Azure
Juin 2018 - Morro Bay
-Aller frappe ! m’hurle Kiera. Crochet du droit
-Encore ! Direct droite et gauche, frappé du pied droit.
-C’est mou ça Azure, sois plus féroce ! Enchainement de direct et uppercut.
J’ai les mains en feu mais je continue. Kiera a beau me faire la morale, je me débrouille très bien. En trois mois, j’ai énormément évolué et selon Milly j’aurais pratiquement le même niveau que sa sœur. Chose qu’elle a absolument nié en disant que j’étais nulle et que jamais je pourrais la battre. Cependant je suis la seule qui ait tenu aussi longtemps avec elle. Je m’en félicite car ça n’a vraiment pas été facile. Il y a des soirs, je rampais jusqu’à mon appartement tellement les courbatures que j’avais, étaient atroces. Mais ça en valait la peine.
-Tu sais qu’on ne te fera pas de cadeaux parce que tu es une femme !
-Je n’en veux pas de leur cadeau, crache-je essoufflée
-Alors frappe plus fort et ne baisse surtout pas ta garde.
Je fixe le sac de frappe devant moi comme si c’était le diable. Ou plutôt comme l’assassin de mon frère. Même si je ne connais pas son visage. Je concentre toute ces émotions dans mes poings et je frappe, encore et encore. De la sueur perle de mon front, mes traits sont tirés par la colère et la fatigue. J’ai de plus en plus de mal à reprendre mon souffle. Cela fait tellement longtemps que je suis là que je ne sais même pas quelle heure il est. Mes épaules brûlent, mes bras tremblent, mes joues sont rouges. Je n’en peux plus. Pourtant je ne ralentis pas et je continue. Je vois du coin de l’œil que Kiera évalue mon niveau de fatigue.
-Ok on fait une pause, finit-elle par dire en voyant mes yeux alterner entre le sac et elle.
Je relâche mon souffle et mes membres. J’enlève mes gants et me dirige vers le banc pour prendre ma bouteille d’eau. En me retournant vers la salle, je vois beaucoup de monde me fixer. Je déglutis et leur lance un regard sévère.
-Quoi ? Vous voulez ma photo ? Ou mon poing dans votre gueule peut-être ?
Tous les regards changent alors de direction, honteux. La boxe m’a donné énormément d’assurance. J’ai beaucoup plus confiance en moi et je n’hésite pas rentrer dans le conflit. Je me sens mieux comme je suis aujourd’hui. Je me sens moins normale, je m’affirme plus, j’ai acquis un sacré caractère. Selon Kiera, c’est ce qu’il faut pour combattre surtout dans les matchs où tout est permis. Je ne perds pas de vue mon objectif et ça me donne la volonté, la force et le courage d’aller au bout. Les sélections sont dans un mois et je suis pratiquement prête. Le stress monte un peu, j’ai tout de même peur de ne pas les passer. Je ne connais pas le niveau de ces gens, tout se joue maintenant, je dois prendre le plus d’expérience et progresser le vite possible.
-Mais qui voilà ? Serait-ce notre Tigresse ?
Oh non, pas lui. Cela fait quelques jours que ce mec ne me lâche pas. Je ne sais pas pourquoi. Il a déboulé comme ça du jour au lendemain et passe ces journées à me charrier, me chambrer, à me dire que je n’ai rien à faire ici et même temps il essaie de flirter. Il peut toujours essayer. Enfin bref, un mec quoi. J’engloutis le reste de ma bouteille et me tourne vers lui.
-Serait-ce le retour du pot de colle de service ?
Ryker. La première fois que j’ai l’ai vu, j’ai cru voir le cliché en lui-même du Bad Boy. Mais j’ai aussi eu l’impression de l’avoir déjà vu, c’était assez bizarre. J‘ai arrêté d’y réfléchir lorsque je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à me souvenir. Je ne sais pas vraiment de quelle origine il descend mais il a une peau hâlée comme s’il était bronzé toute l’année. Le veinard. Brun foncé aux yeux d’un bleu céleste captivant. Il est également très musclé, adepte de la musculation et de la boxe. Son bras droit est entièrement recouvert d’un tatouage où se trouve une immense montre ancienne avec des chaînes et des écritures en italiques que je n’arrive pas à déchiffrer. Il a également une marque dorée dans le cou, de style tribal.
