La chambre de Théo baignait dans une lumière douce, celle de la veilleuse en forme d'étoile qui projetait une lueur tamisée, à peine suffisante pour éclairer les ombres dansantes sur les murs. Anastasia s'approcha lentement de son fils, dont le visage serein semblait apaisé, malgré la question qu'il répétait chaque soir avant de s'endormir. Elle s'agenouilla près de lui, ses traits marqués par la fatigue mais empreints d'une tendresse infinie. Il était roulé en boule sous ses couvertures, serrant contre lui une peluche dinosaure, son souffle calme, mais son cœur, lui, agité par cette interrogation persistante.
Alors qu'elle s'apprêtait à lui déposer un baiser sur le front, il ouvrit les yeux, une lueur d'incertitude dans son regard.
— Maman...
Sa voix, douce mais pleine de doute, la toucha immédiatement.
— Tu crois qu'il m'aime toujours, papa ?
Anastasia s'assit doucement sur le bord du lit, son cœur se serrant à l'idée de la douleur innocente que portait son fils. Elle prit sa petite main fragile dans la sienne, son contact demandant encore toute la chaleur d'un réconfort maternel. Un instant, elle chercha les mots justes, ceux qui protégeraient la sensibilité de Théo tout en répondant à sa question. Comment expliquer la perte à un enfant de presque sept ans, alors qu'elle-même peinait à comprendre l'absence qui l'étouffait chaque jour un peu plus ?
— Oui, mon poussin, répondit-elle, sa voix légèrement tremblante mais pleine de certitude. Papa t'aime toujours, très fort. Il te regarde, même si tu ne peux pas le voir. Il sera toujours là, dans ton cœur et dans tes souvenirs.
Elle serra sa petite main dans la sienne, cherchant à lui transmettre un peu de la chaleur et du réconfort qu'elle peinait à se donner à elle-même. Théo la fixa intensément, ses grands yeux pleins de questions.
— Mais pourquoi il est parti, maman ? Pourquoi il n'est plus là ?
Cette question, simple mais dévastatrice, fit écho dans l'esprit d'Anastasia, ravivant des souvenirs douloureux et des interrogations sans réponse. Comment expliquer à son fils que son père, l'homme qu'ils avaient aimé, les avait quittés trop tôt, dans des circonstances qu'il ne pourrait pas comprendre à son âge ?
Elle prit une grande inspiration, cherchant à faire abstraction de la souffrance qui lui nouait la gorge.
— Parfois, les gens que l'on aime doivent partir, même si ce n'est pas juste, murmura-t-elle, la voix douce. Mais il t'a laissé tout son amour. Cet amour est toujours là, dans tout ce que tu fais, dans ton sourire, ta gentillesse. C'est ce qui reste.
Elle effleura doucement son visage, ses doigts glissant sur sa peau encore si tendre. Un instant, elle ferma les yeux, ressentant la même douleur, la même absence. L'homme qu'elle avait aimé lui manquait terriblement. Chaque jour sans lui était une épreuve, mais pour Théo, elle devait rester forte. Elle devait trouver les mots pour lui offrir un peu de certitude, même si, à l'intérieur, tout lui échappait.
— Tu te souviens de tous ces moments que vous avez passés ensemble ? Des câlins, des histoires, des jeux dans le jardin ? lui demanda-t-elle, cherchant à raviver les souvenirs heureux.
— Oui, je me souviens, répondit Théo, un éclat de lumière dans ses yeux. Il me disait toujours que j'étais son petit héros.
Il serra son dinosaure contre lui, comme pour se rassurer dans ce souvenir précieux.
Anastasia esquissa un sourire doux, une larme perlant au coin de son œil.
— Tu es toujours son héros, Théo. Toujours. Il serait tellement fier de toi. Et tu peux être fier de lui aussi.
Elle lui déposa un baiser sur le front, sa voix emplit de tendresse.
— Il t'aime, et il t'aimera toujours. Il est là, dans ton cœur, chaque fois que tu penses à lui.
Elle se leva, se dirigeant vers la porte. Le murmure de leur conversation résonnait en elle, une mélodie douce-amère, alliant tendresse et douleur. Avant de quitter la chambre, elle jeta un dernier regard à Théo, déjà à moitié endormi, son dinosaure serré contre lui. La veilleuse projetait des étoiles sur le plafond, comme un ciel miniature qui veillait sur lui.
