JAGGER
Assis confortablement sur le siĂšge de la berline d'Andrew, je tire lĂ©gĂšrement sur le col de ma chemise alors que la voiture ralentit. Le chauffeur d'Andrew, Josh, le demi-frĂšre de Sun, nous jette un coup dâĆil dans le rĂ©troviseur avant de nous adresser un signe de la tĂȘte.
â Nous sommes arrivĂ©s, nous affirme-t-il calmement, pendant qu'Andrew est dĂ©jĂ en train de sortir de la voiture. Monsieur Sullivan ?
Je tourne la tĂȘte vers lui quand il mâinterpelle.
â Oui, quây-a-t-il ?
â Avez-vous prĂ©venu ma sĆur que vous allez rentrer trĂšs tard afin quâelle ne vous attende pas pour rien ?
Je hoche la tĂȘte, un peu pris au dĂ©pourvu. Jâai bien prĂ©venu Sun pour lui dire que jâarrivais, mais lâinvitation soudaine de la famille Suan nous a tous pris de court.
Je me rends compte quâavec ce message, jâai pondu une sacrĂ©e connerie pour que Sun ne sâaffole pas de mon retard. Je lui ai menti en disant que jâallais Ă la soirĂ©e de Bethany, soi-disant pour essayer de recoller les morceaux avec elle.
La vĂ©ritĂ©, câest que je veux tenir Sun loin de cette famille. Elle sâest dĂ©jĂ frottĂ©e Ă Carter Suan quand il est venu au New Jersey, il y a trois ans. Et franchement, je prĂ©fĂšre la savoir dans la villa, AirPod sur les oreilles, Ă Ă©couter de la musique, plutĂŽt que de la voir embarquĂ©e dans ce genre de soirĂ©e.
Andrew passe presque tous les jours Ă la maison depuis que Sun a dĂ©couvert quâil Ă©tait son pĂšre biologique. Pour nous surveiller. Enfin, surtout moi, soyons honnĂȘte. Depuis que Sun lui a balancĂ© que je bandais rien quâen matant une paire de fesses, il est persuadĂ© que je la mate sous la douche.
Pour Ă©viter une bagarre entre lui et moi, Sun ne lui a pas avouĂ© que, la premiĂšre fois que je l'ai revue aprĂšs des annĂ©es passĂ©es Ă plus de trois mille deux cents kilomĂštres d'elle, je me suis glissĂ© dans ses draps, incapable de me rĂ©chauffer. Le changement de climat s'Ă©tait fait sentir. Son corps, dissimulĂ© sous cette foutue dentelle, mâa rendu complĂštement fou.
â Oui, dĂ©clarĂ©-je. Sun croit que je suis avec mon ancienne petite amie.
Alors que je sors de la voiture, une vague de jeunes femmes, toutes riches et trĂšs bien habillĂ©es, accourent dans ma direction. Je suis mĂȘme surpris quâune dâentre elles se colle Ă moi. Elle passe sa main, frĂŽle mes cĂŽtes, puis s'enroule autour de mon bras.
â Vous ĂȘtes le futur successeur de Monica Sullivan ?
â Effectivement ! Angelo Suan a demandĂ© que je vienne au lieu de ma mĂšre.
Une autre sâapproche et rĂ©pĂšte le mĂȘme geste, mais au lieu de tenir mon bras, sa voix murmure directement Ă mon oreille :
â Tu veux quâaprĂšs cette rĂ©union, on passe une nuit Ă se faire plaisir ? dit-elle en caressant mon cou du bout de son doigt.
Je n'ai pas besoin de courir ni de chercher pour avoir des femmes dans mon lit. Elles tombent toutes dans mes bras simplement parce que je fais partie d'une famille trÚs aisée.
Je lĂšve les yeux vers la façade de lâimmeuble Ă trois Ă©tages. Câest le seul bĂątiment de lâavenue que les Suan ont rĂ©cemment rĂ©novĂ©. Leur objectif Ă©tait de regrouper certaines familles du New Jersey et de ses environs pour des petites rĂ©unions. Ma mĂšre est repartie Ă Londres il y a deux jours. Angelo Suan mâa demandĂ© de participer Ă cette entrevue pour que jâen prenne de la graine. Si je veux toujours ĂȘtre l'hĂ©ritier des Sullivan.