Je ne sais rien de lui. A part qu’il adore me coller et m’emmerder. Son attitude envers moi est étrange. Il peut être à la limite de l’agressivité en débitant des paroles machistes. Ou protecteur en m’intimant de partir tant que je le peux encore. Autant dire que je n’arrive pas à le suivre. J’ai quelque doute sur le fait qu’il sache mes attentions mais comment aurait-il compris ? Il m’espionne peut-être ? Ça m’étonnerait, je suis tout le temps sur mes gardes. Cette question tourne régulièrement dans ma tête, surtout lorsque je suis en sa présence mais je n’y trouve aucune conclusion. Il est simplement fou ? Certainement.
Je le vois s’approcher de moi lentement. Je le regarde avec une telle haine que j’aimerai que mes yeux le désintègrent. Tords-toi la cheville aussi ! Arrivé à ma hauteur, il doit légèrement se courber pour me regarder dans les yeux.
-Tu es toujours là, chuchote-t-il.
-Et je n’irais nulle part.
-Je me demande pourquoi une jeune fille comme toi vient dans ce genre d’endroit.
-Pour faire du sport comme tout le monde, je souffle agacée.
Il se rapproche encore plus de mon visage. Je sens son souffle sur mon nez. A cette distance, j’arrive même à sentir l’odeur de son parfum. Ryker est un très bel homme, faut avouer. Mais pas le genre à faire dans le sérieux. Je le vois froncer les sourcils.
-Tu n’as rien à faire ici, rentre chez toi, crache-t ’il. Nous y voilà.
-Vraiment ? Tu n’as toujours pas ouvert un dictionnaire pour renouveler ton vocabulaire ? Tu tournes en boucle là, je ricane.
-Je suis sérieux.
-Moi aussi.
Il se redresse et étire son dos vers l’arrière. Il me lance un regard qui veut dire « tu m’énerves mais je t’aime bien ». Il est vraiment trop bizarre ce mec. D’un coup, il se mets à me pincer le nez. C’est une chose que mon frère aimait beaucoup me faire pour me taquiner. Ce souvenir me met encore plus en colère que je ne l’étais déjà.
-Eh ! Ne me touche pas. (Je me dégage de sa prise.) Qu’est-ce que tu peux être lourd !
-Moi je suis lourd ?
-Oh oui et pas qu’un peu !
-Pas besoin de jouir pour me répondre. Je sais que je te fais de l’effet mais calme tes hormones. Il y a du monde, un peu tenu.
J’écarquille les yeux. Il vient vraiment de sortir ce que j’ai entendu ? Il veut vraiment que je lui fasse manger le sol ou quoi ? Ma colère continue de bouillir. Tel une éruption volcanique mon poing part soudainement en direction de son visage. Mais à croire qu’il savait ce que j’allais faire puisqu’il intercepte ma main sans difficulté et serre légèrement mon poignet pour que je ne lui échappe pas.
-Non mais tu crois irrésistible ou quoi ? Je t’arrête tout de suite tu es loin de l’être.
J’essaie de récupérer mon poignet, en vain. Il me le tient fermement.
-Outch, tu fais bobo à mon p’tit cœur là.
-Continue de m’emmerder, ce n’est pas là que je vais te faire mal.
Son regard devient perçant et il me rapproche de lui. Par réflexe, je fais un pas en arrière. Il maintient mes bras près de lui.
-Ah ouais ? Tu serais capable de faire ça Tigresse ?
Il arque un sourcil et sourit en coin.
-Ne me tente pas. Et puis il faudrait déjà qu’il y ait quelque chose.
-Tu veux voir par toi-même ?
Je lâche un rire incontrôlé ce qui a le coup de lui clouer le bec. Il ne s’attendait pas à ce que je lui rigole au nez.
-Non, vraiment pas. Je n’ai pas envie de faire des cauchemars.
Je profite qu’il baisse sa garde pour me dégager et reculer. Je vois Kiera au loin qui n’a pas l’air d’approuver que je sois proche de lui.
-Pour ta gouverne, je suis capable de beaucoup de chose quand j’en ai la volonté.
Je clos la discussion et me dirige vers Kiera. Je sais qu’ils se connaissent mais ils ne s’apprécient pas. Je ne sais absolument pas pourquoi mais cela ne me regarde pas. Chacun ces histoires.