Dans le couloir, Anastasia s'arrêta un instant, appuyée contre le mur. Elle ferma les yeux, sentant le poids de la journée et de ses émotions l'envahir.
Anastasia était confortablement installée sur le canapé, prête à se détendre avec une série, lorsque la sonnerie de la porte la fit sursauter. Elle leva les yeux vers l'horloge murale : il était presque neuf heures, bien trop tard pour une visite impromptue. En se dirigeant vers la porte, elle jeta un coup d'œil à travers le judas et aperçut la silhouette familière de Evelyn. Un soupir d'agacement lui échappa.
Evelyn, cette voisine qu'Anastasia n'avait jamais vraiment appréciée. Toujours un sourire un peu trop poli, toujours prête à se mêler de tout, à donner son avis sur la manière dont elle élevait Théo ou sur le moindre détail de sa vie. Anastasia se força à respirer profondément, se préparant à affronter l'inévitable.
Elle ouvrit la porte, affichant un sourire qui se voulait cordial, mais qui manquait de chaleur.
— Bonsoir, dit-elle, en réprimant l'irritation qui commençait à monter en elle.
Evelyn se tenait droite, un air faussement concerné sur le visage, les bras croisés comme si elle s'apprêtait à livrer un sermon.
— Bonsoir, Anastasia. Je voulais juste te prévenir que Lucas ne pourra pas venir à l'anniversaire de Théo demain.
Le ton était légèrement condescendant, comme si elle annonçait une grande tragédie et s'attendait à ce qu'Anastasia lui soit reconnaissante pour cette révélation.
Anastasia fronça les sourcils, surprise par cette annonce soudaine.
— Je vois... Pourquoi ? Je pensais que tout allait bien entre les enfants, expliqua-t-elle, en essayant de cacher son agacement.
Evelyn leva les yeux au ciel d'un air dramatique avant de soupirer.
— Eh bien, Lucas est malade. Un bon gros rhume. Fièvre, nez qui coule, une vraie fontaine. Tu sais, ce genre de maladie où tu passes la nuit à essuyer des fluides corporels et à prier pour qu'il ne vomisse pas sur le canapé.
Elle planta son regard dans celui d'Anastasia, plissant les lèvres comme si elle s'attendait à ce que cette information la fasse chanceler.
— Ah, je vois... Eh bien, reposez-vous bien, alors, répondit Anastasia avec une neutralité feinte.
Mais Evelyn, comme toujours, n'en resta pas là.
— Honnêtement, ça ne m'étonne pas trop. La moitié des gosses de l'école sont malades, et l'autre moitié est probablement en incubation. Mais bon, j'imagine que l'idée d'annuler l'anniversaire ne t'a même pas effleurée, hein ?
Anastasia arqua un sourcil, la patience s'effritant légèrement.
— Annuler ? Pour un rhume ? Evelyn, les enfants tombent malades, c'est la vie.
Evelyn secoua la tête avec un sourire pincé.
— Ah, tu es de ces mamans qui pensent que le système immunitaire, c'est une affaire de destin. Moi, je dis juste qu'un anniversaire bourré d'enfants surexcités, de ballons couverts de bave et de gâteaux plein de postillons, c'est une épidémie en devenir. Mais bon, chacun sa vision de la parentalité.
Anastasia croisa les bras, déterminée à ne pas se laisser entraîner dans cette discussion sans fin. Mais c'est alors qu'Evelyn dégaina son coup de grâce.
— D'ailleurs, en parlant de santé... Je pense malgré tout que ton fils devrait voir un psychiatre.
Le cœur d'Anastasia se serra, et une vague de colère froide lui parcourut l'échine. Evelyn n'avait-elle donc jamais compris que chaque remarque qu'elle faisait sur sa vie était une intrusion de trop ?
— Théo va bien, répondit-elle d'un ton posé mais ferme. Je gère très bien la situation, merci. Et je n'ai pas besoin de conseils sur la manière d'élever mon fils.
Evelyn haussa les sourcils, faussement innocente.
— Oh, mais je ne dis pas ça méchamment ! Juste... Tu sais comment sont les enfants, parfois. Un petit rendez-vous, ça ne fait jamais de mal. Par précaution. Tu sais, pour éviter les... complications futures.
Elle accompagna sa phrase d'un sourire compatissant, celui qui donnait envie de frapper un coussin jusqu'à ce qu'il implose.
Anastasia inspira profondément, se forçant à rester calme.
