embué de larmes qu'il refusait de laisser couler. Puis il hocha la tête, un sourire triste sur les lèvres.

— Ouais. Peut-être que tu as raison. Peut-être que je devrais arrêter de courir, juste une fois.

Un silence s'installa, léger mais plein de sous-entendus. Andy jeta un coup d'œil autour de lui, puis retourna s'affaler sur la chaise, levant les yeux vers Anastasia.

— Et du coup, j'ai droit à la chambre d'ami ou c'est juste le canapé pour moi ? Parce que je vais rester quelques jours.

Anastasia haussa les sourcils, le fixant d'un air mi-sceptique, mi-amusé.

— Quelques jours ? Andy...

— Ouais, ouais, je sais, ça débarque comme un cheveu sur la soupe, tout moi. Mais je te jure, j'ai besoin d'un endroit où poser mon sac. Juste le temps de me remettre du décalage horaire et, qui sait, peut-être commencer à affronter le passé, tout ce bordel.

Elle soupira, croisant les bras. Andy n'était pas l'invité idéal, mais elle voyait bien qu'il était plus perdu qu'il ne voulait l'admettre.

— La chambre d'ami est en bazar.

— Va pour le canapé, alors. Mais si tu te sens d'humeur à ranger, je suis pas contre un upgrade.

Elle roula des yeux, amusée malgré elle. Il avait ce don de la désarmer, de transformer le grave en léger, sans jamais vraiment fuir totalement.

— Fais comme chez toi.

— T'inquiète, c'est déjà le cas.

Et sur ces mots, il s'enfonça un peu plus dans la chaise, un sourire satisfait aux lèvres.

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