Sierra
J'avais invité Alaya, ma meilleure amie, à dîner chez moi ce soir. Je savais d'avance qu'elle s'entendrait très bien avec Lev. Ils avaient le même caractère : froid, asocial, antipathique. Mais je l'aimais comme ça. Elle pouvait aussi se montrer très gentille, et elle était une amie précieuse. Alaya avait été la seule à me soutenir depuis le début de mon envie d'écrire un roman.
J'entendis les clés tourner dans la serrure, et Lev entra. Je ne l'avais même pas vu partir.
— Salut, t'étais où ? le questionnai-je.
— Dehors.
— J'ai invité ma meilleure amie ce soir. Je ne sais pas encore ce que je vais faire à manger, donc si t'as des idées, je suis preneuse.
— Je m'occuperai de faire à manger, et j'avais pensé inviter ma meilleure pote aussi.
— Super alors. Elle s'appelle comment ?
— Svetlana.
— D'accord. Elle vient à quelle heure ?
— Vers 20 h, je pense.
— Ok. Alaya viendra vers 19 h 30.
— Ok.
Je ne supportais pas cet homme. Comment étais-je censée cohabiter avec lui pendant autant de temps ? Ça allait être insupportable.
Il était 19 h 30 quand Alaya arriva. Nous étions devant la porte en train de discuter.
— Je te jure, Laya, il est insupportable.
— Ça ne doit pas être aussi horrible que ça quand même.
— Si, je te jure. Il est aigri, antipathique... insupportable, quoi.
— Je suis sûre qu'il vous faut juste un petit temps d'adaptation.
— J'espère, oui. Mais pour le moment, je ne le supporte plus.
— Ne t'en fais pas, c'est réciproque, entendîmes-nous dire d'une voix grave derrière moi.
Je passai à côté de lui pour rentrer, le poussant légèrement, ce qui le fit ricaner prétentieusement.
Ils entrèrent après moi, et nous nous installâmes sur le canapé.
— Svetlana arrive quand ? demandai-je.
— Bientôt.
À l'instant même où il répondit, la sonnette retentit.
Il alla ouvrir, et j'aperçus une grande rousse, d'environ 1 m 80. Elle avait de magnifiques yeux marron chocolat.
Elle s'approcha de moi et me salua :
— Salut, tu dois être Sierra, c'est ça ?
— Oui, c'est ça. Enchantée.
— Enchantée également.
— Et là, tu as Alaya, ma meilleure amie.
— Ravie de faire ta connaissance, dit Svetlana.
— De même, répondit Alaya.
Nous nous installâmes à table : Alaya à côté de moi, Svetlana en face, à côté de Lev.
— J'ai fait de la pizza. Jambon, champignons, fromage, sauce tomate.
Je mâchai un morceau de pizza en silence, priant pour que ce dîner ne vire pas à la catastrophe. Lev, comme à son habitude, gardait cet air fermé, presque méfiant. Il n'avait rien dit depuis que nous nous étions installés. À croire qu'il faisait un effort surhumain juste pour rester à table.
— C'est toi qui as cuisiné ? demanda Alaya, poliment.
Il hocha la tête, un peu surpris. C'est vrai, il la connaissait de nom. Je lui en avais parlé plus d'une fois, mais c'était la première fois qu'il la voyait en vrai.
— Ouais. C'est basique, mais ça passe.
Il évitait soigneusement de croiser mon regard, et je faisais de même. Si nous commencions à nous clasher devant nos amies, ça deviendrait gênant pour tout le monde. Même si, très honnêtement, ça me démangeait.
— En tout cas, c'est super bon, ajouta Alaya, toujours souriante. Merci pour l'invitation.
— C'est Sierra qui t'a invitée, non ? répondit Lev, le ton presque sec.
Je relevai enfin les yeux vers lui.
— Elle est chez moi. Donc oui, j'ai invité ma meilleure amie. Et si t'es pas content, t'as qu'à manger ailleurs.
Il esquissa ce petit sourire insupportable, celui qu'il affichait chaque fois qu'il se croyait supérieur.
— T'inquiète pas, je suis ravi d'être là. Vraiment. Y'a une ambiance si... chaleureuse.
— C'est drôle, je pensais exactement la même chose, rétorquai-je, le regard noir.
Svetlana, assise en face de moi, lâcha un soupir discret. Elle n'avait même pas l'air étonnée. Elle devait en avoir l'habitude.
— On dirait un vieux couple, marmonna-t-elle, mi-amusée, mi-agacée.
Je manquai de m'étouffer.
— Pardon ?
— Je plaisante, dit-elle avec un clin d'œil. Enfin... un couple qui aurait envie de s'étrangler à coups de fourchette.
— Là, tu commences à me comprendre, murmurai-je.
Alaya, elle, observait Lev discrètement. Je la connaissais par cœur, et je sentais déjà que sa curiosité était piquée.
— Tu fais quoi dans la vie, Lev ? demanda-t-elle innocemment.
Il s'arrêta une seconde, comme s'il calculait la meilleure réponse. Je fronçai légèrement les sourcils. C'était toujours flou, ce qu'il faisait exactement.
— Je bosse en indépendant, répondit-il finalement. Beaucoup de déplacements. Rien de très passionnant.
Je croisai le regard d'Alaya. Je savais qu'elle pensait exactement la même chose que moi : c'était vague. Trop vague. Mais elle n'insista pas.
— T'as dû en voir du pays, alors, commenta-t-elle avec un sourire.
Il hocha lentement la tête, sans en dire plus. Et moi, je retins un soupir. Ce mec était une énigme. Une énigme froide, hautaine, et insupportablement mystérieuse.
Je n'avais aucune idée de comment j'allais survivre à cette colocation.
Mais j'avais comme l'intuition que cette soirée ne serait pas la dernière fois qu'on se balancerait des piques devant nos amis.
Et je détestais à quel point ça me mettait les nerfs... et le cœur... un peu trop en alerte.
— Alors, tu écris un livre ? me questionna Svetlana. — Oui, enfin j'essaie. — De quoi est-ce que ça parle ? — D'une fille forcée de vivre avec un homme insupportable. Lev émit un petit ricanement. — Je vois, dit Svetlana en riant. Et comment est-ce que ça se finit ? Ils finissent heureux ? Ou ils s'entretuent ? — Je ne sais pas encore, mais s'il continue comme ça, ça sera plutôt la deuxième option. — Et ce n'est pas la femme qui est insupportable ? demanda Lev. — Non, la femme fait de son mieux pour supporter l'homme froid et difficilement supportable, tandis qu'elle est très gentille. — Drôle de vision des choses, marmonna-t-il.