— Merci pour l'info, répondit-elle en réprimant un soupir. Je ferai de mon mieux pour en tenir compte.
Avant qu'Evelyn n'ait le temps de répondre, Anastasia fit un pas en arrière et referma doucement la porte, mettant un terme définitif à cette conversation.
Elle se tourna vers la pièce, un léger soulagement la traversant, mais aussi une colère latente. Pourquoi fallait-il toujours que quelqu'un vienne juger son quotidien, ses choix, sa manière de faire face à tout ce qui lui arrivait ?
Elle se laissa tomber dans le canapé, un soupir échappant de ses lèvres.
— Matt, tu me manques tellement, se chuchota-t-elle à elle-même.
Lorsque Matthew était décédé, il avait laissé à Anastasia et Théo une petite somme d'argent pour les aider à survivre après l'accident. Les médecins avaient conclu à une crise cardiaque, mais pour Anastasia, la perte était bien plus qu'un simple drame médical. La jeune femme vivait désormais avec cette somme qui fondait comme neige au soleil, et elle devenait de plus en plus vigilante à chaque dépense. Elle se retrouvait à collectionner des bons de réduction, à faire des sacrifices là où elle le pouvait, pour faire durer l'argent le plus longtemps possible.
Une larme perla au coin de ses yeux, et d'un geste automatique, elle l'essuya d'un revers de la main. L'émotion la submergeait encore, à chaque instant, et c'était difficile de ne pas se laisser engloutir par cette lourdeur. Elle se leva lentement, inspirant profondément, puis se dirigea vers la buanderie. L'ampoule au plafond vacilla un instant avant de s'allumer, baignant la pièce dans une lumière tamisée. Elle s'approcha des étagères encombrées, déplaça quelques boîtes de conserves et attrapa un carton. C'était le cadeau d'anniversaire pour Théo, une voiture télécommandée qu'elle avait achetée en soldes, il y a quelques jours.
Elle déroula le papier d'emballage bleu, orné de petits oursons, et prit un bout de ficelle dorée qu'elle avait trouvé dans un tiroir. Chaque mouvement était empreint d'une lenteur presque rituelle, comme si chaque geste devait compenser la douleur qui la tenaillait. Elle emballa soigneusement le jouet, puis le reposa dans le carton, le repliant et le rangeant comme un dernier geste de tendresse pour son fils.
Après un instant de silence, Anastasia se dirigea vers le salon. Elle passa près du canapé, où les coussins étaient encore légèrement enfoncés, comme si elle n'avait jamais quitté la pièce. Ses yeux se posèrent un instant sur la porte vitrée menant au patio. Elle s'y rendit sans un mot, sans réfléchir, comme si l'air frais et l'obscurité l'avaient attirée sans qu'elle ne puisse en expliquer la raison.
Le patio était resté en l'état, un lieu de détente que Matthew aimait tant. Il avait l'habitude de préparer le barbecue pour leurs soirées d'été, mais depuis sa disparition, l'appareil était entreposé sous une bâche de protection, dans un coin. Elle n'avait jamais eu le courage de l'utiliser, comme si allumer ce barbecue aurait été une manière d'admettre qu'il n'était plus là. Ce simple objet devenait un symbole de tout ce qui lui manquait, de tout ce qu'elle n'arrivait pas encore à affronter.
L'air frais était plus doux ici, mais l'absence de Matthew la frappait encore plus intensément. La solitude l'envahissait, et les larmes recommencèrent à couler. Il n'y avait rien de plus simple, rien de plus lourd que cette sensation de vide.
Pourtant, cette sérénité apparente se trouvait brutalement brisée par la présence de l'homme qu'elle avait rencontré sur le parking. Appuyé nonchalamment contre la rambarde en bois, il paraissait à la fois détendu et menaçant. Ses bras croisés et son sourire en coin donnaient l'impression qu'il avait tout le contrôle. Ses yeux sombres, perçants, ne quittaient pas Anastasia, la clouant presque sur place.
Anastasia se tenait près de la table, agrippant nerveusement le bord d'une chaise. Son souffle court trahissait son anxiété, ses épaules étaient tendues comme si elle portait tout le poids de la situation. Son regard oscillait entre la peur et une forme de défi mal assuré. Elle n'était pas prête pour une telle confrontation, pas ce soir, pas maintenant. Pourtant, elle n'avait pas le choix.
Il brisa le silence, sa voix grave semblant résonner plus fort que la brise nocturne.