Je me suis donnĂ© du mal pour comprendre le fonctionnement des entreprises familiales. Pour reprendre le flambeau, jâai aussi posĂ© mes conditions Ă ma grand-mĂšre : je veux continuer Ă faire du hockey pendant mon temps libre. Il est hors de question de finir comme ces riches aigris qui tirent la gueule toute la journĂ©e en sirotant leur whisky dans un bureau, parce quâils aiment plus leur boulot que leur propre famille.
Quand je vois toutes ces nanas qui ont Ă©tĂ© choyĂ©es pendant toute leur jeunesse par leur papa chĂ©ri et qui ne comprennent que dalle Ă la vie. JâespĂšre que mes futurs enfants auront une vie normale.
Alors que je me dirige de lâĂ©difice des Suan, un crissement de pneus me fait tourner la tĂȘte. La voiture de Carter Suan vient de se garer devant le trottoir. Il en sort, ouvre la porte cĂŽtĂ© passager, et une jeune femme en descend. Je m'attends Ă ce que ce soit une autre figure de la haute sociĂ©tĂ©, une habituĂ©e des soirĂ©es Suan, vu la robe luxueuse, son sac hermĂšs Ă son bras et de son collier en diamant.
Au fur et Ă mesure, qu'elle se rapproche, je plisse les yeux vers elle, incapable de dĂ©vier mon regard dâelle. Putain, elle mâest Ă©trangement familiĂšre !
AprĂšs avoir Ă©changĂ© quelques mots avec Carter, je peux lire sur les visages des autres femmes que la jalousie les consume toutes. Depuis que le mĂ©decin a diagnostiquĂ© le cancer de sa fiancĂ©e, Carter nâa plus jamais Ă©tĂ© vu en compagnie dâune autre femme.
â Câest qui celle-lĂ ? sâĂ©crie une fille Ă la voix perçante.
Son acolyte scrute la jeune blonde, bras croisés, puis hausse un sourcil vers les femmes riches qui lui lancent des éclairs.
Je suis figé sur place quand ses prunelles tombent sur ma silhouette.
Mais qu'est-ce queâŠ
Carter la laisse sâaccrocher Ă son avant-bras, tandis quâelle affiche une mine forcĂ©e et vraiment dĂ©goutĂ©e quand elle se colle au type.
Je n'avais pas prévu de la voir aujourd'hui, surtout pas ici. Mais qu'est-ce qu'elle fout suspendue au bras de Carter ?
Fraichement installĂ© Ă une table, parmi celles qui sont positionnĂ©es en cercle, je coule une Ćillade vers la femme qui se tient prĂšs de Carter Suan et de son grand-pĂšre.
Personne ne fait attention Ă elle lorsquâun homme rĂ©putĂ© dans les affaires immobiliĂšres parle de ses actions. Elle jette un regard Ă tout le monde puis vide discrĂštement le verre de vin plein dans le pot de fleurs. Son dĂ©gout pour ce jus rouge bordeaux se lit clairement sur son joli minois.
Lâhomme ayant fini son discours sur ses actions, la jeune femme lĂšve la main afin que celui-ci capte son attention.
â Une question, mademoiselle ?
â Avez-vous un plan dâurgence, si vos actions ou les bourses immobiliĂšres se dĂ©gringolent à cause dâune potentielle crise Ă©conomique ou dâune afflation ?
Surpris, Carter Suan et Angelo tournent la tĂȘte vers elle, tous les deux Ă©tonnĂ©s.
â Oui, rĂ©ponds-je lâhomme, il faut savoir gĂ©rer la crise dĂšs le dĂ©but de la construction du projet pour Ă©viter le moindre impact sur le long terme.
Elle hoche la tĂȘte, un demi-sourire se dessine sur son visage.
Depuis quand elle connait les risques dans le milieu des affaires ?
*
* *
AprĂšs la rĂ©union finie, je vois que la jeune femme sâĂ©clipse pour aller aux toilettes des femmes, je me lĂšve de ma chaise et dĂ©cide de la suivre Ă mon tour. Alors que je me glisse jusquâĂ lâentrĂ©e, des voix sâĂ©lĂšvent de lâautre cĂŽtĂ©. Sans rĂ©flĂ©chir, jâattrape la poignĂ©e et entre.
Ă lâintĂ©rieur, les femmes de tout Ă lâheure sâen prennent Ă elle car ce nâest pas possible que Carter soit accompagnĂ© dâune femme Ă son bras et quâelles ne connaissent pas.