Finalement, je n’ai fait qu’une demi-heure de tapis avant que Kiera nous fasse plier bagage. Je suppose que c’est à cause d’un grand brun qui n’a pas arrêté de nous fixer et cela a dû la saouler. Elle est allée lui dire quelque chose et est revenue dans la seconde en m’ordonnant d’aller me changer. Elle avait l’air furieuse. Je ne me mêle pas des affaires des autres mais j’avoue que leurs attitudes attisent ma curiosité. J’ai tenté une approche auprès de Kiera mais elle m’a simplement répondu : « C’est qu’un con qui n’a que ça à faire de ces journées » D’accord.
Nous sortons du bâtiment et filons vers le parking dans un silence de plomb. Nous mettons nos affaires dans le coffre et alors que je m’étais résolue à ne jamais entendre ces paroles de sa bouche, Kiera me sors :
-Tu as bien progressé, bravo.
Je lâche mon sac d’un seul coup, il tombe lourdement dans le coffre. Elle m’a sortie ces paroles mais ne m’a pas regardé. Dire des choses gentilles n’est pas dans sa nature et ça lui a coûté. Je la regarde avec une mine joueuse.
-Oui je suis capable d’être gentille.
J’éclate de rire mais je retrouve vite mon sérieux lorsque j’aperçois son regard en coin.
-Si tu continues sur cette lancée, tu pourras passer les qualifications très facilement, me rassure-t ’elle.
-Merci pour tes encouragements Kiera, ça me fait plaisir. Je ne tiens pas à perdre une seule fois. Mon but est d’en finir au plus vite avec cette étape.
-J’adore quand tu parles comme ça.
Nous ricanons. Alors que nous allions monter dans la voiture, quelqu’un nous interpelle.
-C’est bien d’être motivée, Tigresse. Encore lui !
-En revanche, ça devient du harcèlement là, je lâche sans me retourner.
-Je m’intéresse tout simplement.
-Entre ça et me suivre partout, c’est à la limite de l’obsession.
-Je suis curieux c’est tout. C’est rare qu’une personne supporte les entrainements de Kiera.
-Elle est plus à la hauteur que toi en tout cas, lui réponds Kiera.
Oh tiens, ça c’est intéressant.
-Tu l’as entrainé ?
-Oui mais il a abandonné. J’étais trop dure avec sa petite personne.
J’éclate de rire. Je m’appuie sur la voiture tellement l’hilarité me prends.
-Tu es sérieuse ? je lui demande en essuyant les larmes qui se sont formés sur le coin de mes yeux.
Je me tourne vers Ryker. Il a l’air dérouté et ne sais plus où se mettre. Il ne digère pas le fait que j’arrive à supporter ces exercices et lui non donc il veut me déstabiliser pour je m’en aille. Tout ça pour donner raison à la réputation de Kiera. Quel blaireau…
-Tu es vraiment une fillette en réalité ! Il se crispe.
Ma remarque ne lui a pas plus. Je m’en fous. Si ça me permet de ne plus l’avoir dans mes pattes. Il continue de me fixer mais il n’a aucune expression. Il démarre alors sa moto et disparait.
-Oh, je crois que tu l’as vexé, ricane Kiera
-Faut croire, pauvre petit chou, dis-je avec un ton sarcastique. Nous montons dans la voiture et Kiera prends la route.
Pendant le trajet, je repense aux paroles de Ryker. Le fait qu’il soit dégouté de ne pas avoir réussi à tenir le coup avec Kiera mais que moi j’y arrive, expliquerai son attitude. Au fond de moi je sens qu’il y a autre chose. Mon cerveau bouillonne à ce sujet tout au long de la route. Je ne trouve pas de scénario qui pourrait coller à son comportement. Je n’ai jamais vu ce gars, je ne le connais ni d’Adam ni d’Eve mais il me parait familier. C’est étrange comme sensation. En plus ces avertissements raisonnent avec mes intentions. C’est sans doute pour cela que j’y réfléchis autant. Parce qu’il a raison. Je n’ai rien à faire ici théoriquement. Pourquoi il veut me mettre autant en garde ? Je devrais peut-être lui demander.
-A quoi tu penses ? Je te vois froncer les sourcils, me questionne Kiera concentré sur la route.
-A Ryker, ce mec est étrange quand même, pourquoi il fait ça ?
-Il doit avoir ces raisons. En tout cas, méfie-toi de lui. Il n’est pas très fréquentable. Je l’avais remarqué.