— Jolie maison, lança-t-il, un air vaguement amusé sur le visage. Dommage qu'elle puisse disparaître.
Ces quelques mots suffirent à faire naître une boule dans l'estomac d'Anastasia. Elle déglutit, incapable de répondre immédiatement, son esprit tentant de trouver une issue à ce qui ressemblait de plus en plus à un piège.
— Alors, Anastasia, on va en parler ou tu comptes continuer à me regarder comme si j'étais le croque-mitaine ? ajouta-t-il, un ton plus tranchant dans la voix.
Anastasia sentit une vague de chaleur lui envahir la poitrine, un mélange de peur et de colère qui balaya son hésitation. Ses doigts se crispèrent un peu plus sur le bois de la chaise, mais cette fois, ce n'était plus uniquement pour se rassurer. Elle relâcha lentement sa prise, redressant légèrement le menton, et inspira profondément.
— Si vous étiez vraiment le croque-mitaine, je pense que vous auriez déjà agi, répondit-elle d'une voix plus ferme qu'elle ne l'aurait cru possible. Alors, à moins que vous ne soyez là pour autre chose que proférer des menaces creuses, je vous conseille de parler clairement.
Un éclair de surprise traversa le visage de l'homme, ses yeux se plissant légèrement. Visiblement, il ne s'attendait pas à cette résistance. Anastasia en profita pour faire un pas sur le côté, s'éloignant un peu de lui.
— Oh, j'aime ça. Un peu de nerf, murmura-t-il en s'avançant de deux pas, son sourire s'élargissant. Mais tu sais, le courage mal placé peut être dangereux.
— Et l'arrogance aussi, répliqua-t-elle aussitôt.
Il se pas une main sur sa barbe naissante. Un silence s'installa, l'espace d'un instant, comme un duel tacite entre eux. Puis, elle planta son regard dans le sien et continua, plus assurée :
— Je ne sais pas pourquoi vous êtes là, mais si vous croyez m'intimider avec vos petits jeux, vous allez être déçu.
L'homme ne se démonta pas. Au contraire, son sourire s'étira, amusé par cette combativité qu'il ne s'attendait pas à trouver chez elle.
— Ton mari me doit de l'argent.
Ces mots étaient simples, mais leur implication tomba comme un couperet. Anastasia sentit le sol vaciller sous ses pieds. Son regard, incapable de soutenir le sien, se posa sur la table.
— Il est mort, murmura-t-elle finalement, comme si ces mots suffisaient à résoudre le problème.
Il ne montra pas la moindre surprise. Il haussa légèrement les épaules, feignant une réflexion, mais son regard restait acéré.
— Ouais, je sais qu'il est mort. Un vrai coup de chance pour lui, si tu veux mon avis. Mais son départ laisse un problème...
La brutalité de ses paroles la heurta de plein fouet. Elle ouvrit la bouche pour protester, mais il leva une main, l'interrompant sans effort.
— Et si tu crois que son décès efface tout, c'est que t'as pas compris comment le monde fonctionne.
Anastasia fronça les sourcils, le défi illuminant son regard.
— Matthew n'a jamais mentionné de dettes.
L'homme ricana, un son bas et sans joie.
— Bien sûr qu'il ne t'en a pas parlé. Matthew était un rêveur, pas un homme d'affaires, déclara-t-il, tout en faisant tourner lentement l'une de ses bagues autour de son doigt.
Ce geste répétitif, presque hypnotique, tranchait avec la dureté de ses paroles.
— Il y a deux ans, continua-t-il, Matthew est venu me voir pour un prêt. Il voulait monter une startup, quelque chose dans la tech. Il m'a promis des rendements mirobolants, des contrats juteux...
Il fit une pause, son regard s'assombrissant, mais ses doigts ne cessaient pas leur ballet nerveux autour de la bague.
— J'fais pas dans ce genre de business habituellement, je suis plus... disons, traditionnel. La came, les deals, ce genre de trucs. J'ai été assez stupide pour le croire, conclut-il, un sourire amer effleurant ses lèvres.
Il relâcha enfin l'anneau, croisant ses bras, son regard perçant se posant sur Anastasia.
Anastasia sentit son cœur se serrer, comme si une main invisible lui enserrait la poitrine. Elle se souvenait vaguement de ce projet dont Matthew lui avait parlé, un rêve un peu flou de startup dans la tech, mais jamais il n'avait mentionné un prêt, encore moins une dette. Et surtout, pas une dette qui attirerait l'attention d'un homme comme celui qu'elle avait en face d'elle.