â Foutez-lui la paix, dis-je dâun ton sec, histoire quâelles arrĂȘtent de gueuler comme des connes.
Abasourdies, elles se retournent vers moi.
â Câest dingue de voir des hommes dĂšs que Carter est accompagnĂ© de courir aprĂšs les femmes qui sont proches de lui.
â Elle nâa mĂȘme pas, une seule, lever les yeux sur toi durant toute la rĂ©union ! sâĂ©crie une autre.
â Regarde-le, le successeur de Sullivan qui Ă©tait prĂȘt Ă coucher avec moi tout Ă lâheure⊠On vient de changer dâavis ?
Je réplique :
â Jâai jamais dit que je voulais te baiser ! C'est toi qui voulais un coup de queue aprĂšs cette soirĂ©e, non ?
AprĂšs la rĂ©vĂ©lation, elle fronce les sourcils, furieuse. Elle sâapproche de moi, la main levĂ©e, et ne se gĂȘne pas pour mâen coller une, en pleine gueule.
Un rictus triomphant Ă©tire ses lĂšvres juste avant quâelle ne quitte les toilettes, suivie par ses copines qui ne mouftent pas.
La seule Ă rester, câest la fille qui accompagnait Carter. Elle sâassoit tranquillement sur le bord du lavabo.
â Fallait pas venir Ă mon secours. Jâallais leur foutre une branlĂ©e, balance-t-elle, comme si de rien nâĂ©tait.
â Ăvite de faire ce genre de trucs ici. Et dâailleurs⊠quâest-ce que tu fous lĂ ? Et au bras de Carter ?
Elle penche la tĂȘte sur le cĂŽtĂ©, puis Ă©clate de rire.
â Jâai failli me faire buter par ce dĂ©bile, rĂ©pond-elle en levant les yeux au ciel. Il a pas trop kiffĂ© que je balance mon tĂ©lĂ©phone sur son pare-brise. RĂ©sultat : vitrĂ© pĂ©tĂ©.
Donc elle sâest vraiment vengĂ©e sur la famille Suan ? Mais quelle conne, putainâŠ
â Tu sais quand mĂȘme qui est Carter Suan, non ? Parce que la derniĂšre fois, jâai eu lâimpression de parler Ă un mur.
Elle secoue la tĂȘte.
â Non, je connais pas, lĂąche-t-elle en me contournant pour partir.
â Attends, tu vas oĂč, lĂ ?
Elle se tourne vers moi, les pupilles vert noisette et le sourire accroché aux lÚvres.
â Le vieux Suan veut me rencontrer. Il veut faire plus ample connaissance, parce quâil a jamais vu une fille comme moi capable de remettre Carter Ă sa place juste parce quâil a pas fait gaffe sur la route.
Lorsque Sun tente de partir, je la retiens en mâemparant de son bras.
â Reste avec moi, sâil te plait. Tu sais pas de quoi cette famille est capable !
â Profite donc de cette soirĂ©e pour finir dans le lit dâune de ces filles qui tâont matĂ© toute la soirĂ©e. Je pensais pas quâavec ta tronche, tâĂ©tais capable dâattirer ce genre de femmes. Faut croire que les fortunĂ©es nâont vraiment plus de goĂ»t.
Non mais je rĂȘve ! Elle est vraiment sĂ©rieuse !
â DĂ©solĂ©, mais pour sortir avec un type qui ressemble Ă rien et qui a mĂȘme pas les Ă©paules pour remplacer mon frĂšre jumeau en tant que quarterback, tu nâas pas beaucoup de gout non plus.
Sa bouche pulpeuse sâapproche de mon oreille, sa main se posant juste au bord.
â Ouais, mais au moins, lui, il savait crier, pas comme les autres nanas.
Sérieusement ? Elle joue les saintes depuis le début ?
Je rentre dans son jeu.
â Ah ouais ? Crier comment ?
â Comme ça, rĂ©pond-elle, juste avant de mâĂ©craser violemment le pied avec son talon aiguille. Maintenant, fous-moi la paix. Angelo mâattend, et jâai pas lâintention de le faire attendre.
Si câest ce que tu veux⊠AprĂšs tout, qui je suis pour tâen empĂȘcher ? Mais viens pas pleurer quand tu seras dans la merde avec eux.