— Combien ? demanda-t-elle d'un ton direct.
Il laissa échapper un sourire, clairement amusé.
— Assez pour que ça vaille la peine que je me déplace, répondit-il enfin, sa voix douce mais acérée comme une lame bien aiguisée.
— Je vous ai demandé combien, répéta-t-elle, sa voix plus forte. Je ne suis pas stupide, alors arrêtez de tourner autour du pot et dites-moi le montant exact.
Le dealer arqua un sourcil, un mélange d'amusement et de surprise se peignant sur son visage. Son attention était désormais entièrement focalisée sur elle.
— Tu te décides enfin à jouer le jeu ? susura-t-il, un sourire carnassier aux lèvres. Très bien. Cent mille dollars.
Le chiffre explosa dans l'air nocturne comme un coup de tonnerre. Anastasia sentit sa gorge se nouer.
— Cent mille ? répliqua-t-elle. Et vous pensez réellement que je peux sortir une telle somme de ma poche ?
Il haussa les épaules, l'air faussement désinvolte.
— C'est pas mon problème. Mais je te conseille de trouver une solution rapidement. Je ne suis pas du genre patient.
Anastasia sentit la rugosité des dalles sous ses pieds nus, un rappel brutal qu'elle était ancrée ici, dans cette réalité implacable. Pourtant, elle ne cilla pas. Au lieu de reculer, elle planta fermement ses pieds au sol, redressa les épaules et ancra son regard dans le sien, mais au moment où elle voulut prendre la parole, il reprit, indifférent:
— Il avait deux ans pour me rembourser. Mais maintenant qu'il est parti, c'est toi qui hérites de ce petit problème.
Un sourire ironique effleura les lèvres d'Anastasia. Elle refusait de se laisser intimider.
— Et si je refuse ?
Le sourire de l'homme s'étira, dévoilant un amusement teinté de menace.
— C'est mignon, ça. Mais tu sais, le problème avec le refus, c'est qu'il faut être en position de refuser. Et toi, chérie... t'es pas en position.
Ses doigts reprirent leur ballet autour de la bague, comme pour rappeler qu'il était celui qui faisait tourner la roue.
Anastasia raffermit sa posture. Un frisson de peur coula dans son dos, mais elle le transforma en quelque chose d'autre. Quelque chose de plus dangereux.
— Vous parlez comme si j'avais des options. Pourtant, c'est vous qui êtes ici, à essayer de me convaincre. Curieux, non ?
Il inclina légèrement la tête, un éclat moqueur dans le regard, comme s'il savourait chaque seconde de cet échange.
— J'aime bien. T'as du répondant. C'est rafraîchissant, lança-t-il en s'avançant d'un pas lent vers elle. Mais crois-moi, si tu penses que c'est toi qui tiens les cartes, va falloir revoir ton jeu.
Elle croisa les bras, affichant un calme de façade malgré le rythme effréné de son cœur.
— J'ai rien à donner, déclara-t-elle d'un ton plus ferme. L'argent de Matthew est parti, ma maison est sur le point de l'être aussi. Vous allez faire quoi ? Prendre l'air que je respire ?
Un rire rauque s'échappa de la gorge du dealer. Il secoua la tête et s'approcha encore, posant une main nonchalante sur le dossier d'une chaise.
— Rien ? répéta-t-il doucement, sa voix traînant légèrement sur la fin du mot. Tu vois, c'est là que tu te trompes. Tout le monde a quelque chose à donner. Faut juste trouver quoi.
Anastasia serra les poings, ses ongles s'enfonçant dans la paume de ses mains.
— Si j'avais quelque chose, je vous l'aurais donné, s'indigna-t-elle, ferme. Vous croyez vraiment que je me complairais dans cette situation si j'avais une solution ?
Il éclata de rire, sincèrement cette fois, un rire grave qui vibra dans l'air.
— Tu sais ce que j'aime chez toi ? fît-il remarquer soudainement en s'arrêtant juste devant elle, son ombre s'étirant sur le sol. Cette flamme, ce feu que tu essaies si fort d'étouffer. T'as beau être coincée, t'es pas brisée. Pas encore.
Un sourire fugace, teintée de mépris, effleura les lèvres d'Anastasia.
— C'est sûr que ce n'est pas vous qui allez me briser, riposta-t-elle sèchement.
— Oh, cette facette de toi rend les choses bien plus intéressantes, lâcha-t-il en mordillant l'intérieur de sa joue, un éclat malicieux dans le regard.
Anastasia ne baissa pas les yeux. Au contraire, elle fit un pas de côté, brisant la proximité qu'il imposait, sans pour autant reculer. Elle jaugea son interlocuteur comme il l'avait fait avec elle depuis son arrivée.
— Vous pensez vraiment que je vais avaler vos menaces sans broncher ? Que je vais me plier à votre petit jeu ? Vous êtes venu jusqu'ici en pensant m'intimider, mais tout ce que je vois, c'est un homme qui n'a rien d'autre qu'une dette impayée et un ego blessé.
Un rictus s'épanouit sur le visage de l'homme, une lueur dangereuse dans les yeux. Il ne s'agaçait pas. Il s'amusait. Et elle venait de lui donner une raison de prolonge le jeu.
— Ok, souffla-t-il, un sourire paresseux sur les lèvres. Disons que je te laisse une porte de sortie. Une solution. Mais t'es maligne, pas vrai ? T'as déjà compris laquelle.
Anastasia raffermit sa prise sur le bord de la table, ses doigts effleurant distraitement le bois rugueux, comme si ce simple contact pouvait l'ancrer dans l'instant.
— Allez-y. Dites-le clairement. Pas de sous-entendus, pas de détours.
Il s'approcha, son ombre s'allongeant sur les dalles de pierre, mais elle ne recula pas. Pas cette fois. Son souffle chaud effleura sa peau, mais elle ne bougea pas, son regard planté dans le sien, aussi inébranlable qu'une tempête.
— Je veux voir jusqu'où va cette flamme, murmura-t-il. Jusqu'où t'es prête à aller pour protéger ce qui te reste.
— Dites clairement ce que vous attendez de moi, répéta-t-elle. Arrêtez de tourner autour du pot.
Un silence épais s'abattit, chargé de tension. Puis, d'un geste lent et délibéré, il se redressa, reculant d'un pas sans la lâcher du regard. Il la scrutait, traquant la moindre fissure. Mais rien. Pas la moindre faille. Et ça, ça le rendait encore plus curieux.
— Tu bosses pour moi. Un petit arrangement, histoire que tout le monde reparte gagnant. Moi, je récupère mon fric, et toi, tu gardes ton petit monde intact.
Elle croisa les bras, laissant un silence s'installer avant de répondre.
— Et si je dis non ?
Il laissa l'instant s'étirer, puis, avec une nonchalance étudiée, il enfouit ses mains dans les poches de sa bombers noir, un sourire indéchiffrable flottant sur son visage. Ses mots tombèrent, légers en apparence, mais chargés d'une inévitable certitude.
— Alors, chérie, si tu dis non, t'auras plus rien. Plus de maison, plus de tranquillité... et peut-être même plus de temps pour réfléchir.
— Comment je sais que vous dites la vérité ? balança-t-elle en serrant les bras autour d'elle.
Son sourire vacilla à peine, mais son assurance, elle, resta intacte.
— Tu me traites de mytho, c'est ça ?
Il claqua sa langue contre son palais, secouant légèrement la tête, amusé.
— Fais gaffe, parce que si y'a un truc que j'aime pas, c'est qu'on doute de ma parole. Et les derniers qui l'ont fait...
Il roula les épaules, détendant ses muscles.
— Disons qu'ils sont plus vraiment en état d'avoir une opinion ?
Son ton était calme, posé. Mais il y avait cette tension sous-jacente, ce petit fil tendu qui menaçait de lâcher.
— Je dis juste que les belles paroles, c'est gratuit. Moi, ce qui m'intéresse, c'est ce qui tient la route, siffla-t-elle, la mâchoire crispée, tentant de masquer la peur qui lui nouait le ventre.
Il plissa des yeux puis expira, en tapotant doucement son index contre sa tempe, comme s'il réfléchissait à quelque chose de tordu.
— T'as besoin d'être sûre, hein ?
Sa langue passa sur ses dents alors qu'il hochait la tête lentement, comme s'il évaluait la situation sous un nouvel angle.
— Si je voulais t'arnaquer, tu serais même pas en train de poser la question. Mais ok. T'auras ta preuve. À ma façon.
Il la scruta comme s'il savourait déjà son prochain coup.
— Et en attendant, vas falloir que tu commences à bosser.
Anastasia soutint son regard, ancrant ses pieds dans le sol comme si elle traçait une ligne invisible qu'il ne devait pas franchir.
— Très bien, articula-t-elle enfin, chaque mot pesant comme un coup de marteau. Mais je veux que ce soit clair. Pas de tours, pas de pièges. Je paye, et après, vous disparaissez de ma vie.
Le dealer leva les mains, faussement innocent, un sourire indéchiffrable aux lèvres.
— J'adore quand on parle affaire, murmura-t-il, comme s'il savourait la tension entre eux.
Il s'approcha à nouveau d'elle, réduisant l'espace, son visage à quelques centimètres du sien. Son regard glissa sur elle, trop longtemps, pas pour la menacer, mais pour jouer. Pour tester. Anastasia ne bougea pas, et ça l'amusa encore plus.
— Tu sais, ce masque de dure à cuire... il te va bien. Mais je suis pas con. Je vois ce qui se passe derrière tes yeux. Le doute. L'instinct qui te hurle de reculer. La peur.
Il pencha légèrement la tête, étudiant chaque réaction.
— Et la peur chérie...ça finit toujours par faire faire des conneries.
Anastasia redressa le menton, le défi brillant dans son regard.
— Arrêtez de m'appeler « chérie », je suis Anastasia.
L'homme marqua un temps, une lueur d'amusement traversant son regard. Puis il se fendit d'un sourire, lent, presque déconcertant dans sa douceur.
— D'accord, Anastasia Wells. Si on en est aux présentations officielles... Moi, c'est Manny.
Il laissa flotter son prénom dans l'air, comme s'il attendait qu'elle le goûte, qu'elle en saisisse chaque nuance. Puis, aussi soudainement, son expression changea. Le sourire demeurait, mais son ton se fit plus direct, plus tranchant.
— Donne-moi ton téléphone.
Anastasia plissa les yeux, un mélange de méfiance et de défi dans son regard. Son instinct lui soufflait de refuser, mais elle savait que lui dire non serait une erreur. Une de celles qui ne laissent pas de seconde chance. Pourtant, elle maintint le cap.
— Vois avez un problème avec le vôtre ?
Manny éclata d'un rire bas, un rire qui vibra entre eux. Il passa une main sur sa mâchoire, l'air d'apprécier le jeu.
— Tu sais quoi ? T'es marrante. Mais on sait tous les deux que t'as pas le luxe de jouer avec moi.
Il tendit la main, paume ouverte, son sourire toujours là, tranquille, patient. Mais il y avait autre chose derrière. Une ombre, une menace silencieuse.
— Allez, Anastasia... donne-moi ton putain de téléphone.
Un silence tendu s'étira entre eux. Elle le fixait toujours, son cœur battant plus vite, mais son visage impassible. Lentement, elle sortit son téléphone de la poche arrière de son jean, le tenant quelques secondes de plus qu'il ne le fallait avant de le lui tendre.
Manny attrapa l'appareil d'un geste fluide, ses doigts effleurant les siens avec une nonchalance calculée. Un frisson glacé lui traversa l'échine. Ce type contrôlait tout, même les détails les plus insignifiants.
— Bien, murmura-t-il en prenant l'appareil.
Son visage était si proche qu'Anastasia pouvait distinguer l'ombre d'une barbe naissante, sentir l'odeur de son parfum boisé, envoûtant malgré elle.
— C'est quoi ton code ?
Elle serra la mâchoire. Refuser serait inutile, mais céder trop vite lui donnait l'impression de perdre du terrain.
— 4567, lâcha-t-elle finalement, sur un ton sec.
Manny arqua un sourcil, une lueur de moquerie dans son regard.
— Pas très safe comme code, ricana-t-il en déverouillant l'écran d'un geste assuré.
Il entra son numéro, ses doigts glissant sur l'écran avec l'aisance de quelqu'un qui avait l'habitude de s'inviter dans la vie des autres sans y être convié. Son calme contrastait avec la tension qui enserrait la poitrine d'Anastasia.
— On va rendre ça officiel, ajouta-t-il en appuyant sur l'icône d'appel.
Un vrombissement discret se fit entendre sous sa veste bombers. Il décrocha, porta le téléphone à son oreille sans la lâcher du regard.
— Salut, Anastasia, susurra-t-il, sa voix grave résonnant à la fois dans l'air frais du patio et à travers le combiné.
Il raccrocha et lui tendit son téléphone. Mais au lieu de le lui rendre immédiatement, il joua un instant avec, ses doigts effleurant les bords de l'appareil, son regard toujours rivé sur elle.
— Maintenant, je peux te joindre quand je veux. Et crois-moi, chérie, tu n'as pas envie de rater un de mes appels.
Elle arracha presque son téléphone de ses mains, le serrant fermement comme si elle pouvait encore y apposer une barrière entre elle et lui. Manny, lui, se contenta de la regarder, l'air détendu, presque amusé. Comme si tout ce qui venait de se passer était parfaitement normal.
Puis il recula enfin, rompant cette proximité suffocante. Pourtant, même à quelques pas de distance, il semblait toujours occuper tout l'espace autour d'elle.
— Je te donnerai les détails demain, dit-il d'un ton nonchalant, comme s'il parlait d'un rendez-vous banal et non de l'engrenage dans lequel il venait de l'aspirer.
Il ajusta le col de sa veste, glissa son téléphone dans sa poche intérieure, puis se détourna, mais avant de franchir la porte du patio, il pivota sur lui-même, son regard captivant croisant le sien à nouveau.
— Oh, et Anastasia ? Bienvenue dans le business.
Lorsqu'il disparut dans l'ombre, Anastasia resta figée sur place, son esprit tourmenté par mille pensées. La peur continuait de l'étreindre, mais quelque chose d'autre bouillonnait sous la surface : une étrange curiosité. Qui était vraiment cet homme ? Et jusqu'où pourrait-il l'entraîner dans ce monde dangereux qu'elle redoutait tant ?
La nuit californienne s'étirait autour d'elle, enveloppant le patio d'un voile sombre et silencieux.
Elle se laissa glisser sur la chaise. Le froid de la pierre sous ses pieds nus la ramenait lentement à la réalité.
Elle savait qu'elle venait de franchir une ligne, celle d'un plongeon dans l'inconnu, un saut sans filet dans un univers qu'elle ne connaissait pas et qui l'effrayait.
Son esprit tentait de rassembler les pièces du puzzle. Matthew, son défunt mari, n'avait jamais été l'homme qu'elle croyait connaître. Derrière ses rêves de startup et ses promesses de succès, il avait laissé un héritage toxique. Une dette qui ne se comptait pas seulement en argent, mais en conséquence dangereuses et imprévisibles.
Un flot d'émotions contradictoires la submergea. Anastasia se sentit trahie, comme si le sol s'effritait sous ses pieds. Chaque souvenir avec Matthew se teinta soudain d'une couleur différente, comme si elle les redécouvrait à travers un prisme déformant. Les mots tendres, les projets partagés, les rires complices... Tout cela semblait désormais baigné d'une lumière artificielle, cruellement ironique.
La trahison se fraya un chemin jusqu'à sa poitrine, une douleur sourde et persistante. Comment avait-il pu lui mentir ainsi ? Comment avait-il pu la laisser porter ce fardeau, seule, sans même un avertissement ? Elle se revit, le visage fatigué mais plein d'espoir, alors qu'il lui parlait de cette entreprise qu'il voulait créer. "C'est notre avenir, Ana. Ça va marcher, tu verras." Chaque mot sonnait maintenant creux, une promesse sans fondement.
Elle serra les dents, sa mâchoire se crispant sous l'effet de la colère. Mais sous cette couche brûlante, il y avait aussi la douleur glaciale de l'abandon. Matthew était parti, la laissant avec ses dettes et ses mensonges, face à un monde qu'elle ne comprenait pas. Elle se sentait dépossédée, comme si même son deuil lui avait été volé. Comment pleurer un homme qui l'avait trahie si profondément ?
Anastasia ferma les yeux, essayant de contenir les larmes qui menaçaient de couler. Pas maintenant. Pas ici. Elle inspira profondément, s'accrochant à cette bribe de contrôle. Elle ne pouvait pas se permettre de s'effondrer. Pas alors qu'un inconnu venait de poser sur elle un regard qui voyait au-delà de son masque.
Ce qu'elle ressentait allait au-delà de la peur ou de la colère. C'était une déchirure, un vide béant laissé par la trahison. Mais au fond de ce vide, une nouvelle force prenait forme. Un désir viscéral de comprendre, de découvrir toute la vérité, même si cela impliquait de plonger dans l'obscurité.
Si Matthew avait joué avec le feu, elle allait devoir marcher sur les braises.